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Les pourparlers israélo-palestiniens : une mise à jour

(Suite de l’interview intitulée « La Fin de la Palestine ? »)

Comme le Secrétaire d’Etat américain John Kerry l’a récemment observé, nous sommes maintenant à un « point critique » de l’histoire du conflit israélo-palestinien. Dans une interview réalisée plus tôt ce mois-ci par le Nouveau Projet de Gauche, Norman Finkelstein a présenté une analyse en profondeur de la direction que prennent les pourparlers israélo-palestiniens négociés par Kerry, l’essentiel étant ceci : en l’absence d’un mouvement palestinien renaissant, les États-Unis et Israël parviendront à imposer avec succès à une direction palestinienne d’une faiblesse sans précédent les conditions israéliennes de résolution du conflit, infligeant selon toute vraisemblance une défaite décisive à la lutte des Palestiniens pour l’autodétermination qui dure depuis plusieurs décennies.

A mesure que la diplomatie prend de la vitesse et qu’un accord se rapproche, nous publierons des mises à jour périodiques sur la situation d’après les analyses de Norman Finkelstein. Le texte suivant est adapté d’une conversation avec Jamie Stern-Weiner (New Left Project).

* * *

Il y a eu, depuis notre discussion précédente, trois évolutions majeures qu’il convient de souligner.

(1) L’appétit d’Israël a augmenté en mangeant

Les choses ont avancé plus ou moins comme le Secrétaire d’Etat Kerry l’espérait, sauf qu’il a fait une erreur de calcul. Comme moi, Kerry a présumé que s’il adoptait les positions constantes qu’Israël a défendues durant les négociations d’Annapolis de 2008, il aurait les Israéliens dans sa poche. Il n’avait pas prévu la dynamique qui fait qu’avec chaque bouchée, la faim d’Israël augmente. Voyant la faiblesse de l’Autorité palestinienne, et à quel point Kerry est conciliant, certains Israéliens se disent maintenant, pourquoi ne pas demander plus ?

Ils exigent maintenant un quatrième bloc de colonies ; ils revendiquent la reconnaissance palestinienne d’Israël comme d’un « Etat juif » ; ils demandent l’annexion de la vallée du Jourdain – alors que rien de tout cela n’était apparu durant les négociations d’Annapolis. À Annapolis, la position israélienne sur la vallée du Jourdain était exactement ce que Kerry offre maintenant, à savoir la présence d’une force internationale, alors que des différends techniques mineurs tels que le contrôle sur le spectre électromagnétique devaient encore être résolus. Mais certains Israéliens se disent maintenant, Que diable, on a obtenu la chambre, pourquoi ne pas demander toute la maison ?

Ce qui est plus inquiétant encore, c’est qu’ils pourraient avoir raison. Les Palestiniens sont politiquement si faibles qu’Israël peut peut-être vraiment obtenir beaucoup plus. Kerry n’acceptera pas d’être ridiculisé une nouvelle fois après son humiliation dans la crise des armes chimiques syriennes. Il y aura probablement une manœuvre d’équilibrage : d’une part, Kerry va essayer d’intégrer une partie des exigences élargies d’Israël, tandis que, d’autre part, les Européens vont continuer à resserrer les vis sur Israël.

(2) En Israël, la phase de « politique politicienne » a commencé

En Israël, différents groupes d’intérêt et lobbies s’alignent. L’un des groupes qui a occupé le devant de la scène ces derniers jours est composé de ceux que Noam Chomsky appelle les « capitalistes rationnels ». Pour ces élites d’affaires très riches, « Israël » n’est qu’une tête d’épingle sur la carte. Ils ont une vision plus grandiose. Ils veulent créer quelque chose qui ressemble à une Sphère de Coprospérité du Grand Moyen-Orient, avec Israël dans le rôle du Japon. Il y a récemment eu un rapprochement significatif entre Israël et l’Arabie Saoudite, et pas un jour ne passe sans que des rapports concernant la visite d’une délégation de responsables israéliens à quelque rencontre dans le Golfe nous parviennent. Ces capitalistes rationnels voient maintenant une occasion de réaliser leurs ambitions régionales (et même mondiales) en mettant fin au conflit avec les Palestiniens. Ils ne veulent pas qu’une petite chose stupide comme la vallée du Jourdain soit un obstacle à une ouverture en Arabie Saoudite et dans le Golfe.

