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Commentaires sur la campagne de réhabilitation de Louis Renault entreprise par le service public de télévision.

Commentaires sur dossier Louis Renault France 2 préparé par les journalistes du JT de France2 le 20 mars 2011

David Pujadas - Une page d’histoire maintenant, et quelle histoire ! Elle concerne le constructeur automobile Louis Renault. Pour beaucoup, il est le symbole de la collaboration pendant la seconde guerre mondiale, mais les historiens désormais se divisent et ses petits enfants se battent pour sa mémoire. Faut il réhabiliter Louis Renault, c’est le dossier de cette édition, il est signé Gérard Grizbec, Didier Dahan.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Puisque « les historiens désormais se divisent », les journalistes de France 2 ont décidé, comme ceux du Monde Magazine le 8 janvier 2010, de ne donner la parole qu’à tel historien qui n’a jamais travaillé sur la question (voir ci-dessous).

Début du document reportage

Commentaire journaliste
L’objet du scandale, le voici, cette photo prise à Berlin : Louis Renault juste à côté d’Hitler. Certes, l’image a été prise avant la guerre, au salon de l’automobile de 1938, mais tout de même, pour beaucoup, elle confirme que Renault avait de bonnes relations avec le dirigeant nazi. Cette photo était exposée au musée d’Oradour sur Glane consacré à la deuxième guerre mondiale. Oradour, le symbole de la barbarie nazie. Ici le 10 juin 1944, la division Das Reich a massacré tout le village, 642 victimes, hommes, femmes, enfants. A la demande de la famille Renault, le musée d’Oradour a dû retirer cette photo et la remplacer par ce cache noir. Car être photographié à côté d’Hitler en 1938 n’implique pas que l’on va collaborer par la suite.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Outre que la photographie date de février 1939 (date à laquelle le Reich avait déjà démembré la Tchécoslovaquie et où les milieux informés savaient parfaitement qu’il s’apprêtait à avaler le reste), la remarque serait pertinente si cette rencontre relevait du hasard (or, elle a lieu au salon de l’auto de Berlin), et surtout si Louis Renault n’avait pas noué avec l’Allemagne hitlérienne une collaboration économique et politique sans réserves, dès le début du régime et avec un éclat particulier par une rencontre de deux heures avec Hitler en février 1935). Cette volonté maintes fois affirmée de collaboration avec les gens de bonne volonté (dont Hitler faisait partie, selon Louis Renault) passa notamment par la décision de paix à tout prix, le sabotage de la production de guerre et la guerre contre la classe ouvrière en général, celle de Renault en particulier. Louis Renault a joué un rôle décisif dans ce que l’ambassadeur de France François-Poncet, émissaire du Comité des Forges à Berlin de septembre 1931 à novembre 1938, appela explicitement devant un diplomate de l’Axe Rome-Berlin, à cette dernière date « la fascisation de la démocratie » française. Ce que j’appelle « la garde rapprochée » de Louis Renault, lui-même grand bailleur de fonds du fascisme français dans l’entre-deux-guerres, le trio synarcho-cagoulard dirigeant des usines Renault (toutes catégories), François Lehideux, René de Peyrecave et Charles Petiet, joue dans le putsch ouvrant sur le régime de Vichy un rôle déterminant, consacré depuis l’été 1940 par des fonctions ministérielles ou équivalentes, au cours des quatre années d’Occupation (tel Lehideux, ministre jusqu’en avril 1942, et directeur responsable du comité d’organisation de l’automobile du 30 septembre 1940 à son arrestation, le 28 août 1944.

