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Droits ou intérêts ? par Pierre Ruscassie.


4 janvier 2006


Les questions politiques qui suscitent les mobilisations les plus massives ou les plus fréquentes sont les questions qui concernent directement les droits du plus grand nombre.

Parmi ceux-ci, dans les pays européens et notamment en France, nous pouvons citer les droits des femmes, la laïcité de l’école (janvier 1991 : un million à Paris) et, le plus fréquemment, les questions sociales.
Celles-ci concernent les services publics, la sécurité sociale, les retraites (un million et demi à Paris en mai 2003) et les luttes, plus fragmentées mais quotidiennes, contre les licenciements, pour les emplois et les salaires.

La crise de la gauche résulte essentiellement du refus de ses principaux dirigeants à répondre positivement, concrètement, à ces questions sociales : ils déçoivent les électeurs de gauche sur des questions qui concernent les intérêts directs des neuf dixièmes de la population, c’est-à -dire de tous les salariés.


En effet, dans la société capitaliste actuelle, il n’y a plus que trois classes sociales, définies par leur place dans les rapports marchands capitalistes (leur place par rapport à l’usage de la force de travail) :

1- les salariés (ou le prolétariat), qui vivent d’un revenu salarial en vendant leur force de travail et qui constituent 89 % de la population,

2- les capitalistes (ou le patronat), qui achètent la force de travail et vivent, essentiellement de revenus du capital, de revenus de placement,

3- les travailleurs indépendants (petits commerçants, artisans, paysans, professions libérales), qui ne vendent pas et n’achètent pas de force de travail (et sont souvent sous-traitants ou clients de monopoles).


Parmi les salariés, il existe différentes couches (cadres, salariés qualifiés ou sous-qualifiés, chômeurs...), qui sont définies par le degré de dépossession de leur travail (les rapports entre ces couches portent sur la maîtrise du travail) et non par leur niveau de revenu.

Le vocable de "classes moyennes" a une fonction idéologique : celle de cacher l’unité d’intérêts du salariat pour tenter d’opposer ses couches entre elles, en cultivant la peur devant les couches les plus dominées, et pour créer ainsi des divisions.

Tous les salariés ont un intérêt commun qui est plus important que les différences d’intérêts qui les séparent en différentes couches : le moteur de leur activité sociale et politique réside dans la défense de cet intérêt commun.

Cependant, nous ne devons pas tomber dans le piège de donner aux revendications sociales une réponse politique en termes d’intérêts : ni au nom d’un intérêt particulier propre à une couche sociale minoritaire ou majoritaire (cette réponse pourrait être corporatiste, divisant le salariat), ni au nom d’un intérêt commun ou général (cette réponse pourrait être introuvable ou abusive). Nous devons répondre en termes de droits démocratiques, d’universalité des droits et donc d’égalité des droits (voir ce que dit Marx dans les « Manuscrits de 44 »).

En effet, si nous répondions en termes d’intérêt commun, nous devrions déterminer la population de référence au sein du peuple (tout le salariat ? le salariat et les travailleurs indépendants ? quelle population définie selon des critères objectifs et publics ? ou quelle communauté rassemblée par une identité subjective ?). Or, plus on rétrécirait cette population, plus on affaiblirait son rapport de forces, moins on remettrait en cause le désordre établi. Mais, plus on élargirait cette population de référence, plus on rétrécirait l’intérêt commun, plus on passerait à côté de ce qui est essentiel, moins on serait capable de mobiliser et moins on remettrait en cause ce qui est.

De même l’intérêt communautaire n’ouvrirait pas la voie à l’égalité des droits. Il opposerait les communautés entre elles et favoriserait la guerre de tous contre tous. En outre, il irait à l’encontre du principe d’attribution individuelle (et non collective) de droits, selon des critères objectifs.

Si nous répondions en termes d’intérêt majoritaire, nous devrions choisir parmi toutes les options qui permettent de constituer une population majoritaire. On pourrait ainsi passer tout à fait à côté de l’essentiel et, notamment, aller à l’encontre d’intérêts essentiels d’une minorité, par abus de pouvoir de cette majorité.

Enfin, si nous voulions répondre en termes d’intérêt général, nous devrions étendre à tout le peuple la population à prendre en compte. L’intérêt général en serait d’autant plus réduit et l’essentiel (le choix entre l’intérêt des salariés et celui des capitalistes) serait évacué.

