Sarkozy-Hollande
Sarkozy-Thibault
Sarkozy-Parisot
5 janvier 2008.
Au mois de septembre, Fillon déclarait diriger « un Etat en faillite ». Fillon exprimait ainsi les angoisses de la bourgeoisie française, de plus en plus inquiète du déséquilibre catastrophique de la balance commerciale, de la charge menaçante de la dette, de la situation financière difficile de nombre d’entreprises petites et moyennes et des menaces d’OPA qui pèsent sur les entreprises du CAC 40 (les bénéfices de celles-ci en faisant des proies attirantes).
Certes, l’état de l’économie de la France s’inscrit dans le contexte d’une économie mondiale bien malade, et n’a rien d’exceptionnel : la crise du « subprime » qui a éclaté cet été aux Etats-Unis a immédiatement touché la planète financière tout entière. Mais la situation qui prévaut pour les salariés français fait de plus en plus figure d’exception. A l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, puis par de puissantes mobilisations (la grève générale en 1968 notamment), les travailleurs avaient arraché d’importants acquis sociaux : élargissement du système d’accès à l’éducation, gratuit pour tous, Sécurité sociale, limitation de la concurrence entre les travailleurs via le CDI et le statut de fonctionnaire... Dans les pays voisins avaient également été obtenus de tels acquis sociaux. Mais, dans la plupart des pays, cela fait déjà quelques années que ces acquis ont en partie été détruits (avec Thatcher en Grande Bretagne, Schröder en Allemagne).
Les entreprises françaises ont ainsi du "retard" sur cette régression sociale et la période de crise qui s’amorce les incite à accélérer ces réformes. Le programme de Sarkozy répondait à ces exigences. Une fois élu, Sarkozy dut s’atteler à la tâche. Mais si ses objectifs étaient clairs, il avait conscience que ce "retard" dans les réformes n’était pas dû à quelques fainéantises des gouvernements précédents mais à la résistance des travailleurs et étudiants (en témoigne le mouvement contre le CPE).
La principale difficulté du gouvernement était donc une question de méthode : comment faire passer la pilule de la destruction des acquis sociaux ? Face au mouvement social de cet automne les tactiques déployées par le gouvernement forment un bel exemple de la méthode Sarkozy. Retracer ce mouvement nous permettra donc de les déceler, de les comprendre afin de ...mieux les contrer, une prochaine fois ?
Un mouvement pugnace qui mit en échec le calendrier des réformes de Sarkozy.
La première caractéristique du mouvement de cet automne est d’avoir su mettre en échec le calendrier des réformes de Sarkozy, calendrier visant à empêcher une possible conjonction des résistances. Afin d’éviter un nouveau mouvement du type anti-CPE, la réforme de l’université fut votée cet été. De même la loi relative au service minimum fut publiée en août. Sarkozy profita ainsi de la victoire récente de l’UMP aux élections, mais également de l’absence des étudiants dans les facs, pour faire passer ces deux réformes importantes. Les « négociations » sur la réforme des régimes spéciaux commencèrent en septembre, après le vote des réformes de l’été et avant celles prévues dans la Fonction publique.
Mais la grève du 18 octobre marqua un premier pas dans le dérèglement du calendrier sarkozyste. Elle fut massive (il faut ainsi remonter à 1953 pour trouver des chiffres aussi forts à la RATP et à la SNCF) et non catégorielle (dans certaines académies le SNES dut appeler à la grève, des étudiants et des entreprises du privé se joignirent également à cette grève). La grève du 18 bloqua les négociations sur les régimes spéciaux, et impulsa la poursuite du mouvement social : du 18 octobre au 13 novembre, manifestations (contre la loi Hortefeux...), grèves (Air France, Opéra...), appels à la grève se multiplièrent (cheminots, fonction publique, magistrats...) ; le mouvement étudiant perça le blocus médiatique début novembre. Le 13, les cheminots engagèrent une grève qui fut reconduite jusqu’au 20, rejoignant ainsi l’appel des fonctionnaires ; les étudiants se joignirent à eux, leur mouvement crut massivement en une quinzaine de jours (4 facs perturbées le 7 novembre, 15 facs bloquées le 11 -25 mobilisées-, et 28 bloquées le 20 -une quarantaine perturbées-). Les grèves non catégorielles du 18 octobre et du 20 novembre ainsi que le principe de reconduction de la grève, adopté pour le 13 novembre, soulignent la conscience chez les travailleurs et étudiants que les attaques du gouvernement de Sarkozy contre leurs acquis sociaux correspondent à une politique globale, que seule une grève générale pourra contrer. Malgré cette nette conscience, après le 20 novembre le mouvement chancela. Les cheminots furent appelés à rentrer au nom du "on ne peut faire grève pendant un mois de négociations" . Quant aux étudiants, ils ne rentrèrent vraiment que la dernière semaine avant les vacances de Noël, après que les lycées les aient brièvement rejoints, et après avoir obtenu un soutien tardif des chercheurs.
