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« Le gouvernement cubain, dans la mesure des possibilités, fait des choix qui vont dans le sens de la défense de la population, des plus faibles. »

« SIN EMBARGO » - Paroles cubaines sur le blocus (et le reste aussi) - 5/13 - Emilio Comas

Carnet de bord. Extrait.

Un soir, après un exposé sur l’histoire de la Révolution cubaine, je demande à Ibrahim ce qu’il répond aux critiques formulées contre Cuba par la gauche européenne. Il réfléchit et prend son temps avant de répondre.

« Que ce soit bien clair : nous avons commis des erreurs, évidemment. Et nous en commettrons d’autres. Mais je peux te dire une chose : jamais nous n’abandonnerons le combat pour un monde meilleur, jamais nous ne baisserons la garde devant l’Empire, jamais nous ne sacrifierons le peuple au profit d’une minorité. Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait non seulement pour nous, mais aussi pour l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, les générations futures. Nous avons fait tout ce que nous avons pu, et parfois plus, sans rien demander en échange. Rien. Jamais. Alors tu peux dire à tes amis ’de gauche’ en Europe que leurs critiques ne nous concernent pas, ne nous touchent pas, ne nous impressionnent pas. Nous, nous avons fait une révolution. C’est quoi leur légitimité à ces gens-là, tu peux me le dire ? Qu’ils fassent une révolution chez eux pour commencer. Oh, pas forcément une grande, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Disons une petite, juste assez pour pouvoir prétendre qu’ils savent de quoi ils parlent. Et là, lorsque l’ennemi se déchaînera, lorsque le toit leur tombera sur la tête, ils viendront me voir. Je les attendrai avec une bouteille de rhum. »

Je ne trouve rien de particulier à ajouter.

VD

De ce pays [les Etats-Unis] gonflé de richesses matérielles mais intellectuellement misérable, où il y a tant de sans-abris et de gens qui ont faim, j’ai pu admirer la lutte de Cuba pour partager ses maigres ressources afin que chacun puisse retrouver sa dignité. Cuba est admirée dans le monde entier parce que les Cubains ont démontré un amour, un engagement et un sens du sacrifice pour tout ce qui - les êtres comme la planète - est opprimé, pour tout ce qui souffre. Aujourd’hui, à l’heure où Cuba souffre à son tour, il est temps d’agir.

Alice Walker (Pasteurs pour la Paix - USA)

Paroles de Emilio Comas

Ecrivain

Le problème du blocus n’est pas nouveau et ne commence pas avec la Révolution. La volonté des Etats-Unis de s’emparer de Cuba vient de bien plus loin. Dès 1805, lors d’une visite d’un ministre britannique à Washington, celui-ci déclare : en cas de conflit entre l’Espagne et la Grande-Bretagne, les Etats-Unis devront s’emparer de Cuba pour des raisons stratégiques, pour la défense de la Louisiane et de la Floride. En 1923, Quincey Adams, prononce la théorie du fruit mûr (Cuba finira par tomber dans l’escarcelle des Etats-Unis, comme un fruit mûr – NdA). En 1845, un sénateur de la Floride dépose un projet de résolution pour acheter Cuba. En 1848, le président des Etats-Unis relance l’idée d’acheter Cuba à l’Espagne. Un candidat à l’élection présidentielle a même mené sa campagne autour du thème d’acheter Cuba. Et ainsi de suite. Cela n’a jamais cessé. En 1901, le Congrès des Etats-Unis vote l’amendement Platt, qui fut inclus dans la Constitution cubaine et officialise le droit d’ingérence des Etats-Unis à Cuba. Cela m’a toujours paru étrange que les Etats-Unis n’aient pas plus réagi à la Révolution et ont laissé Fidel Castro prendre le pouvoir. Peut-être parce qu’ils le connaissaient mal, ou parce qu’il était le fils d’un grand propriétaire terrien. Il était un homme blanc, issu de la grande bourgeoisie. Le Parti Communiste à l’époque était contre Fidel. Il me semble pour toutes ces raisons, les Etats-Unis ont baissé la garde en quelque sorte. Cela dit, Cuba connaît beaucoup de difficultés, mais je crois que la majorité de la population appuie toujours la Révolution, parce que c’est une population éduquée, instruite. Et aussi parce que nous avons vu ce que sont devenus les pays de l’ancien bloc de l’Est.

