Plein écran
commentaires

Anarchie au Royaume-Uni (The Nation)

Maria Margaronis

Londres - Peut-être qu’on ne peut pas trouver d’explication à une émeute : c’est une éruption de l’irrationnel, une explosion de verre et de limites, un rugissement nourri à la testostérone qui transforme pour un bref instant la colère et le vide en quelque chose qui ressemble à l’extase. Qu’y a-t-il dans la tête de ces jeunes hommes (et femmes aussi) qui à Londres, Birmingham, Bristol et Liverpool, ont embrasé le ciel nocturne d’août en incendiant des magasins locaux qu’on a mis des années à construire ; ces jeunes qui d’un coup de brique ont transformé les panneaux de verre en toiles d’araignées ; qui sont rentrés chez eux avec leurs sacs à dos pleins de téléphones cellulaires, de chaussures de sport Nike, de Xbox et de consoles Wii. Nous aimerions bien le savoir, n’est-ce pas, nous qui appartenons à la classe moyenne et qui pouvons avoir un blog, une analyse de ce qui se passe, un "réseau" et un avenir.

Aujourd’hui, le premier ministre David Cameron et le maire de Londres Boris Johnson sont revenus à contre coeur de leurs vacances pour faire face aux incendies criminels et aux pillages qui ont gagné plusieurs villes d’Angleterre au cours des trois derniers jours, tels un couple de surveillants généraux d’Eton appelés à la rescousse pour mettre au pas des élèves de seconde. Le Parlement a été rappelé pour la seconde fois de l’été (la première fois à cause des écoutes de News International de Murdoch) ; 450 personnes ont déjà été arrêtées ; Cameron a promis 6000 policiers supplémentaires dans les rues de Londres ce soir. Mais cela sera-t-il suffisant ?

Missy qui travaille dans un petit magasin de jeans et de tennis en bas de la rue où j’habite, hausse les épaules quand je lui demande ce qu’elle va faire ce soir. La grille de métal était baissée et bien cadenassée la nuit dernière ; "ils" sont entrés quand même et ont tout saccagé. "Ils connaissaient le magasin" me dit-elle, "Ils sont allés directement à l’étage où se trouvent les jeans les plus chers, ceux à 300 livres." Un peu plus loin dans la rue, il y a des squelettes de bicyclettes toutes tordues devant un magasin de bicyclettes saccagé, un expert légal époussette soigneusement le verre avec de la poudre pour relever les empreintes. Est-ce qu’elle croit qu’elle va trouver quelque chose ? Elle aussi hausse les épaules. A Dalston, près de Hackney où les émeutes ont été parmi les pires, la communauté turc a pris les choses en main et ils montent la garde devant leurs boutiques, certains avec des battes de baseball.

Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est le meurtre de Mark Duggan, un homme de 29 ans, père de 4 enfants, par la police armée de Tottenham, un des faubourgs les plus pauvres de Londres, alors qu’il roulait en taxi ; il avait un pistolet mais personne ne l’a vu essayer de s’en servir. Un petit groupe de résidents locaux sont allés au poste de police demander des explications ; bien que les manifestants se soient montrés pacifiques, la police n’a pas voulu leur parler. A la tombée de la nuit et contre le désir de la famille de Duggan, des émeutes ont éclaté à Tottenham et ailleurs. Des voitures de police et un bus à impériale ont été incendiés et des vitres de magasins ont été brisées, principalement par des adolescents.

Ce qui avait commencé par une explosion de colère contre la violence policière s’est rapidement transformé en une orgie de "shopping" nocturne : les jeunes sont entrés par effraction dans des magasins de sports, d’électronique, de téléphones portables et dans des supermarchés. A un coin de rue, au milieu d’un tas d’ordures, une brave femme de Hackney haranguait les émeutier, leur reprochant de transformer leurs souffrances en cupidité : "Il s’agit d’un pauvre mec qui a été tué à Tottenham. Il ne s’agit pas de s’amuser à se battre et à tout saccager. Revenez à la réalité, vous les noirs, revenez à la réalité. Si nous luttons pour une cause, alors luttons pour cette putain de cause." Mais dans les quartiers défavorisés des villes anglaises en cours de désagrégation, la consommation est un rêve plus accessible que l’engagement et la communauté.

