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Déclin de l’occident : état des lieux d’une planète en plein chaos

La crise ukrainienne, un test pour l’Occident

« La plus grande caractéristique de la civilisation orientale est de connaître le contentement, alors que celle de l’Occident est de ne le pas connaître. » Hu-Shih

Cette maxime de Hu-Shih résume à elle seule la boulimie sans retenue de la civilisation du toujours plus qui amènera la planète au chaos. Ce n’est pas simplement l’Occident qui est dans la phase d’un déclin, mais aussi tous les peuples qui vont le suivre dans une descente aux abîmes pour n’avoir pas à temps été économes en tout. « On est rentré, écrit Cornelius Castoriadis, philosophe et psychanalyste, dans une époque d’illimitation dans tous les domaines (...) c’est un des très grands thèmes, il faut apprendre à s’autolimiter, individuellement et collectivement, et la société capitaliste maintenant est une société qui, à mes yeux, court à l’abîme de tous les points de vue, parce que c’est une société qui ne sait pas s’autolimiter. » Le basculement du monde et l’essor des pays dits « émergents » semblent avoir relégué l’Occident dans une crise sans fin et sonné le glas de sa prééminence. Entre son aveuglant complexe de supériorité et sa capacité d’être l’école des cadres de la planète, sa mélancolie de la grandeur perdue et sa cohésion sans précédent, l’Occident est-il sorti de l’Histoire ?

L’Occident vu du côté des faibles

Le sociologue Brahim Senouci, pour sa part, va plus loin prenant appui sur les tragédies palestiniennes à Ghaza, il fait le procès sans concession de cet Occident sûr de lui et dominateur : « (...) Les Occidentaux ont fini en effet par se soumettre à la volonté d’indépendance des peuples qu’ils ont longtemps asservis. Force est de constater toutefois que cette nouvelle configuration du monde n’a pas débouché sur la généralisation du bien-être économique, resté cantonné peu ou prou à la sphère occidentale. Surtout, la libération des peuples est restée largement théorique. La plupart d’entre eux sont encore dans un tête-à-tête inégal avec leurs anciennes puissances tutélaires qui continuent de dicter leurs lignes politiques et même de peser sur le choix de leurs dirigeants ! L’exemple de la Françafrique en dit long. Au besoin, l’Occident ne répugne pas à recourir à la bonne vieille politique de la canonnière. Il le fait souvent au nom de principes moraux dont il nous explique qu’ils constituent les fondements de sa politique. (..). L’Irak et la Libye se liquéfient sous le regard indifférent de leurs « sauveurs ». L’effet domino se propage jusqu’à la Syrie, vouée sans doute à se transformer en un conglomérat de chefferies régionales en état de guerres incessantes... (...) Au regard de l’Occident, il y a « eux et nous ». Eux, ce sont ceux dont l’humanité est questionnable, voire niée. Massu, le Massu de la bataille d’Alger, expliquait que la torture n’avait été possible que parce que les soldats qui la pratiquaient avaient entre les mains, non pas des êtres humains mais des « bicots », des « ratons », des « bougnoules ». (...) Jamais revisitée, jamais formellement remise en cause, la matrice essentialiste continue d’être la boussole de l’Occident ! Ghaza en fournit une nouvelle illustration aujourd’hui. Tout le monde a constaté le soutien unanime de l’Occident à Israël, ou plutôt la réitération de ce soutien qui dure en réalité depuis qu’Israël existe. (...) Les enjeux sont donc globalement les mêmes qu’en 1550. Il s’agit pour l’Occident de réaffirmer sa suprématie, à un moment où elle est contestée. La région la plus sensible est ce Proche et Moyen-Orient dispensateur généreux de pétrole. (1)

Déclin ou chute de l’Occident : pourquoi ?