J’ai obtenu un diplôme en mathématiques, avec difficulté car au moment de passer l’examen, la matière ne m’intéressait plus. J’étais le premier membre de la famille à faire des études universitaires. En 1962, j’attendais pour voir si je pouvais faire d’autres études lorsqu’on est venu me chercher pour me demander de travailler avec des ingénieurs soviétiques qui voulaient prospecter les sous-sols de la côte nord. J’ai dit oui. J’ai travaillé cinq ans sur ce projet. Les soviétiques sont arrivés avec des cartes dessinées par les nord-américains au début du 20ème siècle. On a découvert dans les cayos des blocs de béton qui portaient un sceau de bronze qui disait « propriété du gouvernement des Etats-Unis », avec l’aigle impérial. Imagine-toi qu’ils avaient déjà mené des prospections dans la zone et nous n’en savions rien. Il se trouve que le pétrole est situé en grande profondeur et nous n’avons pas accès à la technologie requise. Les soviétiques ne maîtrisaient pas non plus cette technologie car leurs réserves à l’époque étaient situées à faible profondeur. Cet exemple montre comment le blocus nous a empêché d’exploiter cette ressource, car la technologie nous était refusée. Aujourd’hui, les Russes sont de retour et mènent activement des prospections. Cuba possède beaucoup de réserves de pétrole et de gaz, et un jour nous réussirons, ce n’est qu’une question de temps. Et les Etats-Unis le savent. Et ce jour-là, le blocus perdra un grande partie de sa nuisance. Et ça aussi, les Etats-Unis le savent.

Le bien-être matériel n’est pas un luxe. On ne peut pas s’épanouir le ventre vide. C’est vrai que la population cubaine n’est pas famélique, et dans de nombreux domaines nous excellons malgré des moyens très limités. Ce n’est pas le fruit du hasard, il s’agit de priorités, de choix. Le gouvernement cubain, dans la mesure des possibilités, fait des choix qui vont dans le sens de la défense de la population, des plus faibles. Le gouvernement cubain ne cherche pas à favoriser les multinationales. Aux Etats-Unis, lors de la crise financière, qui a été sauvé ? Les banques. Les capitalistes ont fait le choix de sauver les coupables et pas les victimes.

Le blocus s’accompagne aussi d’une agressivité incroyable de la part des Etats-Unis. On pourrait parler des innombrables sabotages, par exemple. Moi je viens de Caibarien, une petite ville sur la côte nord. Vous ne pouvez pas vous imaginer la quantité de choses qui ont brûlé à Caibarien. Trois de nos pécheurs ont été kidnappés. Ils en ont tué un autre. Toutes ces choses, nous les vivons de manière très intense.

Je n’éprouve pas de rancœur à l’égard du peuple nord-américain. C’est un peuple conditionné, dominé par des groupes d’intérêts, la finance, le complexe militaro-industriel qui a énormément de pouvoir.

Ca fait quarante ans que j’écris. Dans les milieux intellectuels, le blocus a eu beaucoup d’effets. Nous faisons partie de la culture occidentale. Et les Etats-Unis sont un paradigme de la culture occidentale. Les écrivains nord-américains ont toujours exercé une grande influence sur la littérature cubaine. Hemingway, Dos Passos... que sais-je. Aujourd’hui, nous n’avons pas accès à la littérature contemporaine nord-américaine. Nous n’avons pas de contacts. Parfois un ami fait parvenir un livre.