Et donc cela a continué nuit après nuit, épouvantable, imprévisible et irrépressible. La police est débordée ; les politiciens continuent nerveusement de creuser leurs sillons habituels. "Pure criminalité" dit Teresa May, la ministre de l’Intérieur, comme si la moindre velléité de comprendre l’origine de toute cette rage pouvait signifier qu’on l’approuvait. Les politiciens travaillistes flirtent avec la tentation de blâmer le gouvernement pour les coupes budgétaires comme si une telle furie avait pu s’accumuler en seulement quelques mois. C’est sûr que les coupes n’aident pas : elles sont la goutte qui fait déborder le vase, la preuve flagrante que les pauvres sont maintenant en trop et ne font plus partie de la société. N’aide pas non plus le sentiment général que personne n’est à la barre et que nos leaders n’ont aucune idée de ce qu’il faut faire. Il y a un sentiment de fin du monde dans les rues de Londres : l’heure est à prendre tout ce qu’on peut prendre, brûler la chandelle par les deux bouts et profiter du moment présent parce qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait.

Mais cela a pris des années pour concocter le dangereux cocktail de désespoir, de frustration et de manque de représentation électorale, d’envie, de colère et de désoeuvrement, de cupidité et d’égoïsme, d’humiliation et de sentiment qu’on a plus rien à perdre, qui a éclaté en Angleterre cette semaine. Pendant que nous, dans la classe moyenne, menions des vies bien remplies, en détournant les yeux de la pauvreté qui régnait quelques rues plus loin, en envoyant nos enfants dans des écoles où il y a d’autres "parents motivés", en discutant politique, nous avons laissé les fossés se creuser dans nos propres quartiers jusqu’à ce qu’ils deviennent pratiquement insurmontables.

Ce matin, en bas de la rue, les gens regardaient les boutiques dévastées et manifestaient leur d’incrédulité en hochant la tête. "C’est de la folie" disaient-ils. "De la pure folie". Des petits groupes de femmes ont sorti des balais et des ramasse-poussière et se sont mises à balayer les éclats de verre. Une sorte de solidarité s’instaure, un désir de protéger ce qu’on a maintenant que c’est menacé. les gens se parlent, se demandent si tout va bien. Le défi qu’il faudra relever quand les choses se calmeront, sera de continuer à le faire jusqu’à que la solidarité se répande partout.

Maria Margaronis

Pour consulter l’original : http://www.thenation.com/blog/162641/anarchy-uk?rel=emailNation

Traduction : Dominique Muselet pour LGS

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

13/08/2011 16:34 par le journal de personne

Catch a British

J’ai lu quelques titres à la une de vos tabloïds de merde avec vos gros sabots fachos :
"shop a Moron" ... chopez les abrutis : votre petit ami, votre voisin de pallier, votre rival d’en face...
j’ai même vu une mère balancer sa fille...
c’est le moment où jamais de balancer votre prochain et de le traîner dans la boue...j’ai vomi...
http://www.lejournaldepersonne.com/2011/08/catch-a-british/

13/08/2011 22:13 par Alain L.

Millenium people...

14/08/2011 16:00 par Scual

Il y a quelques jours j’ai écrit ma première tentative de tribune sur ces évènements et je l’ai proposée à Agoravox. Atterré par le traitement presque unanimement fascisant de ces émeutes, j’ai voulu donner mon opinion qui n’a toujours pas été publiée et ne le sera probablement pas... Agoravox semble de toute façon choisir de manière de plus en plus partiale ses contributeurs. Bien sur certains mots pourront paraitre un peu trop forts, mais c’est une tribune qui n’engage que moi et Agoravox a déjà accepté de publier largement pire, en tout cas quand ça se situe à droite du spectre des pires.

Je poste donc mon texte ici-même dans les commentaires d’un article qui rejoint ce que je disais sur de très nombreux points. J’y ai simplement ajouté deux ou trois petites corrections orthographiques, amélioré quelques tournures, ajouté des précisions etc... les changements sont en italique :

Les émeutes qui secouent actuellement l’Angleterre n’auront échappé à personne et pourtant l’interprétation de faits si importants est quasi inexistante. Comme s’il était presque interdit d’interpréter. Ce seraient juste des sauvages, ça ne s’interprète pas, ça ne se comprend pas, ça ne s’explique pas. C’est tout juste si on accepte de se rappeler que ce sont bien des être humains qui sont à l’oeuvre.

