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Être de gauche aujourd’hui

Ludivine BANTIGNY

Qu’est-ce que ça veut dire « être de gauche, aujourd’hui ? »

Aujourd’hui, et plus fondamentalement, je pense que être de gauche c’est une perception du monde ; je pense déjà que c’est de refuser l’ordre des choses, l’ordre du monde, le monde tel qu’il va et tel qu’il ne va pas. Je pense que, déjà, être de gauche, c’est refuser d’accepter ce que la droite, elle, considère comme une forme d’évidence ; une « naturalisation » de ce qui en réalité est vraiment profondément aliénant et antisocial.

Cela veut dire refuser, mais cela veut dire construire, évidemment, des horizons, des projets…

Et donc, ce qui en découle, c’est être du côté de celles et ceux qui subissent cet ordre du monde, cet ordre dominant, cet ordre régnant.

Ceux qui subissent toutes les formes de dépossession, toutes les formes de domination et on en fait partie nous, évidemment, aussi.

Vous êtes de gauche ?

Oui, je suis de gauche.

Et vous le revendiquez ? Ça devient un peu ringard, maintenant… Quand on est jeune comme vous, ça devient ringard…

Alors ce qui va vous paraître encore plus étrange, c’est que, à mes yeux, la définition même de la gauche – et le critère qui en est le fondement – c’est le rapport au capital.

C’est peut-être un très grand mot, c’est peut-être un mot tabou, un mot un peu monstrueux. Mais justement c’est l’idée, c’est fondamental, c’est de faire en sorte que la gauche se réapproprie cette critique là. Le capital c’est vraiment un rapport au monde.

Attention ! Karl est de retour alors ?

Disons qu’il n’a jamais été tout à fait absent ; je pense qu’on a voulu pour partie le mettre dans un placard et le transformer en cadavre mais beaucoup l’ont toujours imaginé vivant. Mais de toute façon, ce n’est pas une question de Karl ou d’autre… C’est vraiment une question que nous, aujourd’hui. Le monde s’organise autour du profit, autour de la compétition, de la concurrence, de la notion d’entreprise. Il faut être « entrepreneur de soi » !

Il faut se transformer en capital humain, en capital compétent et c’est une façon de briser beaucoup de choses. C’est une façon de briser un certain rapport au monde ; un certain rapport à l’environnement, un certain rapport aux autres dans cette compétition exacerbée où on est, en permanence, dans l’opposition aussi aux autres dans cette concurrence là.

Donc oui, je pense que la notion de capital doit être réinterrogée à cette aune parce qu’elle est toujours éminemment présente.

Ce n’est pas parce que on a décrété dans les années 80 que le capitalisme était une sorte d’horizon indépassable qu’on n’est pas en droit de continuer à l’interroger et à le critiquer et à pointer un horizon qui soit post capitaliste.

Parce que, au fond, le capitalisme, c’est une séquence historique, il ne s’impose pas comme une évidence naturelle…

Vous croyez en des lendemains qui chantent ?

Je crois en une gauche qui donne envie d’espérer, qui donne envie de sortir d’une société marchande où justement le profit et l’argent sont les critères fondamentaux de nos existences et qui sapent et qui minent nos existences au quotidien.

Qu’on soit parmi celles et ceux qui sont écrasés par le chômage et la précarité ou le travail dans ses formes les plus aliénantes, mais qu’on soit aussi trader, grand capitaliste, parce qu’on est aussi écrasé, étouffé par cette course au temps qui ne serait que de l’argent.

Donc c’est pour retrouver un autre temps, un autre rapport au temps, un autre rapport au monde, et à nos vies, tout simplement.

Il y a vraiment deux dimensions qui sont fondamentales.

La première chose c’est la conception du politique, de ce qu’est la politique/le politique.

