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Constitution : Délocalisation, des rapports explosifs, par Yves Housson.


Un rapport de l’IGAS remis au ministre du travail, non publié, révèle la face méconnue du phénomène des délocalisations : l’importation par des groupes français de main-d’oeuvre étrangère payée au tarif des pays d’origine.


3 avril 2005


Cachez ces rapports que les citoyens électeurs ne sauraient voir ! Du moins, pas avant le 29 mai, date du référendum sur l’Europe... On savait - notamment depuis le talk-show du chef de l’État avec des jeunes, préféré à une véritable confrontation avec des journalistes ou des partisans du « non » , et l’envoi aux électeurs d’un matériel électoral à sens unique - que nos gouvernants sont prêts à beaucoup de petits arrangements avec les règles élémentaires de la démocratie. Les voici pris de nouveau en flagrant délit. Depuis quelques mois, les ministres de la - Cohésion sociale et du Travail, Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher, sont en possession de trois rapports alarmants sur les délocalisations. Des documents très révélateurs, aussi, des dangers d’un certain type de construction - européenne, fondé sur le désormais fameux principe de la « concurrence libre et non faussée » qui sert de fil rouge au traité soumis aux suffrages des Français le mois prochain.


202 000 postes en danger

Le premier de ces textes émane du cabinet de conseil Altedia. A la demande de Jean-Louis Borloo, il a enquêté auprès de chefs d’entreprise ayant délocalisé tout ou partie de leurs activités. Remise au ministre, cette étude n’a pas été publiée. Selon le journal le Monde, qui a eu accès à une synthèse, MM. Borloo et Larcher ont « préféré différer la publication de ce rapport, qu’ils ont depuis le début de l’année, après le référendum ». Piqué au vif, le ministre de la Cohésion sociale, dans un communiqué pète-sec, s’est « inscrit bien évidemment en faux sur l’hypothèse selon laquelle le gouvernement chercherait à cacher quoi que ce soit ». Reste que l’étude en question n’a toujours pas été publiée... Que dit-elle ? Elle « souligne le caractère massif des transferts d’activité en Europe de l’Est et dans les pays émergents », indique le Monde. « Les délocalisations sont aujourd’hui le fait d’entreprises de toutes tailles dans la quasi-totalité des secteurs économiques », a constaté le cabinet Altedia. La recherche d’un plus bas coût du travail constitue l’une des toutes premières motivations des employeurs. « Le différentiel de coût de main-d’oeuvre/compétence entre la France et des pays comme l’Espagne, le Portugal et l’Irlande a joué fortement dans certains secteurs d’activité en faveur des transferts », observe Altedia.

Une autre étude, commandée par la commission des Finances du Sénat, confirme, chiffres à l’appui, la gravité de la menace. Réalisée par le cabinet Katalyse, elle prévoit, dans les cinq prochaines années (2006-2010), « la délocalisation de 202 000 emplois de services, soit 22 % de la création net d’emplois salariés au cours des cinq dernières années ». Un mouvement qui, détaille le cabinet, se déroule généralement en deux temps : un grand nombre d’entreprises externalisent d’abord leurs activités de services (autrement dit, elles les cèdent, souvent avec leur personnel affecté à cette production, à des prestataires externes), « avant de pousser, par une pression accrue sur les prix, leurs sous-traitants à délocaliser ». Sur les 202 000 postes en danger, 90 000 relèvent des services aux entreprises, et 20 000 de la recherche et du développement. Dans le débat qui a suivi la présentation de cette étude au Sénat, Jean Arthuis a pu relever « que l’on assistait, dans certains territoires, à des stratégies de disparition des entreprises et des emplois, via la filialisation et l’externalisation ». Et la sénatrice Nicole Bricq a noté que « la véritable concurrence ne se jouait pas véritablement avec les pays émergents (Chine, Inde - NDLR), mais plutôt avec les autres pays industrialisés ». En clair, c’est surtout au sein de l’Europe que se déroule ce jeu de massacre. Une Europe qui, loin de s’y opposer, tend au contraire à le favoriser.