Commentaire journaliste
La justice en a décidé ainsi.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
La justice a étouffé de 1944-45 à 1950 la quasi-totalité des affaires de collaboration économique et politique des milieux financiers et a cautionné, Parquet en tête, un sabotage de l’« épuration » décidé d’emblée par les autorités gaullistes à la tête de l’Etat français de la Libération à janvier 1946, sabotage poursuivi et amplifié par leurs divers successeurs gouvernementaux : Papon a été sauvé en toute connaissance de cause, comme la quasi-totalité de l’appareil d’État de Vichy, les grands industriels et banquiers pareillement. Toute volonté épuratrice minimale, et conforme au programme du conseil national de la résistance, fut simultanément qualifiée de volonté communiste de « représailles » ou de vengeance : ce serait le cas pour Louis Renault, que les méchants communistes de Billancourt auraient sans répit poursuivis de leur vindicte. Cette dernière thèse retrouve grand écho ces temps-ci, alors que la grande presse, écrite et télévisée, se lance dans la campagne de réhabilitation entamée par plusieurs hagiographies accumulées depuis une dizaine d’années. La justice d’aujourd’hui se retranche désormais derrière les décisions politiques de l’après-guerre pour décréter que la question de la collaboration de Renault ne se pose plus et pour interdire à ceux qui en parlent, sur la base des sources, de faire connaître leurs analyses et conclusions. Les décisions du Parquet ont bafoué la réalité de l’instruction de tous les dossiers, qu’on peut consulter aujourd’hui dans nombre de fonds d’archives, notamment la série 3 W des Archives nationales, celle de la Haute Cour de Justice (vouée au jugement des ministres et secrétaires généraux de Vichy, dont François Lehideux). Ces décisions strictement politiques, au fondement démenti par les sources originales, ne sauraient être opposées au travail historique qui, lui, s’appuie ou est supposé s’appuyer sur le dépouillement de dossiers de 1940-1944. Mais désormaisles iniquités de l’après-guerre sont depuis juillet 2010 renouvelées par la décision de la Cour d’Appel de Limoges, interdisant de fait aux historiens de faire leur travail et à ceux qui souhaitent le diffuser, associations et musées de la résistance, l’exercice de leur mission pédagogique. C’est cette décision, absolument antagonique avec les faits établis par les archives publiques, qui est depuis janvier 2011 promue par Le Monde puis par le service public de télévision et érigée en critère non discutable de la réhabilitation de Louis Renault.

Commentaire journaliste
Aujourd’hui, les petits enfants veulent savoir qui était vraiment Louis Renault. Louis Renault, petit fils de Louis Renault : - Notre père ne nous a jamais parlé de…de son père. Par pudeur, par euh…par tristesse, par euh…On aurait préféré en savoir plus, avoir ses…sa vision à lui, ses explications, ce qui aurait donné un côté charnel à notre grand père que nous ne connaissons malheureusement pas.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Il n’est pas interdit aux petits-enfants de Louis Renault de pratiquer le culte familial et de chercher trace de leur grand-père dans les albums de photos ou les films de famille, mais ces dispositions présumées purement sentimentales sont dépourvues de tout rapport avec la vérité historique sur l’industriel Louis Renault, laquelle relève de la consultation des sources historiques, en l’occurrence échelonnées entre le début des années 1930 et la Libération. C’est à ces sources écrites, non destinées à la publication, à l’origine, et à elles seules, que les historiens sont censés consacrer leurs activités de recherche.

Commentaire journaliste
Le musée Renault à Boulogne Billancourt retrace la vie de cet homme. Une épopée qui finit en tragédie. Louis Renault, passionné de mécanique, qui est dès les années vingt un des plus grands patrons de France jusqu’à devenir le premier constructeur automobile français. C’est le temps du travail à la chaîne, dans l’immense usine de Renault Billancourt, qui est au moment du Front Populaire un bastion communiste.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Quel stupéfiant raccourci sur le fonctionnement des usines du « saigneur de Billancourt » ainsi surnommé par ses ouvriers, qui mena contre ceux-ci une guerre impitoyable par un système de flicage permanent et de répression, en usant de tous les moyens intérieurs à ses usines et en recourant systématiquement à l’appui offert par l’appareil d’État, lequel mit sa police au service de Louis Renault comme de l’ensemble des industriels. C’est parce que les ouvriers de la métallurgie parisienne se créèrent des organisations de résistance - parti communiste et Confédération générale du Travail unitaire, particulièrement combative - que Billancourt devint au milieu des années 1930 « un bastion communiste ». Certes, Louis Renault n’eut pas l’exclusivité de cette guerre de classe, mais il la pratiqua et la fit pratiquer par ses auxiliaires, du haut encadrement à la maîtrise, sans oublier les ouvriers disposés à la délation de leurs camarades, avec un talent et une efficacité consommés. C’est la répression militaire, menée dans la nuit du 25 au 26 novembre 1938, par Lehideux et par le préfet de police Roger Langeron qui illustre le mieux la guerre conduite par les classes dirigeantes françaises contre la classe ouvrière à l’ère du « Munich intérieur » (dont j’ai traité dans mon ouvrage De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2008) : Lehideux et Langeron vinrent en personne diriger les « opérations » contre les ouvriers de Billancourt, qualifiés de « rebelles », traités à la lance à incendie, bastonnés, injuriés par des policiers ouvertement prohitlériens, arrêtés, puis licenciés (au terme d’un lock-out général). Les journalistes de France 2 eussent mieux fait de préciser aux téléspectateurs qui finance et contrôle « le musée Renault à Boulogne Billancourt », qui ne risque sans doute pas de lourde peine correctionnelle pour publication de photos des entretiens entre Louis Renault et Hitler.

