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Dr. Gilbert Doctorow : « l’Amérique est corrompue absolument »

Mohsen Abdelmoumen : Que pensez-vous de la situation qui prévaut en Syrie ? Ne croyez-vous pas qu’il y a un risque de guerre totale ?

Dr. Gilbert Doctorow : C’est évident. J’ai regardé un enregistrement vidéo de Stephen Cohen, mon collègue à New York, qui était interviewé par Fox News. Il a donné des réponses très précises mais malheureusement, il n’a pas eu beaucoup de temps pour expliquer son avis. C’est un professionnel dans les affaires russes depuis 50 ans et il dit que la situation ressemble beaucoup à celle de 1962 lors de l’affaire des missiles à Cuba où nous avons étés les plus proches d’une guerre nucléaire depuis la 2e Guerre Mondiale. Je suis totalement d’accord. La question principale, c’est que nos leaders, nos politiciens, nos hommes d’affaires, les consultants, les services de renseignement qui font un briefing chaque jour, n’ont aucune expertise sur la Russie. Cette expertise a été perdue juste après le 11/9 où les services de renseignement américains ont été totalement nettoyés et où la plupart des personnes en charge étaient des spécialistes de l’Union soviétique. Il semblait que cette expertise n’était plus nécessaire ou utile et ils ont été remplacés par des experts sous-traitants dans les affaires du Moyen-Orient au lieu d’inviter des experts au gouvernement. Depuis 2004, plus de 70% de tout le budget des services de renseignement, soit 5o milliards de dollars, ce qui constitue un gaspillage incroyable, sont pour les sous-traitants dont les expertises sont payées. Il n’y a pas d’inertie bureaucratique, il n’y a pas d’indépendance de pensée, les analyses sont livrées au client qui les paie. Il n’y a pas d’expertise dans le gouvernement américain. Quand on sous-traite le renseignement, on ne peut pas sous-traiter ce qui demande des autorisations de sécurité, c’est-à-dire qu’on utilise uniquement les sources ouvertes (open source). Si vous pensez que la Russie met en sources publiques tout ce qu’elle fait au niveau militaire, vous êtes un fou ou un naïf (rires). Ainsi, l’Amérique n’a pas suivi attentivement et professionnellement ce que font les Russes depuis 2004. C’est à cette période que Monsieur Poutine a dit « Basta ! Ça suffit ! Vous avez annulé les conventions sur les ABM (ndlr : Traité Anti-Balistic Missile), alors nous prenons toutes les mesures pour nous protéger dans cette situation chaotique ». Les Américains ont rigolé en se moquant des Russes, pensant que ceux-ci ne pourraient rien faire. Ce scepticisme envers la Russie et sur sa capacité à se défendre reste un sentiment très vif en Amérique. C’est pourquoi l’Amérique est si sévère, si cruelle et si stupide envers les Russes.

Parce que la Russie, d’après vous, est capable de riposter ?

C’est le discours de Poutine qui a mis l’accent sur la capacité de la Russie à détruire totalement l’Amérique en 30 minutes via de nouveaux systèmes d’armement qui, en effet, réduit l’efficacité du système américain en le rendant équivalent à la ligne Maginot. C’est-à-dire que les 500 milliards de dollars sont un gaspillage énorme parce que la technique américaine pour neutraliser les Russes est dépassée par la technologie russe, avec notamment la vitesse Mach 20. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles les Américains ne comprennent pas la Russie, même des personnes très compétentes et indépendantes comme le Professeur John Mearsheimer de Chicago, un politologue très connu. Il est un réaliste de l’école de la real politique américaine et contre les néo conservateurs qui sont tous des idéalistes. Même une personne comme lui ne comprend rien dans les capacités et l’efficacité des armes russes. Mearsheimer est de l’université de Chicago et a été co-auteur d’un livre très controversé sur le lobby israélien à Washington, c’est-à-dire que c’est une personne courageuse pour écrire cela. Il a été le premier à écrire quelque chose de ce genre et il a été attaqué férocement. Mais Mearsheimer est ignorant quand on parle de la Russie. Il ne connaît pas la Russie et il ne comprend pas qu’il n’est pas nécessaire d’avoir le même PIB qu’en Amérique pour être plus puissant que celle-ci. Il ne comprend rien. La Russie a aussi une population deux fois moins importante que l’Amérique. La Russie a un PIB dix fois moins important que celui des États-Unis, et un budget militaire dix fois moindre que celui des USA. Et la Russie a la témérité de dire à l’Amérique « Basta ! C’est la fin de la comédie ».