Et bien je vais me lancer dans une interprétation de ces événements qui bien que tout à fait personnelle, aura je l’espère au moins le mérite de faire sortir le lecteur du mode de pensée "le bien contre le mal", voir même "les humains contre les animaux" qui semble être le seul espace de "réflexion" accepté pour parler de ces émeutes.

Donc on résume la situation. D’abord le contexte sans quoi, rien n’a de sens :

On est dans un système pourri jusqu’à la moelle où les médias, les hommes politiques et la police sont corrompus et main dans la main pour espionner qui bon leur semble et manipuler la démocratie (affaire Murdoch-News Corp). Ils piquent dans des caisses soi-disant vides (scandales des notes de frais), mentent pour partir en guerre depuis 10 ans, de l’Irak (armes de destruction massives) à la Libye (charniers "probablement" faux, insurgés ultra-minoritaires plutot que révolution...), connaissent deux crises économiques majeures en 3 ans dont un krach pile en ce moment même ! Ils ont mis des caméras dans toutes les ruelles, privé la population de ses aides sociales, population dont une énorme partie est désormais soit au chômage soit a perdu énormément de pouvoir d’achat au point d’être pauvre...

Survient alors un fait divers impliquant des policiers ayant abattu un jeune homme et dont la version des faits ne satisfait pas l’entourage de la victime. Ils décident donc d’organiser une petite manifestation pour réclamer la lumière sur cet incident. C’est cette manifestation qui en quelques jours a fini par se transformer en émeutes embrasant tout un pays.

Donc cette société en pleine décadence, pourrie jusqu’à la moelle connait une montée de violence des laissés pour comptes en colère, désespérés, sans avenir, n’ayant rien à perdre et rien à sauver. Le monde est fou, on s’y attendait vraiment pas...

Et bien sur pour les médias et une énorme majorité des commentateurs et autres blogueurs, il faudrait parler uniquement des dégâts et en réfléchissant le moins possible au contexte. Ce sont juste des "sauvages" mais pas l’univers qui les a créé. Il faut parler des millions de dollars qu’ils détruisent, mais pas des centaines de milliards détruits par la société qui les a fait naitre, des banques et de l’État qui en plus leur demande de se serrer la ceinture afin de couvrir leur malhonnêteté et leur incompétence...

Qu’il faille arrêter les destructions est une chose, que ces gens ne soient pas des lumières, c’est très probablement le cas... mais dire qu’ils sont seuls responsables de ce qui arrive, voir même qu’il faille leur tirer dessus comme certains le demandent, c’est tout simplement débile.

Ces personnes n’ont rien à perdre, n’ont aucun avenir et en plus sont minoritaires et n’ont donc rien à attendre d’une démocratie de toute façon corrompue, manipulée et désinformée. Cette situation peut passer tant que le minimum leur est laissé, mais quand même le minimum leur est enlevé, ça fini par exploser. C’est tout sauf incompréhensible, on leur a retiré à la fois un présent et un avenir.

On parle de gens issu d’un milieu où il y a à peine 4 ans presque tous avaient un travail et vivaient plutôt correctement dans le Londres ultra-dynamique de la City conquérante et dans l’ Angleterre au tôt de chômage très bas de l’époque. Des personnes qui vivaient assez bien et qui n’étaient pas des "sauvages" ni même des pauvres mais simplement la classe moyenne inférieure. Des gars comme vous et moi, et qui aujourd’hui sont au bout du rouleau depuis les dernières coupes sociales.

Des gens qui ont vu leur univers s’effondrer, leur famille et leur entourage ne plus pouvoir payer leurs taxes et avoir du mal pour garder leur maison ou appartement, avoir beaucoup de mal à se chauffer l’hiver, s’ils le peuvent. Qui choisissent entre renouveler leurs vieux vêtements et manger etc... tout cela est arrivé en l’espace de 3 petites années !

Alors on fait quoi maintenant ? "On tire" sur les sales pauvres en colère comme près d’un tiers des anglais le réclameraient selon un récent sondage ? Mais ont-ils perdu la tête ou quoi ? Ils parlent de "barbares" qui brulent des maisons et des voitures, mais une personnes appelant à tirer sur une foule n’est elle pas largement, infiniment plus barbare ?