La politique ce n’est pas que le rapport au pouvoir et, en fait, on a vraiment tendance à avoir un rapport très étriqué de la chose politique. La politique, c’est le commun. La politique, c’est penser ensemble nos vies, notre rapport au travail, au temps, à nos loisirs, notre culture. Penser ensemble, véritablement. Et que chacun se sente en mesure d’être dans le politique. Ce qui fait du dissensus d’ailleurs. La politique, c’est fondamentalement du dissensus, c’est-à-dire du débat et de la critique, encore une fois, (critique) de l’évidence.

Et puis il y a une deuxième dimension.

C’est que si le politique ne se réduit pas au pouvoir, et du coup à une vision complètement par le haut qui est cette vision qu’on appellerait la « police », c’est-à-dire la politique ce serait « circulez, il n’y a rien à voir »/on s’occupe de la gestion des populations pour vous bonnes gens/restez chez vous et ne vous intéressez que très modérément et par la surface des choses/par la personnalisation des choses comme malheureusement trop souvent dans nombre d’émissions « politiques » on en est réduit ; c’est-à-dire à savoir qu’elle est la petite différence entre Juppé et Fillion, ou entre Moscovici et Dray…

Donc, ce n’est pas ça la politique ! La politique, c’est bien plus grand et bien plus fondamental, ça nous concerne vraiment toutes et tous !...

par Ludivine Bantigny, maîtresse de conférence en histoire contemporaine à l’université de Rouen, dans l’émission de Laure Adler, « Permis de penser », France-Inter, samedi 30 janvier à 13H20.

COMMENTAIRES  

13/02/2016 19:20 par chris DEL

Etre de gauche, au plan sociétal, c’est s’opposer aux intégrismes religieux ! In n’y a pas que le social et la lutte des classes !

13/02/2016 19:26 par legrandsoir

Etre de gauche, au plan sociétal, c’est s’opposer aux intégrismes, tout court, non ?

13/02/2016 21:14 par bolivarien

Oui," la politique c’est bien plus grand et bien plus fondamental " qu’une vision binaire droite / gauche ....

14/02/2016 12:25 par Jérôme Dufaur

Pour info : cette personne (que je ne connais pas) s’appelle Ludivine Bantigny et non Ludivine Dantigny.
Il y a peut-être des Ludivine Bantigny mais l’histoire (contemporaine ou pas) ne le dit pas...

En tout cas, tout ce qu’elle dit est juste et clair.

(In)merci à Chris Del et Bolivarien de venir ramener leur fraise de manière aussi constructive. Question : je suppose que vous bougerez uniquement lorsque vous serez 100% d’accord avec quelqu’un (mais comme il est plus que probable que vous ne serez jamais 100% d’accord avec vous-mêmes, l’immobilité risque de durer longtemps).

14/02/2016 13:03 par legrandsoir

Il y avait effectivement une coquille dans le nom. Merci de l’avoir signalée.

14/02/2016 17:48 par "Personne"

par la surface des choses/par la personnalisation des choses comme malheureusement trop souvent dans nombre d’émissions « politiques »

"Il faut s’intéresser aux événements eux-mêmes, non au bruit qui les entoure, et aller au fond des choses" (Sénèque)

16/02/2016 10:11 par AUBERT

le fond de l’article est bon, mais, car il y a un gros MAIS : Demandez à l’électeur moyen, qui fait de la politique les yeux scotchés sur l’écran, ce qu’est la gauche. Il vous dira que la gauche et la droite c’est pareil et qu’après avoir essayé la droite et la gauche, il vaut tout chambouler, d’où ses tentations du vote F.N, y compris dans une partie du prolétariat ouvrier. Le F.N jouant à merveille le rôle du national socialisme en d’autres temps. Hors comme dans les années 30, nous sommes confrontés à la plus grande crise du capitalisme et de son organisation dénommé "mondialisation". Le F.N, bien relayé par les médias, sur ordre de la sociale démocratie joue donc le même rôle qu’a pu jouer Hitler, en combinant le nationalisme et des aspects critiques qui ressemblent au socialisme. Si on n’a pas cette analyse lucide on se trompe après de combat et de mots à utiliser dans la lutte de classes de notre temps. Donc se revendiquer de gauche revient de fait à être assimilé à la politique actuelle (toujours pour le citoyen moyen). La gauuuuuche n’existe donc plus. Je préfère me proclamer communiste (au sens de Marx) ou progressiste donc révolutionnaire que de me dire de gauuuuuche. Plus on cherche à se dire de gauuuuche et plus on est "gauche" c’est à dire maladroit. Osons proclamer la nécessité absolue d’une Révolution politique visant le progrès des sociétés par dépassement du capitalisme mortifère, sera plus utile et plus écouté que les incantations permanentes à la gauuuuuuche.

