Les ravages de la LRU (40)
Objet : Qui est Jean-François Dhainault ?
Dans le combat contre les réformes imposées par le pouvoir, il est étonnant que l’on n’ait pas encore accordé toute l’attention qu’il mérite à un personnage occupant une position clé dans la nouvelle architecture de l’enseignement supérieur : le président du comité de direction de cette Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur dont tous les enseignants-chercheurs relèvent désormais, Jean-François DHAINAUT.
Dans un article du Nouvel Observateur(1) consacré à sa fille (on verra un peu plus loin pourquoi,) voici comment on présente Jean-François Dhainaut. C’est "un sexagénaire brillant. Un homme puissant, proche des pontes de l’UMP. II préside l’université René-Descartes-Paris-V. Il a dirigé le comité scientifique d’une convention sur la « société du savoir », organisée le 4 octobre 2006 par Valérie Pécresse, l’actuelle ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Laurent Wauquiez, aujourd’hui porte-parole du gouvernement. Mieux : le 11 juillet dernier, Nicolas Sarkozy l’a nommé président du conseil de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Un poste clé, dont l’objectif est de faire gagner des places à l’université française dans le fameux classement de Shanghai. M. Dhainaut fait-il bénéficier sa fille de ses relations ? Diplômée d’un DESS d’économie de la santé, Stéphanie occupe elle aussi un poste important. Elle est directrice adjointe de Paris Biotech, un prestigieux institut semi-public qui aide au lancement de start-up liées à la santé humaine, et dont les bureaux sont situésdans l’université deson père."
On a donc quelques raisons de soupçonner le président de l’agence d’évaluation de la recherche française de népotisme. Avant de devenir président de l’Université Paris 5 (fonctions qui ont pris fin en 2008,) Jean-François Dhainaut a été doyen de la Faculté Cochin - Port-Royalde 1999 à 2004. Dans le cadre de ces fonctions, il a été "initiateur", en 1999, du "Projet Cochin de Pépinières d’entreprise", et en 2000 du "Bio-incubateur Biotech Paris-5" (2). Ces deux projets sont étroitement liés , puisque Biotech se définit comme "un bio-incubateur d’entreprises innovantes sur lasanté". Pour être directeur adjoint de cette structure que les fonctionsde Jean-François Dhainaut à la tête de la Faculté Cochin, puis de Paris5,lui ont permis de créer puis de développer, personne n’a été jugé pluscompétent que ? sa propre fille. Selon quels critères les dossiers des candidats potentiels à ce poste de direction ont-ils donc été évalués et classés ? (On remarquera que, par pudeur sans doute, sur l’organigramme officiel de Biotech (3) Stéphanie Dhainaut-Lefebvre figure sous le seul nom de son mari.)
Intéressons-nous d’un peu plus près à Biotech, qui fournit un bon exemple de la conception nouvelle de la recherche que les réformes actuelles tentent d’imposer. Cette structure d’économie mixte associant Paris 5 /Cochin à l’INSERM, l’Ecole Centrale de Paris et l’ESSEC est une "pépinière d’entreprises" spécialisées dans le secteur de la santé, en particulier dans l’industrie pharmacologique et les biotechnologies. Concrètement, Biotech met à la disposition de start-ups un certain nombre d’infrastructures et de moyens logistiques, détaillés sur la page Biotech du site de l’ESSEC (4) :
Paris Biotech aujourd’hui c’est plus de 50 projets incubés dont une vingtaine de sociétés créées. L’incubateur offre une large gamme de services aux projets incubés :
– Hébergement : 500 m2 de bureaux au sein de la faculté de Médecine deParis Port Royal
– Production / ingénierie : 700 m2 de laboratoires au sein de l’Institut Cochin
– Conseil juridique : propriété industrielle, brevets...
– Management : aide au recrutement, coaching, formations en management...
– Commercial / marketing : conseil, réseau et mise en relation
– Financement : mise en relation avec des capitaux risqueurs, recherche de
Paris Biotech poursuit son évolution dans l’accompagnement des projets avec l’ouverture d’une pépinière d’entreprise.
