Début juin, le MV Alaed un cargo russe battant pavillon de Curaçao a été contraint en urgence à faire demi-tour. Suite à des renseignements américains, la société britannique d’assurance maritime, Standard Club, a suspendu les contrats d’assurance des huit navires de la société russe Femco, dont le Alaed fait partie. Sans assurance, le MV Alaed, parti de Kaliningrad, se voyait interdit d’accostage dans la plupart des ports. La résiliation de l’assurance est intervenue alors que le MV Alaed faisait route au large du port écossais de Thurso. Encore dans les eaux internationales, le capitaine a rapidement fait demi-tour pour rejoindre le port ami de Mourmansk, en évitant soigneusement les eaux territoriales européennes.
Résilier l’assurance d’un navire en mer est une mesure assez rare, c’est un peu comme si vous rouliez sur une autoroute et que sans crier gare votre assureur résilie votre contrat. Que ce passerait-il en cas d’accident ? Un juge vous donnerais certainement raison contre la politique de votre assureur. Mais, en mer il peut en aller autrement. Certains pourraient même dire qu’il s’agit là d’un acte de forfanterie de la part des Anglais. Bien que les Britanniques étaient très coutumiers de la piraterie au XVIe siècle, beaucoup pensaient que cette mode leur était passée.
Dans les faits, cette mesure à été rendue possible par une décision de l’UE qui interdit tout commerce D’armes entre les pays membres et la Syrie. Or l’île de Curaçao, le pavillon de l’Alaed, est encore une colonie néerlandaise et donc soumise aux directives européennes. Il en est de Même pour la compagnie d’assurance maritime de nationalité britannique.
Décision 2011/273/PESC du Conseil du 09 mai 2011
« 1, Sont interdits la vente, la fourniture, le transfert ou l’exportation à la Syrie, que ce soit par les ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres ou au moyen de navires ou d’aéronefs de leur pavillon, d’armements et de matériels connexes de quelque type que ce soit, y compris des armes et des munitions, des véhicules et équipements militaires, des équipements paramilitaires et des pièces détachées pour les articles susmentionnés, ainsi que des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, qu’ils proviennent ou non de leur territoire. » : Décision 2011/273/PESC du Conseil du 9 mai 2011 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie - http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32011D0273:FR:NOT
Au départ de cette rocambolesque aventure, on a des soupçons émanant des bureaux du secrétariat d’État de madame Hillary Clinton. Ces soupçons font état d’une cargaison d’hélicoptères militaires MI25 et de pièce détachée en route vers la Syrie. Or, Damas est sous embargo militaire ce qui interdit tout commerce d’arme.
De son côté le président russe, Vladimir Poutine, a fait savoir que ces engins ont été transférés récemment pour assurer leur entretien de routine. Ces MI25 feraient partie d’un Lot de 36 hélicoptères commandé par le gouvernement syrien à l’époque soviétique dont le contrat de maintenance est toujours en cours.
En réaction, à l’action des Britanniques et pour honorer cet ancien contrat, le Kremlin a aussi fait savoir que le MV Alead battra dès à présent pavillon Russe. En abandonnant le pavillon de Curaçao pour le drapeau russe, il signale clairement que toutes actions entreprises à son encontre seraient considérées comme une action hostile envers la Russie.
"Normally it’s difficult to trade at a port without insurance cover, but in this case, we are seeing a Russian ship going to a sanctioned country (Syria) that is going to let it in," said James Baker, news editor at maritime newsletter Lloyd’s List." : Syria-Bound Cargo Ship Turns Back to Russia - http://gcaptain.com/insurance-canceled-syria-bound/
Vendredi dernier, c’est un phantom F4E(2020 terminator) de l’aviation turque qui est abattu à proximité des cotes syriennes. Après avoir admis que le chasseur-bombardier turc avait bien traversé l’espace aérien syrien, Recep Tayyip ErdoÄŸan demande une réunion d’urgence de l’OTAN sur base de l’article 4 du Traité Atlantique
« En vertu de l’article 4 du Traité, tout pays de l’Alliance peut demander des consultations chaque fois que, de l’avis de l’un d’eux, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties est menacée. » - http://www.nato.int/cps/fr/SID-0ABCBA75-52C868CA/natolive/news_88599.htm
Mais bien que tout soit en place pour reproduire les effets de l’incident du golfe du Tonkin, à Washington ont se veut prudent. Ni les Européens, ni Obama ne veulent d’une intervention militaire en Syrie. D’une part, une grande confusion règne entre le Conseil national syrien (CNS) et l’Armée syrienne libre (ASL), les acteurs ne sont pas jugés suffisamment fiables par les stratèges de l’OTAN. D’autre part, l’administration US estime que le théâtre des opérations en Syrie rend toutes interventions complexes et délicates. On est loin du désert d’Irak ou de Libye.