Où est l’Europe, un collectif qui a un PIB supérieur à celui de l’Amérique ? Où est l’Europe avec un budget militaire deux fois moindre que celui de l’Amérique ? Pas dix fois, deux fois ! L’Europe est une collectivité d’esclaves.

Vous pensez qu’il y a un risque de guerre totale ?

Je l’ai dit après avoir fait les conclusions suivantes : l’Amérique ne comprend pas et ne veut pas comprendre la force de la Russie. Ainsi, avec cette sous-estimation de votre adversaire, vous risquez de tomber dans la guerre totale.

Vous êtes un observateur avisé de la Russie, et vous avez écrit plusieurs livres traitant des relations américano-russes : Stepping Out of Line” – “Does Russia Have a Future ?” – ”Does the United States have a future ?”, etc. Comment voyez-vous ces relations sous l’ère Donald Trump ?

J’étais pour l’élection de Trump, et j’étais une des seules personnes bien formées, plus ou moins civilisées, qui était en faveur de Monsieur Trump. Il faut savoir que la vaste majorité des personnes éduquées américaines et européennes était contre ce monsieur pour beaucoup de raisons valables mais moi, j’étais concentré sur un seul fait : sa position envers la Russie, pour corriger les erreurs terribles que les trois dernières administrations américaines ont faites envers la Russie. Malheureusement, mes attentes sont déçues et il semble que Monsieur Trump est vraiment un monsieur qui n’a pas les capacités intellectuelles ou l’expérience requise pour gérer les États-Unis ou pour gérer quelque chose d’importance. Il a géré une fortune et un patrimoine familial avec une équipe de douze personnes. Dans l’État, il y a différents centres de management composés de milliers de personnes et des centaines de milliers d’employés fédéraux. Il n’a aucune expérience, aucune capacité de comprendre même les défis. Comme Monsieur Tillerson qui est aussi un imbécile l’a dit correctement : Trump est un imbécile. C’est la raison pour laquelle Tillerson a été limogé. Quand les journalistes lui ont demandé si c’était bien ce qu’il avait dit, il n’a pas nié. C’était la fin du jeu pour Monsieur Tillerson. Et l’autre raison pour laquelle il a été limogé, c’est qu’il a fait cause commune avec le général Mattis, Secrétaire à la Défense, contre Monsieur Trump. Finalement, Trump a décidé de couper cette alliance contre lui, de limoger Tillerson et de nommer comme nouveau Secrétaire d’État Mike Pompeo, qui est une personne très proche de lui.

Le président français Macron a affirmé qu’il détenait les preuves des attaques chimiques à Douma. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit du même scénario que celui de Colin Powel brandissant de fausses preuves sur l’existence d’ADM en Irak et qui ont mené à l’intervention américaine et à la destruction de l’Irak ? Les dirigeants occidentaux ne mentent-ils pas à leurs peuples ?

Ici en Belgique, les personnes centristes comme le MR ou Défi étaient tous ravis de l’élection de Monsieur Macron. Moi, dès le départ, j’ai entendu qu’il était un jouet, un caniche des Américains.

Comme Tony Blair à l’époque de George W. Bush.

Oui. Il est le résultat de l’intervention directe des Américains dans les élections françaises. Que s’est-il passé avec Strauss-Kahn et même avec Fillon ? Qui était responsable pour le scandale Fillon et pour le scandale Strauss-Kahn ? Strauss-Kahn était le plus capable, le plus intelligent des socialistes. Au lieu de lui, les Français ont eu Monsieur Hollande, la personne la plus vide possible. Monsieur Macron est aussi vide mais il a un visage plus intelligent que Monsieur Hollande. Autrement, ils sont dans la même poche, celle de Washington.

Ne pensez-vous pas que Monsieur Macron est un néocon ?

