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« nous alphabétisons même en Espagne »

« SIN EMBARGO » - Paroles cubaines sur le blocus (et le reste aussi) - 6/13 - José Loyola Fernandez

Carnet de bord. Extrait.

En s’approchant de la voiture garée à l’ombre, nous remarquons une flaque sous le réservoir d’essence. Le carburant fuit lentement à travers la rouille. Après un rapide échange, nous concluons qu’il y un certain danger. Qu’à cela ne tienne. Dans le coffre, nous extirpons un gros bidon vide. Avec un tube, nous vidons le réservoir dans le bidon. Nous arrachons ensuite le tuyau qui arrive au réservoir et nous l’introduisons dans le bidon. Et voilà, un réservoir d’essence tout neuf, calé dans le coffre. Dans un bel élan, nous nous retournons vaguement en direction des Etats-Unis et faisons un bras d’honneur.

Au volant, Ibrahim raconte ses « missions » à l’étranger. Il parle peu de lui, beaucoup de ses camarades et des pays visités. Je lui demande ce qui l’a poussé à se porter volontaire, si loin de chez lui. Il me donne cette réponse laconique et étonnante : « Parce que l’idée qu’une Africaine puisse accoucher sans assistance médicale m’était insupportable. »

VD

Tant qu’il y aura l’impérialisme, nous ne pouvons nous permettre le luxe du pluripartisme. Nous ne pourrions jamais concurrencer l’argent et la propagande que les Etats-Unis déverseraient ici. Nous perdrions non seulement le socialisme, mais notre souveraineté nationale aussi.

Eugenio Balari

Paroles de José Loyola Fernandez

Musicien, compositeur, directeur d’orchestre.

Je suis aussi directeur des deux plus importants Festivals internationaux à Cuba, comme le Festival International de Boleros, appelé Boleros de Oro, et le Festival International de Danzon [danse latine - NdA], appelé Danzon Havana. Nous avons une culture très riche, inutile d’y revenir. Au sein de cette culture se distingue la musique, qui est une culture très profonde à Cuba, qui a des racines ancestrales sur lesquelles je ne vais pas insister ici. Je dirais simplement qu’elle est connue partout dans la monde, tout comme la qualité de nos musiciens, interprètes et compositeurs.

En tant que directeur d’un orchestre populaire, Charanga de Oro, nous sommes confrontés à des difficultés à cause de ce que l’on désigne souvent par l« embargo » des Etats-Unis, un euphémisme qui pour nous est en réalité un blocus. Par exemple, nous le subissons via les grandes maisons de disque internationales. La musique cubaine a beaucoup de difficultés pour s’exporter. Il faut des réseaux de distribution, de la publicité. Les disques ne peuvent être produits que par des entreprises cubaines et vous savez que leurs moyens sont très limités, notamment en termes de diffusion. Du coup, d’autres pays occupent le créneau que Cuba occupait jadis sur la scène internationale. Sans ressources en devises, il nous est très difficile d’investir en matériel, en équipements, dans les nouvelles technologie et même les instruments de musique. Tout est très compliqué. Il faut sans cesse redoubler d’efforts pour obtenir des instruments, du nouveau matériel, et c’est d’autant plus frustrant que nos écoles de musique ne cessent de produire de l’offre, auquel nous avons du mal à répondre. Même le papier pour imprimer les partitions musicales est une denrée rare, ce qui complique la vie des compositeurs. Toute la technique de digitalisation, les appareils pour graver, enregistrer... [NdA : l’auteur de ces lignes peut témoigner que suite à un défaut de matériel, la tentative d’acheter un banal microphone à la Havane s’est soldée par un échec retentissant...] A chaque tentative d’obtenir des moyens de financement, le blocus se fait sentir, y compris auprès de ceux qui tentent de nous aider.

L’autre domaine affecté est l’enseignement, de la musique mais aussi des arts en général. Par exemple, les étudiants en cinéma ont besoin de matériel. Sans matériel, la qualité de l’enseignement en pâtit. D’autant plus lorsqu’il s’agit de dispenser un enseignement moderne, en phase avec les technologies modernes – et mêmes futures.

Q : Et pourtant, si j’allume la radio, je peux entendre de la salsa cubaine. Le nord-américain Ry Cooder a bien produit le disque du Buena Vista Social Club qui fut un succès international. [et pour lequel les autorités US lui ont infligé une amende de 250.000 dollars – NdA]. En me faisant l’avocat du diable, comment distinguer les effets du blocus des effets, disons, de l’inefficacité du socialisme ?

Il faut comprendre une chose : au niveau dont je vous parle, les ressources nécessaires sont très importantes parce que les coûts sont très importants. La plupart de instruments doivent être importés et Cuba n’a pas un marché intérieur suffisant qui justifierait la fabrication de saxophones ou de flûtes. Et les instruments de qualité sont chers.

Q : qu’est-ce qui empêche un Cubain d’acheter un piano aux Etats-Unis ?

Simplement parce qu’ils refusent de le vendre.

Q : Les Etats-Unis ont peur que le piano soit retourné comme une arme contre eux ?