Ainsi, si le mouvement d’automne montra une forte pugnacité, il échoua. Retracer ce mouvement en considérant les travailleurs et étudiants seuls -indépendamment de la politique suivie par leurs organisations- mène à une incompréhension. C’est oublier que ceux-ci se sont battus dans un contexte politique, déterminé essentiellement par la politique des appareils syndicaux et des dirigeants politiques.
La politique de Sarkozy s’est appuyée sur les directions syndicales.
Côté syndicats, Sarkozy a brillé en la matière : de telles organisations, constituées afin de défendre les intérêts des travailleurs, peuvent être assez puissantes pour contrer les réformes qui visent à instaurer des régressions sociales. Les réformes de Sarkozy comportant des attaques importantes contre les acquis des travailleurs, son premier souci fut donc d’essayer de mettre à son service ces appareils. La méthode qu’il décida de privilégier consiste à associer les dirigeants syndicaux à l’" élaboration" de ses réformes. Sarkozy synthétisa le 18 septembre l’une des leçons qu’il a tirées lors du mouvement contre le CPE : "Le dialogue social ne doit pas être un alibi à l’inaction ; mais l’urgence de l’action ne saurait justifier qu’on méprise le dialogue social" . Le dialogue social est une méthode efficace pour empêcher tout mouvement social : les dirigeants acceptant ainsi de discuter les réformes de Sarkozy, ils sont amenés à les modifier en bordure, et acceptent de facto leur principe. A cette fin, Sarkozy à peine élu réunit les dirigeants syndicaux. Il les réunit avant même de former son gouvernement, ce qui constitue une grande première dans l’histoire politique française, et les attela à la table des négociations.
Par conséquent, bien que les grandes lignes de la LRU étaient concoctées depuis février, Julliard ne remit pas en cause le principe même de cette loi, "l’autonomie des universités" , et suite aux négociations il se félicita d’avoir gagné...le retrait de la sélection à l’entrée du master (!). Il menaça en juin d’une grève en octobre, et en octobre, alors qu’une partie de l’UNEF (dite « minorité ») tentait d’informer et d’impulser le mouvement de contestation, il donna l’ordre à sa fraction au sein de l’appareil de dévier le combat pour le retrait de la LRU vers d’autres questions (logement, bourses...). Et il expliqua, le 6 novembre, alors que le mouvement contre la LRU allait croissant :"On ne veut pas faire une mobilisation exclusivement sur l’abrogation car c’est un objectif qui ne nous semble pas atteignable".
Qui doit définir les revendications ?
On pourrait rappeler à Julliard que, lorsque l’UNEF engagea le combat contre la guerre d’Algérie ou, en 1986, le combat pour le retrait de la loi Devaquet, elle se détermina selon ce qui lui semblait être une question de principe et une nécessité, non sur le pseudo-critère de « réalisme ».
