Il est vrai que le ministre connaît fort bien la Birmanie. Voici peu, il s’était transformé en enquêteur (rétribué) pour le groupe pétrolier Total, accusé d’accepter le « travail forcé » de prisonniers, voire d’enfants, pour la construction et le fonctionnement d’un gazoduc dont il assure l’exploitation. M. Kouchner n’a rien vu, sauf les bienfaits apportés par le pétrolier, largement détaillés dans son rapport, « Relation d’un voyage et de la découverte d’une industrie muette » (BK Conseil, 29 septembre 2003). Avec cette caution morale, Total a pu continuer ses affaires birmanes comme si de rien n’était.
Que l’on soit ému par les rares images qui nous parviennent de Birmanie, c’est normal. Comme l’a écrit ici même Mira Kamdar, la junte militaire est à la fois paranoïaque et corrompue. Les généraux au pouvoir veulent à la fois limiter les coopérations étrangères qui perturbent leurs plans et s’approprier une partie de l’aide.
Selon l’Organisation des Nations unies, le typhon a fait au moins 133 000 morts ; plus de deux millions de personnes survivent dans des conditions extrêmement difficiles, car la majorité n’a reçu aucun secours, sauf l’entraide des populations et des rares migrants qui ont pu rentrer. Certaines organisations internationales comme la Croix-Rouge, Médecins sans frontières, World Vision, et des agences l’ONU - présentes avant le désastre - ont pu commencer à travailler. Mais pour les organisations arrivées depuis, les autorisations ne sont délivrées qu’au compte-goutte, alors que la vie de millions de personnes est en jeu. Ignoble. Chacun aimerait voir cette clique militaire éjectée du pouvoir. Faut-il pour autant croire à l’efficacité d’une éventuelle intervention militaire ?
Même les éditorialistes américains les moins enclins à excuser les dirigeants birmans émettent quelques doutes, tel Robert D. Kaplan, dans l’International Herald Tribune. Sous le titre : « L’aide au bout du fusil », Kaplan salue l’initiative de M. Kouchner, et détaille les capacités de la marine américaine, justement présente près des côtes de la Thaïlande, où sont menés les exercices militaires communs dans le cadre de l’opération « Cobra d’or ». Intervenir, écrit-il, « c’est militairement possible. Mais comme on n’est jamais sûr qu’une opération se déroulera sans encombre, il est indispensable que les Etats-Unis réalisent cette mission uniquement dans le cadre d’une coalition, incluant la France, l’Australie et les autres puissances occidentales. Bien sûr, il serait mieux d’avoir l’approbation du conseil de sécurité de l’ONU, mais la Chine - la meilleure amie de la junte - mettrait probablement son veto ».
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http://blog.mondediplo.net/2008-05-18-Le-bling-bling-humanitaire-frappe-aussi-la
Pour Rony Brauman, l’urgence vitale est exagérée pour des raisons politiques
« Il faut dépasser les visions moralisatrices »
par Jean-Pierre Deroudille
« Sud Ouest ». De quelles informations disposez-vous quant à l’ampleur de la catastrophe ?
Rony Brauman. Il semble très difficile de savoir aujourd’hui ce qui se passe en Birmanie. Les différents organismes humanitaires, comme MSF ou la Croix-Rouge, disposent de gens sur place qui ont pu circuler à peu près librement autour de Rangoon. Sur l’étendue du pays, nous avons aussi des vues par satellite confirmant qu’il s’agit d’une catastrophe de grande ampleur. On voit qu’il y a déjà une forme d’auto-organisation sur place et des réserves alimentaires, parce que la région touchée est fertile. Mais, sur le bilan global, il ne sert à rien d’avancer des chiffres, parce que ça ne nous aide en rien à nous organiser.
Est-ce que ce pays, qui refuse toute intervention extérieure, dispose d’une infrastructure suffisante pour faire face à la crise ?
C’est un régime militaire et, si on y ajoute les religieux, c’est un pays qui a les moyens de répondre localement. Afin d’être utile, il faut conserver une vision rationnelle, ce qui n’est guère apprécié dans ce genre de situation, où l’émotion prend le pas sur les autres considérations.
N’y a-t-il pas urgence ?
J’ai été stupéfié de voir resurgir dans « Le Monde », sous la plume de Bernard Kouchner et de son collègue anglais David Miliband, ce vieux mythe des épidémies mortelles qui seraient causées par les inondations.
Il est pourtant médecin et bien informé sur ce genre de situation..
Ma réaction a été la stupéfaction : c’est le poncif le plus éculé. Déjà , après le tsunami, cela avait été un enjeu énorme, j’avais eu l’occasion de dire qu’il ne fallait pas envoyer d’équipes médicales ou de vaccins, mais que les gens avaient davantage besoin de moyens de transport, de déblaiement et de terrassement. L’urgence n’est pas vitale. La plupart des secours immédiats sont assurés par le voisinage. Il faut aider les gens à s’abriter temporairement, les aider à se nourrir, à avoir de l’eau potable.
L’urgence est dramatisée ?
Comme chaque fois, cela permet de répondre avec des airs de flic ou de surveillant général qui me sidèrent. On a l’impression que notre ministre des Affaires étrangères rappelle à l’ordre avec son gros bâton ceux qu’il considère comme des mauvais élèves. On veut se donner des airs de justicier sauveur dans un contexte où le gouvernement birman, par ailleurs criminel et corrompu, ne mérite aucune complaisance.
Peut-être Bernard Kouchner remet-il aussi en cause le référendum sur la Constitution birmane ?
Il serait dans son rôle, dans le registre politique. Je ne pourrais pas contester le fait que ce régime est cynique et indifférent au sort de ses populations. Mais il faut compter sur les ressources de la société birmane pour un changement éventuel.
La Chine, en s’opposant à ce que le Conseil de sécurité traite la question, ne joue-t-elle pas le rôle de protecteur de ce régime ?
Rappelons qu’en Birmanie autant qu’en Chine les incursions occidentales ont laissé des souvenirs cuisants. Notre mémoire en privilégie certains aspects. En Asie, la mémoire en privilégie d’autres. Prétendre ignorer ce passé, c’est nous condamner à une incompréhension. De plus, la Chine considère que l’Asie est un territoire où son autorité compte plus que les autres, et c’est avec cela qu’il faut compter. Il faut savoir dépasser les visions moralisatrices, dans des situations comme celles-ci, qui nous coupent de la réalité.
Rony Brauman est professeur à Sciences Po et auteur de « Penser dans l’urgence » (Le Seuil).
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