Va savoir. Tout ce nous avons, c’est notre talent. Ce talent a besoin d’un espace et de moyens pour s’exprimer.

Q : il n’y a pas de producteurs nord-américains qui viennent dénicher des talents locaux pour les produire aux Etats-Unis ?

(Soupir) Beaucoup sont venus et sont repartis avec des projets. Venir leur est difficile à cause des lois nord-américaines qui limitent très sévèrement leurs possibilités de voyager à Cuba. Et si d’aventure ils réussissent à concrétiser leur projet, le Département du Trésor des Etats-Unis leur tombe dessus en leur infligeant une amende énorme. [je lui parle de l’amende infligée à Ry Cooder] Oui, par exemple. Il faut se demander pourquoi, avec toute la richesse musicale qu’a Cuba, et un tel premier succès, il n’est pas revenu pour retenter l’expérience. Et lorsqu’un Cubain réussit éventuellement à s’exhiber aux Etats-Unis, il ne pourra pas être payé, parce que la loi US l’interdit.

Q : Est-ce que le blocus et toutes les difficultés qu’il engendre ont eu un effet sur la création ? En la rendant par exemple plus opportuniste ou au contraire plus agressive ?

Non, parce que notre culture est suffisamment naturelle et profonde, et qu’elle évolue dans un contexte très favorable à son épanouissement. Beaucoup de pays ont de jeunes talents, mais le contexte local ne permet pas leur épanouissement. A Cuba, nous avons déployé beaucoup d’efforts pour préserver cette culture, pour répartir nos faibles moyens pour offrir des possibilité à tous et partout. Combien de pays aux conditions comparables à Cuba peuvent se vanter d’atteindre un tel niveau, que ce soit dans la danse, la musique, le cinéma, le théâtre, la littérature ?

Q : quelqu’un s’est lamenté qu’il n’existait pas d’école de musique classique à Cuba.

Qui a dit ça ? [un journaliste français, un « professionnel »] Il parle sans savoir. Ce qui s’étudie dans les écoles, c’est justement la musique classique. La musique populaire n’a pas besoin d’être enseignée, elle est partout dans les rues. Les musiciens font ensuite leur propre synthèse. Ton journaliste ne sait pas de quoi il parle. Si tu demandes à un gamin dans la rue en train de jouer d’un instrument où il a appris à jouer, il te répondra « en observant » untel à la télé ou autour de lui. La musique populaire n’a besoin d’être enseignée ici, elle est omniprésente.

Je ne suis pas certain du chiffre, mais je crois qu’à Cuba, nous avons plus de 60.000 musiciens professionnels [pour une population de 11 millions – NdA]. Chaque municipalité a son orchestre. Chaque province son orchestre symphonique, et la Havane en possède au minimum trois – et j’en oublie. Sans parler des orchestres de musique populaire. Dans ma propre société, nous avons plus de 100 projets. Un projet désigne une formation musicale, un groupe, de différents formats (solo, trio, etc). Rien que dans l’entité où je travaille, il y en a plus de cent. Faites le compte.

Le blocus affecte aussi les échanges. Il arrive que certains échanges se produisent, mais ils sont très rares, alors que les deux pays sont géographiquement très proches. Il est très difficile pour un Cubain de participer à un événement aux Etats-Unis, parce qu’il n’obtiendra pas de visa. Apparemment, les autorités nord-américaines craignent qu’ils ne soient des terroristes ou je ne sais quoi.

Q : d’une certaine manière, ils le sont, non ? (Rires)

Nous, nous ne pratiquons que le terrorisme des idées, et dans le bon sens du terme. Vu sous cet angle, effectivement, nous les terrorisons. (Rires)

Q : on connaît la solidarité médicale internationaliste de Cuba. Existe-il une forme similaire de solidarité, disons, culturelle ?

Oui. Il nous arrive effectivement de fournir des moyens à des pays qui en ont encore moins que nous. Le premier est l’alphabétisation, qui est la première des solidarités culturelles, parce que sans alphabétisation... Nous partageons nos 50 années d’expérience en ce domaine. Nous alphabétisons même à Séville, tu le savais ?

Q : Séville, en Espagne ?

Oui, en Espagne. Tu ne le savais pas ? Ils n’en parlent pas ? Comme c’est étonnant....

Il existe d’ailleurs des pressions sur les musiciens, au même titre que les médecins ou les sportifs ou les scientifiques, pour les « acheter ». Certains se laissent acheter. D’autres non. Le pouvoir de l’argent, conjugué avec les difficultés matérielles internes, arrive à obtenir certains résultats. Mais je tiens à préciser qu’il s’agit d’une minorité. La majorité a d’autres motivations que l’argent stricto sensu.

Avec tous les malheurs qui ont frappé Haïti, nous avons envoyé des milliers de médecins, mais aussi des musiciens, pour apporter à la population ne serait-ce qu’un peu de soutien moral. Avec tous les moyens à leur disposition, avec toutes les facilités dont ils bénéficient, combien de musiciens des pays riches sont allés là-bas en guise de solidarité avec ces malheureux ?

(à suivre)

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