16/02/2016 18:10 par Roger

Merci d’avoir restitué ce morceau de l’émission de Laure Adler (qui pour une fois n’a pas trop fait de reformulation biaisée... ou s’est vue reprise par l’intéressée). Je n’avais pas retenu le nom de l’invitée, alors que je trouvais ses analyses très intéressantes. Je vais essayer d’en savoir plus sur les travaux de Blandine Bantigny.
De plus la citation de Deleuze est particulièrement bien venue.
Par ailleurs je ne suis pas certain que se positionner en communiste marxiste soit mieux vu dans les discussions que de se positionner de "gauche" (bien entendu, ni de gôche, ni de gauuuche).

18/02/2016 09:32 par cunégonde godot

Être de gauche s’évalue à l’aune des choix politiques que l’on effectue dans le concret. Cet article est seulement une déclaration d’intention en quelque sorte. Si une personne, tout en se déclarant de gauche, se déclare simultanément européiste comme d’innombrables personnes qui se disent "de gauche", je dirais qu’elle est autant "de gauche" que Mmes Merkel, Clinton, MM. Sarkozy, Hollande, Blair, Juppé, Berlusconi, Trump, Erdogann...
In concreto : si la trinité républicaine française — Liberté, Egalité, Fraternité – est "de gauche", comment peut-on être à la fois "de gauche" et européiste convaincu ? Le foulard islamique correspond-il à tous ou un des termes de la trinité républicaine française ? Peut-on s’affirmer "de gauche" quand on approuve (par son vote p.ex.) le communataro-provincialisme (landerisation à l’Allemande) que la contre-réforme socialiste installe en France et dont on peut déjà apprécier les résultats en Corse ?

20/02/2016 07:36 par alain harrison

Bonjour.
La discussion sur la gauche et sur le communisme doit prendre un nouveau départ, et peut-être, qu’à l’instar du mot prolétarien, les mots citoyens-travailleurs trouveraient meilleur oreille !
Oui à l’analyse de Marx. Non aux interprétations trotskiste, léniniste.......qui n’a que provoqué les schismes et les conflits et la déconfiture actualisée aujourd’hui de la gauche. Et le PS en est le grand fossoyeur. N’est-ce pas !
L’Amérique Latine conjugue Marxisme avec Bolivar, mais Bolivar prime, et Marx, son analyse, doit servir, au même titre que par exemple, la sémantique. Au sens des mots, au sens de l’économie. La sémantique de Korzybski n’est-elle pas la critique des mauvais sens, comme l’analyse de Marx la critique de la mauvaise économie.
Viendrait-il à l’idée de faire de la sémantique une idéologie ? Et tous les schismes qui suivraient....
Comment redéfinir la gauche face à la droite ?
Choisissons un autre mot.....Peu importe, il y a un travail qui n’est pas fait ou mal fait, cela devrait être compris maintenant à la lumière du siècle dernier et plus près de nous de Podemos (plus de mille à travers la pays..). Le Venezuela, pour ceux qui ont compris la démarche du chavisme (initier et accompagner le peuple), c’est la renaissance du Chili d’Allende, et un clin d’oeil à la France.
Je reprends encore une fois :

Jean Jaurès et le supplément d’âme
Pour Jean Jaurès, la révolution socialiste n’est concevable que dans le cadre de la légalité démocratique, c’est-à-dire par une conquête graduelle et légale par le prolétariat des institutions parlementaires et de la puissance de la production.
7 juin 2014 |Robert Tremblay Chercheur autonome, Ph. D. (histoire)|
Le Devoir de philo
http://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo/410354/le-devoir-de-philo-jean-jaures-et-le-supplement-d-ame#reactions

Pour ceux qui ont survoler Venezuela Infos Wordpress, ont pu constater le rapprochement.

