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Constitution : La souveraineté populaire pas la démocratie virtuelle, par Eric Coquerel


La question démocratique est le vecteur critique essentiel de l’actuelle construction européenne. La montée du non, sa possible victoire, s’explique certes pas les dégâts sociaux, l’attaque des services publics, les délocalisations, toutes choses dont l’Europe n’est pas la seule responsable mais dont elle est, en véritable cheval de Troie de la mondialisation libérale, le bras armé.

Pourtant la raison décisive est autre : non seulement les français subissent cette politique mais jamais, ni de près ni de loin, ils ne l’ont jamais choisi démocratiquement.

Et si ce déni démocratique vaut une opposition en France à priori sans égale en Europe, c’est qu’il s’agit ici, plus qu’ailleurs, d’un désastreux et historique retour en arrière à la hauteur de l’événement « révolutionnaire » - nous parlons bien sûr ici de 1789 -, qui a marqué l’arrivée du peuple en politique. En devenant citoyen, le sujet de l’ancien régime a compris et accepté qu’en exerçant son pouvoir individuel à travers un cadre politique commun, la nation fondée du coup sur une citoyenneté politique et non ethnique, il était plus apte à s’opposer aux privilèges de quelques uns. La souveraineté populaire a pris un élan qui en a fait, 200 ans durant, l’un des éléments moteurs et littéralement constitutif de notre pays. Cette évolution n’a été ni linéaire ni « naturelle » : il fallut à plusieurs reprises des piqûres de rappel « populaires » pour redynamiser les fondements égalitaires et solidaires de notre République imposant même à la Libération aux classes dirigeantes un pacte social basé très largement sur l’affirmation de la prédominance du bien public sur les intérêts particuliers fussent-ils, dans un système pourtant capitaliste, ceux des détenteurs des capitaux. Au fil des différentes républiques s’est ainsi dessiné un progrès à la fois démocratique et social même si largement insuffisant, notamment sur la question de la justice sociale et de l’intégration des populations d’origine étrangère.

C’est dire le recul que constitue la période récente qui a vu à la fois l’ascenseur social tomber en panne et celui de la démocratie freiner brutalement.

Doit-on rappeler que jamais, depuis 20 ans, n’a été élue une majorité annonçant clairement dans son programme, par exemple, la mise en concurrence et la libéralisation des services publics et leur privatisation progressive ? Faut-il évoquer l’audience marginale d’un Madelin, qui ne cache pas son ultralibéralisme, et rappeler que la dernière élection « normale » de Jacques Chirac s’est faite, pour partie, sur le refus de la fracture « sociale » ? Et pourtant, même fortement ralentie, voir stoppée momentanément, par des mouvements sociaux d’ampleur historiques, c’est bien cette politique qui, au nom de la construction européenne, se met en place. Pire même, face à cette situation, le peuple ne voit plus d’appui dans ceux de ses représentants dont il attend qu’ils défendent ses intérêts. L’exemple du gouvernement de Lionel Jospin en a été la malheureuse démonstration. Voilà une majorité élue sur le retour de la prééminence du politique sur l’économie, dont le chef annonce, trois ans après, au moment de l’affaire Michelin, que l’état n’a pas pour rôle d’agir sur l’économie ! Et qui, quelques jours avant le premier tour des Présidentielles, dénonce sur une chaîne de télévision la démagogie de Chirac accusé de lancer des promesses contradictoires avec le Traité de Lisbonne que tous deux viennent alors de signer et qui contient, rien de moins que la prolongation du pacte de stabilité et la poursuite de la libéralisation des services publics. Soit des corsets libéraux qui n’ont nulle part été soumis au débat en cours mais qui, par contre, circonscrivent drastiquement, de fait, les choix politiques à venir et du coup l’intérêt de cette élection. On connaît la suite et la désaffection des citoyens français dont un nombre inédit ne s’est pas déplacé et, pour une autre part, n’a pas cru fondamental d’assurer la présence de Lionel Jospin au 2ème tour. A ceux des tenants du oui qui s’en servent aujourd’hui comme épouvantail pour le 29 mai, il parait malheureusement nécessaire de rappeler que si l’abstention et la division à gauche ont certes permis à Le Pen d’arriver au 2ème tour, ils ne sont que les conséquences du 21 avril et en aucun cas la cause...

Il faut le dire et le répéter à ceux qui de gauche pensent hésitent : combien de 21 avril en France, combien de défaites comme celle de Schroeder en Allemagne, faudra-t-il pour comprendre que l’on ne fait pas une politique de gauche dans un carcan libéral ? Qu’on ne peut dire d’un texte constitutionnel concocté par une convention présidée par Giscard, défendu par Sarkosy et Seillières plus les 100 plus grands patrons français et dont Chirac est le porte-parole N°1 qu’il est ni de gauche, ni de droite !