Un rapport (1) réalisé, à la demande du ministre du Travail, par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), est à cet égard édifiant. Remis à Gérard Larcher en décembre dernier, il n’a, lui non plus, toujours pas été rendu public. Ce document, auquel l’Humanité a eu accès, relate par le menu la manière dont les grandes entreprises françaises parviennent, en s’appuyant sur les règlements de l’UE, à se livrer à leur exercice favori : le dumping social, la mise en concurrence des salariés en profitant des forts - différentiels économiques séparant l’Hexagone d’autres pays. L’auteur, l’inspecteur Élisabeth Dufourcq, décrit ainsi la méthode du « top-sourcing », « une pratique qui se faufile dans les interstices du droit et présente des risques pour le tissu industriel français », en particulier les sous-traitants. Elle consiste « à passer des accords de recrutement de main-d’oeuvre avec des entreprises implantées en France et filiales souvent très fragiles, sinon - fictives, de firmes étrangères ». Le rapport évoque ici le phénomène de la « délocalisation inverse », ou « délocalisation sur place » : plutôt que de transférer une activité à l’étranger, l’employeur fait venir en France des travailleurs d’un pays à différentiel économique pour remplacer une main-d’oeuvre existante.


Imbroglio juridique

«  Ces pratiques déjà mises en oeuvre, aux extrêmes limites et même hors des cadres du droit du travail, par de très grandes entreprises soumises à l’impératif de redressements spectaculaires, sont rendues possibles par le véritable imbroglio juridique créé par la pratique des détachements étrangers en France et de leurs innombrables dérogations », explique Élisabeth Dufourcq. En principe, le droit européen, si l’on se - réfère à l’article 13 du règlement CE/1408/71, stipule que le travailleur étranger ainsi employé est soumis au droit du travail et au régime de Sécurité sociale du pays d’accueil. Mais l’article 14 prévoit un ensemble de dérogations, au motif - comme c’est gentil ! - « d’éviter les complications administratives qui résulteraient de la règle générale ». Dérogations qui rendent cette règle pratiquement inopérante. Au demeurant, indique le rapport, « le Centre de liaisons européennes et internationales de Sécurité sociale (CLEISS) a produit, sur ce sujet du détachement des salariés étrangers, une étude précieuse qui explique indirectement les failles par lesquelles risque de se développer le recours aux délocalisations sur place, aux fausses sous-traitances et au travail illégal ». Risque déjà avéré puisque l’IGAS fait état d’une montée en puissance du « travail illégal dans les secteurs en difficulté d’embauche et souvent sous-traités », à commencer par le bâtiment et les travaux publics, enregistrée par les services - officiels.

«  Au total », nous sommes « face à un cocktail juridique favorisant les « délocalisations sur place », constate l’auteur, avant d’épingler, comme un cas d’école, une « grande entreprise de télécommunications » (allusion transparente à France Télécom ) qui, « profitant, en quelque sorte, de licenciements provoqués chez ses sous-traitants français, par la baisse de ses propres commandes, envisage "une délocalisation inverse" de main-d’oeuvre portugaise en France ». Main-d’oeuvre « employée sur contrats en principe temporaires de deux ans à salaires et charges sociales portugaises, par le biais de la procédure de détachement ». Et l’inspecteur de l’IGAS d’ajouter : « En réalité, le système étant prévu comme pérenne et pouvant être largement calqué dans d’autres secteurs, les pouvoirs publics peuvent-ils le tolérer comme un fait admis et acquis ? »


Travail illégal

Enfin, le rapport évoque la perspective ouverte par la proposition de directive Bolkestein sur les services, qualifiée « d’étape irréversible ». Avec ce projet, mis entre parenthèses, on le sait, le temps du référendum français, « il s’agit de mettre en pratique deux libertés fondamentales, reconnues par le traité de l’Union européenne : la libre prestation de services ; la liberté d’établissement en - Europe. En principe général, les travailleurs détachés à l’étranger continueront de bénéficier des conditions d’emploi du pays d’accueil : période maximale de travail, salaire minimal, congés, règles d’hygiène et de sécurité au travail, conditions de mise à disposition des intérimaires, égalité de traitement, notamment conformément à la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996, mais les dérogations (exposées plus haut) demeureront de plein droit ». En conséquence, « la question fondamentale restera donc celle de l’effectivité du contrôle et des risques élevés de travail illégal, de dumping social et fiscal, de distorsion de la concurrence », conclut, visiblement peu optimiste, l’auteur d’un document qui mériterait assurément la diffusion la plus large d’ici au 29 mai.

Yves Housson


 Source : L’ Humanité : www.humanite.fr


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