Je ne sais pas, c’est bien possible, mais je ne pense pas qu’il a des avis fixes. Il est ouvert à tout. Il est très habile, il est intelligent, mais au niveau moral, il est préférable de ne pas évoquer ce sujet.

Les dirigeants occidentaux comme Macron ne mentent-ils pas à leurs peuples, puisqu’il a dit  qu’il avait les preuves de l’attaque chimique ?

C’est ridicule. C’est exactement la même chose que l’affaire Skripal. On peut donner les preuves que quelqu’un a été attaqué par le chlore, oui, mais par qui ? Les Skripal sont attaqués par Novitchok, bon, mais par qui ? Ce sont les questions principales. Et Monsieur Johnson qui est allé à Oxford donne une bonne idée de la valeur du diplôme obtenu à Oxford. Zéro. C’est une arrogance basée sur un diplôme qui n’a aucune valeur.

Donc, il y a un lien entre l’affaire Skripal et l’affaire de l’attaque chimique de Douma ?

Il y a un autre lien. Les Russes, dont Monsieur Nebenzia, l’Ambassadeur à l’ONU, a donné ce lien dans un discours. Mais je vais mettre le point sur la lette i. Le point de départ, c’est le discours de Poutine du 1er mars. La réponse en Occident, pour la plupart des journalistes et des politiciens, était de nier la réalité en disant que tout ça était du bluff de la part de Poutine. Ils pensent que les Russes ont perdu tous les grands cerveaux qui sont partis à l’Ouest depuis les années 1990, que personne en Russie ne peut réaliser quelque chose d’extraordinaire technologiquement. Combien de brevets d’inventions présentent les Russes ? Aucun en comparaison avec les inventeurs américains.

En termes de recherche, les Américains sont supérieurs ?

Oui, c’est l’idée des Américains et des Russes qui ont fait fortune là-bas. Ils pensent qu’ils sont les meilleurs et qu’il n’y a que les perdants qui sont restés en Russie. Seulement, chacun sait très bien s’il a un peu d’expérience et quelques cheveux gris qu’il y a beaucoup plus de talents dans le monde que de besoins de talents, dans le monde entier et en Russie aussi. Certains ont trouvé l’exil en Amérique, tant mieux pour eux. Ils sont partis pour le dernier modèle d’IPhone. Mais il y a beaucoup de patriotes qui sont restés en Russie avec un cerveau qui fonctionne très bien.

Et ces Russes qui sont partis en Amérique disent que la Russie n’est pas développée ?

Oui. Seul un naïf ou un propagandiste peut parler comme ça. De là découle cette sous-estimation de la Russie dont j’ai parlé plus haut. Ils ne veulent pas connaître la Russie parce qu’ils sont les inventeurs venus de Russie qui servent les objectifs fixés par Washington. Ils ne veulent pas voir la réalité telle qu’elle est. Vous dites que je suis un expert avisé. Oui, j’ai mon doctorat en histoire russe. J’ai fait mes études et mes écrits dans cette section des sciences. Mais ce n’est pas la totalité des bases d’information sur lesquelles je fais maintenant mes observations. Au contraire. J’ai travaillé à Moscou et à Saint-Pétersbourg pendant dix ans à partir de 1994. J’ai un appartement à Saint-Pétersbourg. Je passe deux semaines six fois par an là-bas. Je fais mes observations sur tous les sujets possibles avec des journalistes russes de haut niveau, je suis invité à la télévision russe, non pas pour l’Occident mais pour les Russes. En russe pour les Russes. C’est très intéressant parce que je suis entouré de grandes personnalités politiques et scientifiques russes. Et nous avons la possibilité de parler entre nous pendant les pauses. Je peux donc entendre les avis, notamment des proches du Kremlin. Mais aussi les avis de mon voisin dans la petite fermette que je possède à 80 km au sud de Saint-Pétersbourg. Je peux donc entendre les opinions et observer la mentalité des gens là-bas, et comment cela a changé, particulièrement après l’annexion ou la réunification avec la Crimée au printemps 2014.

D’après ce que vous venez de me dire, vous ne voyez pas, vous, l’Américain, les Russes comme des ennemis.