Le Déclin de l’Occident a été pour la première fois décrit dans un essai d’Oswald Spengler. Ouvrage traduit en français par son ami le philosophe algérien Mohand Tazerout en 1948. Comment la suprématie occidentale s’est-elle construite ? Tout est parti magister dixit des anciens ou de l’actuelle doxa occidentale réputée infaillible. Cela va même plus loin, la religion chrétienne est convoquée et mise au service de l’entreprise coloniale. Lisons ce morceau d’anthologie attribué au roi des Belges qui recommande aux missionnaires d’inculquer aux Noirs du Congo : « Vous veillerez à désintéresser les sauvages de leur richesse dont regorgent leur sol et leur sous-sol. Votre connaissance de l’Evangile vous permettra de trouver facilement des textes recommandant aux fidèles d’aimer la pauvreté. Par exemple : « Heureux les pauvres car le royaume des cieux est à eux » ; « Il est difficile aux riches d’entrer aux cieux » Vous ferez tout pour que les nègres aient peur de s’enrichir. Apprenez aux jeunes à croire et non à raisonner... » (2) Prenant la relève d’un Orient et d’une civilisation islamique sur le déclin, et au nom de la Règle des trois C – Christianisation, Commerce, Colonisation – des peuples furent mis en esclavage. Pendant cinq siècles, au nom de ses « droits de l’homme » l’Occident dicte la norme, série, punit, récompense, met au ban des peuples qui ne rentrent pas dans la norme. Par le fer et par le feu, les richesses des Sud épuisés furent spoliées par les pays du Nord. (3) Bien plus tard et après 1’implosion de l’empire soviétique, ce fut la fin de l’histoire selon le mot de Fukuyama avec une pax americana qui paraissait durer mille ans. Une étude du Pnac (Programme for New American Century) recommandait de chercher un motif pour relancer l’hégémonie étasunienne d’une façon définitive. L’arrivée du 11 septembre fut du pain bénit. Le Satan de rechange tombait du ciel, l’Islam. Ainsi, furent organisées les expéditions punitives que l’on sait un peu partout semant le chaos, la destruction et la mort. Cependant, les signes d’un craquement de l’hégémonie occidentale commencèrent à poindre à l’horizon. Des voix inquiètes commençaient à douter de la pérennité du magistère occidental. Ce n’est pas l’avis de la CIA qui a publié un rapport intitulé : Le monde en 2025. On constate une prise de conscience d’une nouvelle donne à la fois démographique, économique, financière et même dans une certaine mesure, pour la première fois, les Étasunienreconnaissent qu’ils ne seront plus les maîtres du monde ! ». (2) Pourtant et malgré cela, « l’Empire » ne se laisse pas faire. Les tenants de la « théorie de l’empire global » considèrent les événements politico-économiques internationaux survenus depuis 1989 comme témoins de la transition de l’humanité vers un « empire global », un ordre mondial polarisé autour d’une seule puissance : les États-Unis. Brzezinski estime que les États-Unis devront s’allier avec l’Europe pour dominer l’Eurasie. A l’autre bout du curseur concernant l’avenir du Monde, le besoin d’équilibre et la multiplicité des visions, nous trouvons l’analyse lumineuse de l’ambassadeur singapourien, Kishore Mahbubani, qui décrit le déclin occidental : recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs. Ce que Mahbubani attaque, c’est l’anomalie absurde d’un pouvoir mondial occidental envahissant et persistant dans un monde sujet à des changements fondamentaux à la marche vers la modernité, devant le repli dans des forteresses et le triomphalisme occidental Mahbubani reproche à l’Europe sa myopie, son autosatisfaction et son égocentrisme. Pour lui « le moment est venu de restructurer l’ordre mondial », que « nous devrions le faire maintenant ». L’Occident est dans l’incapacité à maintenir, à respecter et encore plus, à renforcer les institutions qu’il a créées. Et la moralité avec laquelle il se comporte sape les structures et l’esprit de la gouvernance mondiale. » (2) (3)

De quoi parle-t-on lorsque nous parlons d’Occident ?