Les travaux de la pépinière ont commencé à la fin de l’année 2004 sur le site de l’hôpital COCHIN PORT ROYAL. Ainsi 3200mC de bureaux et de laboratoires seront disponibles au printemps 2006."
Le site de Biotech, qui n’a pas été mis à jour depuis octobre 2007 (à cette date, Jean-François Dhainaut était encore président de Paris 5) précise encore que le fonctionnement est assuré avec "l’assistance de l’équipe de la Présidence de l’Université Paris 5 et des doyens des facultés de médecine et de pharmacie" (3). On voit bien de quoi il s’agit : : utiliser des infrastructures financées sur fonds publics pour développer des entreprises privées, mettre la recherche publique au service du secteur privé. Ce dont Jean-François Dhainaut a été l’ "incubateur" dans l’Université qu’il dirigeait, c’est tout simplement la privatisation de la recherche et de l’enseignement supérieur que la communauté scientifique dénonce actuellement dans les réformes en cours, la mise de l’université au service du secteur marchand. (Voir également sur ce point la création récente du statut de "jeune entreprise universitaire" (5).
L’exploration de l’organigramme de Paris Biotech réserve une autre surprise : dans le " comité d’évaluation" de cette structure figure François Sarkozy, pédiatre et président d’une société de conseil dans le domaine pharmaceutique, qui se trouve être le frère cadet du président de la République. On mesure mieux à quel point la nomination de Jean-François Dhainaut à la tête de l’AERES est une nomination politique : s’il a été mis à ce poste par Valérie Pécresse et Nicolas Sarkozy, c’est à la fois en raison de sa proximité avec des "pontes de l’UMP ", de ses liens avec Valérie Pécresse antérieurs à l’arrivée de celle-ci au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (6), mais aussi sans doute en raison d’intérêts liant le frère du Président de la République à la fille de Jean-François Dhainaut.
A la réflexion, on s’étonne d’ailleurs que la nomination du président d’une instance telle que l’AERES soit laissée à la discrètion du seul pouvoir politique (et même que, le cas échéant, ce choix puisse se porter sur une personnalité extérieure à l’Université et à la recherche publique : puisque parmi les membres de l’AERES figurent des parlementaires et des personnalités issues du secteur de la recherche privée).
Comme si tout ça ne suffisait pas, le nom de Jean-François Dhainaut a été récemment mêlé à une bien trouble affaire. C’est à cette occasion que les médias se sont intéressés aux diverses activités de sa fille, Nathalie Dhainaut-Lefebvre. Celle-ci était en effet, fin 2007, la trésorière (et dans les faits la principale gestionnaire) de l’ONG "L’Arche de Zoé", dont une équipe a été arrêtée en octobre 2007 par les forces de police du Tchad alors qu’elle s’apprêtait à embarquer illégalement dans un avion pour la France un groupe de 103 enfants présentés comme des orphelins du Darfour. "Fait troublant : dans cette affaire à rallonge, les noms de Paris Biotech et de l’Arche de Zoé se croisent à plusieurs reprises" écrit le Nouvel Observateur dans l’article déjà cité. Même si Biotech nie toute connexion avec l’Arche de Zoé, c’est sur une adresse électronique de Biotech que l’on prend contact avec la trésorière de l’association ; certaines réunions de l’Arche deZoé sont organisées dans un amphithéâtre de Cochin ; et pour ses diverses activités, tant chez Biotech que pour l’Arche de Zoé, Stéphanie Dhainaut-Lefebvre a recours à une seule et même attachée de presse, sans doute salariée par Biotech. (Celle-ci était auparavant l’attachée de presse de Bernard Kouchner, autre lien avec l’actuel pouvoir politique.)