Commentaire journaliste
Mais dans l’intimité, Louis Renault est plutôt réservé, voire timide, peu d’images de lui. Ce film a été récupéré par la famille, il montre des vacances en Egypte, aucun son de sa voix n’a été conservé.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Notre dossier ne concerne pas l’éventuel délicieux homme privé, mais seulement la contribution personnelle aux événements, intérieurs et extérieurs, survenus entre la crise et la Libération, de l’industriel partisan déclaré de la paix à tout prix avec le Reich hitlérien et de la trique contre l’ennemi intérieur ouvrier, avant l’Occupation et pendant. Cette méthode journalistique se confond avec la propagande pure et simple : elle vise à émouvoir le spectateur sur les qualités domestiques de Louis Renault, et ressemble aux multiples reportages montrant Hitler, Eva Braun et tous les proches du « Führer », en compagnie de gros chiens, tapotant la joue des petits enfants que, naturellement, ils adoraient. Tous les dirigeants nazis ont usé et abusé, pour « dindonner » la population allemande, de l’étalage de leurs vertus familiales, le « bon catholique » Göbbels en tête avec ses quatre enfants, photographiés en toute occasion - tableau plus avantageux que celui de ses frasques notoires qui réussirent à percer le mur de la censure nazie. Je m’étonne que les petits-enfants de Louis Renault aient pris la responsabilité de confier à une chaîne de télévision publique des images d’une famille supposée fort harmonieuse. Elle ne l’était pas, mais la question est sans rapport aucun avec ce qui nous occupe.

Commentaire journaliste
En 1940, la France est occupée. L’usine Renault passe aussitôt sous contrôle allemand.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Cette pure légende n’a servi que de couverture a posteriori à tous les industriels et banquiers français qui avaient pratiqué la collaboration tous azimuts : outre que l’Allemagne ne disposait pas en France des forces militaires susceptibles de prendre en charge l’économie, elle n’eut jamais besoin de le tenter ou de menacer de le faire, tant elle rencontra des chefs d’entreprise « arbeitwillig », tout prêts à travailler pour elle. Pour ne parler que des « commandes allemandes » (et la collaboration avec le Reich alla bien au-delà  : cartels, associations de capitaux, aryanisation franco-allemande, etc.), tous les contrats relevèrent du droit privé, entre industriels français et industriels allemands. Je renvoie le lecteur à mes travaux sur la collaboration économique, notamment Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, 1999. Julian Jackson, Université de Londres, historien - Comme tout industriel, il a pensé au profit, à son usine, à ses usines, en fait, à vendre, à survivre. Mais je crois qu’il a fait ça plus par, par justement, euh…par la situation économique où il se trouvait, que par choix idéologique.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
L’historien Julian Jackson a borné ses travaux sur la France occupée (La France sous l’Occupation, 1940- 1944, Paris, Flammarion, 2004) à une pure synthèse d’ouvrages, et n’a jamais consulté une archive sur Renault (ou en tout cas n’en a pas fait état) : sa contribution au dossier se borne à deux demi-lignes sur un travail de 500 pages. La première demi-ligne contredit son intervention télévisée, puisqu’il classe Louis Renault parmi les deux ( !) industriels de l’aviation (il n’évoque même pas l’automobile) qui, avec Félix Amiot, « se firent un plaisir de fournir tout ce que les Allemands désiraient » (la seconde demi-ligne déclare Louis Renault quasi gâteux sous l’Occupation). France 2 se moque des téléspectateurs en faisant passer cet historien britannique pour un spécialiste de la question, et je laisse à l’intéressé la responsabilité de son propos hors du sujet : on ne discute ici ni de psychologie ni d’idéologie mais de pratiques patronales, établies par les sources.