Quelques phrases permettent de le cerner : « L’Occident, c’est à la fois une zone, une organisation et un projet. La zone correspond à l’espace euro-atlantique, ce « premier monde » jadis nommé par opposition au « second monde », le bloc communiste, et au tiers-monde. C’est l’aire chrétienne moins le monde orthodoxe. L’Occident, c’est en deuxième lieu, une organisation politico-militaire, offensive et expansive, l’Otan, « l’instrument de l’hégémonie américaine », comme disait De Gaulle. Malgré son nom, elle n’est plus liée à l’Atlantique Nord, puisqu’elle opère en Afrique comme en Asie centrale, dans ce qu’on appelait le hors-zone. L’Occident, c’est enfin un projet, la volonté de moderniser la planète selon l’acception qu’il donne de la modernité, à savoir un mélange de marché libre, d’hyper individualisme – l’individu roi, sans tradition ni appartenance, ces boulets aux pieds du consommateur – et de la bonne gouvernance, qui serait l’art de gouverner sans faire de politique, et donc de gérer les pays comme des entreprises. » (4) Bunot Déniel-Laurent donne le point de vue de Régis Debray qui parle des élites européennes fascinées par l’Amérique : « (...) il est clair que nos décideurs « européistes » ont depuis longtemps accepté leur sujétion, le monopole de l’idéologie occidentale sur la formation des élites internationales : « Pas de périphérie, de minorité ou de religion qui n’ait, aux Etats-Unis, pompe aspirante et refoulante, des représentants plus ou moins bien implantés, ayant leurs entrées au Congrès et dans l’administration, et dont les meilleurs éléments pourront, le cas échéant, regagner leur pays d’origine, en en faisant leur résidence secondaire. (...) Cette DRH planétaire peut sortir à tout instant un Karzaï de sa poche. Un Palestinien de la Banque mondiale, un Italien de Goldman Sachs, un Libyen formé au moule ou un Saakachvili géorgien. » Nous serions tentés d’ajouter : un Montebourg de la French-American Foundation, un Juppé de l’Atlantic Partnership, un Pierre Lellouche du Harvard Club... Mais il suffit que l’Otan passe du soft power au hard power, et nos fiers-à-bras de l’Union européenne, toujours prompts à dénoncer chez eux les méchants souverainistes et autres bolcho-gaullistes, se feront tout petits face au grand frère yankee. En définitive, pour Régis Debray l’Occident n’a plus le moral de sa morale, ni la vaillance de ses valeurs : Tel est ainsi l’Occident en ses métamorphoses : à la fois amnésique et sentencieux, impérial et puéril, haï et singé, omniprésent et invisible. Nourri au lait hyperprotéiné, Goliath est désormais devenu douillet. (5)

Les nouvelles puissances : l’Allemagne et le Japon

Justement, la perte des valeurs est peut-être l’un des signes forts du déclin.Régis Debray fustige la perte graduelle d’identité de l’Europe comme catalyseur du déclin « (...) L’Europe, où règne un peu partout le méli-mélo gauche-droite, n’ose plus aujourd’hui désigner son Autre. C’est après la bataille de Poitiers et plus tard celle de Lepante que « l’Europe » est apparue dans le vocabulaire politique pour désigner plus qu’un continent : une idée, et donc une puissance. Après la Seconde Guerre mondiale, Staline l’a fait ressurgir utilement, après le Sarrazin et le Grand Turc. La voilà derechef sans rivages et sans allant, sans coeur parce que sans frontières, tout à ses bisbilles. (...) Les Chinois ont fêté l’année du Rat. Nous entamons la décennie des crabes. Vanneurs de toute l’Europe, unissez-vous. » (6)

A côté des pays européens englués pour la plupart et devant la situation économique désastreuse de ses membres, l’Europe s’en remet à l’Allemagne la seule puissance qui pourra rapidement avoir sa place dans un nouveau remodelage du monde. Elle en a les moyens économiques, technologiques, c’est une puissance au seuil nucléaire qui peut rapidement être une puissance atomique, car il ne faut pas oublier que le nucléaire a été porté principalement par les savants allemands. Un signe ? L’Allemagne serait prête à prendre davantage sa part à la résolution des crises internationales. Le 1er février, à Munich, à l’occasion de la conférence pour la Sécurité, Ursula von der Leyen, la nouvelle ministre de la Défense d’Angela Merkel, avait exprimé les nouvelles ambitions de la première puissance économique européenne. Consciente que « l’indifférence » n’est « pas une option », elle était « prête à élargir son engagement ». En clair, à terme, le Conseil de sécurité devra compter avec elle. Nous l’avons vu dans les négociations avec l’Iran où elle prend toute sa place ; une autre puissance qui se réveille, c’est le Japon avec le nouveau Premier ministre, la Constitution a été amendée pour permettre au Japon de devenir une puissance qui peut se déployer à l’extérieur.