Il y a aussi la loi d’ajustement Cubain (Cuban Adjustment Act – loi US de 1964 – NdA). Une loi qui stipule que dès qu’un Cubain pose le pied sur le sol des Etats-Unis, il lui est automatiquement accordé le statut d’immigré légal, avec permis de résidence et tout. Ce qui a provoqué une saignée. Non seulement chez les intellectuels, mais aussi chez les scientifiques que nous formons, chez les sportifs, qui cèdent au « rêve américain ». Et même dans les couches les plus populaires de la population, qui a connu une sorte de période d’euphorie. Il y a eu des vagues d’émigration absolument folles et irresponsables. Cuba, qui est une île, vit en réalité le dos à la mer. Beaucoup de Cubains ne savent pas nager. La majorité ne sait pas naviguer. Et ils se sont lancés sur des embarcations de fortune dans le détroit de la Floride, qui est très dangereux. Beaucoup ne sont jamais arrivés à destination pour cause d’incompétence. Le phénomène s’est nettement calmé depuis. Mais les Etats-Unis ont encouragé ces départs illégaux, sur des embarcations de fortune, sur une mer dangereuse, avec la promesse d’une vie meilleure.

Pour moi, la « période spéciale » fut très pénible. Je vivais à la Havane. C’était une époque où il n’y avait pratiquement plus de transports dans la ville. On pouvait se coucher au milieu de la Calle 23 et se réveiller intact. La solution fut d’acheter une quantité conséquente de vélos à la Chine. Je devais me rendre à l’UNEAC (Union Nationale des Ecrivains et Artistes de Cuba) tous les jours. Nous publiions des œuvres avec le même papier extrêmement fin qu’on utilise dans les boutiques pour emballer les cadeaux. Nous n’avions rien d’autre. Les plus grands auteurs du pays étaient publiés à cette époque sur ce support. Je vis à environ 6 km de l’UNEAC, dans une zone très vallonnée, au sommet de la plus grande colline, dans un immeuble de 20 étages. Et je vis au dernier étage. A cette époque, les coupures de courant étaient pratiquement constantes. Sans électricité, pas d’ascenseur. Il fallait donc monter et descendre 20 étages, tout en portant un vélo chinois, qui devait peser une tonne. Pour venir travailler, ça allait, c’était tout en descente. Mais pour rentrer le soir... Et monter les 20 étages avec le vélo... En plus de ça, on ne servait pas de repas à l’UNEAC. En fait, il n’y avait pratiquement plus de lieux où on servait encore des repas. Il fallait donc apporter son propre repas. Le mien, en général, consistait en une petite boule de pain, dans lequel je mettais ce que je pouvais, le plus souvent un peu de graisse ou d’huile. C’était mon repas. Cette période fut très dure pour tout le monde. J’ai perdu tellement de kilos que je n’avais plus de vêtements. A la sortie de la période spéciale, il y avait trois vélos à la maison. J’en ai vendu deux et j’ai fait cadeau du troisième. Et je ne veux plus jamais entendre parler de vélos.

A la maison, certains jours il n’y avait rien à manger. J’avais deux enfants, de 9 et 11 ans. Un de mes neveux faisait je ne sais combien de kilomètres dans la campagne pour tenter de trouver quelques légumes à ramener à la maison.

Q : comment avez-vous fait pour éviter les morts de faim ?

Les Cubains sont très débrouillards. En face, ils sont puissants, mais les Cubains ont de l’imagination. A une époque, il n’y avait plus de riz. Et tu sais qu’un Cubain sans riz... On ne trouvait alors que des spaghettis. Alors ils ont inventé un appareil pour couper les spaghettis en touts petits morceaux, pour donner l’impression de manger du riz... On mangeait les peaux de bananes, qu’on faisait frire comme des beefsteaks.

J’ai un ami uruguayen qui vit à Cuba, qui se dit Cubain. Il est arrivé en pleine période spéciale. Il m’a raconté comment il était étonné de constater que tout le monde était mince, qu’il n’y avait pas de gros, et que les femmes portaient des chaussures en plastique. Les femmes, pour sortir, se dessinaient un trait le long de leurs jambes pour donner l’impression de porter des bas. Tout ça peut prêter à rire, mais c’était terrible en réalité.

