Un ami vient de m’envoyer ce mail et voilà, ci-dessous, ce que je lui ai répondu :
Cela fait quelque temps que je me pose des questions concernant la "guerre" en Ukraine et en Nouvelle Russie. J’entends de temps en temps le bruit courir que les Forces d’Autodéfense de la Nouvelle Russie (FAN) vont bientôt "prendre l’offensive" (sans doute après un tournant décisif quelconque ou après avoir atteint un certain but). Et cela m’étonne qu’elles n’aient pas encore monté de petites opérations dans le reste de l’Ukraine et spécialement à Kiev. Il me semble que les FAN auraient les moyens de lancer des opérations clandestines ciblées, non ? De planifier des incidents à Kiev et de procéder à des frappes éclairs qui calmeraient les ardeurs guerrières de la population qui (semble-t-il) est largement indifférente. Ou est-ce que les FAN pensent que cela ne servirait qu’à raffermir la volonté de Kiev de continuer le combat ? L’histoire montre que ces tactiques sont courantes même si je ne suis pas sûr à 100% de leur efficacité. J’aimerais savoir ce que vous en pensez ?
C’est une question très intéressante et assez complexe. En réalité, on est devant deux problèmes distincts :
a) pourquoi il n’y a apparemment pas de résistance dans le reste de l’Ukraine ?
b) où en est la contre-offensive novorusse ?
Les deux problèmes ont un commun dénominateur mais ils sont qualitativement différents. On va les prendre un par un :
Pourquoi il n’y a apparemment pas de résistance dans le reste de l’Ukraine ?
Premièrement, il faut reconnaître que tous les Ukrainiens ne sont pas hostiles à la nouvelle junte. En fait, ils le sont sans doute, mais pas assez pour manifester et encore moins se soulever. D’abord, la plupart des Ukrainiens ont été élevés dans un pays dont la russophobie n’a fait que s’accentuer, de l’Ukraine soviétique modérément russophobe et nationaliste à l’Ukraine violemment russophobe et nationaliste d’après 1991 et à l’Ukraine à la russophobie et au nationalisme délirants d’après 2013 ; aujourd’hui, le climat idéologique et politique officiel du Banderastan est hystériquement anti-Russe. Donc même les Ukrainiens qui ne sont pas des groupies des néo-Nazis ne sont pas nécessairement pro-Russes.
Deuxièmement, il y a un blackout sur l’information dans le pays jusque dans les médias "indépendants". Nous avons tous vu sur You Tube les directeurs des principales chaînes de TV se faire tabasser par des nationalistes qui leur reprochaient de ne pas diffuser des émissions "comme il faut"*. On peut s’imaginer le sort des médias moins importants ! En fait, on raconte à la population que l’armée ukrainienne se bat contre, je ne blague pas, une invasion russe ! On leur dit que le Donbass est plein de forces Spetsnaz russes et de tanks. J’ai même vu un reportage montrant 30 tanks T-90 MBT russes attaquant un village défendu par l’armée ukrainienne. Le niveau de propagande est hallucinant et la zombification est tout simplement inimaginable et donc, même si beaucoup d’Ukrainiens n’aiment pas la junte au pouvoir, ils ne veulent pas pour autant que la Russie envahisse l’Ukraine.
Troisièmement, bien qu’on n’en parle quasiment pas dans les médias occidentaux ni dans la blogosphère, la plupart des exilés ukrainiens soulignent que la terreur règne dans l’Ukraine-croupion, spécialement dans les villes de Kharkov, Kiev et Odessa : des centaines de personnes ont été kidnappées, ont disparu et/ou ont été torturées, battues, menacées ou maltraitées d’une façon ou d’une autre. Les donjons de la police et du SBU sont pleins de personnes soupçonnées d’être des "terroristes" des "traîtres" et des "séparatistes". Les gens reçoivent des coups de fil menaçants, les membres de leur famille sont menacés dans la rue, à l’école, au travail, etc. Les héritiers spirituels de Stepan Bandera sont passés maîtres dans l’art de terroriser la population et comme les médias, les organisations de droits humains et les gouvernements internationaux ne se font pas prier pour regarder ailleurs, les commandos de la mort nazis de Ukieland auraient tort de se gêner.