Il faut être très prudent. Le regard des Russes envers l’Occident et envers l’Amérique en particulier a évolué très visiblement ces dernières années. La grande majorité de la population était favorable à l’Europe et aux États-Unis mais cela a changé depuis la confrontation à partir de 2012-2014. Cela a commencé avec la loi Magnitski, la première sanction contre la Russie qui n’a pas mordu très sévèrement mais cela a quand même été très désagréable. Mais après l’introduction des vraies sanctions en 2014 qui ont coïncidé avec la chute du prix du pétrole et avec une petite crise dans l’économie russe, la liaison entre l’Occident et sa volonté d’asphyxier la Russie était devenu très évident au peuple russe. Et ainsi a eu lieu le changement brusque à l’égard de l’Occident, y compris les États-Unis. Et maintenant, on ne pense pas qu’ils sont des ennemis, mais c’est très proche.

Ne pensez-vous pas que la Guerre Froide existe toujours, car on a l’impression que si les administrations américaines changent, il y a toujours un sentiment anti-Russie ?

Oui, mais une guerre froide sous-entend des relations très spécifiques qui n’existent pas maintenant. Premièrement, c’est une confrontation idéologique qui n’existe plus. Les Russes et Monsieur Poutine ne sont pas des communistes. Ils sont en faveur d’une économie mixte : marché-étatique à la fois.

Libérale ?

Libérale, oui. Mais en même temps, tout le savoir-faire que nous avions acquis pendant la Guerre Froide et la connaissance que la Russie peut nous détruire, cela a disparu. Ainsi, nous avons une attitude envers la Russie qui est très risquée, mal informée par notre choix et très risquée.

C’est-à-dire aventureuse.

Aventureuse et beaucoup plus risquée que les dernières décennies de guerre froide.

Elle est plus dangereuse maintenant ?

Oui, sans aucun doute. Premièrement, les expressions, les caractérisations des leaders de la classe politique russe par les Américains étaient impensables pendant la période de la Guerre Froide. Dire, comme Hillary Clinton l’a dit plusieurs fois, que Monsieur Poutine est un nouvel Hitler aurait été totalement exclu. C’est dû au niveau de culture américaine qui est très bas en comparaison avec les années 1960, 1970. Mais il y a une raison. Ce n’est pas un accident. Ce n’est pas nous, ce sont les Romains, peut-être les Grecs même, qui ont donné l’aphorisme « Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Et l’Amérique est corrompue absolument.

Qui a intérêt à voir une guerre entre l’Occident et la Russie ?

Personne. Mais ce n’est pas une question de personnes malveillantes ou de vendeurs d’armes qui veulent la guerre, non, ce sont des généralisations trop simplistes. Mais plutôt où en sommes- nous maintenant avec cette sous-estimation de la volonté et de la capacité militaire russe ? Nous avons la grande possibilité de commettre une erreur pouvant mener à un accident.

De la part de Monsieur Trump ?

Pas nécessairement. S’il se passe quelque chose sur la Terre, s’il y a une perte de vies sur la Terre à cause d’un mauvais calcul des forces américaines ou des alliés des Américains, ce sera le départ d’une guerre mondiale. Ce ne sera pas de la volonté de quelque personne méchante. Mais par accident.

Ne sommes-nous pas dans les derniers jours de Pompéi ?

Oui, mais les derniers jours de Pompéi ont été une catastrophe naturelle. Nous avons quelque chose de tout-à-fait différent.

Que pensez-vous de la nomination de Gina Haspel à la tête de la CIA ?

Les questions de qui est qui dans l’administration ne m’importent pas parce que Monsieur Trump est au volant mais son volant n’est pas rattaché au véhicule (rires).

Vous avez évoqué dans un de vos articles que les généraux américains sont réticents d’entamer une guerre contre la Russie parce que la situation risque d’être catastrophique. Quel est le rapport de forces réel au sein de l’administration Trump ?

