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Cuba libre ?

C’est dans un texte écrit dans Patria, journal fondé en exil aux Etats-Unis, datant du 16 avril 1893, que José Marti définit la société cubaine à travers le prisme des « ressemblances essentielles » et de la « similitude des caractères » constitutives de la sociologie de l’île et transcendant « la guerre des races » ainsi que les clivages politiques : « Dans la vie de chaque jour faite de résistance, de loyauté, de fraternité, d’astuce, à côté de chaque Blanc toujours il s’est trouvé un Noir. Les Noirs, comme les Blancs, se répartissent selon leurs caractères timorés ou courageux, dévoués ou égoïstes dans les différents partis où les hommes se regroupent. » (1).

Avec le rapprochement diplomatique entre Cuba et les Etats-Unis, se pose la question de la prévalence de cette praxis humaine (2) et du modèle cubain, parangon des luttes anti-impérialistes. Les réponses et les généralités ne peuvent qu’être prudentes et mesurées tant sont complexes les relations internationales et lancinants les enjeux géoéconomiques et géostratégiques, eu égard à la présence de la base militaire de Guantanamo dans le sud-est de l’île depuis 1903.

Certes, cet accord bilatéral du 17 décembre 2014 jette une lumière crue sur le double caractère anachronique et extra-territorial de l’embargo (effectif depuis le 7 février 1962), dans le contexte post-guerre froide, d’une part, et en raison de la loi Helms-Burton de 1996, d’autre part.

Certes, dans le même temps, la normalisation des relations entre les deux pays doit permettre le retour à un statu quo ante bellum avec la préservation des acquis de 1959.

Certes, enfin, ce moment de dimension historique doit conduire à un apaisement des antagonismes idéologiques en Amérique et dans le monde.

Cependant, ce constat préliminaire doit être nuancé dans la mesure où la levée du blocus économique dépendra du vote du Congrès à Washington, en d’autres termes, du Sénat et de la Chambre des représentants présidée et dominée par les républicains. Plus encore, l’une des principales limites à cet accord diplomatique est l’importance du lobby anti-castriste au Congrès et dans l’Etat de Floride, swing state favorable aux républicains. A l’instant que tout compromis est jugé dangereux, l’idée d’une reconnaissance de la souveraineté et de l’indépendance de l’île demeure inenvisageable pour les lobbyistes cubains exilés aux Etats-Unis.

Par ailleurs, ce rapprochement diplomatique révèle la réactivation de la doctrine Monroe de 1823 reposant sur le principe de « l’Amérique aux Américains » face à toute ingérence, potentielle ou réelle, des Européens (au XIXe siècle), de la Russie (au XXe siècle) et de le Chine (XXIe siècle). Il devient, en ce sens, évident que la toute-puissance états-unienne, régie par le principe fondamental de la Manifest Destinity et qui n’est guère favorable à la nature du régime cubain, tentera de maintenir vaille que vaille sa domination économique et son influence politique et culturelle sur l’île, notamment dans le contexte de l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles dynamiques (géo)politiques dans la région.

Aussi, cette « trêve des confiseurs » entre Cuba et les Etats-Unis s’inscrit-elle dans une phase de « pacification » ou de mise sous-tutelle de l’île dans le but de mette en coupe réglée l’un des derniers bastions de la résistance à l’impérialisme (3).

Au total, si cet accord, motivé par le réalisme politique, représente un moment historique majeur à l’échelle mondiale, il convient néanmoins de se défier des présentations simplistes et des fantasmes ; car, loin de marquer une rupture, ce rapprochement introduit de nouveaux liens (asymétriques) entre Cuba et les Etats-Unis, à l’exemple des liens entre le Royaume-Uni et ses anciens territoires impériaux dans le cadre du Commonwealth depuis 1926, ou encore entre la France et ses anciennes colonies de l’AOF et de l’AEF au sein de la « Françafrique » depuis 1955... Bref, l’impérialisme étasunien semble avoir de beaux et longs jours devant lui...

Habiba CHABOU

»» http://www.lequotidien-oran.com/++cs_INTERRO++news=5207708

1- Jean LAMORE, Cuba, Paris, PUF, 2010.

2 Henri LEFEBVRE, Critique de la vie quotidienne. Tome II : Fondements d’une sociologie de la quotidienneté, Paris, L’Arche, 1977.

3 Salim LAMRANI, Cuba face à l’empire :propagande, guerre économique et terrorisme d’Etat, Genève, Editions Timéli, 2006.


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