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Cuba : La messe de François dans l’île de Fidel, par Gianni Minà - il manifesto.





Il manifesto, samedi 2 septembre 2006.


Le rendez-vous à l’église de San Agustin est à sept heures et demie. Le vieux François allait dire la messe pour fêter monseigneur Carlos Manuel De Cespades, descendant du père de la patrie cubaine et curé de cette église, qui revient après une cure en Suisse pour lutter contre une maladie insidieuse. François Houtart, quatre vingt deux ans, prêtre du clergé séculier, enseignant de sociologie pendant des années à l’université de Louvain en Belgique, a été parmi les concepteurs et les fondateurs du Forum social de Porto Alegre [1]. Il est à La Havane avec d’autres intellectuels pour la réunion du mouvement En défense de l’humanité, qui a eu son baptême à Caracas en décembre 2004, comme je l’ai dit dans un autre article ; et qui tiendra une autre session à Rome, à la Fao, en octobre. Ce religieux qui, dans sa jeunesse, a enseigné aussi la sociologie à Hanoi, sous les bombes des B-52 étasuniens, obligeant la rigide organisation du parti communiste local à se confronter avec la dialectique des sciences sociales, s’est senti offensé par la manière dont on a traité dans l’information, depuis le 31 juillet, la maladie de Fidel Castro ; et plus encore, il s’est indigné pour le plan sur l’avenir de Cuba, décidé de façon désinvolte par le Département d’Etat américain, et renouvelé en toute occasion par Bush et Rice.


La souveraineté de Cuba

C’est pour cela qu’il a rendu public, lundi 5 août, un manifeste intitulé « La souveraineté de Cuba doit être respectée » qui, en quelques jours, a été signé par plus de dix mille intellectuels du monde entier dont neuf prix Nobel. François en a discuté avec Raul Suarez, pasteur protestant, président du Conseil des églises oecuméniques de Cuba, il veut en parler à Carlos Manuel De Cespades, avec Frei Betto, présent lui aussi à La Havane, et qui était avec François quand, après la visite de Jean Paul II en 98, Fidel Castro invita quatre théologiens de renommée mondiale pour interpréter, de l’intérieur, les sept homélies prononcées par Pape Wotjyla dans l’île.

La rencontre dans la sacristie de San Agustin est affectueuse. Carlos Manuel, par sa famille, est aussi descendant du général Menotte, dit el majoral, président du pays au début du siècle dernier, et qui accepta définitivement la tutelle du gouvernement de Washington dans la vie politique de la nation, a eu une jeunesse de militance catholique opposée au nouveau régime socialiste ; il a même fait l’expérience pendant quelques semaines d’un camp de travail, mais ne s’est jamais perdu entre les excès de la Revolucion et l’intolérable siège politique et économique, parfois terroriste, des Etats-Unis. En 97, quand il était porte parole de l’actuel cardinal de La Havane, à l’époque archevêque, Jaime Ortega y Alamino, il commenta d’une phrase drastique, « ces bombes viennent de Miami », la prolifération soudaine des attentats contre des installations touristiques de l’île. L’évêque de la ville symbole de la Floride s’en émut fortement et demanda une intervention à son collègue de La Havane, qui imposa le silence à son porte parole jusqu’à la fin du voyage papal en janvier 98. Maintenant, après la confession et la condamnation de Ernesto Cruz-Leon, auteur matériel des attentats dans l’un desquels mourut Fabio Di Celmo, nous savons que le mandant de ce terrorisme était la Fondation cubaine américaine de Miami : sous la direction de Luis Posada Carriles, le Ben Laden latino-américain, dont le gouvernement des Etats-Unis n’a pas encore décidé de ce qu’il va faire, l’extrader dans un pays complaisant ou, enfin, le juger. Souvenir qui, de nos jours encore, est plus effrayant qu’affligeant. François Houtart, qui a rendu visite à l’archevêque la veille, commente avec un peu d’ironie : l’ami Jaime « se suavizo » (s’est radouci) et observe maintenant la révolution sans préjudice « en cohérence avec l’esprit de l’évangile ». Il n’est donc pas surpris que l’église de Rome, sensibilisée par la Curie de La Havane, ait demandé justement ces jours ci de prier pour Fidel, provoquant l’indignation des catholiques réactionnaires de Floride et d’Amérique Latine, « si proches de l’argent et si loin de Dieu ». François qui, à 37 ans à peine, au Concile de Vatican II entra comme expert dans une commission de recherche sociale dont faisait aussi partie Karol Wotjyla, confirme ainsi sa franchise, et le prestige qui, à Porto Alegre en 2005, lui fit demander au président Lula, de façon très explicite et hors de tout schéma, les raisons du retard, au Brésil, du changement social tant attendu qui, deux ans après son élection, avançait encore au ralenti en regard des promesses faites pendant sa campagne électorale.

