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L’illusion méritocratique

L’éducation est une problématique politique fondamentale. En son sein se nouent les questions de justice, d’autonomie et de liberté.

Bien que l’artifice du mérite soit allégué pour justifier la hiérarchie dans la société, la filiation sociale demeure encore et toujours l’atout décisif dans la détermination du futur rang social.

L’idéal méritocratique suggère que les institutions sont strictement impartiales et que la réussite est conditionnée uniquement par les aptitudes et caractères de chacun.

S. Mc Namee et R. Miller dans « Le rêve américain et l’idéologie méritocratique » révoquent cette hypothèse : « dans les sociétés modernes démocratiques, la justice sociale s’organise autour du principe de l’égalité des chances, qui semble accepté par tous. Pourtant, un tel principe, loin de renforcer l’identité collective, est porteur d’une menace de décohésion, tant il autorise les inégalités réelles. L’éducation a précisément pour finalité de permettre et de légitimer la réussite des enfants initialement les plus favorisés ».

L’emprise de la bourgeoise sur l’éducation est un moyen de légitimation et de préservation des inégalités. Le système scolaire est intrinsèquement discriminant et conservateur. Il vise à classifier les élèves selon leur origine et leur finalité sociales. Il enseigne la soumission à l’autorité et à un ordre inique tout en assurant la promotion des valeurs dominantes. Il permet de distinguer les futurs dirigeants d’un côté et les futurs exécutants de l’autre, en faisant en sorte que chacun se persuade de sa condition immuable. Autrefois, le Souverain attribuait des titres de noblesse, aujourd’hui c’est l’école qui intronise la bourgeoisie dans sa fonction dirigeante.

Les savoirs transmis, supposés exempts de toute idéologie, sont asservis aux exigences économiques et politiques. La division des filières s’articule à la division de la société entre travail intellectuel et manuel, entre classes dominantes et dominées. Chacun reçoit une éducation circonscrite et fonctionnelle pour remplir son rôle social et contribuer ainsi à la bonne marche de la société.

L’éducation se trouve dans un « état de falsification systématique et préméditée » disait M. Bakounine. Le constat de P. Bourdieu est similaire : « l’école sanctionne et valorise certains habitus que possèdent déjà en y arrivant les membres des classes dominantes, qui y sont donc d’emblée chez eux, tandis que les autres doivent faire d’immenses efforts pour y réussir. Au total, l’école est donc une instance qui fonde et légitime l’inégale appartenance et l’inégale participation à la société. Par elle, la classe dominante se reproduit et si des membres des classes moyennes font occasionnellement l’expérience, fort utile à la persistance de la domination, de la mobilité sociale ascendante, les classes dominées y sont massivement renvoyées au monde du travail, mais en ayant intériorisé à la fois la conscience de leur infériorité culturelle et la conviction que le système est juste et leur a accordé leur chance ».

Le milieu social conditionne en amont et en aval la réussite sociale. La valorisation du diplôme est liée au capital culturel et relationnel du groupe familial. La maîtrise du savoir-être bourgeois est une qualification informelle impérieuse pour se faire valoir sur le marché de l’emploi.

L’égalité des chances est un mythe infirmé par une enquête réalisée en 2003 par l’Insee sur la formation et la qualification professionnelle. On observe très clairement que l’enseignement n’est pas ouvert en pleine égalité. Il y a une monopolisation du pouvoir économique et culturel qui se transmet par hérédité et népotisme.

L’ascension sociale n’est pas exclue mais elle est fortement compromise en pratique. Ceux qui sont issus de milieux peu qualifiés doivent faire des efforts plus importants pour réussir. Les universités françaises n’accueillent qu’une petite minorité des enfants d’employés et d’ouvriers. Quelle que soit la filière, les enfants de cadres et professions libérales représentent plus du quart des effectifs. Plus généralement, plus le diplôme du père est élevé, plus on a de chances d’avoir soi-même un diplôme élevé. Les deux tiers des enfants d’enseignants et plus de la moitié des enfants de cadres sont titulaires d’un diplôme supérieur ou égal à Bac+3, contre 10 % des enfants d’ouvriers non qualifiés ou d’inactifs. Ces derniers représentent à l’inverse 60 % des individus qui disposent d’un diplôme inférieur au Bac ou qui n’ont pas de diplôme.

La raréfaction du travail va de pair avec son éloge et l’invocation incessante du mérite et de l’individualisme. On se souvient tous du « travailler plus pour gagner plus » ou « de la France qui se lève tôt » de N. Sarkozy.

L’idéal méritocratique est un pilier important de l’édifice bourgeois, à titre pratique et psychologique.

Cette idéologie postule que la société concède équitablement ses faveurs aux plus doués et aux plus volontaires. Les inégalités ne feraient que refléter les qualités et défauts de chacun. On peut dès lors en inférer que le succès et l’échec sont mérités. Chacun est cause de son propre sort.

Il s’ensuit que : la collectivité ne doit pas prêter assistance à des personnes qui ont galvaudé leurs chances ; la pauvreté, expression de l’inaptitude et de l’inutilité, est une tare morale ; le riche est digne d’estime ; l’inégalité est dans l’ordre des choses.

La question de l’éducation est indissociable d’un projet politique sous-jacent. Elle n’est jamais neutre. Pour réformer la fonction et les missions du système éducatif, c’est la société dans son ensemble qui doit changer d’orientation. Seule l’émancipation intégrale - économique et politique- est en mesure d’assurer une émancipation intellectuelle et d’actualiser toutes les virtualités qui se trouvent en l’homme.

Emrah KAYNAK

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