L’EXCEPTION PRESIDENTIELLE
La loi institue une différence entre le privé et le citoyen. La personne et la fonction. « Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture » ; « C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l’Eglise » ; « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes » ; « Arracher la racine (...) c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale » (1). Ces propos sont tenus par un président en exercice ! Qui définit donc les principes de « l’identité nationale » ? Hier Nicolas Sarkozy se proclamait « catholique de tradition et de cœur », et sa pratique de Président faisant allégeance à l’ordre religieux, par ses discours et ses actes. En se rendant à l’office, il piétinait les principes de la laïcité dont il était l’héritier. Et les autres ?
L’histoire de France nous rappelle que la République gagne en liberté à se tenir à distance d’avec les saints Sièges. Les débats actuels nous font oublier la violence des institutions religieuses à l’endroit de la loi. La véhémence du pape Pie et l’encyclique Véhementer nos datée de 1906 ont non seulement condamné la loi 1905 votée en France mais enjoint les catholiques à s’y soustraire.
La loi de 1905 est un bouclier libéral destiné à ceux qui ne croient pas. Ils ne sont pas contraints de subir les rituels religieux lors des cérémonies collectives. Finies les prières avant les sessions parlementaires, bannis les signes religieux dans les établissements publics, supprimé le vendredi saint, aboli le mariage chrétien. La règle c’est le droit. La liberté protège les républicains contre la tentative de faire d’eux « un troupeau docile » susceptible de « suivre ses pasteurs » selon les vœux de l’encyclique papale Véhementer nos.
Si l’histoire ne nous sert de leçon, imaginons un instant l’absence de séparation. La société humaine doit être gouvernée par la religion et selon des principes religieux, affirment les dévots la main ferme sur le missel des principes divins. L’encyclique Mirari Vos de 1832 s’en prend à la liberté de conscience, d’opinion et à la presse. L’encyclique Quanta Cura de 1865 fustige la loi du peuple dégagé de tout droit divin.
Le président de la République Nicolas Sarkozy propageait une vision de la religion proche du romantisme béat. « C’est peut-être dans le religieux que ce qu’il y a d’universel dans la religion est le plus fort » (2). Il y voit les fondements de la dignité, de la liberté, de l’honnêteté, de la droiture, de la responsabilité. On pourrait tout aussi bien y voir l’accentuation des privilèges, la tentative de soumission des plus faibles, l’allégeance à des légendes, le déni de la mort, l’asservissement des pauvres, la domination des genres, un conformisme contre-révolutionnaire... L’actuel président Emmanuel Macron entre dans les pantoufles des ex-présidents et attaque les principes de la loi de 1905 puis se ravise sous la pression justifiées des démocrates. Jusqu’à quand ?
Si les présidents de la République dérogent à la fonction, la laïcité est mise à mal par la subvention des cultes dans les DOM-TOM. En Alsace et Moselle se perpétue le concordat que Napoléon négocie avec le Saint-Siège. Il est temps de mettre fin à ces privilèges des temps obscurs.
LE TEMPS DE RIRE
La laïcité autorise le rire. Le rire narquois. Le rire de respect et d’irrespect. Le rire qui foule et défoule. Le rire et le mot d’esprit. Celui de conscience et d’inconscience. Envers un prestidigitateur qui offre 70 vierges (pourquoi pas 35 catins ? Les femmes auraient-elles droit à 70 boutonneux ?), la multiplication du pain et des poissons, quand ça meurt de faim ou qui ouvre des eaux d’un revers de mains. Là qui guérit sans médecine autre qu’une imposition hypnotique de main. Prières et dévotions pour que le monde de demain ne s’en porte que mieux. Ne rien soustraire aux ordres qui dominent, voilà leurs desseins ! Des riches moins riches et des pauvres moins pauvres dans un au-delà fictif par l’opération d’un esprit sain et autres incantations. C’est tout ! Surtout ne rien changer de la cité par autre chose qu’une main jointe ou des fesses relevées. Et nous serait refusé le droit de la rigole ? D’offrir en partage nos doutes, ce qui se trame au tréfonds de l’âme. Aucune religion ne peut faire une OPA sur l’humour de Résistance. L’esprit français a droit à l’irrévérence quand s’offre à lui les billevesées des arrières mondes pour Nietzsche, la voie de la névrose obsessionnelle de l’humanité pour S. Freud, ou l’absorption d’un opium du peuple, pacificateur des révolutions pour K. Marx. Les hommes inventent un être, quelques fois plusieurs, dont ils disent qu’ils inventent l’homme et voilà les hommes sommés de choisir le signe et les textes sous lesquels le rationnel doit se loger ? Les adultes ont le droit de croire au divin, les enfants à la figure du Père Noël. Tous deux omniscients, justes, distributeurs de bontés, apparaissant à la même date sous des formes diverses. Les uns ont le droit à la vache sacrée. Les autres à ne pas maltraiter le sol par le soc de la charrue. Les uns en fumant des psychotropes jamaïcains. Les autres rampant sur le sol tibétain à s’en racler la peau en signe d’allégeance. Chacun trempant son doigt dans de l’eau croupie, lisant un texte à bout de bâton, ou d’honorer une non-figure par un balancement communautaire de tête sur tapis mettant ses chaussettes aux barbes et nez de ses voisins. Et les athées seraient impies ? Chacun à le droit de la tortille comme il convient, si en République sont épargnés les femmes, les enfants et les hommes. Le psychique, le physique, le social. La république. Mais le rire nécessaire à décoller l’homme de sa chose est une nécessité républicaine thérapeutique. Un droit absolu, irrémédiable. Un rempart de République à la liberté de penser. Pas de droit contre le blasphème. En France, ici bas.
