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Les mensonges de la ministre de l’Enseignement supérieur

Elle aurait tort de se gêner, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur. Depuis plusieurs années – au moins depuis le passage de la loi LRU en 2007 – universitaires et étudiants sont assommés, tétanisés, anesthésiés, écrasés. Sans parler des lycéens qui ont à peine réagi lorsque le banquier de Rothschild a dénationalisé le baccalauréat et l’a privé de sa qualité de premier grade universitaire. Á Rennes, tout récemment, trois étudiants et demi tentaient de mener une pauvre – quoique méritante – action face à 300 Robocops aux ordres du banquier. Prêts à matraquer durement (je m’apitoierai sur les affres des policiers quand j’aurai un moment).

L’université française va mourir. Sous les coups de boutoir de tous les responsables politiques depuis Giscard et Saunier-Séïté. Avec la complicité passive de quatre enseignants sur cinq. Je surprend toujours lorsque je dis que mes conditions d’enseignement dans l’Université de Côte d’Ivoire il y a quarante ans étaient bien meilleures que celles des collègues d’aujourd’hui en France. L’Université française – où les personnels statutaires sont de moins en moins nombreux – va devenir une réserve où l’on parquera les jeunes des classes populaires avant de leur accorder des diplômes complètement dévalués tandis que les institutions d’enseignement supérieur privées fleuriront et s’enrichiront avec des retours sur investissement de 10% et plus par an.

Je propose ci-dessous une analyse très pertinente du Groupe Jean-Pierre Vernant, composé de soixante universitaires de gauche.

Bernard Gensane (pour LGS)

“Le Plan Etudiants a bénéficié de 1 milliard € de financement ce qui a déjà permis de recruter plus de 350 professeurs et personnels pour accompagner cette nouvelle rentrée et d’ouvrir 30000 places supplémentaires.” - Mme Vidal, le 12 septembre 2018

"En 2019, le budget de mon ministère augmente de 549 millions € (...) soit 5% de hausse." - Mme Vidal, le 23 septembre 2018

Budget pour l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation 2019 : 27 979 millions €
Formations supérieures, recherche universitaire et vie universitaire :
Subventions pour charge de service public
2017 : 12 727 millions € (12 854 millions en € constants de 2018)
2018 : 12 878 millions €
2019 : 12 997 millions € (12 818 millions en € constants de 2018)

Document budgétaire du projet de loi de finances 2019

Lors de nos deux précédents billets consacrés à ParcourSup, nous en avons analysé les modalités concrètes et les tenants idéologiques — managérialisation de l’orientation, mise en concurrence par évaluation croisée des étudiants et des universités, différenciation des formations et des établissements, suppression du baccalauréat comme certification homogène. Force est de constater que nos prédictions sur le ralentissement critique dû aux interblocages de l’algorithme (deadlocksen anglais) se sont révélées exactes [1]. Autre prédiction fondée, l’élite scolairement et socialement dominante a été mécaniquement sélectionnée pour la quasi totalité des places disponibles (winners take all), conduisant seulement un candidat sur quatre à se voir proposer son premier vœu [2]. Malgré ses défaillances [3], le système précédent d’admission post-baccalauréat conduisait deux tiers des élèves de terminale générale et un tiers des élèves de bac professionnel à recevoir une proposition coïncidant avec leur premier vœu [4]. Les premiers retours que nous avons reçus de collègues franciliens enseignant en première année de Licence accréditent la conjecture selon laquelle ParcourSup a fonctionné pour le plus grand nombre comme une gigantesque loterie [5] visant à caser (sic [6]) les candidats. Il faudra du temps pour attester de cette dégradation de l’orientation sur une base statistiquement fondée et ce d’autant plus que ParcourSup a été mis en place précipitamment, avant les réformes du lycée, du baccalauréat et de l’orientation qui vont se déployer sur cette même base idéologique (différenciation [7] des établissements par les options et spécialités) dans les trois ans qui viennent. laisse deux questions pendantes. Avec quelle intention le ministère de l’Innovation s’est il fourvoyé dans une réforme aussi mal ficelée techniquement ? Comment expliquer l’adhésion apparente d’une partie significative des collègues au processus en cours, ou une résignation schizophrène qui revient au même ?

La conférence de presse de rentrée de Mme Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation [8] et la parution des bleus budgétaires [9] nous amènent à traiter ici d’un troisième aspect de ParcourSup : sa dimension gestionnaire. Pour comprendre la séquence que nous traversons, il convient d’avoir en tête quelques faits démographiques. Le nombre d’étudiants à l’Université va passer de 1,3 millions en 2010 à 1,7 millions en 2025 [10]. Le baby boom de l’an 2000 va ainsi apporter en moyenne 30000 nouveaux étudiants chaque année entre 2012 et 2022. Par comparaison, le nombre moyen d’étudiants par université est de 18000, ce qui signifie que la montée en charge nécessite la création de 20 nouveaux établissements. Notons qu’en Chine, 729 universités ont été créées entre 2006 et 2016, ce qui correspond à 5 nouvelles universités par mois [11].

