Cela devait cesser, et Sarkozy a fait ce qu’il fallait. Il nous a réintégrés dans le concert des grands. Bien sûr, il a fallu donner un petit coup de pouce au destin, mais quand on veut, on veut ; il faut ce qu’il faut. Mais Sarkozy est parti avant d’avoir atteint son objectif. Il est vrai qu’il partait de zéro. C’est au successeur de prendre le relais et de finir le boulot. Avec quelqu’un comme Hollande, on pouvait douter de ses capacités à continuer l’entreprise. Mais, à la surprise générale, il a réussi l’exploit. Depuis le 19 février, la France est le pays occidental qui a le plus de ressortissants pris en otage dans le monde, suivi des États-Unis (neuf otages).
A lire les journaux, c’est le cocorico presque général. Nous existons enfin. On nous craint plus que les Étatsuniens. On nous hait plus qu’eux au point que nous sommes encore moins en sécurité que leurs GIs. 15 otages. Le chiffre est brandi comme un trophée. Certes, nos ambassades ne sont pas encore des châteaux-forts ou des forteresses inexpugnables comme celles des États-Unis avec leurs barbelés, leurs surveillances vidéo et même radar, leurs milices armées jusqu’aux dents, leurs multiples check points munis de toutes sortes de détecteurs et scanners. Trop dur de rivaliser. Mais un pas important a été franchi. A entendre certains, c’est presque une victoire.
Dans quels cerveaux malades peut naître l’idée que plus les français se sentent en danger à l’étranger, plus nous sommes importants ?
Je me rappelle pourtant qu’avant l’arrivée de Sarkozy, au temps de Georges W. Bush, les États-Unis étaient considérés presque partout, y compris en France, comme un état voyou volant, pillant, tuant, affamant, écrasant tout ce qui lui résistait. George Bush lui-même était honni de tous, au point qu’Obama était arrivé presque comme le sauveur du monde. Par quel miracle, les Français qui, hier, ne tarissaient pas d’anathèmes contre Washington, acceptent et cautionnent aujourd’hui tout ce qu’ils exécraient, refait à l’identique par leurs dirigeants.
En puisant encore dans les souvenirs, je revois cette fantastique bouffée de fierté et de patriotisme qui submergea tous les Français, le jour où Dominique de Villepin abattit sur la table du Conseil de Sécurité de l’ONU le veto de la France. Ah quel moment ! La France redressait la tête et restait plus que jamais fidèle à ses valeurs. Chirac, qui n’avait été que Chirac jusque là , était tout d’un coup devenu le digne héritier de De Gaulle. Le cocorico national fut même repris à l’unisson par tous les peuples sauf, bien sûr, les Étatsuniens. Qu’y a-t-il eu de changé depuis ce jour de Février 2003 ?
Bien sûr Sarkozy est passé par là . Mais ça n’explique pas tout. Il serait trop facile aussi de tout mettre sur le dos des médias. Ils ne sont pas innocents, loin de là . Mais ils n’auraient jamais eu beaucoup d’impact si le terrain n’avait pas été préparé. Si changement il y a eu, il faut le rechercher principalement chez les Français eux-mêmes. Mais, y a-t-il eu vraiment un changement ? Si l’on compare les deux cocoricos, que 10 ans pourtant séparent, on peut en douter, car c’est le même. A y regarder de près, toute la fierté française d’il y a 10 ans n’était pas due à la victoire des valeurs humaines sur la barbarie, ni même à une quelconque compassion pour le pauvre peuple irakien. Elle n’a été engendrée que parce que la France a tenu tête aux États-Unis. Ni plus, ni moins. L’erreur de Georges Bush a été d’avoir traité la France et l’Europe (hors Royaume-Uni) avec mépris et de n’avoir pas su les caresser dans le sens du poil comme le fit son père avec succès pour la première guerre d’Irak en 1990. A cela, bien sûr, il faut ajouter les convictions propres de Jacques Chirac. Mais pour l’opinion publique, seule comptait la valeur symbolique du veto, qui n’a rien empêché d’ailleurs. Le discours de Dominique de Villepin redonnait à la France sa grandeur et rappelait au monde qu’elle était une grande puissance, au grand dam des États-Unis. C’était une victoire, et pas contre n’importe qui. C’était une victoire contre la plus grande puissance du monde.
Dix ans plus tard, le même cocorico retentit. Pour les mêmes raisons. Nous avons encore damé le pion aux États-Unis. Le contenu du défi importe peu. Ce qui compte c’est que nous avons gagné contre l’hyperpuissance. Syndrome bien français. Il ne peut y avoir d’autres premiers que nous. Tout premier en quelque chose devient un adversaire. Il y a d’abord eu les Anglais pour la suprématie mondiale, puis les Allemands pour l’économie - et ce jusqu’à nos jours, les États-Unis enfin. La France est toujours au front car il y a toujours un meilleur quelque part. Aucune victoire ne compte si elle n’a pas été remportée contre le tenant du titre. On l’a vu souvent en sport. La France est même prête à se bagarrer pour être la première dans la saloperie, pourvu que l’un de ses challengers habituels demande à en être le champion. C’est bien ce que nous vivons aujourd’hui. Nous commettons exactement, et même parfois en pire, toutes les ignominies que nous dénoncions chez les autres. Nous utilisons les mêmes méthodes basses, la même rhétorique tordue, les mêmes stratégies cyniques, le tout adapté à la sauce française. La France a toujours agi comme les autres grands prédateurs, se maintenant toujours au meilleur niveau. Mais il existe une différence fondamentale entre elle et les autres. La motivation des autres grands prédateurs c’est d’abord leurs intérêts, que ceux-ci soient économiques, géopolitiques, ou autres. La France, elle, a d’abord pour motivation le défi et la course à la suprématie, ses intérêts ne venant qu’ensuite. Ce qui ne l’empêche pas de faire exactement comme les autres et même avec une certaine tendance à surenchérir.
Sans revenir sur les circonstances qui ont permis de battre le triste record étatsunien en matière de prise d’otages, ni même sur la nature de certains de ces otages, il y a comme une indécence dans cette satisfaction mal cachée des médias. Au lieu de se poser des questions sur les raisons réelles qui font que les Français sont devenus, presque du jour au lendemain, les cibles privilégiées des preneurs d’otage, ils préfèrent compter les points. Il ne leur viendrait même pas l’idée d’incriminer ceux qui ont rendu cela possible. Le plus important pour eux, c’est de commenter les scores, comme pour un grand match au Stade de France. On verra même peut-être bientôt un compteur sur le parvis de Notre-Dame ou à l’Hôtel de Ville de Paris qui affichera au quotidien le nombre d’otages français détenus à l’étranger.
Avic
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