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Une juge française veut rebaptiser Djouhri

Les bazookas des "investigateurs" de presse, celle qui dit la vérité, se sont tus : Alexandre Djouhri, qui était le personnage central de leur feuilleton, a subitement disparu de leurs pages. Plus de PV tombés des tables des juges, plus de faux documents qui circulent, forgés par un pape de l'extrême droite : le dossier Djouhri est vide, et il n'a aucun lien avec le supposé financement de la campagne de Sarkozy par Kadhafi en 2007. Reste le sort de Djouhri, un homme très malade auquel on interdit de se soigner. Qui, non sans raison, se dit victime d'une campagne "raciste", lui le kabyle du 9-3 parvenu à décrocher un rond de serviette aux tables du CAC 40. Un Ahmed doit reste à Ahmed, à vie.

A la fin du mois 10 février dernier, Alexandre Djouhri est extradé depuis la Grande Bretagne vers Paris. Son débarquement à Roissy est extravagant. C’est le Parquet National Financier (PNF), une justice d’exception crée par François Hollande, qui lui a ménagé cet accueil digne d’un Pablo Escobar. Dans les locaux de la police, à l’aéroport, l’homme d’affaires franco-algérien subit un premier interrogatoire, ses deux passeports, l’un algérien l’autre français sont saisis par les fonctionnaires. C’est sans ambiguïté que la procédure est entamée à propos d’un « prévenu » identifié comme Alexandre Djouhri... Puis le nouvel arrivant est dirigé vers l’Hôtel Dieu, la « salle Cusco » espace médicalisé réservé à la Justice. Le lendemain, entendu une première fois par Aude Buresi juge d’instruction au PNF, le prisonnier se voit signifier sa mise en examen. Bien que « délinquant primaire », en dépit de la présomption d’innocence et de son état de santé, il est transféré à l’hôpital prison de Fresnes. Dans une observation préliminaire, afin de bien résumer son point de vue, la philosophie de l’action judiciaire dont il est l’objet, le nouvel inculpé déclare aussi fermement possible : « Madame, ce que je sais c’est que si je m’appelais François-Henri Durand on n’aurait jamais déployé contre moi autant de moyens coercitifs ».

Quelques jours plus tard, lors d’un second interrogatoire, alors que le désigné suspect répond aux questions avec la précision d’un rasoir, Aude Buresi s’interrompt avec la lucidité de l’escrimeur qui sort une nouvelle botte :

 « Dites-moi, monsieur Djouhri, ça ne vous ennuie pas si, dans la procédure, je vous appelle Ahmed ? »
 « Mais madame mon prénom est Alexandre. Il figure sur les deux passeports que vous avez en votre possession. Si ça me dérange puisque c’est inexact. »

Tentative perdue, un juge ne peut pas faire la loi mais seulement la dire. Les témoins qui ont assisté à cette méchante manœuvre, les avocats Pierre Cornut-Gentille, Jean-Marc Delas et Clément Loiseau sont estomaqués. Mais doivent laisser la parole à leur client, celle du refus. Présents aussi le juge Marc Sommerer, Premier vice-président chargé de l’instruction, qui plonge le nez dans son dossier, et la greffière qui regarde ailleurs. Ces cinq témoins viennent d’assister à une première judiciaire où un magistrat tente de modifier l’état civil d’un prévenu.

Personnellement, si j’ai un jour l’honneur de comparaître devant cette femme du juste j’ignore, dans la cohorte dont mon identité est affublée, quel prénom elle va piocher entre Jacques, Marie, Bernard, Joseph, Emile ? Sauf qu’en ce qui me concerne ce verdict d’une identité, même fausse, n’a aucune signification ethnico-religieuse. Une indication d’origine capable, en France, d’être soumise à l’opprobre. Mes prénoms sont extrêmement chrétiens et indiquent l’être « de souche », comme le dirait le condamné pour racisme Zemmour. En revanche, Ahmed me parait, même si c’est lointain et remonte à Abdelkader, un petit nom venu d’ailleurs, par exemple d’Algérie. Je m’interroge donc. Pourquoi cette magistrate qui n’est pas et ne peut pas être raciste refuse-t-elle que Djouhri soit Alexandre ? Pour rester dans l’ethnique, puis-je communiquer une information à la fonctionnaire de Justice, dont la mission, au nom de Peuple français, est de juger à charge et à décharge, qu’Alexandre a une transcription arabe, c’est Iskandar. Et que le Coran lui-même identifie Alexandre le Grand sous le nom de Dhû-l-Qarnayn. Plutôt qu’Ahmed, madame Buresi aurait donc pu essayer ce dernier choix... Les voies du PNF sont souvent impénétrables.

Dès le début de l’inquisition dont le PNF le poursuit, Djouhri clame être victime d’une cabale sur fond de « racisme ». Disons sans malice que le choix « d’Ahmed », tenté par Aude Buresi, vient pour alimenter les doutes du berbère.