Je vais vous raconter une anecdote. Un jour je suis allé au Mexique, avec un ami, pour l’édition d’un livre. On a passé un mois là-bas. En partant, à l’aéroport de Veracruz, arrive un vieil ami musicien qui transportait une grande valise. La valise était remplie de boîtes de sardines. Quand je me rends compte du poids que faisait cette valise, je lui demande comment il compte la faire passer. Personne n’avait d’argent pour payer le surpoids. En bons Cubains, on a baratiné le type à l’enregistrement et on a réussi à embarquer la fameuse valise. J’avais sur moi l’équivalent de 100 dollars que je devais ramener à Cuba. Mais il n’y avait pas de guichet de change à Veracruz. Alors je confie l’argent à une amie mexicaine, qui devait se rendre à Cuba un peu plus tard. On monte dans l’avion, on arrive à Cuba. Là, j’attends une voiture de l’UNEAC qui devait venir me chercher, quelqu’un qui vivait près de l’aéroport. Il me demande si j’ai apporté des boîtes de sardine. Je prends une boîte dans la valise et je la ramène à la maison. C’était notre repas de la soirée. Quelques temps plus tard, l’amie mexicaine arrive avec les 100 dollars. Elle m’appelle au téléphone et me donne rendez-vous à 19h dans un hôtel près du bord de mer. Je vis à 7 ou 8 km de l’hôtel. Rappelle-toi que les transports étaient inexistants. Je sors de chez moi, prévoyant, à 15h, habillé tout en blanc, et je me mets à faire de l’auto-stop. Je fais signe à la seule voiture qui passait et elle s’arrête. Je dis au chauffeur que je me rends à l’hôtel Riviera. Il me répond « moi aussi ». Du coup, j’arrive à 15h10... J’ai attendu. A 19h, je priais qu’elle m’invite à dîner parce que je mourrais de faim. Mais elle m’invite à boire un coup. Pour sûr, au troisième verre j’étais complètement soûl. Je me souviens qu’elle a commencé à parler de certains aspects négatifs à Cuba. La conversation a mal tourné. Elle m’a donné mon argent et je suis sorti de l’hôtel à 23h. La Havane était totalement plongée dans le noir. Je suis parti dans les rues totalement désertes avec mes 100 dollars dans la poche. Il n’y avait pas un chat dans les rues. Et j’ai fait les huit kilomètres à pied en pensant que si quelqu’un m’agressait, il faudrait me tuer pour prendre mes 100 dollars. A cette époque, cela représentait un certaine somme, mais la situation était tellement difficile que même avec l’argent on n’était pas certain de trouver quelque chose à acheter. Arrivé chez moi, j’ai monté les 20 étages à pied – pour une fois sans porter de vélo. J’étais tellement fatigué que je me suis couché de suite. Aujourd’hui, on en rigole, mais à l’époque...

Q : l’incompréhension de votre amie quant à la situation me paraît évidente.

Oui. C’était peut-être son premier voyage à Cuba, je ne sais pas. Je dis toujours à mes amis étrangers qu’il faut savoir circuler à Cuba. Si vous circulez uniquement dans les milieux touristiques, vous pouvez tomber sur tout et n’importe quoi. Il y des secteurs, ici comme partout. Je vois parfois des reportages d’amis qui décrivent Cuba comme un paradis. Cuba n’est pas un paradis. Et parfois je vois des reportages qui décrivent Cuba comme un enfer. Cuba n’est pas un enfer. Il faut savoir écouter, discuter avec beaucoup de gens pour se faire une idée.

Il faut dire que la crise fut d’autant plus dure que les années d’avant avaient été des années d’abondance. Je racontais à un gamin qui vit en face de chez moi que mon épouse gagnait à l’époque 200 pesos, et moi environ 800. On faisait les courses du mois pour environ 100 pesos. C’était modeste mais on trouvait de tout. Nous n’en étions pas au capitalisme où les gens achètent pour jeter. Puis tout s’est écroulé avec la disparition du camp socialiste. Nous nous sommes retrouvés sans débouchés, sans aide.

