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Irak : « The war tapes », la guerre à basse définition, par Giulia D’Agnolo Vallan.





il manifesto, New York, 10 juin 2006.


«  Mais un membre amputé par une explosion, ça ressemble plus à un hamburger ou à un rôti ? » La discussion (qui se passe entre soldats de la troisième compagnie Charlie du 172ème régiment d’infanterie Us) n’a pas de réponse immédiate. Mais tous les interlocuteurs sont d’accord sur le fait que les intestins humains font penser aux saucisses de porc : « il n’y a qu’à imaginer comme décor le comptoir d’un boucher au lieu d’une victime avec des hurlements de plus en plus faibles ».

L’observation (pas la seule avec des références alimentaires grotesques) est rapportée dans le journal du sergent Steve Pink, 24 ans, du Massachusetts, doté d’ambitions littéraires, d’un esprit nerveusement caustique et de deux yeux bleus transparents, arrivé en Irak avec un détachement de la garde nationale du New Hampshire où il s’était engagé pour pouvoir se payer l’université. Pink est un des 5 membres de la New Hampshire National Guard qui a accepté de partir sur le front irakien doté d’une télé caméra Sony minidvd, avec laquelle il va raconter « sa » guerre. L’instigatrice de cette mission cinématographique est Deborah Scranton, journaliste télé (et ancienne championne nationale de ski étasunienne) à qui on avait proposé d’être embedded avec les troupes en Irak. En réponse, Scranton a e fait demandé de pouvoir équiper quelques soldats de vidéo caméras, dirigeant ainsi depuis les Usa, via email en live, 1000 heures de tournage qui, dans les mains expertes du monteur Steve James (le réalisateur producteur de Chicago qui fut l’âme de Hoop Dreams), sont devenues un documentaire de 97 minutes : The War Tapes.

Primé le mois dernier au Tribeca Film Festival, et sorti vendredi dernier dans certaines salles étasuniennes (à New York, Washington, Chicago, San Francisco, Boston et dans le New Hampshire), The War Tapes a été accueilli par la critique de façon quasi unanimement enthousiaste (à l’exception du Village Voice, avec lequel il y a un débat) et salué comme le premier authentique document du front. En réalité, le film de Scranton est la dernière (et à coup sur la plus efficace) livraison d’une série de films sur l’Irak qui ont choisi de travailler en racontant la guerre à partir de points de vue individuels, en s’identifiant au regard d’une série de personnages, fonctionnant à niveau minimal, sur la vie quotidienne, et se proposant donc comme des tests « ouverts », qui se situent au dessous des fréquences du débat politique institutionnel sur la guerre. Tout comme le documentaire de Michael Tucker, Gunner Palace, il y a deux ans (et comme les séries télé Military Diaries et Profiles from the Front Lines, respectivement de R.J. Cutler et Jerry Brukheimer, du front afghan, sur Vh1 et Abc), The War Tapes traite le sujet du point de vue des militaires. Alors que des films récents comme My Country, My Country (diffusé par New Directors New Films) et Irak in Fragments (très primé à Sundance) (le festival de Robert Redford, ndt), parlent, au contraire, d’histoires irakiennes. Dans les deux cas, il s’agit d’objets construits dans une conception de documentaire (et de reproduction de la réalité) très basique, souvent superficiel (qui prête donc à équivoque), qui doivent fonctionner à un niveau émotif immédiat, nous donner l’impression d’être là bas, amener la guerre chez nous (comme United 95, la docu-fiction hollywoodienne, voulait le faire avec les événements du 11 septembre).

Et l’Irak est une guerre qui se vit très peu, dans les foyers des américains. Pas seulement à cause de la combinaison de la censure du gouvernement avec l’autocensure des medias dominants : pour cette guerre, on n’a demandé aucun sacrifice aux citoyens américains. Au contraire, on a même réduit leurs impôts. Le récit de l’Irak à la postérité, donc, se fera moins par les reportages télévisés que par ces lambeaux qui nous arrivent par la bande - par les journaux emails des soldats (voir le dernier New Yorker), les lettres aux familles, les horribles photos d’Abou Ghraib et les vidéos déjantées qu’on trouve sur Internet- ou, bien ou mal, par des films comme celui là .