Dans le vieux monde, quand un maghrébin entrait dans une famille ou dans un cercle d’amis, et qu’il s’appelait Abdelaziz ou Mohamed, pour « l’intégrer », on lui donnait le prénom à la mode. Abdelaziz devenait Marcel et Mohamed, Maurice. Dans le nouveau monde incarné donc par Aude Buresi, c’est l’inverse : on renvoie le trop bien intégré, à ses indélébiles racines. Djouhri est et doit rester un maghrébin. Ce refus de ce droit à se vivre Alexandre le chasse du Ritz, pour qu’il s’en retourne à un monde qu’il n’aurait jamais dû quitter, le 9-3. Mais nul ne sait ce qui peut se passer si un jour madame Buresi entend sur PV Arnaud Montebourg ? Se verra-t-il attribuer le prénom de son grand père, Khermiche ? On l’ignorera tant que l’option de madame Buresi n’aura pas fait jurisprudence.

Cette très étrange entorse au droit est grave. Et non innocente. Puisqu’elle entre en harmonie avec la meute médiatique accrochée aux talons de Djouhri. Des « journalistes », « investigateurs » auto proclamés (en fait auxiliaires de police) dont Djouhri est le gibier favori, eux aussi, avec l’air de ne pas y toucher, se sont acharnés sur des bases doublement racistes, celles des origines maghrébines et sociales. En effet autour du PNF gravite une petite troupe d’étranges conseillers privés, de supporters qui poussent les intérêts politiques ou économiques de leurs sponsors. Ils sont en mission. Insupportable pour ce groupe, que celui qu’ils nomment « le caïd du 9-3 », puisse, par exemple, conseiller Dassault ! Leur rôle est simple, dégommer celui qu’en nom de code ils appellent « le bougnoule », à coup de fausses informations, voire de faux documents. Ainsi ils ont fait circuler un bordereau prouvant le versement, par Djouhri, de 500 000 euros à Claude Guéant. Mais le papier était un faux... Parmi cette association informelle du PNF, on trouve une publicitaire, d’extrême droite, mais à succès, un investigateur auto proclamé et publiciste, un néo nazi tendance tricolore, un roi de la franc maçonnerie et un site Internet qui entend transformer la France à son goût. Tous veulent la peau de celui qui est et doit rester « Ahmed ». Ainsi, quand les éditions Stock, salon de thé de BHL, décident de publier « L’Affairiste », un livre sur Djouhri, l’avis publicitaire qui précède la sortie du livre reprend la doxa des amis du PNF : « le prénom de Djouhri n’est pas Alexandre mais Ahmed ». C’est raffiné, élégant, nullement raciste, juste de « l’investigation ». Djouhri, lui, n’y va pas par quatre chemins et déclare « on m’a collé une étoile » .... Aujourd’hui, terriblement malade, candidat à une greffe du cœur et affublé d’un foie cirrhosé par une hépatite, le kabyle doit continuer de se battre pour obtenir le simple droit de se soigner correctement. Mais les Diafoirus du PNF disent « non ». On ignorait donc que la peine de mort (médicale) existe encore.

Contre Djouhri la détermination du PNF est hors normes. Pour tenter de le poursuivre, dans des affaires où on ne le retrouve jamais, le juge d’instruction Tournaire, celui qui a précédé Aude Buresi, a dépensé des tonnes d’euros. Par comparaison les dossiers du « sang contaminé », ou celui du « Médiator », avec leur cortège de cadavres font, en euros dépensés, figure d’obole.

« L’affaire Djouhri » est née d’un fantasme de Hollande. En 2012 le compagnon de Valérie Trierweiler rêve rester sur le trône pour un second mandat. L’affaire n’est pas gagnée si Sarkozy se présente. La priorité est donc de flinguer le mari de Carla. Ce qui ne doit pas être bien difficile. La preuve tombe sur le bureau d’Edwy Plenel, célèbre « scoop man » pour avoir, en 1985, accusé le frère de l’acteur Jacques Charrier d’avoir fait couler le bateau de Greenpeace. L’ami d’Alain Minc a entre les mains un « document » qui indique, en 2007, la volonté de Kadhafi de verser 50 millions d’aide à la campagne électorale de Sarkozy... Autour de cet élément contesté les certitudes manquent, l’unique témoin de cette supposée corruption est Ziad Takieddine, un libanais qui postule au Prix Nobel du mensonge. Par ailleurs le site « Mondafrique », informé de très bonne source, publie que le contenu du document de « Médiapart », et ces fameux 50 millions, n’a jamais eu un commencement d’exécution. Bref, la tête de Sarkozy tarde à tomber et l’Elysée s’impatiente, le dossier « financement libyen » manque d’un « héros » pour le tirer vers la lumière médiatique.
Le PNF le trouve, avec l’aide de quelques habiles scénaristes, en la personne d’Alexandre Djouhri. S’il est vrai que ce dernier a beaucoup fréquenté Sarkozy et Guéant (à mon avis beaucoup trop), il n’a rien à voir dans l’affaire libyenne. Tant pis, c’est au chausse-pied que la justice va tenter de le faire rentrer dans ce dossier d’où il est absent. Djouhri porte beau, c’est un ami de Villepin et d’une kyrielle de grands patrons. Il est chez lui au Crillon, au Ritz ou sa générosité est appréciée. Voilà la tête d’affiche manquant à la saga judiciaire. Sans dossier consistant le PNF avance sur la pointe des pieds. Heureusement tombe un livre, « la République des mallettes ». Heureusement encore, « Mediapart » trouve assez de goudron pour noircir le kabyle. Il n’en faut pas plus, en ce Nouveau monde judiciaire naissant, pour que le PNF, sur base d’article de presse, imagine son acte d’accusation contre Djouhri. Le Ahmed du 9-3 qui a versé 500 000 euros à Guéant, est aussi impliqué dans des commissions d’Airbus et a fricoté dans une vente de villa à Mougins. Rien de tout cela ne touche la campagne de Sarkozy... On fait avec ce que l’on peut. Par la vertu magique des vérités élastiques, Djouhri dans « Médiapart », « Le Monde » ou « l’Express », devient « l’Homme clé » du financement de la campagne de Sarkozy.