Q : pendant la période spéciale, vos jeunes enfants déjeunaient à l’école ?

Eux non. Toutes les écoles n’ont pas un régime de demi-pension. Les miens devaient rentrer déjeuner à la maison, ou apporter leur déjeuner. Je me souviens de mon père, très âgé mais très actif, qui venait de Caibarien tous les deux ou trois semaines avec un sac rempli de nourriture pour ses petits enfants. Caibarien a comme particularité d’être un port de pêche, où la population ne tourne pas le dos à la mer comme pratiquement partout ailleurs, mais vit des produits de la mer. Cuba est une île mais il n’existe aucun bon restaurant de poissons à La Havane. C’est incroyable. A Miami, on dit qu’il y a des restaurants cubains qui servent du poisson et qui roulent sur l’or. Ici, tu ne trouveras pas un seul restaurant de poissons qui vaille la peine. On te servira des carpes pêchés dans les cours d’eau. Tu t’imagines ? Sur une île, au milieu des Caraïbes. C’est inconcevable.

Q : et d’où vient ce désintérêt des Cubains pour les produits de la mer ? [note de l’auteur : pour une réponse, lire « No Free Lunch », une étude publiée par une ONG de San Francisco sur cette fascinante propension des Cubains à ne vouloir manger que ce qui ne se produit pas ou peu sur l’île...]

Question intéressante. Il semblerait que ça vienne de l’époque coloniale. Cuba était souvent attaquée par la mer, par les pirates et autres. Cuba était une colonie espagnole et le danger venait de la mer. A tel point que José Marti [héros national, 19ème et début 20ème siècle] a écrit des vers qui m’ont toujours interloqué : « les rouleaux de la Sierra [région montagneuse] me plaisent plus que ceux de la mer ». Imagine-toi que j’ai écrit un livre qui raconte la vie d’un pêcheur de Caibarien qui finit capitaine d’un bateau de pêche au large des côtes africaines. Eh bien figure-toi qu’on a découvert que c’était le premier roman écrit à Cuba ayant pour thème la mer depuis la publication [en 1952] du Vieil Homme et la Mer écrit par Hemingway. Personne n’avait écrit de roman sur la mer depuis. Quelques contes, mais pas de roman. C’est assez incompréhensible.

Q : où en est la littéraire actuelle à Cuba ? Est-elle vivante, nombriliste ou ouverte au monde extérieur ?

Tout cela est très compliqué. Mon opinion personnelle est que nous avons beaucoup souffert de la politique des Etats-Unis. A Cuba il existe un mouvement littéraire très fort. Il ne date pas d’hier. A partir du début du 20ème siècle on a connu des auteurs très importants, de renommée mondiale, comme Alejo Carpentier, Lezama Lima, Nicolás Guillén, Eliseo Diego. Mais après la révolution, il y a eu une campagne de diabolisation, on racontait que les écrivains étaient stipendiés par le gouvernement, que nous sommes médiocres et des apologistes de la révolution. La conséquence est qu’il est très difficile pour un auteur cubain d’être publié à l’extérieur. Il faut pour cela se déclarer dissident, dire du mal de Fidel Castro, parler mal du socialisme, raconter des histoires ou même parfois carrément mentir... Il y a des écrivains extrêmement mauvais comme Zoé Valdès considérée en France comme un... phare de la littérature cubaine. Il y en a d’autres qui sont des ennemis de la révolution, comme Cabrel Infante, mais qui a un très grand talent. Et personne ne me fera dire le contraire. Des auteurs que je lis...

Q : vous avez le droit de les lire ?

Bien sûr. Le droit, je l’ai. Ce que j’ai du mal à obtenir, ce sont les livres. On vient de me faire cadeau d’un livre de Raul Rivero, publié en Espagne. Excellent.