Donc la gauche en France, lié Marx avec Jean Jaurès. C’est vous qui êtes en mesure de le dire.
Moi, C’est ma perception à travers les idées fondamentales.
L’analyse de Marx : L’appropriation du privé de la plus-value des travailleurs.
Jean Jaurès.........lire ci-haut.
Et le Venezuela a fait justement ça. Mais dans la cadre de l’état de droit tronqué *.......Dont, il n’a su se sortir....Vérifiez vous-même : Une femme qui voit claire.
Renaître avec toutes les forces du mouvement populaire
https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/12/12/renaitre-avec-toutes-les-forces-du-mouvement-populaire/
L’orientation de l’action à mener est donnée. Mais l’idéologie, n’est-elle pas en cause de l’étouffement de cette action ?
Que le néo-capitalisme exploite à fond.
Donc, je vous suggère ce petit article :

Réflexion sur l’extrême gauche parlementaire et sur les luttes futures !
•Benoit Arcand
•chroniques politique québécoise, Journal Le Québécois
• 24 novembre 2014
....Et comme nos légistes portent un si grand intérêt à la liberté des acteurs privés, surtout au plan de leurs capitaux, bien faisons comme eux et créons nos structures hors du système et travaillons en dehors de lui. Autrement dit, cessons de chercher à prendre le pouvoir et créons notre propre pouvoir ! » »

http://www.lequebecois.org/reflexion-sur-lextreme-gauche-parlementaire-et-sur-les-luttes-futures/

Il y a des articles, de magnifiques textes qui nous font sauver un temps précieux, qui nous instruisent ou rafraichissent la mémoire, à livrer au peuple pour qu’ils s’instruisent ou se rafraichissent......

Les escrocs de la radicalisation de M. Ortiz, en est un bon, sur le Grand Soir.

Mais un article qu’il faut répéter (les tenants et aboutissants.....) :
Crimes contre l’humanité : L’ultime retour des barbares
Par Fethi Gharbi

Répétez un mensonge assez longtemps et il deviendra vérité.
Alors une vérité....

* L’état de droit est tronqué par nature, c’est mon constat...
Vous pouvez le vérifier de mile et une manière..... Voir l’ensemble.........
Passons du privé au coopératisme.
Passons de la finance à la cotisation.
Passons de l’état de droit à la démocratie citoyenne.

14/05/2017 17:45 par Chevallier Christian

Etre de gauche ? Je reviendrai aux origines de cette terminologie, la place de la gauche dans l’assemblée nationale et l’identité qu’elle représente.
Je reprends un des discours de Maximilien de Robespierre qui caractérise bien ce qu’est la gauche et donc par opposition ce que défend la droite.
"Et vous, législateurs, souvenez-vous, que vous n’êtes point les représentants d’une caste privilégiée, mais ceux du peuple français, n’oubliez pas que la source de l’ordre, c’est la justice, que le plus sûr garant de la tranquillité, c’est le bonheur des citoyens, et que les longues convulsions qui déchirent les États ne sont que le combat des préjugés contre les principes, de l’égoïsme contre l’intérêt général, de l’orgueil et des passions des hommes puissants contre les droits et contre les besoins des faibles."

Aujourd’hui pour moi, Etre de gauche, pour moi, c’est mettre :
- les principes humanistes contre les préjugés,
- la recherche de justice contre les iniquités,
- mettre l’intérêt général contre la prédation de quelques individus,
- la gouvernance partagée, la coopération, et la collaboration contre l’utilisation des activités humaines et des richesses environnementales mis au service de la propriété, du profit, de l’accroissement de la fortune et du pouvoir de quelques uns,
- la liberté gérée ensemble contre la tyrannie imposée par une oligarchie.
- l’économie au service des humains, et non les humains au service de l’économie.

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