Mais l’intérêt que beaucoup d’Israéliens ont développé dans la perpétuation du conflit ne devrait pas non plus être sous-estimé. Le Ministre de la Défense Yaalon, qui a tenu des propos tonitruants selon lesquels Israël conserverait la vallée du Jourdain, en est un bon exemple. Yaalon est parfaitement conscient du fait que la vallée du Jourdain n’a aucune valeur stratégique. Mais il a une très grande influence dans la société israélienne parce que c’est un militaire dans une société fortement militarisée. Si la vision des capitalistes rationnels d’Israël est parachevée et qu’un accord est conclu, son influence sera quelque peu diminuée. Et il a donc un intérêt à maintenir une atmosphère de conflit de faible intensité.

On touche là à une question politique plus large. À mon avis, beaucoup de gens se fourvoient sur la politique en la considérant à tort comme déterminée par un motif prééminent. Prenez l’attaque américaine contre l’Irak en 2003. La question de base à l’époque était, Quel est la motivation de Bush ? Certaines personnes ont dit que c’était le pétrole ; d’autres ont dit que c’était le lobby israélien ; d’autres ont désigné l’industrie de l’armement. Mais en politique, je ne pense pas qu’il soit pertinent de rechercher un motif simple et décisif. Ce qu’on a à la place, au contraire, est une convergence d’intérêts, dont la prépondérance pèse d’un côté ou de l’autre sur la balance politique. Dans le cas de l’Irak, Karl Rove [principal conseiller de Bush] voulait une invasion pour un objectif politique étroit : voir Bush réélu. La politique a sa propre autonomie ; elle n’est pas simplement réductible à des intérêts économiques. Puis il y avait ceux qui étaient là pour le pétrole, ou qui ont vu de grandes opportunités dans l’occupation (et la reconstruction) de l’Irak. Puis il y avait ceux qui ont vu cette intervention comme une occasion d’affirmer la puissance américaine sur la scène mondiale, ou de remodeler la carte du Moyen-Orient. Il y avait une convergence d’intérêts, dont la prépondérance a favorisé une attaque. Il est même probablement vrai qu’un élément psychologique – la relation tourmentée de Bush avec son père – ait joué un certain rôle dans la décision d’attaquer. Cela semble petit et insignifiant, mais en politique, si vous avez beaucoup de pouvoir, la petitesse peut jouer un grand rôle. La quête du président palestinien Mahmoud Abbas pour obtenir un prix Nobel et un désir de vengeance rétrospective sur le défunt président de l’OLP Yasser Arafat (qui l’humiliait) sont probablement des facteurs dans son calcul.

En Israël, en ce moment, les divers groupes d’intérêt s’alignent d’un côté ou de l’autre. Ainsi, les capitalistes rationnels et les politiciens centristes comme Tzipi Livni favorisent un accord, tandis que les partisans farouches de la colonisation, les idéologues sionistes et les éléments de l’establishment militaire s’y opposent. Ensuite, il y a des gens comme le Premier ministre Netanyahu et le ministre des Affaires étrangères Lieberman, pour qui il s’agit d’une question essentiellement politique. Netanyahu veut rester au pouvoir et Lieberman veut lui succéder, ils doivent donc équilibrer les groupes d’intérêts concurrents et aussi faire attention à ne pas offenser Washington.