Mais constatons simplement que, à l’automne 2007, la mobilisation des étudiants s’est engagée sur une revendication nette et claire : l’abrogation pure et simple de la loi Pécresse. Ce fut l’exigence votée massivement dans toutes les Assemblées Générales ; ce fut l’exigence affirmée par toutes les coordinations nationales : la coordination du 28 octobre exigea l’« abrogation inconditionnelle de la LRU » ; celle du 11 novembre « condamne toute négociation » et celle du 18 novembre répéta : « cette réforme n’est ni amendable ni négociable » ; enfin, celle du 25 novembre demanda « au bureau national de l’UNEF de prendre clairement position pour l’abrogation de la loi Pécresse, et de cesser toute négociation jusqu’au retrait de cette loi ». Mais la direction de l’UNEF se dressa contre cette volonté : ce faisant, elle encouragea le gouvernement à la fermeté et affaiblit la mobilisation.
De leur côté, les cheminots se trouvèrent confrontés aux mêmes difficultés. L’ampleur historiquement exceptionnelle de la grève du 18 octobre traduisait clairement leur refus de la réforme des régimes spéciaux. Mais, à l’inverse de cette volonté, la CFDT se prononçait, le 18 octobre, pour « une réforme plus équilibrée » ; quant à la direction de la CGT, elle ne formula jamais l’exigence du retrait pur et simple de la réforme gouvernementale et, le 18 octobre, Thibault réclamait « un réel espace de négociation », c’est-à -dire demandait à poursuivre la négociation avec le gouvernement qui duraient depuis un mois déjà .
Néanmoins, la grève du 18 octobre avait été si massive que les négociations syndicats-directions qui devaient commencer au niveau des entreprises, comme le voulait le gouvernement, furent bloquées et les syndicats durent appeler à la grève le 13 novembre, reconductible cette fois-ci. La menace d’un conflit qui pourrait mettre à mal le gouvernement se profila aux premiers jours de novembre, le mouvement contre les régimes spéciaux étant, entre autres, de plus en plus renforcé par celui des étudiants. Vingt jours plus tard, le mouvement des cheminots fut brisé et le gouvernement à peine effleuré. Les Echos expliquèrent que si, pour le gouvernement, « tout n’a pas marché comme prévu », si la tentative de « retournement de l’UNSA » a en particulier échoué à la RATP, « c’est bien la CGT qui a offert une porte de sortie ».
En effet, à la veille du 13 novembre Bernard Thibault apporta une aide décisive au gouvernement de Sarkozy en lui proposant des négociations par entreprise, mais en présence d’un émissaire gouvernemental. Il les baptisa négociations « tripartites », mais en acceptant le cadre même de ces négociations dans les entreprises, il acceptait ce qu’il avait jusqu’alors refusé ! Ces négociations commencèrent le mercredi 21 novembre. A la SNCF, à la RATP, les AG furent houleuses ; les travailleurs reprirent le travail, et la réforme gouvernementale passa comme prévu.
Quelques jours plus tard, Les Echos demandaient "Le conflit des étudiants peut-il suivre la même voie que celui des cheminots ?" . Pour l’essentiel, la réponse est hélas « oui » : la direction de l’UNEF, contre la volonté des étudiants, négocia de nouveau, prétendit avoir obtenu des avancées…et appela le 29 novembre à « lever les blocages » et « suspendre la grève ». En dépit de cet appel, la mobilisation se prolongea trois semaines encore.
Sarkozy a pu s’appuyer sur les dirigeants du PS.
Si les dirigeants du PS avaient pris clairement position contre la politique de Sarkozy, si dans les syndicats, tous les militants du PS avaient pu s’appuyer sur leur parti pour rejeter toute forme de conciliation avec le gouvernement, la mobilisation aurait eu un visage tout autre. Ce ne fut pas le cas.
Il suffit de rappeler qu’en ce qui concerne les régimes spéciaux, aucun de ces dirigeants ne se prononça pour la défense inconditionnelle des régimes dits « spéciaux » : « la réforme des régimes spéciaux est nécessaire » dit Benoît Hamon le 11 septembre et répète Hollande le 18 octobre. Quant à Royal, le même jour, elle ne reproche guère à Sarkozy qu’une seule chose : « le pouvoir est en train de gâcher » par ses méthodes, « les bonnes dispositions de nos leaders syndicaux »… En ce qui concerne la LRU, ces dirigeants refusent le combat contre le principe même de l’autonomie, refusent de demander l’abrogation de cette loi, et laissent à Royal le soin de promouvoir la LRU : « Je dis au gouvernement qu’il ne faut pas gâcher cette bonne réforme, c’est-à -dire qu’il faut l’accompagner des moyens nécessaires » (le 20 novembre).