Alexandre Djouhri se contente de rire et renvoie ses accusateurs vers « les blouses blanches des asiles psychiatriques ». Il est perquisitionné (illégalement) dans sa maison du Léman. Puis il est convoqué par le PNF mais par SMS, ce qui n’est pas légal. Il continue de croire à une blague.

Jusqu’à ce 8 janvier 2018 où la police de Genève le prévient de ce que la France a émis un mandat d’arrêt contre lui. Mandat que les suisses se refusent à exécuter. Djouhri atterrit alors à Londres, sa destination prévue, où la musique d’accueil est peu royale. Il est durement embastillé avec le gratin des délinquants de locaux. Son cœur lâche. Pourtant c’est au bout d’une chaîne qu’il est conduit au bloc opératoire où il va rester sept heures. Pendant toute cette période, selon ses avocats britanniques et français, le prisonnier de sa Majesté subit un traitement « cruel et inhumain ». Une photo le montre en galérien, enchaîné sur son lit d’hôpital. La magistrate britannique qui gère son dossier, et aussi celui de Julien Assange, est un personnage controversé. N’a-t-elle pas rendu une décision très favorable au néo esclavagiste Uber, alors que son mari fait du lobbying pour cette boîte ? Après deux années douloureuses passées en Angleterre, Djouhri est extradé vers la France. C’est seul et en taxi qu’il se rend à l’aéroport de Londres. Et c’est à Paris que Djouhri va retrouver cette magistrate passionnée de prénoms musulmans, et qui le met en prison en dépit de son état de santé, de la présomption d’innocence et le fait qu’il soit un « délinquant primaire ».

Après un séjour à l’hôpital de Fresnes, Alexandre Djouhri étant mis en examen et assigné à résidence à Paris, ses avocats peuvent enfin lire le dossier de leur client. Et ils tombent à la renverse. Pendant des mois le PNF a conduit des investigations sur « l’Homme clé » sans la moindre assise juridique. Ainsi de multiples perquisitions ou investigations ont échappé au contrôle du parquet. Le mandat d’arrêt lancé contre Alexandre Djouhri n’était nourri que d’articles de « Médiapart », d’extrait d’un livre de Pierre Péan, d’un autre d’Anne Lauvergeon et de deux notes de la DGSE, et le kabyle, en fait n’a jamais été, selon le droit, « en fuite », rien de juridiquement tenable. Les avocats découvrent aussi les courriers expédiés à Londres par le PNF afin d’appliquer les conditions les plus dures à leur cher Ahmed. Pendant 18 jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre le prisonnier malade sera donc enchaîné. Et jusqu’au bloc opératoire où les médecins ne reçoivent pas l’autorisation que leur patient soit désentravé.

Cette lecture du dossier, des mois après une « instruction secrète » livre des informations confondantes. Sur le fond, ou supposé tel, c’est-à-dire le rôle joué par l’homme d’affaires dans le financement de la campagne de Sarkozy : rien. On ne trouve pas un chiffre, pas un mail, pas un mot, pas un virement qui le cite ou le concerne.

Reste trois points d’accroche pour le PNF. Le premier. Le prévenu aurait réalisé une transaction autour de la vente d’une villa sise à Mougins. Mais pas de preuves de tout cela dans le dossier du PNF, Alexandre Djouhri n’apparaît nulle part. Le second. L’homme est accusé d’avoir exigé d’Airbus le versement d’une commission pour son intervention dans la vente d’appareils. Pas plus de succès : ce dossier est vide comme l’air. Le troisième. Alexandre Djouhri aurait versé 500 000 euros au si avare Claude Guéant... Après une enquête conduite jusqu’en Malaysie, sur la trace d’un versement imaginé, la justice est rentrée bredouille.

Espoir pourtant pour les Elliot Ness du PNF, reprendre une nouvelle enquête qui, cette fois, viserait non plus Alexandre Djouhri, mais Ahmed.

Jacques-Marie BOURGET

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