(3) Les Palestiniens restent un facteur nul

Le troisième facteur est remarquable par son absence : les Palestiniens. Les Palestiniens savent qu’ils sont en train de se faire écraser par un rouleau compresseur. Dans toute la couverture actuelle des événements, ils ne sont qu’une note de bas de page. Arafat avait l’habitude de se traîner d’une capitale arabe et européenne à l’autre chaque fois qu’une crise se produisait. Il a engrangé plus de miles aériens que Henry Kissinger. Aujourd’hui, nous avons la direction palestinienne désespérée qui se déplace en navette, mais pour aller où ? Au Comité Al Qods. Pour l’amour de Dieu, est-ce que quelqu’un aurait ne serait-ce qu’entendu parler du Comité Al Qods ? C’est une claque d’octogénaires qui siègent à longueur de journée avec leur thé et leur chicha. Maintenant, il est rapporté qu’Abbas se déplace en Russie. Comme si Poutine se souciait le moins du monde de la Palestine en ce moment. Pour la première fois depuis son apparition il y a un siècle, la question de Palestine a été réduite à ses dimensions géographiques chétives : un conflit « provincial ». Je déteste répéter cet horrible cliché, mais si Arafat était une tragédie, c’est maintenant une farce au cube. Il est très révélateur que le bras droit d’Abbas, Saeb Erekat, considère que le journaliste Jack Khoury de Ha’aretz est un allié plus important que le peuple palestinien. Il murmure à l’oreille de Ha’aretz pour exprimer les griefs palestiniens. Mais au peuple palestinien ? Rien du tout. Et de toute évidence, le peuple ne s’en soucie pas.

Les pôles du débat sont actuellement mis en place : à une extrémité, nous avons la proposition de Kerry (en substance, la position israélienne à Annapolis), et à l’autre extrémité, ceux en Israël qui ne veulent pas renoncer à quoi que ce soit. La position palestinienne a disparu du débat. Les Palestiniens vont protester lorsque le rouleau compresseur les écrasera, et à ce point tout le monde va s’écrier : « Est-ce que vous parlez encore des blocs de colonies ? On s’est déjà mis d’accord sur ce point. » Et les Palestiniens vont alors paraître comme les saboteurs.

Quel est le résultat de ces trois facteurs ? Un accord-cadre sera atteint prochainement. Tzipi Livni et Yitzhak Molcho ne seraient pas allés à Washington autrement – ils en sont aux détails maintenant. La venue des Palestiniens est prévue la semaine prochaine, quand ils vont recevoir leurs ordres de marche.

La direction palestinienne continuera de se donner bonne contenance, mue par son alliage habituel de bêtise et de désespoir. En Israël, la politique politicienne continuera. Comme cela s’est passé en Afrique du Sud dans les années 1980, les capitalistes rationnels vont se séparer des « vrais-croyants » idéologiques. Les blocs d’intérêt vont se cristalliser et il y aura probablement une élection. Ma conjecture est que ceux qui sont favorables à la fin du conflit vont gagner.

Certains partisans de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) interprètent l’hystérie récente en Israël à propos de la menace d’un boycott international comme leur victoire. Dans la politique israélienne, comme nous l’avons vu, les différents groupes d’intérêt s’alignent : les colons en vue de conserver toutes les colonies (et pas seulement les principaux blocs de colonies dans lesquels 85 % des colons résident), les capitalistes rationnels en raison de leurs ambitions régionales (et mondiales), l’establishment militaire en raison du prestige national et d’avantages indirects – et absolument personne à cause de BDS. Ces milliardaires israéliens ne peuvent certainement pas être inquiétés par un vote de l’American Studies Association (l’Association des études américaines). Ils ne sont même pas préoccupés par un boycott des produits des colonies de la part de l’Union européenne ; leurs ambitions sont beaucoup plus grandes qu’une usine d’ouvre-boîtes à Ariel. Ils ne sont pas intimidés par BDS, ils utilisent BDS pour mobiliser l’opinion publique en faveur de leur propre ordre du jour étroit. BDS est un facteur aussi important que le Comité Al Qods.

Norman Finkelstein, Jamie Stern-Weiner

Article original : http://normanfinkelstein.com/2014/norman-finkelstein-and-jamie-stern-w...

Traduction : Salah pour Le Grand Soir

Norman Finkelstein est notamment l’auteur de Knowing Too Much : Why the American Jewish Romance with Israel is Coming to an End (OR Books, 2012) et, avec Mouin Rabbani, de Comment résoudre le conflit israélo-palestinien (Or Books, à paraître).

Jamie Stern-Weiner co-édite New Left Project (Nouveau projet de gauche).

Première publication : 22 janvier 2014

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