RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Comment raconter une révolution ? (TeleSur)

1. A 5 h.30 du matin la flaque de sang de la vache est d’un rouge phosphorescent. Illuminée par les phares du camion des communards : six d’entre eux tranchent, dépècent, ouvrent l’animal dont la peau se décolle, la tête inerte, la gueule levée vers la nuit épaisse. Une heure de lutte pour transformer 400 kilos en côtes, en steaks, en tripes. Transpiration, mains pleines de sang et de graisse, morceaux qui pendent aux crochets, lever de soleil, survol de vautours, la plaine avec ses arbres, la traite, la vie qui recommence. Nous filmons, nous photographions, nous cherchons des plans, des lumières, des voix, des phrases, des odeurs.

Cette vache morte, cette femme de la commune qui la découpe en kilos, ce ciel haut, c’est la révolution.

2. Nous faisons des reportages, des chroniques, des interviews, des analyses, des essais, nous tentons d’absorber le maximum de ce qui nous entoure. Trop de réalité et pas assez de temps. Cette fois, c’est l’état d’Apure, municipalité de Biruaca, dans les communes déjà connues de Colonias del Viento et de La Revolución en Progreso, où nous accompagne le mouvement paysan Bolívar et Zamora. Nous attend Nilson, référent communard et pasteur évangéliste. C’est une zone où abonde la présence religieuse, temples, églises, dimanche de haut-parleurs pour la parole de Dieu, et un chavisme aux reins solides. Chavisme humble, aux pieds nus, de plantations de jojoto (maïs tendre), sacs pleins de kilos sur les épaules, tables ouvertes aux hôtes de passage, terre, vent, pluie, sécheresses. Ici Chávez est vivant – et le Bon Dieu aussi, semble-t-il.

Nous allons passer ici une fin de semaine. Je me demande comment raconter de nouveau ce que j’ai déjà raconté et qu’il est indispensable de montrer une fois de plus. Posons la simple question à un passant : que savez-vous des communes ? La réponse, sauf dans des zones à forte présence communarde, sera quasi toujours un lever de sourcils et un « je ne sais pas ». La majeure partie du pays ignore la réalité du projet stratégique de la commune, proposé par Hugo Chávez. Ce devrait être un motif suffisant pour tourner massivement nos crayons, claviers et caméras dans cette direction.

Qui sont ceux qui racontent la révolution ? Que montrerons-nous à nos enfants de cette époque passionnante ?

3. Les activités sont les habituelles dans les communes rurales : semailles, productions, ventes au prix juste, assemblées, rapport, projets de semences, maux de têtes avec l’entreprise publique Agropatria – douleurs et combats -, parcelles productives, auto-construction de logements, routes, formation d’un sujet collectif qui gouverne son territoire. Tout est important : la production pour rompre le mythe du pays improductif, le marché communal pour défaire la matrice médiatique de la crise humanitaire, l’autogouvernement pour expliquer le pouvoir communal. Je pourrais ajouter les équipes de protection bolivariennes, les galettes de maïs maison, les Conseils Locaux d’Approvisionnement et de Production, etc… Toute la question est : comment le raconter ?

La majeure partie des gens lisent – quand ils le font – des textes courts, au Venezuela plus qu’en Argentine. Je ne peux pas écrire quelque chose de trop long pour les réseaux sociaux. La chronique, dit-on, traite de ce qu’ignore le pouvoir constitué – toute chronique est politique et, d’habitude, relativement longue. Entre mon désir et les lecteurs il y a une distance, toujours tendue : si le texte est trop long il y a un risque de décrochage mais je ne peux renoncer en même temps à lui donner le contenu que je crois nécessaire. Comment parvenir à ce que le lecteur – avec son quotidien accéléré, 2.0, privé de temps, arrive au bout ? C’est tout l’art en soi. C’est la même chose avec les vidéos : entre 40 secondes et 2 minutes. Plus, c’est trop. Comment intituler, ouvrir sur des images qui n’annoncent pas qu’elles vont montrer quelque chose de lent, au format documentaire ? Est-ce mieux avec des voix en off, style playground avec rien que des lettres, avec des plans fixes et des communards racontant leur réalité ? Si vous, le lecteur, êtes arrivé jusqu’ici, je tiens le bon cap. Sinon je devrais me demander à quel moment le récit s’est affaibli.

