En 1989 aussi, les États-Unis bombardaient le Panama pour des raisons économiques et militaires.

Jackson MILTON

John Perkins raconte ce bombardement cruel, au cours duquel le nombre de morts innocents fut soigneusement caché, dans Les confessions d’un assassin financier.

Il cite Graham Green, qui écrit dans A la rencontre du Général  :

"En août 1981, alors que mes valises étaient prêtes pour mon cinquième voyage au Panama, j’appris par téléphone la mort de mon ami le général Omar Torrijos Herrera, qui y était mon hôte. Le petit avion dans lequel il se rendait à sa maison de Coclesito, située dans les montagnes panaméennes, s’était écrasé au sol, sans laisser de survivants. Quelques jours plus tard, son garde de sécurité, le sergent Chuchu, alias José de Jesûs Martinez, ex-professeur de philosophie marxiste à l’université de Panama, professeur de mathématiques et également poète, me dit : " Il y avait une bombe dans l’avion. J’en ai la certitude, mais je ne peux vous expliquer pourquoi au téléphone." "

On pleura partout la mort de cet homme qui s’était fait une réputation de défenseur des pauvres et des faibles et l’on demanda à Washington d’ouvrir une enquête sur les activités de la CIA. Cela ne risquait cependant pas d’arriver. Parmi les ennemis de Torrijos se trouvaient des gens immensément puissants.(p180)

Les chefs militaires étaient particulièrement irrités par les clauses du traité Carter-Torrijos qui les forçaient à fermer l’École des Amériques et le centre d’entraînement militaire tropical du U.S. Southern Command.

Parmi les ennemis commerciaux de Torrijos se trouvaient les grandes multinationales. La plupart entretenaient des liens étroits avec des politiciens américains et exploitaient la main-d’œuvre et tes ressources naturelles de l’Amérique latine : le pétrole, le bois, l’étain, le cuivre, la bauxite et les terres agricoles. (p.181)

À J’époque, je ne pouvais pas prévoir que Torrijos collaborerait avec Carter pour rendre le canal de Panama au peuple méritant légitimement de le posséder, ni que cette victoire, comme ses tentatives pour réconcilier les socialistes et les dictateurs latino-américains, irriterait suffisamment le gouvernement Reagan-Bush pour qu’il cherche à l’assassiner

Je ne pouvais pas prévoir non plus qu’il serait tué lors d’un simple vol dans son Twin Otter, ni que la plupart du monde extérieur aux États-Unis serait convaincue que sa mort, à l’âge de cinquante-deux ans, n’était que le plus récent d’une série d’assassinats perpétrés par la CIA.

S’il avait vécu, Torrijos aurait sans doute cherché à apaiser la violence endémique qui sévissait dans tant de nations d’Amérique centrale et d’Amérique latine. Vu ses antécédents, on peut présumer qu’il aurait tenté de conclure une entente afin de limiter la destruction des régions amazoniennes de l’Équateur, de la Colombie et du Pérou par les compagnies pétrolières internationales. Il en aurait résulté, entre autres, la réduction des terribles conflits qualifiés de guerres terroristes ou de guerres de la drogue par Washington, mais que Torrijos considérait comme les actes désespérés de gens ordinaires lentant de protéger leur foyer et leur famille. En outre, je crois bien qu’il aurait (p. 182)

Dès la fin des années 80, il devint manifeste, avec l’effondrement de l’Union soviétique et du mouvement communiste mondial, que le combat contre le communisme n’était plus le but que l’on poursuivait. Il était également évident que l’empire global, enraciné dans le capitalisme, aurait le champ libre. (p. 192)

L’héritage de Torrijos était encore vivant, même s’il était perpétué par des gens n’ayant ni sa compassion ni sa force de caractère. Les tentatives de Panama pour régler les différends dans l’ensemble de l’hémisphère se poursuivirent, tout comme persista la volonté de forcer les Ëtats-Unis à respecter les clauses du traité du canal. (p.197)