«  Beaucoup de choses se sont améliorées dans les rapports entre le Vatican et Cuba après la visite de Jean Paul II » remarque Carlos Manuel De Cespades, et il se souvient avec affection que cette évolution a commencé vers la moitié des années 80, grâce à l’engagement de Frei Betto, après son livre interview Fidel et la religion, pour rompre l’incommunicabilité et favoriser le dialogue entre la révolution et le clergé local. Dialogue qui, ensuite, a continué de façon autonome. Pour la première fois, l’église cubaine a rejeté le blocus économique imposé à l’île par les Etats-Unis, et le gouvernement de La Havane a effacé l’athéisme de sa constitution pour le remplacer par le concept de laïcisme. Il n’est donc pas surprenant que, même en 2003, après qu’aient été fusillé à La Havane trois des onze membres du groupe qui, armes à la main, avaient assailli le groupe de touristes du ferry boat de la Bahia de Regla, dans une tentative de détournement, le cardinal Sodano, secrétaire d’état, ait déclaré « l’Eglise continue à avoir confiance dans le gouvernement de La Havane pour conduire Cuba vers une démocratie accomplie ». Déclaration qui, à l’époque, eut le mérite d’imposer une réflexion plus profonde sur les méthodes de siège étasunien contre Cuba, et sur les conséquences néfastes que cette politique incorrecte pouvait avoir sur la façon de réagir de la révolution.


Les nouveaux séminaires

Il n’y a pas eu que des inaugurations de nouveaux séminaires et lieux de culte, dans l’île, et constructions de centres d’attention sociale de l’église catholique, comme ceux de la Communauté de San Egidio et des soeurs Brigidines ; les moments de rencontre entre les différentes religions et la révolution sont aussi devenus plus clairs et fréquents. L’église catholique, en particulier, a accru sa présence dans la vie du pays même dans ce secteur sanitaire où Cuba est un exemple pour tout le continent, avec ses trente mille médecins travaillant dans de nombreux pays socialement atteints, comme Haïti, l’Angola, le Pakistan. C’est sur ce terrain que s’est développée une entente entre le Vatican et Cuba, qui amène le pape Ratzinger à être plus généreux, dans ses voeux de bonne santé à Fidel, que Pietro Ingrao. Et qui a poussé le collègue Cotroneo, dans le Corriere della Sera, à délirer sur une présumée « conversion » du leader maximo.


Le livre de Ramonet

L’infirmité de Fidel Castro a mis d’abord en crise les délais de la réédition du livre Cento ore con Fidel, d’Ignacio Ramonet, (publié en Espagne sous le titre Fidel Castro : biographie à deux voix) et prochainement édité en France, Angleterre, Italie, Allemagne, Etats-Unis, Canada, Mexique, Argentine, Brésil, Colombie, Venezuela, et jusqu’au Japon et en Chine. La première édition, immédiatement épuisée à Cuba et en Espagne, où elle était sortie en mai, avait cependant suggéré à Fidel quelques ajouts, augmentations, précisions, qu’il apportait aux épreuves lorsqu’il a été contraint à cette intervention immédiate pour sa désormais fameuse papillome à l’estomac.

