Manifestement engagé dans cette bataille avec la foi du croisé, il a préparé le terrain de la publication du rapport consacré à la menace que ferait planer sur le pays le millier de Frères musulmans recensés en se répandant dans la presse sur la dangerosité de l’institut Lissen de Colombes, pourtant fermé, le 7 mai dernier, uniquement pour des raisons tenant à la sécurité des locaux. Aujourd’hui, brandissant un brevet irréprochable de laïcité et affirmant respecter scrupuleusement l’obligation de réserve à laquelle sont tenus les fonctionnaires, tout particulièrement ceux exerçant des fonctions d’autorité, le préfet présente à grand son de trompe son opus dans une église de Nanterre. Cherchez l’erreur.
Qui est le bouillant M. Alexandre Brugère ? Il présente une petite ressemblance avec le jeune Lucien Leuwen de Stendhal. Certes, à la différence du héros stendhalien, il n’a pas été chassé de l’École polytechnique pour avoir commis le péché d’exprimer de vagues convictions républicaines : ce genre d’audace de jeunesse ne l’a sans doute jamais poussé à une telle extrémité. Il n’est pas davantage le fils d’un banquier richissime. Néanmoins, il partage avec Lucien Lewen l’expérience d’une propulsion météorique auprès du ministre de l’Intérieur. L’un a bénéficié de l’appui de son puissant père, l’autre de celui de ses mentors en politique, issus de l’UMP puis de LREM. Tous deux agissent en service commandé : dans le roman éponyme, Lucien Leuwen a tenté, sans succès d’ailleurs, de remporter au bénéfice des royalistes les élections en Normandie ; M. Alexandre Brugère s’emploie, après avoir fait ses premières armes en qualité d’adjoint de M. Manuel Aeschlimann, maire d’Asnières, à relayer la politique particulièrement droitière des deux ministres avec lesquels il a travaillé. Il paraît servir davantage un clan politique que l’État.
Que dit M. Alexandre Brugère dans sa note opportunément publiée fin mai ? Pas grand-chose, en définitive. Notons d’abord qu’il ouvre un nouveau front avec cette parution. En janvier 2025, moins de trois mois après sa prise de fonctions, il déclarait « une guerre totale contre la drogue ». Avant même d’avoir remporté la moindre bataille, il a engagé « sur le terrain », en mai, le combat contre l’islamisme, un ennemi qui comprend les djihadistes, opérant par la violence, les Frères musulmans, agissant par l’infiltration du corps social pour atteindre un objectif politique, et les salafistes, partisans d’une conception quiétiste de leur religion, c’est-à-dire rigoriste mais paisible.
De la réalité de la menace et de son action quotidienne nous n’apprenons rien d’essentiel. Le département des Hauts-de-Seine compte trente-quatre mosquées dont un tiers représenterait un danger mais pour des motifs mal connus en raison de l’art de la dissimulation légendaire des islamistes. Il enregistre aussi dix-sept projets de construction ou d’extension de lieux de culte musulmans, un sujet majeur d’inquiétude probablement. Il recense deux écoles musulmanes hors contrat appelant une surveillance. Il existe néanmoins un motif de satisfaction pour le préfet : la réduction de 16% du nombre de demandes d’instruction à domicile des enfants à la suite de la révision de la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire par celle du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Face à tant de dangers, notre préfet se réunit chaque semaine avec le procureur de la République pour balayer le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste (FSPRT) qui comprenait 252 noms en novembre 2024, dont, rendez-vous compte, trente-deux étrangers. Chaque mois, il préside la cellule départementale de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR). Chacun mesure l’engagement harassant du jeune préfet, sans cesse lancé à l’assaut des moulins à vent comme Don Quichotte.
Pour le reste, il ressasse les lieux communs de son camp politique. M. Alexandre Brugère regarde avec un œil soupçonneux le monde associatif : il semble regretter que le contrat d’engagement républicain (CER) prévu par la loi du 24 août 2021 ne soit exigé que des groupements sollicitant une subvention, les autres étant « en dehors des écrans radars ». S’il soutient ardemment les équipes sportives israéliennes, dont la présence n’est pas nécessairement souhaitée, il avoue sa préoccupation devant les dérives religieuses et séparatistes dans le sport : « Dans les structures sportives communautaires s’entremêlent dimension confessionnelle et séparation de genres [...] » Attention, par exemple, aux équipes de football féminin ou à celles des patronages catholiques ! De même, il n’en dort plus la nuit : la multiplication des boucheries halal, des échoppes de barbiers, des bars à chichas, des librairies islamiques et des magasins de vêtements orientaux nourrit ses pires cauchemars. Enfin, en bon préfet, il garde un œil ouvert sur les prochaines élections municipales. Fine mouche, il note subtilement : « le sujet ne sera pas tant la constitution de listes communautaires mais bien la présence des communautaires dans les listes. »
L’uniforme de préfet ayant un air de ressemblance avec celui d’amiral, la note de M. Alexandre Brugère nous évoque la célèbre répartie que Michel Audiard place dans la bouche de Francis Blanche dans le film Les Tontons flingueurs : « C’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases. »