Les zones d’ombre de cette affaire n’ont jamais été éclaircies, ni devant la justice, ni dans la presse française. Quel était le but réel de l’opération ? L’Arche de Zoé prétendait sauver des orphelins du Darfour, souffrant de la famine et malades ; les 103 enfants que l’équipe opérationnelle de l’ONG s’apprêtaient à ramener en France étaient tous originaires du Tchad, en bonne santé (mais on les avait affublés de pansements et de bandages, pour simuler une évacuation sanitaire), et la plupart avaient encore leurs parents. Comment expliquer cela ? Et comment expliquer l’imbrication curieuse de structures aussi éloignées dans leur objet même qu’une pépinière d’entreprises spécialisées dans le secteur de la santé comme Biotech et une association humanitaire comme L’Arche de Zoé ? Les enquêtes de journalistes indépendants (suisses et belges (7)) aboutissent à un terrible soupçon, qui rejoint celui exprimé par un parlementaire tchadien dans une lettre ouverte au président Sarkozy (8). Avant tout procédure d’adoption, l’opération ne visait-elle pas en réalité à ramener en France des enfants en bonne santé pour les placer d’abord quelques temps en observation à Cochin, sous la coupe de Biotech et des entreprises pharmaceutiques liées à cette structure, à des fins d’expérimentations médicales illégales ? (Le Washington Post a révélé qu’en 1996 le laboratoire Pfizer aurait ainsi procédé à des essais cliniques illégaux sur 200 enfants, dont 11 sont morts et de nombreux autres ont subi des séquelles.) Ce n’est qu’un soupçon, qui n’a jamais été établi ; mais il n’a jamais non plus été clairement dissipé, étant donné l’empressement de l’Etat français à régler directement cette affaire avec les autorités tchadiennes, afin d’éviter un véritable réglement judiciaire.
Or il se trouve que l’ONG impliquée dans cette affaire laissant peut-être soupçonner de très graves manquements à l’éthique de la recherche médicale , et qui s’est quoi qu’il en soit rendu coupable d’une grave violation du droit international, " L’Arche de Zoé ", est officiellement domicilée à l’adresse personnelle de Jean-François Dhainaut, président de l’AERES (9).
En faudra-t-il davantage pour que tous les chercheurs :
– réclament la démission de Jean-François Dhainaut,
– somment tous leurs collègues de ne plus participer aux évaluations de l’AERES, et refusent de se laisser évaluer par cette instance, au moins tant que Jean-François DHainaut en est président (10) ,
– exigent qu’une loi organise la nomination du président de l’AERES, ainsi d’ailleurs que de la majeure partie de ses membres, par un collège de personnalités scientifiques incontestables, et non plus par une décision arbitraire du pouvoir politique ?
REFERENCES
(1) Article consultable en ligne à l’adresse suivante :
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2247/articles/a361338.html
(2) Ces informations figurent sur le CV de Jean-François Dhainaut mis en ligne sur le site de l’AERES :
http://www.aeres-evaluation.fr/IMG/pdf/Dhainaut_JF_CV.pdf
(3) En ligne à l’adresse suivante : http://www.parisbiotech.org/pbs6/
(4) A l’adresse suivante : http://www.essec.fr/groupe-essec/entrepreneuriat/paris-biotech
(5) A cette adresse ; http://www.premier-ministre.gouv.fr/information/questions_reponses_484/est_une_jeune_entreprise_57086.html
(6) Ils sont évoqués dans l’ article du Nouvel Observateur cité plus haut. voir aussi cet intéressant document :
http://front-europeen-et-republicain.blogspirit.com/media/02/00/b8741d2f3630 b09ec6af683b3d1895c4.pdf
(7) Voir l’article suivant : http://www.infos-des-medias.net/arche-de-zoe-les-dessous-de-laffaire-par-une-radio-suisse.php
(8) En ligne à cette adresse : http://lijaf.wordpress.com/2008/01/01/arche-de-zoe-un-depute-tchadien-ecrit-a-sarkozy/
(9) Comparer la déclaration de l’association L’Arche de Zoé au Journal Officiel avec une capture d’écran du site des "Pages Jaunes " : http://www.journal-officiel.gouv.fr/association/index.php?ACTION=Rechercher&
(10) Une pétition en ligne va déjà dans ce sens