Le ministère de Mme Vidal produisant plus d’éléments de langage à destination de la presse que d’éléments factuels, il nous a été difficile de produire les quelques faits qui suivent. Ainsi, quand à la fin de la procédure principale, la presse annonçait qu’il restait “moins de 2500 candidats encore en attente” [12], il en restait en réalité 47016 [13]. Alors que le nombre d’inscrits en classe préparatoire a baissé de 2%, passant de 88700 en 2017 à 86900 en 2018, le dossier de presse annonce une croissance de +0,5% — du reste, la plupart des accroissements relatifs n’y sont pas correctement calculés.

L’effet gestionnaire le plus notable de ParcourSup est le découragement à l’inscription. Le nombre de dossiers en réorientation ou venant de l’étranger a baissé de 18200 en 2018 (-8,5%), quand les prévisions étaient de 2400 dossiers en plus (+1,1%). Par ailleurs, il y a eu 34000 bacheliers en plus en 2018 (+5%), mais seuls 21300 en plus ont demandé une affectation dans le supérieur. Les 27000 étudiants en plus affectés par ParcourSup en 2018 ne représentent donc que 80% de la montée en charge démographique. Le seul moyen de mesurer l’efficacité des dispositifs consiste donc à rapporter le nombre d’affectations au nombre de bacheliers, ce qui donne 76,3% pour APB en 2017 contre 76,2% pour ParcourSup en 2018 [14]. Autrement dit, l’affectation a été beaucoup plus lente et plus arbitraire, mais a été en apparence d’une même efficacité. Comment est-ce possible, malgré les faiblesses techniques du dispositif ParcourSup ? Par ce simple tour de passe-passe consistant au cœur de l’été à augmenter les capacités d’accueil des formations de 10%, sans moyens. Comme le dit à l’envi Mme Vidal : "on a remis de l’humain dans le système.”

Qu’en est-il du “milliard € de financement” dont “a bénéficié” le Plan Etudiant ? Pour le savoir, il convient de consulter les bleus budgétaires, ces annexes au projet de loi de finances, et les jaunes budgétaires détaillant les budgets réalisés. En effet, les hauts fonctionnaires sont des experts dans l’art d’abonder sur des lignes budgétaires qui alimentent le secteur privé et différents lobbies, gonflant artificiellement l’effort apparemment consenti à l’enseignement supérieur et la recherche. L’essentiel du budget réel de l’Université et la recherche universitaire provient du programme 150 (Formations supérieures et recherche universitaire) et du programme 231 (Vie étudiante) sous formes de “subventions pour charges de service public”. L’évolution de ce budget pour l’Université représente très exactement 1% de celui-ci, ce qui correspond exactement à l’évolution mécanique des salaires induit par la démographie — le Glissement Vieillesse Technicité [15]. L’inflation étant prévue autour de 1,9% en 2018 et de 1,5% en 2019 (à ±0,5% près), le budget réel de l’Université et de la recherche est en décroissance effective. La plafond d’emploi [16] permet d’avoir un aperçu parlant de cette décroissance en terme de postes, qui passe de 144 327 postes (équivalents temps plein) à 144 306 postes en 2019, soit 21 postes de moins. Cela signifie que le nombre de recrutements sera, une fois de plus, inférieur au nombre de départs en retraite [17]. Le CNRS n’est pas mieux loti que l’Université, puisque le nombre de postes de chercheurs ouverts au concours chute brutalement à 250 ; le nombre de postes d’ingénieurs et de techniciens ouverts est de 300.

Que faire de ces faits chiffrés, dont on sait par avance qu’ils contribueront, par leur caractère abstrait, à l’indifférence ambiante ?

Nous en tirons pour notre part trois conclusions. La première, évidente, c’est que la dégradation du niveau d’exigence va se poursuivre avec la secondarisation de la licence et la différenciation des établissements. Pourquoi une société qui se désintéresse de son sort et ne se pense même plus elle-même comme société, se soucierait-elle d’une institution destinée, dans sa forme idéelle, à produire du savoir et à former des individus autonomes ? La seconde conclusion, évidente elle-aussi, c’est la faillite de ceux qui ont cru pouvoir infléchir de l’intérieur les lignes politiques des gouvernements qui se sont succédés depuis 12 ans. On conviendra que la cellule Enseignement Supérieur et Recherche d’En Marche a singulièrement manqué de nez en espérant obtenir par la courtisanerie une augmentation de budget de 4 milliards d’euros — sans parler des collègues qui ont cru qu’une loi de sélection transformerait leur établissement “de proximité” en un Harvard à la française. La troisième conclusion touche tous ceux qui, n’étant pas encore atteints par l’apathie et le repli sur la sphère privée, ne se satisfont pas de la situation. Si le seul juge des stratégies d’intervention dans l’espace public est la capacité à transformer le réel, alors il s’impose comme une évidence que tout ce qui a été entrepris depuis quinze ans a échoué. Ces stratégies peuvent se résumer à deux choses : être “contre” (contre la dernière dégradation du système universitaire, contre la casse du service public, contre… ) et quémander des moyens en pensant consensuel ce qui n’est que corporatiste. Cela invite, dans le moment de gros temps politique que nous allons traverser, à nous retrousser les manches pour imaginer et faire vivre un contre-horizon à l’Université et, à tout le moins, pour nous tenir debout [18]. Ceci, en gardant en ligne de mire la possibilité de fonder de nouvelles universités en réponse à la pression démographique inexorable.