Les personnalités les plus sages dans ce milieu sont les militaires. Monsieur Mattis est un général à la retraite. Il est un civil aujourd’hui. Le Secrétaire à la Défense ne peut pas être un général d’active. Il a son expérience de militaire. Mais le militaire d’active, c’est le général Dunford qui est le chef d’état-major. Il est le chef de tous les services militaires. Il a rencontré il y a six ou huit mois son homologue russe le général Guerassimov. Ils se sont rencontrés à Antalya en Turquie. Ils ont passé deux jours ensemble. Ils se connaissent très bien. Je crois que Monsieur Dunford sait très bien qu’il n’y a pas de bluff du côté russe. Ce que dit Monsieur Guerassimov, c’est exactement les ordres qu’il a reçus de Monsieur Poutine. Quand il dit qu’il va tirer, cela veut dire qu’il va tirer. Il est très important de rappeler que les deux chefs d’état-major Dunford et Guerassimov ont eu un entretien téléphonique il y a quelques jours. Je crois que c’est la chose la plus décisive dans les décisions que vont prendre les Américains. Monsieur Mattis a changé d’avis. On va voir si cela reste comme ça.

Vous ne pensez pas que Trump a aussi changé d’avis ?

Trump ne compte pas. Si je peux mettre la situation dans un contexte spécifique, les Américains aiment bien parler des « régimes ». L’Amérique a maintenant un régime. Nous n’avons pas un gouvernement élu, parce que cela ne correspond pas aux élections. Monsieur Trump est une personne qui attend sa démission, il est sous attaque chaque jour pour l’écarter de tout. Et effectivement, il n’est pas une personne qui prend des décisions, et ça, c’est notre tragédie.

Ne pensez-vous pas qu’il est dangereux ?

Il est évident pour moi depuis longtemps que Trump n’a aucun respect pour le service fédéral, pour le gouvernement fédéral américain. Pour lui, il n’y a aucune différence entre les postes de l’administration, parce qu’il ne veut pas suivre les conseils des personnes qui les occupent. Il suit un autre aphorisme : « gardez vos ennemis le plus près possible ». Il a nommé et est entouré de personnes qui sont avocats des politiques contraires à ce qu’il veut lui-même. Cette situation est totalement anormale.

Le duo Trump/Bolton n’est-il pas un danger pour la stabilité mondiale ?

C’est le meilleur exemple. Monsieur Bolton a énormément d’ennemis et il est impensable qu’il n’ait aucune autorité à Washington. Trump a nommé cette personne pour la raison d’avoir un ennemi proche de lui. Penser qu’il va prendre en considération l’avis de Monsieur Bolton est exclu.

Donc, dans son administration, Trump n’a pas de proches ?

De personnes de même mentalité ? Non. Il est un fou dans sa chambre à coucher avec son téléphone portable.

C’est une situation bizarre que vit l’Amérique…

C’est une situation totalement bizarre. C’est un mauvais roman. C’est pourquoi je dis que les choses décisives viendront de la sagesse des militaires.

Et vous pensez que Monsieur Dunford a avec lui des généraux influents ?

Mon opinion ne compte pour rien. L’évolution de la situation va clarifier qui est décisif.

Quel est le poids réel des néoconservateurs dans l’administration Trump ?

Trump a chassé beaucoup de néoconservateurs de son administration dès les premiers jours. Mais ça ne change pas beaucoup parce qu’il faut limoger tout le gouvernement américain. On doit prendre conscience que sous l’administration Bush fils, son vice-président Dick Cheney a chassé du gouvernement toutes les personnes avec quelque indépendance de pensée. Depuis les 14 dernières années, ils ont recruté uniquement des personnes qui pensent comme eux. Il faut dire que quand vous dites « néo conservatisme », vous laissez de côté les démocrates qui sont du même avis mais ils ne sont pas des néoconservateurs, ils sont simplement des faucons.

Pourquoi les Occidentaux n’ont-ils jamais combattu réellement le terrorisme ? Au contraire, ils ont armé, financé, entraîné les terroristes, notamment avec leurs alliés Saoudiens et Qataris et on se rappelle la célèbre phrase de Laurent Fabius, alors Ministre des Affaires étrangères français : « Al-Nosra fait du bon boulot ».

Pour contrer la Russie et pour changer le régime en Syrie. On était prêt à payer n’importe quel prix et tout le blâme pour la perte de vies civiles était mis sur le dos d’Assad.

Donc changer le régime et mettre un pro-occidental à la place de Bachar Al-Assad ?

