Le bilan
Sans doute parce que celui-ci est catastrophique et qu’il a fragilisé un peu plus ce qui restait de la crédibilité des dirigeants confédéraux ! Avoir le sens des responsabilités c’est prévoir et puisque B.Thibault doit partir, il devrait faire en sorte de laisser la CGT "en ordre de marche" pour ceux qui auront la charge de l’animer dans les années qui viennent ! Ce n’est pas le cas à travers les orientations et les décisions qu’il cherche à imposer y compris au mépris de la démocratie !
Comme il l’a souvent montré, la démocratie n’a jamais été son point fort, pas plus celle d’ailleurs d’un Bureau confédéral tout au délice de la bataille de succession sans aucune vision en revanche sur l’avenir et la réponse à apporter à la crise du capitalisme en cours. Encore moins celle de la Commission exécutive ! Il est vrai comme l’admettent nombre de ses membres, que celle-ci a fonctionné plus comme une chambre d’enregistrement, mise souvent devant le fait accompli et tenue dans l’ignorance des secrets de la petite équipe qui fait la politique de la CGT au jour le jour. Une "garde rapprochée, anciens de cabinets ministériels qui connaissent au fond très peu de la CGT, de la vie des travailleurs, et de leurs luttes. Cette façon de fonctionner est totalement étrangère à l’histoire comme à l’identité de la CGT. Une histoire ou comme l’on dit "pour assumer des responsabilités dans la CGT il fallait d’abord faire ses preuves" !
Cédant à l’air du temps, Bernard Thibault n’en a eu cure, lui qui en arrivant citait dans une interview aux "Echos" Alexis de Tocqueville, ce penseur politique du 19 ème siècle chantre de la démocratie américaine et du libéralisme, dans le seul but d’impressionner son monde ! Mais quel monde ? Le monde du travail ? Posez la question c’est y répondre !
Le modèle réformiste
Pour la direction actuelle de la CGT, ce que l’on appelle les "cadres syndicaux" c’est comme pour le reste ; cela doit se fondre dans un modèle de référence. Celui-ci, c’est le syndicalisme anglo-saxon, le modèle réformiste qui domine les Confédérations syndicales en Europe avec les "succès" que l’on sait ! Un syndicalisme institutionnalisé qui consacre son énergie et ses moyens à la « magie » de la négociation ce dont chaque jour permet de vérifier l’efficacité, l’utilité et les conséquences désastreuses pour les travailleurs.
Qu’il s’agisse de la CES ou de la CSI, ces organisations qui accompagnent la politique du capital, on sait à quoi s’en tenir ! Leur bilan parle de lui même ! Mais pourquoi la CGT devrait elle suivre cette voie et cette orientation ? « Pour ne pas être le dernier carré » répondait Louis Viannet ! Où en sommes nous après 10 ans de recentrage et d’affiliation à la CES ? Un succès éphémère au prix du renoncement à notre indépendance ? Alors même que l’essor de nouvelles formes de syndicalisme combatif apparaissent partout dans le monde, y compris en Europe.
L’Europe "sociale"
L’Europe s’enfonce dans le chômage de masse et, de la Grèce à l’Espagne, de l’Allemagne à la France, la pauvreté s’étend, la répression
antisyndicale contre ceux qui résistent ne cesse de croître ! Mais la CES ou la CSI ne semblent pas concernés ! Selon ces organisations tout cela ne serait qu’un mauvais moment à passer ! Le rôle du syndicalisme serait-il de corriger les excès, faire du "capitalisme à visage humain" cet objectif irréalisable mais d’horizon indépassable auquel il faudrait dorénavant se conformer ?
Pourtant, il y a des luttes dans toute l’Europe et dans le monde entier, de l’Allemagne à la Grèce, de l’Espagne eu Portugal, de la Grande-Bretagne à la France et à l’Italie. Celles-ci ont besoin de perspectives et donc de solidarité et d’une coordination. Ceux qui sont aux avant-postes de ce combat ne reçoivent de la CES ou de la CSI que des propos lénifiants et démobilisateurs ! Nous devions dynamiser la CES avec d’autres et aujourd’hui le constat est amer !
Qui a changé de la CGT ou de la CES ? Au fond, la CES n’est que le reflet d’un type de syndicalisme caractérisé par l’apathie, la bureaucratisation, le conformisme et la fascination devant les institutions ! Devons-nous apporter notre caution à cette demarche que contredit toute notre histoire ? Le moment n’est-il pas venu de faire un bilan dans un esprit indépendant, comme nous l’avons fait en d’autres circonstances et par rapport à d’autres affiliations, ou cette question est elle dorénavant un "tabou ?"
Il y a un très gros risque en Europe pour le syndicalisme de voir sa crédibilité réduite à néant, tout particulièrement dans la jeunesse ! Ne rien faire, ne rien dire et, à coup sûr, cette "fonctionnarisation", cette institutionnalisation du syndicalisme, ces compromissions, voire la corruption de certains de ces dirigeants, menaceront son avenir et sa raison d’être. Cette dérive se poursuivra si les délégués au 50eme Congrès des syndicats CGT n’en décident pas autrement !
Or il ne manque pas de gens (d’adversaires ?) auprès de la CGT pour continuer à exorciser celle-ci des fantômes qui, à leurs yeux, continuent à hanter les nuits de la confédération. Il s’agit pour ceux là de contribuer à accélérer son recentrage pour la mettre aux normes européennes, la rendre compatible : www.forumsyndicaleuropeen.net/.