Autre conséquence de ce processus : jamais rupture n’a été aussi forte entre le peuple et des élites autoproclamées ou pas. Là encore la fracture sociale est en passe de se doubler d’une fracture démocratique sans précédent. Parce qu’ils maîtrisent tout ou partie des moyens de communication de la mondialisation - le Net, la pratique de l’anglais, la possibilité de fréquents déplacements aériens - une bonne part de nos élites a l’illusion d’une prise citoyenne sur les instruments de domination du modèle libéral. Cette double fracture provoque une incompréhension grandissante avec une écrasante majorité de leurs concitoyens. Il ne faut pas chercher ailleurs leur réelle incapacité à saisir les vecteurs du non à qui ils attribuent toutes les raisons- y compris les plus méprisantes - alors qu’il suffit de se pencher sur les vingt dernières années pour comprendre que lorsqu’on leur demande leur avis, les français ne s’avèrent pas suffisamment masochiste ou suffisamment résignés pour constitutionnaliser sans hésitation des reculs de cette ampleur.

Cette situation, la Constitution l’aggrave. L’architecture générale de ce texte définit une constitution qui rompt frontalement avec toute la tradition démocratique de la vieille Europe. Une constitution d’un nouveau genre adaptée à la mondialisation libérale qui détruit toute souveraineté populaire pour imposer une démocratie virtuelle.

Première rupture : de façon aujourd’hui unique dans le monde, ce texte fixe à l’avance le cadre politique - le libéralisme - les institutions mais aussi, en détail, des règles d’application qui, dans n’importe quelle démocratie, sont du ressort de la loi. Quand aux grands principes, qu’une constitution met normalement en son coeur, ils sont rappelés en vrac dans la charte des droits fondamentaux mais sans caractère obligatoire et souvent affadies (l’exemple du « doit de travailler » qui remplace le « droit au travail » est désormais bien connu).

Deuxième rupture : elle organise une concentration et une confusion unique au monde des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaire. Ce que les Etats perdent en terme de prééminence renforce bien plus le pouvoir sans contrôle de la commission - qui a ainsi l’initiative des lois - que celui du parlement. Seule la Cour de Justice, véritable conseil constitutionnel qui ne sit pas son nom, et la B.C.E, l’autre pilier de cette Europe libérale, les surpassent dans cette indépendance vis-à -vis du politique.
Enfin, contrairement à l’un des derniers arguments des tenants du oui à gauche apparemment incapables désormais d’une explication de texte positive, il ne s’agit pas d’un traité de plus et donc modifiable quand les rapports de force politiques changeront en Europe : le principe de la double unanimité nécessaire pour le réviser (le vote des 25 représentants des gouvernements plus l’accord de leurs peuples par référendum ou vote du parlement) l’impose pour des décennies au moins. Giscard n’avait pas menti en disant 50 ans !

On le voit, le contenant, que les responsables de gauche favorables au oui disent si nécessaire de construire pour des raisons que nous pouvons partager en partie, ne vaut décidément pas mieux que le contenu. L’une des leçons laissée par le XXème siècle à ceux qui veulent transformer le monde devrait pourtant les alerter : la fin dépend étroitement des moyens pour l’atteindre ! A s’affranchir de cette règle vérifiée parfois dramatiquement, on risque finalement d’apporter sa pierre à un avenir à ne pas souhaiter à notre descendance. A force de lier désagrégation sociale et une démocratie virtuelle à l’échelle européenne ce sont les bases mêmes de la démocratie que ces apprentis sorciers sapent. Car que l’on ne s’y trompe pas : on ne peut dissoudre les peuples. Et si ceux qui doivent exprimer au mieux leur espoir d’égalité et de justice sociale paraissent leur tourner le dos, leur frustration et leur désespoir se tourneront alors, à terme, vers ceux qui dévieront leur légitime besoin de se faire entendre : populistes xénophobes, nationalistes voir fondamentalistes religieux. Exagération ? Faut-il justement rappeler l’embryon de ce scénario que fut le 21 avril. C’est dire l’importance que le non progresse parce que devenu majoritaire à gauche et donc porté par les valeurs humanistes de progrès et de fraternité internationale de celle-ci. Pour ceux qui partagent cette aspiration et qui défendent le oui il n’est pas trop tard pour faire preuve de lucidité et oeuvrer à ce qui serait la victoire de tous le 29 mai. Celle qui, parce qu’antilibérale, mais surtout d’essence démocratique, et donc porteuse d’avenir, effacera pour de bon le 21 avril 2002. Car elle signifiera le retour du peuple en politique.

ERIC COQUEREL est Président du MARS (Mouvement pour une Alternative Républicaine et Sociale) et signataire de « l’appel des 200 pour un non de gauche »


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