Quatrièmement, et c’est une chose difficile à admettre, la plupart des Ukrainiens, tout comme les Novorusses, préfèrent rester tranquillement chez eux en attendant de voir comment ça tourne. Ces gens-là ne s’intéressent qu’aux choses matérielles et pour eux la Russie ou l’Ukraine, les Nazis ou les démocrates, les Orthodoxes ou les Grecs Catholiques - c’est du pareil au même. Ce qui leur importe, c’est le contenu de leur réfrigérateur, la voiture qu’ils conduisent, le poste de TV dans leur salle a manger. Si on leur disait qu’en devenant un anarchiste Hare-Krishna Zimbabwéen, ils gagneraient plus d’argent, ils le feraient tout de suite. Je ne tiens pas à rentrer dans le "pourquoi" de la chose, disons simplement que la passivité ukrainienne n’est pas un mythe.
Pour toutes ces raisons, il n’y a pas de protestations, de soulèvements ni de sabotage dans le Banderastan. Ou alors, c’est infime. La plupart des Ukrainiens sont perdus, effrayés, ont le cerveau partiellement lavé, et sont obligés de se reposer sur des rumeurs. Tout cela ne peut qu’engendrer la passivité. De ce point de vue, la Crimée a été la dernière preuve du contraire et le Donbass se situe quelque part entre les deux, ce qui explique les difficultés que le Kremlin (et la Résistance Novorusse) rencontre pour solutionner le problème.
Quant aux forces de la Nouvelle Russie, elles n’ont tout simplement pas le loisir de préparer des opérations de sabotage derrière les lignes ennemies. Pour le moment, les forces de la Résistance novorusses "jouent les pompiers", elles courent d’un endroit à l’autre pour "éteindre" les diverses percées ukrainiennes dans le territoire qu’elle contrôlent. Voyons cela d’un peu plus près :
Où en est la contre-offensive de la Nouvelle Russie ?
Les rumeurs d’une contre-offensive novorusse circulent depuis des semaines mais il n’y en a toujours pas. Pourquoi ?
La clé ici réside dans la supériorité numérique et technologique du camp ukrainien. Je vous explique :
Pour les Novorusses l’équation est simple : plus la ligne de contact (la ligne de front si vous préférez) avec l’ennemi est courte, mieux c’est. Plus elle est longue, pire c’est. Rappelez-vous la scène de Matrix où Neo se bat contre une horde d’Agents Smith : même si Néo est encerclé par des centaines, voire des milliers d’Agents Smith, il ne se bat qu’à 5 contre un à la fois parce que seulement 5 agents peuvent se caser dans son périmètre immédiat. La vraie guerre n’est pas si simple, bien sûr, mais l’idée de base est la même et c’est une des raisons pour lesquelles Strelkov a renoncé à Slaviansk.
La seconde question que posent beaucoup de lecteurs est celle-ci : excusez-moi mais si les Ukrainiens sont en train de perdre, pourquoi ne cessent-ils pas d’avancer ? Ce n’est pas contradictoire. La Résistance fait régulièrement retraite pour laisser les Ukrainiens avancer dans leur territoire pour pouvoir les encercler et créer une poche ou un "Chaudron". Les Ukrainiens qui n’arrivent pas a se replier ont toutes les chances d’y rester. N’oubliez pas non plus que les médias annoncent l’avancée de l’armée ukrainienne mais jamais le repli qui suit. Les médias occidentaux montrent au public des cartes très "approximatives", en réalité tout à fait fausses. En voilà une relevée aujourd’hui sur le site Internet de la BBC :
Comparez-la avec celle-ci qui est de la même période :
La différence ne pourrait pas être plus grande. Les presstitutes** occidentaux font deux erreurs majeures : d’abord ils assument que si une unité va d’un point A à un point B cela signifie que le point A reste sous leur contrôle. Ce n’est pas du tout le cas. La plupart du temps, lorsque l’unité X s’est déplacée du point A au point B, l’autre camps reprend A et encercle l’unité X. Ensuite, les presstitutes pensent que toutes les informations russes ou novorusses sont de la "propagande" tandis que les sources occidentales sont fiables. C’est pourquoi ils vous présentent des cartes comme celle de la BBC : pire qu’inutiles elles sont mensongères.
Au fait, il y a un gars du nom de Dima Svets sur You Tube qui analyse avec brio les cartes de combat (comme celle-ci). Il parle russe mais si vous voulez juste savoir à quoi ressemble une vraie carte, ça vaut la peine d’y aller voir.
Comme je l’ai dit plus tôt, pour le moment les Novorusses "jouent les pompiers" : les Ukrainiens attaquent sur tous les fronts et dès qu’ils commencent à repousser les lignes novorusses, le commandement central envoie des renforts qui stoppent leur progression et essaient de les encercler avant qu’ils ne reculent. Cette technique simple marche pour deux raisons : les distances sont très courtes et les capacités stratégiques des Novorusses sont infiniment supérieures.