Si, pour cacher les contradictions d’intérêts, nous définissions l’intérêt général non par référence à une population concrète mais par référence à une entité abstraite, la « nation » (avatar public et forme fétiche de la « nationalité » privée), alors nous donnerions à la « nation » la fonction d’une population universelle, nous adopterions la préférence nationale. Les nationalistes (de Pasqua à Le Pen, qui se disent souvent républicains ou souverainistes) identifient l’intérêt général à une abstraction, l’intérêt « national » : la souveraineté nationale, de ceux qui se sentent vraiment des « nationaux » remplace la souveraineté populaire, de tous les citoyens.


Pour les libéraux, l’intérêt général résulte de la libre confrontation des intérêts particuliers : le moyen en est donc la « liberté », conçue comme absence d’obligations d’origine publique ou privée, l’égalité disparaît. Les bonapartistes confient la défense de l’intérêt général à un homme providentiel, qui a le sens de l’Etat ou de la nation. Les nationalistes considèrent que l’Etat-nation est la meilleure garantie de l’intérêt général ou de l’intérêt national dominant. Les communautaristes considèrent l’autonomie culturelle comme la garantie des intérêts communs et conçoivent, éventuellement, l’intérêt général comme résultat d’une harmonisation étatique.

En étant convaincu que des intérêts particuliers inconciliables ne peuvent pas déboucher sur un quelconque intérêt général, on comprend qu’il faut construire une réponse générale qui va donner satisfaction à certains intérêts mais pas à d’autres. Pour que la réponse soit générale, elle doit pouvoir être la même pour tous et supprimer les oppositions d’intérêts.


C’est pourquoi nous devons formuler cette réponse en termes d’universalité des droits et d’égalité des droits et non en termes d’intérêts : elle fonde la conception républicaine qui s’attache à la démocratie, à la suppression de toute domination (voir « Le républicanisme » de Philip Pettit). La conception républicaine a présidé à l’ère des révolutions démocratiques, de la révolution hollandaise de 1580 à la révolution française et fut développée par la filiation qui relie Machiavel, Montesquieu et Marx, selon lesquels les sociétés reposaient sur des conflits d’intérêts et non sur un contrat social. La conception libérale, centrée sur la liberté d’entreprendre et développant les fictions du contrat social et de l’intérêt général, est devenue dominante au XIX° siècle grâce à la puissance croissante de la bourgeoisie, poussée par la révolution industrielle.

Contrairement aux conceptions libérale, bonapartiste ou nationaliste, la conception républicaine ne repose ni sur l’intérêt général, la liberté ou la nation, ni sur l’intérêt communautaire, majoritaire ou minoritaire, mais sur la démocratie, c’est-à -dire la souveraineté populaire, l’universalité et l’égalité des droits.

Mais cet universalisme est une construction. Il résulte de choix entre des intérêts particuliers, en ne retenant que ce qui peut s’exprimer en termes de droits universels. Chaque étape de cette construction fait l’objet d’un jugement politique pour garder la solution qui paraît la plus conforme au critère de l’universalité et donc de l’égalité. Il s’agit d’une démarche empiriste, inductive : cette construction se renouvelle avec chaque nouvelle expérience.

Il ne s’agit pas d’un universalisme abstrait, qui découlerait d’un dogme atemporel, comme si les droits pouvaient être fixés une fois pour toutes, quels que soient les moyens nécessaires à leur respect.

Bref, nous devons construire nos réponses politiques sur l’universalité et l’égalité des droits, mais ni sur l’intérêt général, ni sur l’intérêt national, ni sur l’intérêt communautaire.

Pierre Ruscassie
(rédaction de Démocratie & Socialisme,
mensuel de « Forces militantes »)


[Pour illustrer ce qui est erroné dans la tendance dominante, commençons par le slogan « ni-ni » : maintenant que Milosevic est à La Haye, les Talibans et Saddam Hussein renversés, les partisans de ce slogan peuvent-ils expliquer comment ils comptent se débarrasser de l’autre partie du « ni », Bush ou l’OTAN ?]
LIRE : L’espoir change-t-il de camp ? par Jean Bricmont.


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