Oui, exactement.

Pourquoi les médias dominants sont-ils silencieux sur la guerre catastrophique que mènent les Saoudiens contre le peuple yéménite et qui ne suscite aucune réaction internationale ?

Parce que, nous ici en Belgique, là-bas en Amérique, nous n’avons pas une presse libre, c’est très simple. Vous savez très bien en tant que journaliste que tout ce secteur économique est en pleine crise, c’est le résultat des technologies digitales. La semaine dernière, j’étais à Rome, je n’ai trouvé aucun vendeur de journaux. Ça n’existe pas. Toutes les boutiques vendent maintenant des souvenirs inutiles qui ne coûtent rien du tout et tout le stock pris dans son ensemble coûte 5 dollars (rires). Mais il n’est pas possible d’acheter un journal. Dans cette situation où la presse n’a pas de financement adéquat, ça ne fait qu’empirer la question de la liberté de la presse. Il n’y a pas de liberté de la presse. Nous pensons que nous faisons des progrès parce qu’aujourd’hui il n’y a pas de nécessité d’avoir des intermédiaires. C’est la même chose que de dire que nous n’avons pas besoin de professeurs dans les écoles, que l’on peut éliminer l’intermédiaire et les garçons et les filles vont s’éduquer eux-mêmes avec Google.

Vous pensez que la disparition de la presse papier joue en faveur de la désinformation ?

Cela joue un rôle énorme, mais ce n’est pas une situation récente. Monsieur Noam Chomsky, le grand dissident américain, a écrit en 1985 en tant que co-auteur le livre La manufacture du consentement ["la fabrication du consentement" - BdR]. C’est une question de censure out of censure. Aujourd’hui, quand quelqu’un reçoit un diplôme de journaliste et espère gagner sa vie, d’avoir une famille, il y a une seule chose à faire : entrer dans les relations publiques pour une grande société. Cela demande les mêmes aptitudes pour un employeur qui paie le salaire. Et finalement, les journalistes sont devenus corrompus. Mon épouse est journaliste dans le domaine de la mode et elle connaît bien ce problème. Il n’y a pas uniquement en Russie que les journalistes sont limogés, en Belgique aussi. Il n’y a pas de nombreux journalistes dans le domaine de la couture ou dans les grands journaux comme Le Soir, par exemple. Les journalistes partent à la retraite et c’est fini, ils ne sont pas remplacés parce qu’il n’y a pas d’argent.

Le journalisme n’est-il pas en train de disparaître et ne se dirige-t-on pas vers une presse faite par les citoyens, comme la presse alternative ?

La presse alternative est une bonne chose mais elle n’est pas à la même taille et elle n’est pas de la même qualité, en principe. Si le journalisme réel avait continué, ce serait beaucoup plus sophistiqué et beaucoup plus éduqué que ce que nous avons maintenant. On parle de fake news. Il y a beaucoup de fake news parce qu’il n’y a pas d’intermédiaires professionnels et même chez les grands éditeurs, je ne parle pas de la presse mais des éditeurs en général, ils ont limogé les rédacteurs. Si vous avez affaire avec une grande édition, dans la plupart des cas, il n’y a pas de vrais rédacteurs. Tous les services d’une édition ont disparu, c’est-à-dire que les professions sont sous attaque digitale. Par exemple, personne dans les grands médias ne publie mes articles.

Pourquoi les grands titres de presse ne donnent-ils pas la parole à des gens comme vous qui éclairent le public sur la situation ?

Parce qu’ils ne veulent pas avoir quelque chose qui est contraire à la propagande qu’ils reçoivent du gouvernement.

Nous sommes dans le consentement de Chomsky.

Oui, exactement. Ce qu’il avait trouvé en Amérique Latine est valable pour toute l’Europe et pour l’Amérique. On reçoit le briefing du Département d’État et ça devient l’article.

Vous ne croyez pas qu’il y a une dérive fasciste dans l’exercice de ce type de journalisme ?

Quand on dit fasciste, c’est une dénomination politique spécifique. Mais c’est plus large, c’est une espèce de totalitarisme. C’est plus large que le fascisme. Il y a une police de la pensée. Nous sommes bien sur le chemin du totalitarisme. Et on parle de progrès parce qu’il n’y a pas d’intermédiaire, mais ce n’est pas du progrès, c’est de la régression vers l’âge de pierre.