LES ACCROCS A LA LOI DE 1905
Il existe en République des ilots qui ne respectent pas les principes édictées par la loi de 1905. Actuellement l’état consacrerait près de 13 milliard € pour subventionner les écoles privées et les églises soit près de 34000 bâtiments construit avant 1905.
En Guyane, les prêtres catholiques sont payés par les Collectivités Territoriales (3). L’entretien du culte catholique est assuré en vertu d’une loi votée par Charles X, le 27 août 1827.
A Mayotte, c’est le préfet qui nomme le Cadi et le grand Cadi (juge musulman). Pour Jean-Michel Ducomte, « Le droit islamique dispose, comme droit local, d’un statut quasi officiel » (4).
À Saint-Pierre-et-Miquelon, les édifices du culte appartiennent aux communes, qui assument les réparations extérieures et les travaux de chauffage. La rémunération du clergé catholique est subventionnée par le Conseil Général depuis 1940.(5).
Sept territoires d’outre-mer « Guyane, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie et Terres australes et antarctiques françaises - ne sont pas soumis à la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat et sont régies par le décret Mandel du 16 janvier 1939, modifié par le décret du 6 décembre 1939. Ce décret permet aux cultes de s’organiser en mission religieuse représentée par un conseil d’administration, lui-même placé sous la tutelle du préfet » (6).
L’Alsace et la Moselle bénéficient du maintien du régime de concordat établi au XIXème siècle. Les évêques et archevêques de « Strasbourg et de Metz sont nommés par le président de la République après concertation avec le Vatican » (7). Alors que des mesures sont prises pour réduire le nombre de fonctionnaires en France, l’Etat assure la rémunération des représentants de l’autorité religieuse (8). L’archevêque de Strasbourg bénéficie du plus fort indice de la fonction publique. Les rémunérations ne cessent d’augmenter (9).
Sur ordonnance allemande de 1873, les parents athées du primaire et du secondaire doivent demander une dispense pour leurs enfants concernant l’enseignement religieux à l’école publique.
Subvention des cultes, rémunération des hommes d’église, nomination des religieux, prise en compte du droit coutumier, maintien des privilèges datant d’une époque révolue, déclaration de son appartenance religieuse à l’école, catéchisme dans les locaux républicains, ségrégation des athées, la loi de 1905 n’est pas appliquée de manière homogène sur le territoire français.
Il n’y a pas d’égalité entre citoyens français. Est-ce cela la « nouvelle laïcité » ?
Avril 2018, E. Macron ne cache pas « une relation particulière au catholicisme ». Quoi donc ? A titre personnel. Et quoi ?
LE REVEIL DES OBSCURS
Méfions-nous. Trop de religions réveillent les athéismes de combat, les idées de ceux qui taisent leur non-croyance pour ne point gêner. La colère de ceux qui ne portent aucun signe s’amoncelle quand les déistes se croient devoir tout déïciser. Des monuments, des signes, des prières, des textes, des émissions. Encore, encore, encore. Des paroles et des actes présidentiels. Continus. Constants. Du prosélytisme partout quand aucun monument ne vient présenter dans l’espace public la non-croyance, l’athéisme.
Pourquoi pas dans chaque ville, autant qu’il y a de temples, de mosquées, d’églises, de chapelles, un cube vide, fait de transparence, d’un mètre sur un mètre. Combien de cubes faudrait-il pour compenser en nombre les édifices religieux déjà là ? N’y aurait-il pas là de quoi mettre à égalité les privilèges ? Si tous les rituels religieux sont respectables au nom de la différenciation culturelle, pourquoi pas celui-là ? N’y aurait-il pas là de quoi célébrer l’Universaliste, le différencialisme et la ressemblance.