"Le vrai courage c’est, au-dedans de soi, de ne pas céder, ne pas plier, ne pas renoncer."

Groupe Jean-Pierre Vernant.

Notes

[1] On trouvera une représentation graphique du ralentissement dans l’article suivant :
Parcoursup : 60 000 candidats toujours sans proposition
[2] Après la première semaine, les candidats étaient contraints de faire un mouvement : 216 530 candidats sur 812 055 ont alors validé ce qui leur était proposé. L’opacité prévalant, on se reportera aux quelques données mises en ligne sur le site du ministère : www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ Tableau de bord des indicateurs de ParcourSup
[3] Nous ne faisons évidemment pas référence à la polémique sur les 0,4% de candidats qui ont été tirés au sort, dont on sait maintenant la part de falsification et d’opportunisme : www.liberation.fr/ ParcourSup : les coulisses d’une réforme précipitée
[4] Hormis en 2017, sous la mandature de Mme Vidal, où la communication ministérielle a consisté à faire porter à APB tous les maux, l’équipe d’APB a mis en ligne de nombreuses données chiffrées : www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ Les données d’APB
[5] www.liberation.fr/ Parcoursup : des désirs derrière des chiffres
[6] www.lefigaro.fr/ Frédérique Vidal : « Tout le monde sera casé à la rentrée »
[7] La différenciation est le mot clé principal avancé par le Comité Action Publique 2022 pour le supérieur (page 66) dans un rapport indigent qui suinte à chaque ligne le conformisme technocratique des petits hommes gris du néomanagement :
www.modernisation.gouv.fr/ Rapport du Comité Action Publique 2022
On appréciera la galerie de portrait des membres de cette commission :
www.modernisation.gouv.fr/ Présentation des membres du Comité Action Publique 2022
[8] Le peu d’informations statistiques sur ParcourSup figure dans le dossier de presse :
www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ Dossier de Presse 2018
[9] Les bleus budgétaires sont les documents qui constituent le projet de loi de finances :
www.performance-publique.budget.gouv.fr/ Bleus budgétaires du PLF 2019
[10] Les prévisions sont celles fournies par la ministère :
www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ Projections des effectifs dans l’enseignement supérieur
On pourra préférer voir ces données mises en graphique ici :
www.alternatives-economiques.fr/ Université : 150 000 étudiants de plus en 2026
[11] www.statista.com/ Le nombre d’universités en Chine
[12] etudiant.lefigaro.fr/ Parcoursup : moins de 2500 candidats encore en attente
[13] L’astuce comptable a consisté à inventer la catégorie de candidats “inactifs” c’est-à-dire n’acceptant pas d’envisager d’être “casés” dans n’importe quelle formation. Voir [2] pour les sources.
[14] Le dossier de presse 2017, à comparer à celui de 2018 [8], figure ici :
www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ Dossier de presse 2018
Les chiffres communiqué par l’équipe de ParcourSup sont les suivants. En 2017, il y a eu 808 980 candidats, dont 594 329 terminales et 214 651 en réorientation ou venant de l’étranger. En 2018, il y a eu 812 050 candidats, dont 615 625 terminales, 97 446 réorientation et 98 979 venant de l’étranger. En fin de procédure, tous candidats et toutes admissions confondues, il y a eu 556 545 affectations en 2017 et 583 274 en 2018. En procédure principale, il y avait 477 454 affectations en 2017 et 506 474 en 2018.
[15] Ce “glissement” comporte une partie positive, due à l’évolution de carrière des personnels en poste, et une partie négative, due à la différence de salaire entre les départs en retraite et les recrutements.
[16] On trouvera une explication de ce qu’est un plafond d’emploi dans ce document :
www.performance-publique.budget.gouv.fr/ Plafond d’emploi
[17] Le nombre d’universitaires stagne depuis 2012. Il n’y a eu que 1740 postes (PR et MCF) publiés en 2018, soit la moitié de ceux proposés 8 ans auparavant.
[18] De ce point de vue, l’Université volante pose l’exigence minimale de refondation de l’Université dans un retour aux sources :
www.lemonde.fr/idees/ Nous lançons un appel à batir les nouvelles universités que l’Etat refuse de créer

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