Le livre du prestigieux directeur du Monde Diplomatique, fruit de plusieurs rencontres au cours de trois années, suit, deux décennies plus tard, de façon encore plus large (633 pages, avec 70 pages de notes et index) la trace du récit que Castro me fit pour deux documentaires devenus historiques, en 87 et en 90, transcrits ensuite dans deux publications. Le travail fait avec Ramonet est une sorte d’autobiographie, un bilan de sa propre vie publique plus que privée, au seuil des quatre vingt ans, quand on peut se risquer aussi à des révélations inédites, des jugements hors toute diplomatie, aux autocritiques, et aux confidences.


Saint Ignace de Loyola

Ramonet, comme je le fis à l’époque, tout en rappelant dans son introduction les agressions constantes que Cuba subit de l’extérieur, et citant même Saint Ignace de Loyola « dans une forteresse assiégée toute dissidence est considérée comme une trahison », ne dédouane pas la révolution des trois cents prisonniers d’opinion qui sont dans ses geoles, et de la peine de mort. Avec une grande honnêteté intellectuelle, le directeur du Monde Diplomatique ne néglige pas de rappeler cependant que la peine de mort abolie dans la majorité des pays évolués est toujours en vigueur, en plus de Cuba, aux Etats-Unis et au Japon ; et il souligne aussi comment, dans ses rapports critiques, Amnesty International ne signale pas à Cuba de cas de torture physique, de desaparecidos, d’assassinats politiques et escadrons de la mort, de manifestations réprimées par la violence de la force publique, au contraire, par exemple, d’états de ce même continent sud-américain considérés comme « démocratiques », tels que le Guatemala, le Honduras, le Mexique. Sans oublier la Colombie où « sont assassinés impunément syndicalistes, opposants politiques, journalistes, prêtres, maires, et leaders de la société civile, sans que ces crimes fréquents ne suscitent une émotion dans le monde des médias internationaux ».

C’est une approche honnête, qui ne justifie aucun manque de libéralité commis à Cuba mais qui impose une réflexion sur la violation permanente dans le monde, en plus des droits civiques, des droits économiques, sociaux et culturels, phénomènes inconnus dans l’île. La prompte récupération physique de Fidel Castro a cependant soulagé de leurs angoisses les éditeurs de la biographie que le leader maximo n’est pas arrivé, finalement, à écrire, mais qu’il a fait en sorte de laisser à l’histoire.

Pedro Alvarez Tabio, « l’autre mémoire de Fidel », gardien rigoureux depuis trente ans du patrimoine littéraire et historique de la révolution cubaine, recevait, depuis le 15 août déjà , deux chapitres par jour corrigés de la main du commandant convalescent. Ainsi, la deuxième édition respectera les délais prévus pour la publication. D’aucuns vont jusqu’à jurer que Fidel se présentera lors d’une des journées entre le 11 et le 16 septembre au Palacio de las Convenciones, pendant le sommet des Pays non alignés [2], qui accueillera à La Havane plus de 100 chefs d’état des nations de ce qu’on appelle tiers monde.

Gianni Minà 


[Cet article est la deuxième partie d’une série de deux reportages depuis Cuba de Gianni Minà , on pourra trouver la première partie, en italien ici : www.ilmanifesto.it.]


- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Pourquoi les arrestations à Cuba ? <BR>
par Wayne Smith, ancien responsable la section des intérêts US à la Havane.

Fidel Castro malade, Miss Monde acnéique, presse métastasée, par Maxime Vivas.


A LIRE : Les dernières mesures des USA contre Cuba, par Wayne S. Smith, ancien responsable de la section des intérêts US à la Havane.




- Photo : François Houtart vu ici : www.ptb.be


[1N.d.l.r - Lire :

- Premier forum social mondial à Porto Alegre.
La mondialisation du capital et les enjeux du Forum Social Mondial, par François Houtart.
www.cadtm.org/article.php3?id_article=99

- Le sens de la « lutte contre la pauvreté » pour le néolibéralisme, pat François Houtard.
www.cadtm.org/article.php3?id_article=1631.

[2Lire : Sommet des Non Alignés de la Havane : De la rhétorique à l’action, par Angel Guerra Cabrera. www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=4069.


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