Commentaire journaliste
Le 3 mars 1942, l’usine est bombardée par les alliés. Il y a 463 morts et des centaines de blessés. De nouveaux raids aériens ont lieu en 1943. En réalité, Louis Renault cherche à freiner l’appétit allemand. Pendant la guerre, il ne vend pas plus de véhicules que Citroën ou Peugeot, Renault n’a jamais fabriqué de chars pour l’occupant. Il s’agit donc d’une collaboration passive qui n’a rien à voir avec L’Oréal ou Air Liquide.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Il n’y a aucun rapport logique entre les trois premières phrases sur les bombardements et la quatrième, entamée par la locution « En réalité ». Certes, les autres constructeurs, dont Citroën (détenu par Michelin) et Peugeot, ont participé autant que Renault à la fête des « commandes allemandes », et les dirigeants concernés comme la quasi-totalité des industriels et banquiers, été soustraits à l’épuration, question qui pose celle du sabotage général de l’épuration, déjà mentionné. Mais tous les types de sources de 1940-1944 établissent formellement que « Renault […a] fabriqué de[s] chars pour l’occupant », en masse, et ce dès avant le 22 juin 1941 puisque les usines Renault (comme d’autres, assurément) se sont mobilisées pour une production maximale « au 15 juin 1941 », c’est à dire en vue de l’assaut contre l’URSS. Cette intense mobilisation s’est poursuivie jusqu’à la Libération. Au contraire de ce que prétend la Cour d’Appel de Limoges, selon laquelle je n’aurais trouvé qu’un malheureux document « non identifié » à l’appui de la thèse de la fabrication des chars, mon ouvrage Industriels et banquiers français sous l’Occupation en présente assez pour que j’aie pu faire de Renault le symbole même de la collaboration industrielle et consacrer un long paragraphe au thème « Guerre en Russie et essor automobile : l’exemple de Renault » (op. cit., p. 143-146). On mesurera l’ampleur de l’escroquerie commise en lisant cet ouvrage et, plus spécifiquement sur la réparation et la fabrication des chars Renault pour l’Allemagne, mon article « Louis Renault et "la fabrication de chars pour la Wehrmacht" », http://www.historiographie.info/renaultchars.pdf. « Collaboration passive », assurément non. Louis Renault « cherche [tellement] à freiner l’appétit allemand » que la reconstruction de l’usine bombardée, fortement atteinte le 3 mars 1942, se fait en quelques semaines, avec une véritable frénésie, et que Renault est en juillet 1944 (je dis bien juillet 1944) à la pointe de « la construction des usines souterraines » qui, en région parisienne, sont supposées permettre d’honorer les « commandes allemandes » malgré la multiplication des bombardements alliés. Il faudrait nous expliquer que ceux-ci se sont limités à des crimes de guerre contre des établissements qui travaillaient pour les besoins civils de la France. Pourquoi les alliés ont-ils bombardé les usines Renault : seulement pour affaiblir la concurrence française d’après-guerre ? et pour tuer un maximum d’ouvriers sympathisants du communisme ? Les deux questions se posent légitimement, certes, mais il n’empêche que, sous l’Occupation, nul ne douta jamais que les bombardements d’usines eussent frappé (peu et rarement, certes) des établissements qui produisaient exclusivement pour l’économie de guerre du Reich. Les archives balaient toute équivoque, à commencer par le procès-verbal de la réunion franco-allemande du 4 août 1940 à laquelle participe Lehideux reproduit presque in extenso dans le texte « Louis Renault et "la fabrication de chars pour la Wehrmacht" ».