De telles déclarations ne pouvaient qu’affaiblir la mobilisation et encourager Sarkozy à persévérer.
Sarkozy-Parisot
Les étudiants comme les salariés ont besoin d’une organisation politique qui défende leurs revendications, et qui les aide à se réapproprier leurs syndicats.
Les dirigeants syndicaux n’ont cessé d’expliquer que la situation politique n’était pas favorable, que l’on ne pouvait se lancer dans la bataille car l’on risquait de perdre. Mais qui doit décider : vingt dirigeants syndicaux ou des dizaines, des centaines de milliers de manifestants et grévistes ? Le mouvement de cet automne a montré une chose indéniable : les travailleurs et étudiants étaient prêts à se battre, mais pas leurs dirigeants syndicaux. Ils sont responsables de ne pas avoir repris nos mots d’ordre, mais nous n’avons pas réussi à leur imposer nos revendications. Or les directions syndicales et les différents courants politiques de gauche sont étroitement liés ; ces dernières influent sur les orientations syndicales. Ainsi lors du mouvement contre le CPE, le MJS et l’UNEF avaient impulsé le mouvement sur un mot d’ordre clair : "retrait du CPE" . Le PS et toute la gauche avaient suivi. Mais lors du mouvement contre la LRU, ces syndicats ou partis majoritaires n’ont pas exigé l’abrogation de la LRU. Il était possible qu’il en soit autrement s’il y avait eu une force au sein du parti majoritaire de la gauche, du PS, capable de mener (et de vouloir mener) bataille contre les positions politiques des dirigeants de ces appareils. Mais au sein du PS, au sein du MJS et au sein de l’UNEF, aucune bataille n’a été menée, si ce n’est ponctuellement ou marginalement, pour que les dirigeants reprennent le mot d’ordre d’abrogation de la LRU.
Certains expliqueront cette situation en baissant les bras, en vous disant que ces organisations ont viré l’arme à droite, et sont presque mortes. Or, pour ce qui concerne les syndicats, ils ne vont pas disparaître : si on ne combat pas politiquement pour qu’ils soient au service des salariés, des étudiants, Sarkozy (et les finances de l’UIMM !) sauront les utiliser pour leur propre compte. Pour ce qui est du PS, son avenir est beaucoup plus inquiétant et si, tel un funambule malade, il venait à tomber et se disloquer, ceci ne pourrait que réjouir Sarkozy (et Bayrou,...). Dans cette situation, il faut affirmer la nécessité de préserver le PS comme parti du mouvement ouvrier. Ceci implique de se battre pour qu’il reprenne à son compte nos revendications, et non de se perdre en petites manoeuvres d’appareils avec l’illusion que l’on pourrait redresser la direction du PS. Et, Si l’on ne pouvait alors empêcher le funambule de choir, au moins pourrions nous ainsi regrouper l’essentiel de ses forces saines pour reconstruire une alternative politique.
Laure Jinquot
Contrat de travail : Nouvelles « négociations » et encore une victoire du MEDEF-Sarkozy, par La Riposte.
SNCF : L’amertume des cheminots à l’égard des directions syndicales - Bernard Thibault : « Ton attitude nous rappelle celle de la CFDT », par L.O.
Lettre de démission d’ Yves Bernard, secrétaire CGT de la ligne 06 de la RATP.
Régimes spéciaux : une bataille décisive « c’est la plus difficile des réformes, puisqu’elle concerne ceux qui ont le pouvoir de blocage le plus fort. Si elle réussit, le reste suivra. », La Riposte.
C’est FAUX : Continental, contrairement à ce qu’écrit à tort toute la presse, ne peut revenir sur les 35 h et "passer aux 40 h" , par Gérard Filoche.