Mais une contre-offensive est une toute autre affaire. D’abord, il faut concentrer ses forces à l’endroit où vous voulez faire votre percée. De plus, il faut aussi monter une attaque de diversion dans un autre endroit : tout cela exige beaucoup de forces. Comment les Novorusses peuvent-ils concentrer leur forces sans risquer une percée ukrainienne sur leurs arrières ?
Par ailleurs, même en assumant qu’ils y parviennent, une contre-attaque novorusse impliquerait un allongement de la ligne de contact et cela augmenterait le risque d’être encerclé. C’est vrai que les Ukrainiens ont l’inconvénient d’avoir un immense territoire derrière eux et qu’il leur est donc difficile de savoir où placer leurs réserves, mais ils ont assez d’unités motorisées pour avancer rapidement et ils ont aussi l’artillerie et l’aviation. Pour les forces novorusses, une percée dans les profondeurs du territoire ukrainien pourrait se révéler très très dangereuse.
La ligne de front entre les deux camps n’est pas encore tout à fait stabilisée mais les combats se sont soldés par une sorte de match nul qui laisse peu de place à l’initiative. Le territoire contrôlé par la Résistance s’est réduit à une dimension qui permet à la Résistance de le défendre sans problème et qui le rend imprenable.
A moins que quelque chose ne gèle la ligne de front "telle quelle", les deux camps continueront a avancer et reculer avec de légers succès tactiques jusqu’à ce qu’un des deux camps n’en puisse plus. Si cela se produit, le camp à bout de souffle ne pourra pas faire retraite, il s’effondrera d’une seul coup. Pour le moment, je ne sais pas quel est le camp qui est le plus susceptible de s’écrouler. Les Ukrainiens ont été décimés en nombre épouvantable par la Résistance, mais ils envoient toujours plus d’hommes, de matériel et d’unités au front. Je ne sais pas combien de temps le régime peut continuer à faire ça. Je sais que le mouvement de protestation des "mère de conscrits" qui s’est levé en Ukraine de l’ouest pour dire "nous ne voulons pas mourir en nous battant contre les Russes dans le Donbass", prend de l’ampleur. La junte ramène des corps des soldats ukrainiens morts par wagons entiers mais elle n’a pas d’argent pour les garder au frais et encore moins pour leur offrir des funérailles convenables. Ce sont les familles qui doivent payer pour enterrer leurs êtres chers, on leur dit souvent d’emporter le corps comme elles peuvent, elles doivent payer pour la réfrigération, pour l’uniforme neuf dans lequel elles vont l’enterrer et pour l’enterrement lui-même. Vous imaginez l’horreur et le désespoir de ces familles ! Et leur nombre augmente démesurément surtout dans l’ouest de l’Ukraine parce que la junte croit que les Ukrainiens de l’ouest ont moins de chance de déserter ou de changer de camp.
Je pense qu’il est important de ne pas se concentrer seulement sur les horribles massacres de civils novorusses par les forces ukrainiennes mais aussi sur l’horreur de la conscription forcée (jusqu’à 60 ans ! Et depuis le début de l’année la junte a déjà effectué 3 mobilisations partielles) d’hommes qui sont envoyés comme chair à canon, à l’est, pour y être tués par la Résistance.
Si la Nouvelle Russie peut tenir encore deux ou trois semaines, alors le courant va se retourner définitivement contre la junte. Pour le moment il n’y a personne avec qui négocier et rien à négocier. Mais comme l’a dit récemment le politicien novorusse, Oleg Tsarev, dès que les forces de la junte sentiront venir leur première grande défaite, les Européens vont brusquement exiger des négociations et alors, il sera peut-être possible de négocier quelque chose. Mais tant que les forces novorusses n’ont pas prouvé qu’on ne peut pas les écraser (et elles ne l’ont pas encore prouvé) la junte et ses commanditaires étatsuniens ne négocieront pas sérieusement. Ils feront peut-être semblant, comme ils l’ont déjà souvent fait, mais c’est tout. Tant que les Etats-Unis et la junte espèrent écraser militairement la Résistance, ils ne négocieront pas.
La Résistance se porte bien. Il ne lui manque qu’un vrai succès, un succès indéniable. En attendant la situation est complètement bloquée.
The Saker
Note :
* En Français dans le texte.
**Contraction anglaise de presse et prostituée.
Traduction : Dominique Muselet