De plus, pour les Occidentaux, les révolutions arabes n’ont pas vraiment donné les fruits attendus. La Libye est éclatée entre des clans rivaux, il n’y a plus de gouvernement central. En Égypte, l’émergence de la démocratie vient de porter au pouvoir les frères musulmans qui ne sont pas vraiment des alliés de Washington et de Tel-Aviv.
Enfin, ce chasseur turc abattu, montre clairement que l’armée de Bashar el-Assad pourrait avoir du répondant en cas d’intervention militaire extérieure. Or, avec la crise financière, le risque de perdre un de nos précieux avions de chasse, à plusieurs dizaines de millions de dollars pièce, est jugé être un risque financier bien trop dispendieux. Sans compté que cela représente une très la mauvaise propagande. La Proximité des élections présidentielles aux USA, en novembre, encourage Obama à garder une attitude pacifique et non aventureuse pour des terres qui ne recèlent même pas de pétrole.
« Finalement, que l’attaque ait été volontaire ou non, certains estiment qu’elle a permis à Damas d’envoyer un avertissement très clair au reste du monde." La Turquie ne devrait probablement pas apporter une réponse militaire directe à la Syrie sans l’accord de Washington. Or Washington ne semble pas prêt à une escalade militaire avant l’élection présidentielle" , résume Fadi Hakura, membre du cercle de réflexion britannique Chatham House. » : L’incident du F4 montre l’efficacité des défenses syriennes - http://fr.news.yahoo.com/lincident-du-f4-montre-lefficacit%C3%A9-des-d%C3%A9fenses-syriennes-140948993.html
Dès lors, tous sont d’accord pour dire oui à une réunion d’urgence de l’OTAN sur base de l’article 4, mais non, pour mettre à l’ordre du jour l’article 5, relatif à l’obligation de défense mutuelle en cas d’agression.
Article 5 du traité de l’Atlantique Nord : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, [...] assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. » - http://www.nato.int/terrorism/cinq.htm
Le grand nombre d’acteurs potentiels qui tourne autour de la Syrie contraint chacun à la plus grande prudence pour que cela ne dégénère pas en conflit régional, voire international. C’est ainsi que l’on trouve impliqué à divers degrés ou pouvant être entraîné dans la tourmente :
- Les Kurdes présents en Irak, en Turquie et en Iran…
- Les Turques, voisin direct ils accueillent déjà une grande quantité de réfugiés syriens.
- Le Liban, autre voisin instable, tiraillé par son histoire et par le Hezbola.
- Israël, toujours inquiet pour la sécurité de ses frontières.
- l’Arabie Saoudite qui déverse des monceaux d’argent pour financer les rebelles.
- Le Quatar qui fait pareil que les Saoudes.
- L’Union Européenne, dont les Chypriotes ont la présidence et dont île n’est qu’à quelques encablures des cotes syriennes.
- La Russie qui dispose de facilités portuaires en Syrie et qui compte bien les garder.
- La Chine dont la Syrie est toujours un bon client.
- Les USA, alliés d’Israël, des Turques et de l’UE, soucieux de la stabilité de la région pour la stabilité des marchés pétroliers.
Si tous ces protagonistes ont un rêve en commun, c’est celui de mettre un large couvercle sur la marmite syrienne et qu’on arrête de chauffer les opinions publiques internationales avec des fantasmes droits de l’hommiste dans la région.
Alors, même si Bashar el-Assad accueil deux représentants de l’opposions dans son gouvernement, il est fort à parier que La Syrie va continué à s’enfoncer dans une longue nuit de guerre civile à l’issue incertaine.
Pour l’État moderne, laïque et respectueux des droits de l’homme, le Peuple peut encore passer son tour. Si en janvier 2011 les peuples de Syrie manifestaient dans les rues aujourd’hui, ils doivent se terrer pour éviter les tirs de chacun des camps en présence.
Et souvenons-nous camarade : la guerre n’est jamais une solution, même quand on est contraint de la faire.
Pierre Capoue
http://kkmg.wordpress.com/2012/06/29/la-syrie-au-bord-dune-crise-internationale/