Il y a une erreur qui ne peut se produire : l’ennui – le prédictible par exemple est ennuyeux.

C’est facile à dire, dans les faits c’est très difficile.

4. Au Venezuela l’idée du journalisme telle qu’on l’enseigne dans les universités a été pulvérisée – il n‘en reste rien. Personne ne peut feindre de se situer au-dessus du partage des eaux : révolution et contre-révolution. Avec toute la palette des nuances possibles, mais sans échappatoire. Comme l’a écrit José Roberto Duque : ce qu’il y a est propagande, d’un côté comme de l’autre. Avec une machine internationale de mass media qui n’hésite pas à mentir systématiquement -mentir totalement, même pas repeindre la réalité.

En soi la propagande n’est ni bonne ni mauvaise. C’est la qualité qui importe. La nôtre, je veux dire celle que produit le gouvernement, n’est pas bonne depuis longtemps. C’est là le problème. Prédictible, répétitive, uniforme, éloignée d’une langue de la rue qui a changé.

On peut faire de la propagande sans la langue de la propagande – en cela la droite est experte. La solution se donne dans chaque texte : l’écriture à venir doit être construite dans les faits, non dans les effets d’annonce. Je crois qu’entre autres choses, elle doit réussir à traduire des idées, des concepts, des théories, des débats critiques, dans des langages attirants, qui accrochent, qui soient comme des coups à la mâchoire pour reprendre le mot de Roberto Arlt. C’est la rupture avec la reproduction qui possède une force d’entraînement : briser les langages académiques, traditionnels, de gauche, identiques à eux-mêmes.

Inventer pour convaincre.

J’ignore, par exemple, si ce texte, y parvient.

5. Citadins dans la campagne : nous apprenons comme des enfants. Comment on tue une vache, comment on sème du riz, comment on récolte des haricots, comment on trait à l’aube, comment on fait des crêpes de maïs à l’aube ou des radeaux pour traverser les fleuves. Et nous dans tout ça, qui conversons, qui dormons dans l’Entreprise de Propriété Sociale, nous qui pensons « comment raconter ce que nous voyons ? », cela est aussi la révolution.

Au bout de deux jours nous rentrons à Caracas. Les mémoires des caméras remplies, les carnets aussi. Dans la commune on nous demande un matériel à usage interne. Ce sera une vidéo de plus, indispensable. Le retour se fait de nuit, par les états d’Apure, de Guárico, d’Aragua jusqu’à la capitale, dans la solitude du ciel dégagé vers où la vache inerte dressait sa gueule, dans l’aube de la commune. Nous voyons les photos, nous conversons sur comment traiter tant d’information, l’immensité de la plaine, être avec des hommes et des femmes qui ont l’Histoire sur le bout de la langue, et la certitude de résister face à tout ce qui peut arriver. Tout.

Heure d’écrire. Comme chaque fois je devrai me mesurer avec le texte.

Et je répondrai une fois de plus à la question qui revient toujours : comment raconter une révolution ?

Marco Teruggi

Source : http://www.telesurtv.net/opinion/Como-se-cuenta-una-revolucion-2016092...

Traduction : Thierry Deronne

»» https://venezuelainfos.wordpress.com/2016/09/29/comment-raconter-une-revolution/
URL de cet article 30947
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
Chávez. L’homme qui défia l’histoire
Modesto E. Guerrero
Cette biographie complète du commandant Hugo Chávez, écrite par un intellectuel vénézuélien reconnu, révèle les traits essentiels d’un personnage qui n’appartient pas seulement à la légende mais aussi à l’histoire de son temps. Le lecteur est entraîné dans ce parcours exceptionnel, de la province de Barinas jusqu’aux plus hautes charges de la plus grande révolution d’après la guerre froide. Le portrait intime et politique rejoint ici l’épopée de la libération d’un peuple et de tout un continent. 514 pages (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"La CIA contrôle tous ceux qui ont une importance dans les principaux médias."

William Colby, ancien directeur de la CIA

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.