L’enjeu du 50e congrès
Par conséquent, tout ce beau monde, à Montreuil comme à Bruxelles, rêve avec le 50ème Congrès d’une nouvelle direction qui marquerait un pas supplémentaire dans le ralliement de la CGT à cette vision de l’Europe sociale qui n’est qu’un leurre ! Il faut empêcher cela et ne jamais considérer les choses comme réglées d’avance ! Au fond, cette Europe là n’a jamais été aussi contestée et si peu crédible aux yeux des peuples et des travailleurs. Quant aux perspectives, elles ont connues d’avance : la régression économique, sociale et démocratique ! Comment la CGT doit-t-elle se positionner, s’arc-bouter contre toutes évidences ou, au contraire, prendre position de façon claire et indépendante pour contribuer au débat et au combat contre cette escroquerie de l’Europe sociale ? Voilà ce que l’on attend d’elle !
Les négociations, tout au plus accompagnées de "journées d’actions" bien séparées les unes des autres pour ne pas aboutir, pour ne pas créer un rapport de force durable en faveur des travailleurs, sont une impasse. Il faut en faire lucidement la critique !
Combien d’ouvriers à la direction de la CGT ?
Après la récente réunion du CCN au sujet de la future direction et une discussion sans vote, on semble faire comme si de rien n’était, alors que c’est au Congrès et aux délégués de décider comme le prévoient les statuts !
On prévoit donc de retenir 56 candidats pour composer la future direction de la CGT ! Soit un nouveau renouvellement de 39% ce qui avec le précédent congrès aboutit à un turnover permanent de la direction et donc une totale instabilité quand l’on sait le temps nécessaire pour assumer des responsabilités à ce niveau. Mais ce qui est sans doute le plus consternant, c’est la quasi disparition des ouvriers de la future direction de la CGT : 8 ouvriers seulement soit 14%, mais 36 cadres, agents de maitrise et techniciens soit 64%, et cela bien qu’existe l’UGICT avec sa direction.
Sans céder à je ne sais quel ouvriérisme, comment ne pas constater dans ce choix un recul sans précédent, historique ? Cette défiance à l’égard des ouvriers qui sont parmi les premiers dans les combats présents, qu’il s’agisse de Goodyear, de Florange, de PSA, de Renault etc.,en dit long sur la vision que la direction actuelle de la CGT a du monde du travail réel !
Cette place des ouvriers est d’autant plus indispensable dans la direction de la CGT qu’ils sont les premiers exposés aux coups du Capital mais aussi parce qu’ils sont fréquemment les animateurs des luttes et les plus combatifs de la CGT, tout particulièrement dans les branches industrielles. En particulier à l’heure où beaucoup de gens, surtout non ouvriers, reconnaissent que le combat pour la réindustrialisation de la France est essentiel pour sauver l’avenir du pays. Il serait inconcevable qu’au Congrès on ne soulève pas ce problème avec force. Il ne s’agit pas de mettre en cause la place des ICT dans le procès de travail ou dans la vie de la CGT mais d’avoir une vision cohérente avec nos principes et notre histoire, lorsqu’il s’agit d’élire la direction nationale de la CGT.
La place des militants de lutte et de terrain
Autre chose ! Des dirigeants d’expérience qui assument des responsabilités importantes dans les structures professionnelles et interprofessionnelles de la CGT, et ce depuis plusieurs années, devraient également y trouver leur place pour contribuer à consolider la nouvelle direction de la CGT !
Ces dirigeants de terrain sont pour certains écartés, parce qu’ils assument courageusement leurs positions. Comme on le voit dans la tribune de discussion, ils expriment de façon pertinente des opinions différentes de celle qui prévalent en général et en particulier sur l’Europe sociale ou sur le récent accord signé par plusieurs confédérations dont la CFDT !
Les opinions dérangeantes devraient elles être mises à l’index dans la CGT ? Pourquoi ? Parce qu’elles suscitent débat et réflexions ? Toute la CGT et, a fortiori, celui qui va devenir le nouveau Secrétaire général ont besoin de leurs contributions comme de leur vision d’un syndicalisme de combat, un syndicalisme moderne et de notre temps et non de ces vieilles lunes réformistes mises au goût du jour et auxquelles on aimerait nous faire croire.
L’enjeu d’une véritable indépendance
Au fond ce qui est en jeu avec ce Congrès c’est l’indépendance de la CGT et la capacité de ses dirigeants à y veiller comme à la préserver. La CGT a longtemps été abusée par un faux débat sur son rapport au politique. En fait, le "forcing" qui lui fut imposé sur la relation CGT/ PCF masquait l’abandon de positions de classe et un recentrage au nom du "syndicalisme rassemblé" et de relations privilégiées avec la CFDT, en fait un conformisme syndical concocté à Bruxelles dont les adhérents de la CGT étaient tenus dans l’ignorance.
Nicole Notat, Secrétaire générale de la CFDT avait demandé à la CGT, comme garantie de son soutien à l’adhésion à la CES et parmi 4 conditions, de faire le choix de la négociation et de la proposition au détriment de la contestation, de se rallier ainsi aux thèses qui dominent le syndicalisme européen et d’écarter de la direction les camarades qui pouvaient menacer ces changements. On lui donna satisfaction au congrès confédéral de Strasbourg ! Dix ans après, on peut juger du résultat et donc du bilan.
C’est dire la responsabilité de tous et de toutes dans le débat comme dans les décisions à prendre à ce 50eme Congrès pour donner à la CGT la direction et l’orientation de combat dont elle a besoin ! Voilà ce que les travailleurs attendent de la CGT, ils n’en attendent rien d’autre !
Jean-Pierre Page
Ancient responsable du département international de la CGT,
ancien membre de la Commission Executive Confédérale(1981-2000)
USRAF CGT Air France
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Congrès de la CGT du 18 au 22 mars 2013 à Toulouse