Mais les athées ne sont pas les religieux de la non-croyance. C’est ce qui fait différence.
EXEMPLES DE PRÉCONISATIONS
Nous devons aller de l’avant. Proposer à titre de réflexion des pistes d’actions concrètes visant à réaffirmer l’importance de la séparation entre l’État français et la sphère des croyances. Ici point question de faire un toilettage de la loi, de la passer au kärcher des mollesses idéologiques. Il convient au contraire d’en réaffirmer les principes. C’est à mon sens la seule définition possible d’une « laïcité moderne », d’une « laïcité ouverte », d’une « laïcité positive ». Le reste n’est que soustraction. Ce n’est que tentative de baisser le seuil de laïcisation. Le reste relève d’une religiosité de combat contre la laïcité.
Il est possible d’envisager la fin des régimes d’exceptions et la suppression du statut dérogatoire pour la Guyane, Mayotte, Saint Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, l’Alsace et la Moselle au nom du principe d’égalité et de continuité territoriale (10).
L’interdiction doit être faite aux communes de subventionner la construction de lieux de culte sous couvert de subvention via la loi 1901. La suspension des aides aux associations religieuses sous des motifs pseudo-culturels, (création d’un musée d’art chrétiens, ...), ainsi que l’interdiction de mettre à disposition à titre gracieux un terrain ou un bien collectif doit être effective.
Nous proposons un jour férié pour célébrer la fête de la laïcité, le 9 décembre (11), juste avant les fêtes de fin d’année. En référence à la loi du 9 décembre 1905. Il s’agit là de réaffirmer le caractère laïc de la République avant une fête faussement religieuse qui s’accompagne d’une véritable orgie consommatoire.
Nous suggérons la mise en place d’émissions de télévision athées, espace critique de la religion, et laïcs tous les dimanches matin. Il s’agit de modifier le cahier des charges des chaînes publiques (notamment l’article 15 du C.D.C. de France 2) en mettant en place deux créneaux horaires supplémentaires : l’un pour des émissions laïques, l’autre pour des émissions athées.
Nous préconisons l’élaboration d’un code laïque à destination des professionnels de la fonction publique (santé, poste, éducation, police...) afin de leur préciser ou de leur rappeler leur obligation de réserve (12).
Nous recommandons le contrôle accru des financements privés des édifices religieux.
Nous réaffirmons la liberté de pouvoir se rendre en dehors des prières dans un lieu de culte (Mosquée, temple...), quel que soit son sexe et sa religion. La traduction des prêches et discours en français s’ils se font en langue étrangère doit être la règle.
Nous souhaitons rendre obligatoire la possibilité de mettre à disposition des athées qui souhaiteraient célébrer un enterrement civil un lieu de recueillement couvert proche du cimetière. La salle des fêtes, rebaptisée « salle commune » pourra servir à cet effet.
La question du maintien des carrés confessionnels se pose réellement. S’il n’y a pas de séparation des vivants pourquoi y aurait-il séparation des morts ?
Il est nécessaire de faire appliquer le respect du principe « fond public pour l’école publique et fond privé à l’école privée »(13).
La mise en place d’un observatoire (14) de la laïcité indépendant, à l’image de celui annoncé par le président Nicolas Sarkozy le 17 décembre 2003, non effectif à ce jour. Il pourrait établir le code de la laïcité rassemblant les divers articles et textes législatifs en vigueur. Il favoriserait par des actions de terrain la reconquête laïque d’espace sous emprise religieuse. Il s’agit d’un pôle de prévention, de promotion et de vigilance.
On le remarque, la laïcité s’il elle n’est pas effective, n’est pas la laïcité !
Frédéric VIVAS
Bibliographie
N. ANDERSON, Le Hobo, sociologie du sans-abri, Paris, Mathan, 1993.
O. BESANCENOT, Révolution, 100 mots pour changer le monde, Paris, Flammarion, 2003.
COLLECTIF, La maçonnerie française, Les chantiers de la laïcité, 9 décembre 2005.
J.-M. DUCOMTE, La Laïcité, Paris, Milan, 2001.
M. FERRO, Pétain, Paris, Fayard, 1987.
J. FERRY, Lettre aux instituteurs, 17 novembre 1883.
J. JAURES, Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus, 2006.
J.-L. MELENCHON, Laïcité, réplique au discours de Nicolas Sarkozy. Paris, Café république, Bruno Leprince, 2008.
M. ONFRAY, Traité d’athéologie, Paris, Grasset, 2005.
H. PENA-RUIZ, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Gallimard, 2003.
H. PENA-RUIZ, Histoire de la laïcité, Paris, Gallimard, 2005.
G. SANTIER, Le dictionnaire de Toulouse, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 2004.