Ils peuvent tirer tant qu’ils veulent de toute façon, ça ne s’arrêtera pas. Tout a d’ailleurs commencé quand la police a tiré, faut-il le rappeler. Tout recommencera simplement dans 6 mois, ou l’année prochaine. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Toujours. Et surtout : il y a bel et bien des causes sociales, bien que tout le monde ait décidé de ne pas en parler, de s’abstenir d’une mise en perspective et d’occulter le contexte. C’est personnes ne sont pas folles, elles sont juste dépolitisées et révoltées dans un pays qui a fait de "piller ou être pillé" sa seule doctrine.

Au passage l’IPCC a confirmé que la version de la police était fausse en ce qui concerne le fait divers point de départ de la première manifestation. De toute façon tout le monde l’aura compris, ce n’est qu’une goute d’eau dans un vase trop rempli. Cela dit ce qui ressemble de plus en plus a une bavure maquillée en légitime défense n’est certainement pas un bon point en faveur de la répression. Cela s’apparenterait au message "on tue qui on veut et si vous vous rebellez on s’occupera de vous aussi..." En tout cas tant que l’enquête n’est pas finie rien n’est certain, c’est important de le rappeler mais à l’heure actuelle, les éléments sont accablants contre la police qui aurait maquillé un de ses propres tirs en tir venant de la victime alors qu’elle n’aurait en fait pas tiré...
http://www.ipcc.gov.uk/news/Pages/p...

(Le lien ne fonctionne plus. L’IPCC présente désormais ses excuses pour avoir parlé à des journalistes d’échanges de coups de feu qui n’auraient pas eu lieu, démontant encore un peu plus la version de la police. Selon la police, Mark Duggan avait ouvert le feu, logeant une balle dans la radio d’un des agents, avant que la police ne l’abatte en situation de légitime défense. Pas d’échanges de coups de feu donc. De plus l’IPCC n’est toujours pas revenu sur sa première conclusion, à savoir que la balle logée dans la radio du policier ne provenait pas du pistolet de la victime. Cette balle provient en fait du pistolet d’un policier, et il n’y a toujours rien attestant que la victime ait pu faire feu. Cependant si ça avait été le cas, son arme aurait surement révélé des traces d’une utilisation récente et on aurait retrouvé une douille etc, et tout cela dès le début de l’enquête...)

Pour en revenir au vrai fond de cette histoire, la démocratie ne peut tenir que quand tout le monde y trouve son compte. Même si très peu de gens sont sacrifiés, ils se révolteront toujours quand leur situation sera intenable ou inacceptable. Toujours lors d’un rassemblement servant seulement de catalyseur. La démocratie n’est pas le règne brutal et inhumain des plus nombreux, la démocratie c’est vivre tous ensemble et solidairement, sinon ça ne marche pas tout simplement. Les Anglais l’ont oublié, comme beaucoup d’autres, et aujourd’hui les laissés pour comptes leur rappellent que leurs voisins existent réellement. Ils ne pourront pas les éteindre comme ils éteignent leur téléviseur.

En réalité pour que ces gens se calment et reprennent leur vie pourtant déjà sans illusions d’il y a un an, il suffirait probablement d’un ou deux milliards d’aides sociales a rétablir, quelques autres à investir et quelques lois et libertés policières infâmes à supprimer. C’est quasiment rien pour un tel pays, mais c’est pourtant là qu’on en est aujourd’hui en Angleterre. La politique ultra-libérale autoritaire a tout simplement mis le pays à feu et à sang.

Pour conclure je vais me contenter d’un conseil aux apparences de mise en garde pour nous Français. Je conseille à tout le monde de cesser de vouloir la mise en prison, la fin des aides, la stigmatisation des "racailles", leur expulsion, la restriction de leurs droits et la carte blanche policière à leur encontre. Sinon ici aussi comme en Angleterre, il ne faudra pas s’étonner si ça explose à nouveau, et encore moins pourquoi ils s’en prennent à vos bagnoles plutôt qu’à l’Élysée...

14/08/2011 23:29 par François

L’anarchie n’est certainement pas le bon titre.

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.