La césure entre la politique qui se fait à Washington, ou bien les décisions prises dans la Green zone de Bagdad, et le vécu des soldats étasuniens en Irak, ne pourrait être plus évidente que ce qui est décrit dans The War Stapes. Washington et l’Amérique sont à des années lumières, leur indifférence cruelle est incarnée par les camions TIR blancs de KBR, la succursale de Halliburton qui contrôle les approvisionnements en Irak, en tirant des profits astronomiques de l’occupation, et dont la sécurité doit être garantie par les militaires. « Bien sûr que cette guerre est faite pour le fric - dit Pink, en éclatant de rire - et c’est mieux si on en fait beaucoup. Pour quoi, sinon ? On n’est quand même pas des Peace Corps ! ».

Outre le sergent Pink, les autres personnages du film sont le soldat (spécialisé) Mike Moriarty - mécanicien Harley Davidson, de trente sept ans, avec famille, qui s’est retrouvé au chômage, et, dans le groupe, le plus en syntonie avec la guerre ; mais quand sa mission à Bagdad est finie, il dit qu’il n’y retournerait pas même pour un demi million de dollars ; et le sergent Zack Bazzi, qui a fui la guerre civile libanaise avec sa mère, aujourd’hui étudiant à la fac, qui lit The Nation et est modérément critique à l’encontre de la Maison Blanche. Les noms du soldat Duncan Domey et du sergent Brandon Wilkins apparaissent dans le générique du film mais leurs histoires ne sont pas dans le narratif, même si une partie du tournage utilisé est le leur. Confusion, abattement, absence d’objectifs, peur, solitude, férocité... sont quelques unes des émotions qui s’enchevêtrent dans le film. Souvent accompagnées par une voix off allant des déclarations patriotiques belliqueuses de Moriarty aux riff (variations) plus cyniques et construites de Pink et Bazzi (qui parle bien arabe mais, à un moment, refuse de continuer à traduire aux irakiens les règlements inexplicables de son armée), les images de The War Stapes sont celles à quoi l’ubiquité des caméras digitales nous a habitués : agitées, confuses, sales. L’écho d’explosions subites, les secousses cahotantes de ceux qui sont pris dans une fusillade, des nuits noires où il est impossible de savoir qui est de son côté (« je crois que c’est la police irakienne - dit un collègue de Moriarty qui lui répond : je m’en bats les couilles de qui c’est, ils me tiraient dessus » et décharge sa mitraillette à l’aveuglette) ou d’éviter une fillette irakienne qui traversait la route. Ce qui ressemble à un tas informe de chiffons, et qui est, en fait, son corps mis en pièces par les roues des Humvees, qui continuent leur chemin, est traîné sur le bord de la route, pendant qu’un des soldats pleure. A la fin cependant, aux yeux des soldats, c’est toujours « eux contre nous ». Il n’y a pas de doutes.

L’efficience de ces images vient plus de ce qu’elles évoquent, avec les commentaires des militaires, que de ce qu’elles montrent. Et ce sont justement des images absentes, censurées, qui produisent un des moments les plus forts du film. Le bureau des relations publiques de l’armée à qui toutes les séquences ont été soumises, avait trouvé trop fortes les prises que Pink avait faites des cadavres d’un groupe d’insurgés emporté par une explosion. Du coup, on ne voit dans le film que quelques arrêts sur images. « Je crois qu’ils ont trouvé que le ton de mes séquences n’était pas adapté » dit le sergent. « Ils m’ont même engueulé parce que je n’ai pas fait déguerpir un chien qui commençait à manger un des cadavres. Moi, au contraire, j’avais aussi filmé ça. Bonne affaire pour lui, il avait trouvé à manger ! Qu’est-ce qu’ils attendent de nous ? Ils nous ont entraîné pour venir tuer, ici. Pas pour autre chose ».

Le Village Voice a accusé The War Tapes d’être trop indulgent à l’égard des soldats et de leur esprit borné, humainement et politiquement. Il est évident que rien ne peut justifier Haditah, ou My Lai. Mais, si on peut faire l’hypothèse qu’il y a des guerres justes et des guerres injustifiables, il est beaucoup moins honnête de penser que certaines guerres seraient automatiquement plus « propres » que d’autres. Et c’est ça aussi que nous rappellent Pink, Moriarty et Bazzi.

Giulia D’Agnolo Vallan

- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.



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