Commentaire journaliste
Mais l’homme aurait il pu s’engager vraiment dans la Résistance ? Hélène Dingli, petite fille de Louis Renault - Il est au moment de la guerre dépassé, je crois qu’on peut dire qu’il est dépassé. Alors on lui propose, on lui dit, « Si vous ne rentrez pas dans la résistance, au moins, au moins faites que votre fils entre dans la résistance. Louis Renault a un fils unique, il l’adore, il ne veut pas, il ne veut pas, il veut, il veut garder son fils, peut être, peut être si on peut lui reprocher quelque chose, - moi j’aurais fait la même chose personnellement- mais si on peut lui reprocher quelque chose, c’est peut être ça.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Une telle question qualifie les compétences historiques du journaliste qui la pose. Quant au contenu de la réponse de Mme Renault, il n’a rien à voir avec les faits. Louis Renault n’est pas « dépassé » en 1940, il voit triompher la solution qu’il a longuement préparée, à la tête de ses auxiliaires de haut rang et en compagnie de ses pairs. Ce qu’il décide dans les négociations de juillet-août 1940 avec les Allemands, en matière de réparation immédiate de chars, atteste sa parfaite adaptation à des événements qui n’ont pu le surprendre (je renvoie à cet égard à mes ouvrages Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2e édition, 2010, et De Munich à Vichy, déjà cité). « On lui propose, on lui dit » : qui ? quand : le 6 juillet 1944, quand un informateur annonce au BCRA que « « Dans cette question d’usine souterraine, Renault semble vouloir marcher seule et est actuellement plus avancée que les autres constructeurs » (information de Perony, 6 juillet 1944, F1 a, 3973, Archives nationales) ? Renault « résistant », lui qui fit traquer par la police intérieure de l’entreprise, en collaboration avec la police d’Etat, le moindre ouvrier résistant saboteur de la production ? Cette question n’a aucun sens ni pour Renault ni pour la quasi-totalité de ses pairs : la « résistance des patrons » n’a existé que dans les « mémoires de défense » de ces derniers, c’est à dire après la Libération, et on prétend aujourd’hui faire imposer, y compris par voie de justice, cette thèse rigoureusement mensongère. Et les résistants, les vrais, se sont donc confondus avec les hommes qui avaient de mauvais pères ou des pères de famille nombreuse, disposés, en conséquence, à perdre un ou quelques fils. En fait d’émotion familiale, exprimée par l’héritière d’un collaborationniste de premier plan qui a mobilisé la justice pour obtenir une frappe exemplaire contre le centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, lieu symbole du martyre de l’Occupation pour l’ensemble du pays, l’interview verse dans l’indécence, du côté de ses deux protagonistes. Nous atteignons ici un degré de « dindonnage » de la population française qui nous ramène à la sinistre période précédant la Deuxième Guerre mondiale et à ses suites d’Occupation.

Commentaire journaliste
Louis Renault est arrêté à la libération mais il n’y aura pas de procès. Il meurt en prison en octobre 1944. L’année suivante, un décret signé Charles de Gaulle décide de la nationalisation, car les usines Renault ont constitué un instrument entre les mains de l’ennemi. C’est la naissance de la régie que l’on connaît encore aujourd’hui. Mais Louis Renault, lui, n’a jamais été jugé, au regard de l’histoire.

Commentaire Annie Lacroix-Riz
Louis Renault peut être « au regard de l’histoire [,…] jugé » sur pièces, celles qu’on trouve dans les archives originales, françaises et allemandes, qui ont échappé à la tentative systématique des dirigeants de la SAUR (société anonyme des usines Renault) de liquider toutes les traces écrites de leur participation enthousiaste, de l’été 1940 à l’été 1944 (inclus) à l’économie de guerre allemande. Encore faut-il que la justice française n’empêche pas, avec l’entière complicité de la grande presse, la population d’accéder à ces sources, directement ou par l’intermédiaire des historiens qui font leur travail et des associations de résistance qui en diffusent le contenu. Et ne prenne pas la responsabilité politique de dissimuler les vraies pièces du dossier tout en écrivant, dans l’arrêté de juillet 2010, « que la liberté d’expression de l’historien n’est pas absolue et peut dégénérer en source de responsabilité civile, en présence d’une dénaturation ou falsification des faits voire d’une négligence dans la vérification des informations. » C’est une rigoureuse « vérification des informations » qui autorise à affirmer que Renault a pratiqué la collaboration avant et sous l’Occupation,

Comme l’exposition permanente d’Oradour le précisait la légende d’une photo désormais interdite d’affichage. »

Annie Lacroix-Riz

Claudine Girod, correspondante indignée par la campagne de réhabilitation de Louis Renault entreprise par le service public de télévision, a eu la gentillesse de transcrire le « dossier » préparé par les journalistes du JT de France 2 du 2 mars en me demandant de le commenter, en vue de diffusion plus large, notamment aux organes de presse et au site de critique des media Acrimed.

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