Q : il n’y a pas de livres interdits à Cuba ? Pas de listes noires ?

Non, pas de livres interdits, aucune liste noire. Je te suggère d’aller faire un tour au marché du livre, place de la Cathédrale, et de regarder ce qui se vend. Tu trouveras de tout, y compris les auteurs les plus critiques de Cuba qu’on puisse trouver. Ecoute, j’ai été directeur d’une maison d’édition. J’ai fait partie de maints comités de lecture et de sélection, pendant de nombreuses années. A une époque, dans les années 70, début 80, les maisons d’édition « consultaient » avant de publier. Mais ça fait longtemps qu’elles ont une autonomie totale en ce qui concerne leurs publications. Et il n’existe aucune institution, aucun ministère, aucun organisme qui a un mot à dire. Il y a des choses qui plaisent ou qui ne plaisent pas, certes, mais il n’y a jamais eu autant de liberté que depuis ces 15 dernières années, je suis formel. Il arrive que soient publiées des œuvres abominables. Des livres sur la guerre d’Angola [dans une partie non transcrite, l’interviewé explique qu’il a combattu en Angola – NdA] qui racontent n’importe quoi. Il existe un courant qui tend vers l’irréalisme, qui nie le réalisme. Qui tend à oublier ou à ignorer l’histoire. Une littérature qui se regarde le nombril. Une littérature « barbe-à-papa » que lorsque tu la mets dans la bouche, elle fond et tu te rends compte que tu manges surtout de l’air.

Q : comment se fait-on publier à Cuba ? Disons que j’ai ici avec moi un manuscrit. J’ai envie d’être publié. Quel est le fonctionnaire que je dois rencontrer pour obtenir l’autorisation ?

Très bonne question. D’abord, il n’y a aucun fonctionnaire. Ici, nous sommes à l’UNEAC, qui est une institution sélective. Si tu veux faire partie de l’UNEAC, tu présentes tes livres et un comité est chargé de les évaluer. Mais tu n’es pas obligé d’être membre de l’UNEAC. Si tu es un quidam qui veut publier un livre – je ne te parle pas des problèmes matériels à cause du manque de moyens, de papier... Le nombre de livres édités et publiés à Cuba a chuté dramatiquement. Il existe une maison d’édition dans chaque province du pays (14 au total). Quant aux auteurs, ils continuent d’écrire, malgré tout. A part ce problème matériel, donc, si tu es un quidam qui veut publier, eh bien tu présente ton manuscrit à une maison d’édition quelconque. Ton manuscrit sera examiné par trois auteurs, qui rédigeront une critique. Tu as aussi la possibilité de participer à des concours. Il n’y a aucun fonctionnaire qui intervient dans le processus. C’est un problème entre toi et les maisons d’édition.

Q : quels sont les tirages ?

Le minimum actuel est 10.000 exemplaires. Certains livres sont tirés à 200.000 exemplaires. Cuba possède un lectorat très important. Il est estimé que chaque exemplaire est lu en moyenne par 7 personnes.

Q : il paraît que la foire du livre [chaque année au mois de février] à la Havane est la plus grande du continent, et qu’après la Havane, elle se déplace dans les provinces.

Oui. Elle se déplace ensuite dans toute l’île, dans les 14 provinces du pays. Son présentés des livres Cubains et étrangers. Chaque année un pays différent est mis à l’honneur. Les livres sont importés par les maisons d’édition et sont mis en vente, en monnaie locale généralement. Les auteurs se déplacent aussi. J’ai visité une dizaine de villes pour présenter mes livres ou donner des conférences. Mais je dirais que plus qu’une foire, c’est plutôt une fête du livre. C’est une ambiance de fête, de divertissement.

Le malheur est que de nombreux auteurs cubains méritants ne sont pas publiés, toujours à cause des pénuries. Nous pourrions choisir de partager en quelque sorte les tirages, et publier plus d’auteurs. Mais le fait est que la misère est difficile à partager.

(à suivre)

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