Donald Trump connaît des problèmes internes notamment avec le FBI qui vient de perquisitionner chez son avocat, le président français Macron a, lui aussi, des problèmes internes avec des contestations sociales immenses, Theresa May a des problèmes internes également. Ne pensez-vous pas que ces responsables occidentaux veulent contourner leurs problèmes internes en provoquant une guerre externe ?

Ce que vous dites est l’inverse de ce qu’on dit toujours des Russes et de Monsieur Poutine. Les chefs d’État autocratiques n’ont pas le support du peuple, ils ont une crainte du peuple et donc une faiblesse politique, ainsi ils cherchent des aventures à l’étranger pour créer une diversion. Et maintenant vous dites cela à propos des Occidentaux. Je suis d’accord. C’est un principe politique que nous pouvons trouver chez Machiavel. Mais je fais une différence entre objectif et subjectif. Je crois qu’objectivement, oui, vous avez raison. Subjectivement, je ne peux pas penser que les personnes citées, Trump, May, Macron, envisagent de telles solutions. On ne conceptualise pas les défis comme ça en tant que chef d’État. Je pense qu’ils sont dans l’illusion « on fait ce qu’on pense correct et objectivement on agit comme on pense ». Et je ne crois pas que Trump soit si cohérent dans ses pensées pour agir de cette façon.

Comme vous connaissez bien la Russie et des politiciens et responsables russes de haut niveau, que pouvez-vous nous dire sur la situation en Ukraine, parce que personne n’en parle dans les médias ?

Je dois dire franchement que je ne suis pas un expert de l’Ukraine. Je suis allé là-bas il y a vingt ans. Je ne peux pas vous dire quelle est la situation, si ce n’est ce que je vois chaque jour à la télévision russe. On peut penser que le pays est presque en faillite, que personne n’est payé, que rien ne fonctionne. Mais en même temps, si on regarde un tout petit peu les reportages des journalistes, il ne semble pas que c’est une catastrophe, que Kiev ait cessé de fonctionner. Ça fonctionne, il y a des voitures, de la vie, et la faillite de l’Ukraine qui a été annoncée il y a trois ans, n’est pas arrivée. Pour ces raisons, je ne veux pas faire de commentaire sur l’Ukraine.

Par contre, sur les questions des relations de l’Ukraine avec la Russie, je peux faire des commentaires. Les relations sont terribles. Le rejet de toute solution à la situation dans le Donbass, dans l’est de Lougansk, par Monsieur Porochenko et ses amis est inexcusable et cela donne toutes les raisons de craindre qu’il y ait vraiment une nouvelle guerre là-bas. Je crois que si la crise en Syrie se résout, on peut attendre une nouvelle attaque ukrainienne dans six mois. C’est-à-dire que les deux questions sont liées, ce sont les efforts de l’Amérique pour semer le chaos et d’assurer l’asphyxie de la Russie par un moyen ou un autre.

C’est-à-dire que si la situation en Syrie s’améliore, il y aura quelque chose en Ukraine ?

Oui, c’est cela. Pour la Russie, la situation en Ukraine est militairement moins risquée que la situation en Syrie. En Ukraine, la Russie a toutes les possibilités de résoudre la question en trois jours, c’est-à-dire de prendre Kiev et de changer le gouvernement, et d’annoncer les élections dans deux ans, sans occupation, simplement en changeant le gouvernement. C’est très possible et c’est à la portée des capacités militaires russes. Et l’Occident ne pourrait rien faire du tout.

Pourquoi les Occidentaux, qui n’en ont pourtant pas les moyens, s’acharnent-ils à vouloir combattre la Russie ?

Il y a des raisons. Et ce n’est pas uniquement une question de président qui est un imbécile, et des conseillers qui sont méchants, il y a beaucoup plus que cela. Tout le système mondial est protégé par ce président imbécile et ses conseillers méchants, et cela donne beaucoup de richesse à l’Amérique au détriment du reste du monde. Comme un politicien russe l’a dit à la télévision, « les Américains mangent les déjeuners de tout le monde gratuitement » (rires). Et c’est le cas. Et la Russie a mis en danger cette suprématie totale, cette hégémonie globale, qui donne beaucoup de richesse à l’Amérique.