L’obsession du chaos

Pepe Escobar nous explique pourquoi l’Empire est contre toutes les coalitions si ce n’est pas lui qui les dirige : « La politique » de l’Empire du Chaos écrit-il est claire et multiforme : diversifier le « pivot vers l’Asie » en établissant une tête de pont en Ukraine afin de saboter les échanges commerciaux entre l’Europe et la Russie ; étendre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord à l’Ukraine ; briser le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine ; empêcher par tous les moyens l’intégration commerciale et économique de l’Eurasie, du partenariat germano-russe aux nouvelles routes de la soie convergeant de la Chine à la région de la Ruhr ; et maintenir l’Europe sous l’hégémonie des États-Unis. »

Le refus du déclin et du changement du monde à ses dépens

« La situation dans son ensemble poursuit Pépé Escobar, place les élites de l’Empire du Chaos dans une position très délicate. Prenons le Dr Zbigniew « Grand Échiquier » Brzezinski, ex-mentor des affaires étrangères qui a l’oreille du commissionnaire (de plus en plus dépité) de la Maison-Blanche. Le Dr Zbig était à CNN dimanche dernier, exhortant les leaders européens à « tenir tête à Poutine ». De toute évidence, le Dr Zbig ignore totalement les détails du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, tout comme leur voix concertée au sein du Brics, du G-20 et d’une myriade d’autres mécanismes. le Dr Zbig préconise l’élargissement de « l’Occident » par l’annexion de la Turquie et de la Russie (...) Un simple coup d’oeil sur ce qui s’est passé depuis 2012 (Libye, Syrie, Ukraine, encerclement de la Chine) révèle que l’Empire du Chaos n’est, en somme, qu’un fomentateur de chaos justement ».(7) « (...) M.Wallerstein soutient que si l’Empire du Chaos est devenu si dangereux, c’est parce qu’il n’accepte tout simplement pas sa décadence géopolitique. La restauration de son hégémonie mondiale est devenue son obsession suprême. Toute la « politique » formant le contexte préalable à la tragédie du vol MH17 montre que l’Ukraine est, en définitive, le champ de bataille où tout va se jouer. En Europe, tout dépend de l’Allemagne, surtout après le scandale de la « National Security Agency » (NSA) et ses ramifications. Le débat qui fait rage à Berlin, c’est de trouver une façon de se positionner géopolitiquement en laissant de côté les États-Unis. (...) De toute façon, Washington se fiche éperdument, aussi bien du massacre de civils en cours à Gaza que de la mort des civils à bord du vol MH17. Sa seule et unique obsession, c’est de forcer les Européens à sanctionner la Russie à mort. En d’autres termes, stopper l’intégration commerciale et géopolitique entre l’Europe et la Russie. (...) » (7)

Assurément, la planète est en pleine tourmente la recomposition du monde fera disparaître des Etats. Que deviendront les peuples faibles devant ce nouveau Yalta ?
Question à suivre.

Original de l’article

1. Brahim Senouci http://terredislam.canalblog. com/archives/2014/07/25/30312269. html#utm_ medium=email&utm_source=notification&utm_campaign=terredislam
2. C.E Chitour http://www.mondialisation.ca/ index.php ?context=va&aid=18575
3. K.Mahbubani : The Irresistible Shift of Global Power to the East, septembre 2008
4. L’Occident est-il en déclin ? Le Monde.fr 17.07.2014
5. Bruno Deniel-Laurent 14 Février 2013 http://www.marianne.net/L-Occident-se-meurt-il%C2%A0_a226256.html
6. La décennie des crabes, Régis Debray, Le Monde 21.02.08
7. Pepe Escobar http://www.mondialisation.ca/vol-mh17-un-jeu-dechecs-macules-de-sang/5393269 25 juillet 2014


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