Et vous pensez que le régime américain ne veut pas d’un monde multipolaire avec la Russie, la Chine, etc.?

Pour le moment, ce n’est pas multipolaire, c’est bipolaire : la Russie, l’Amérique. L’Europe ne compte pour rien, la Chine finalement ne compte pour rien parce qu’elle ne prend pas de position. C’est la Russie et l’Amérique qui font le jeu maintenant. Toute cette volonté pour l’asphyxie de la Russie, c’est le résultat de cette objection publique de la Russie contre l’hégémonie américaine. Et les lignes passent par la Syrie, c’est là qu’est la confrontation et c’est pourquoi les deux cotés ne veulent pas céder la place. Mais les enjeux sont vraiment réels et très grands, beaucoup plus grands que la Syrie. Beaucoup plus grands que le Moyen-Orient. Ils sont planétaires. C’est pourquoi les Russes au départ ont trouvé risible le fait d’accuser Poutine d’avoir supporté Trump contre Hillary, parce que les Russes ont conscience que cette confrontation avec les Américains a des bases réelles et importantes et que les défis et les enjeux sont grands. On change de président mais on ne change pas les fondations.

Sous l’ère Obama, on n’avait pas ce risque de confrontation directe.

Monsieur Obama était la plupart temps lâche mais c’était une bonne chose.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 

Qui est Gilbert Doctorow ?

Le Dr. Gilbert Doctorow est un observateur et acteur professionnel américain spécialisé dans les affaires russes depuis 1965 et un analyste politique basé à Bruxelles, Belgique. Il est diplômé magna cum laude du Collège Harvard (1967), ancien boursier Fulbright, et titulaire d’un doctorat en histoire à l’Université de Columbia (1975). Après avoir terminé ses études, M. Doctorow a poursuivi une carrière commerciale axée sur l’URSS et l’Europe de l’Est. Pendant vingt-cinq ans, il a travaillé pour des multinationales américaines et européennes en marketing et en management général avec une responsabilité régionale. De 1998 à 2002, il a été président du Russian Booker Literary Prize à Moscou. La recherche actuelle de M. Doctorow porte sur les tendances des programmes d’études de la zone des États-Unis. Il a été chercheur invité à l’Institut Harriman de l’Université Columbia durant l’année académique 2010-2011.

Un certain nombre de ses premiers articles savants sur l’histoire constitutionnelle russe sous Nicolas II tirés de sa thèse restent disponibles en ligne. Dr. Doctorow a également été un contributeur occasionnel de la presse en langue russe, notamment dans Zvezda (St Petersburg), Russkaya Mysl (La Pensée russe, Paris) and Kontinent (un journal sponsorisé par Alexandre Soljenitsyne) sur les questions de la vie culturelle et politique russe. Il publie régulièrement des articles analytiques sur les affaires internationales dans son blog sur le portail du quotidien belge La Libre Belgique.

Il est l’auteur de plusieurs livres, dont : Does Russia have a future ? ; Stepping out of line ; Does the United States have a future ? ; Great Post-Cold War American Thinkers on International Relations.

»» https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2018/04/26/dr-gilbert-doctorow...
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« Nous pouvons faire sauter un navire américain et en rejeter la faute sur les Cubains. La publication des listes des victimes dans les journaux américains accroîtrait encore l’indignation. Nous pouvons aussi détourner des avions. Dans des endroits bien choisis où l’impact serait énorme, nous pourrions poser des charges de plastic. Nous pourrions également repeindre des B26 ou C46 de nos forces aériennes aux couleurs cubaines et nous en servir pour abattre un avion de la République dominicaine. Nous pourrions faire en sorte qu’un prétendu appareil de combat cubain abatte un avion de ligne américain. Les passagers pourraient être un groupe de jeunes étudiants ou de vacanciers. »

Général Lyman LEMNITZER (1899 – 1988)
Chef d’état-major des armées (1960-62) et Supreme Allied Commander de l’Otan (1963-1969)

Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
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Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
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"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
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