Noriega se retrouvait avec un président américain souffrant d’un problème d’image, ce que les médias appelaient l« facteur mauviette » de George H. W. Bush . Cela devint manifeste quand il refusa obstinément d’accorder une extension de quinze ans à l’École des Amériques. Ses mémoires contiennent un passage intéressant à ce sujet : "Malgré toute notre détermination et notre fierté de poursuivre l’œuvre de Torrijos, les États-Unis ne voulaient rien entendre. Ils désiraient une extension ou une renégociation sur l’installation [l’École des Amériques], disant qu’ils en avaient encore besoin à cause de leurs préparatifs de guerre en Amérique centrale. Mais cette École des Amériques nous mettait dans l’embarras. Nous ne voulions pas sur notre sol d’un terrain d’entraînement pour escadrons de la mort et militaires répressifs de droite. "

Le monde aurait peut-être dû s’y attendre, mais il fut néanmoins stupéfié lorsque, le 20 décembre 1989, les États-Unis attaquèrent le Panama, y lançant la plus grosse attaque aérienne commise sur une ville depuis la Deuxième Guerre mondiale. Cette agression sur une population civile ne répondait à aucune provocation. Le Panama ne constituait une menace ni pour les États-Unis ni pour aucun autre pays. (p.198)

Cette action unilatérale des États-Unis fut dénoncée par des politiciens, des gouvernements et la presse du monde entier comme une violation flagrante de la loi internationale.

Comme l’explique Noriega : "Je tiens à le préciser clairement : la campagne de déstabilisation lancée par les États-Unis en 1986 et qui s’est terminée par l’invasion du Panama en 1989 fut le résultat du rejet par les États-Unis de tout scénario comportant le contrôle futur du canal par un Panama indépendant, souverain et soutenu par le Japon "

La justification officielle fournie par Washington pour cette attaque ne reposait que sur un homme. Noriega était l’unique raison pour laquelle les États-Unis avaient envoyé des jeunes hommes et des jeunes femmes risquer leur vie et perturber leur conscience en tuant des gens innocents, dont un nombre inconnu d’enfants, et en mettant le feu à de larges portions de la ville de Panama. On dépeignait le général comme un méchant ennemi du peuple, un monstre trafiquant de drogue, ce qui fournissait au gouvernement une excuse pour envahir ce petit pays de deux millions d’habitants qui, comme par hasard, comportait l’un des plus précieux territoires du monde. (p.199)

Si le monde fut outré par cette entorse à la loi internationale et par l’inutile destruction d’une population sans défense par la plus puissante force militaire de la planète, peu d’Américains furent conscients de l’outrage ou des crimes commis par Washington car la couverture médiatique de ces événements fut très limitée. (p. 201)

Jackson MILTON

COMMENTAIRES  

12/09/2013 01:03 par Pana!

Vous oubliez de mentionner que durant des mois précédent l’intervention américaine en 89, les forces démocratiques du pays se battaient pacifiquement et résistaient à la dictature du Général Noriega. Le pays se mourrait de l’intérieur alors que les militaires imposaient une censure à l’opposition, que les libertés individuelles disparaissaient et que Noriega s’enrichissait du trafic de drogue. Les marches blanches pacifiques se relayaient, les universités étaient toutes contre la dictature, les soirs les panaméens n’ayant plus d’autres alternatives tapaient sur des casseroles à heure fixe pour montrer la grogne du peuple face à une dictature aveugle et brutale. La clameur de la liberté montait sur la ville et les batalloneros ne pouvaient rien contre cela. En dehors du pays, personne n’écoutait ou n’était prêt à aider ce peuple. A l’intérieur, de nombreux opposants ont été incarcérés sans procès, voire exécutés. Le plus emblématique est Hugo Spadafora (par ailleurs ex-guérillero en Guinée-Bissau et Nicaragua et qu’on ne peut suspecter de collusion avec les gringos), qui fût même décapité avec sauvagerie. Aujourd’hui l’histoire a jugé et les Panaméens dans leur plus vaste majorité se félicitent de ne plus être sous la dictature d’un fou. Ceci ne fût possible que parce qu’un pays allié du Panama d’Omar Torrijos a pris ses responsabilités, reconnaissons au moins cela aux Etats-Unis. Si cette période vous intéresse, vous pouvez lire "Gringo Cabron" de Laura Jeannette Gau Stone. Un livre sans complaisance et qui décrit les méfaits de la dictature de Noriega et de ses relations troubles avec les Etas-Unis.

12/09/2013 01:43 par legrandsoir

Certes, certes, mais quelle était déjà la raison de l’agression du Panama par les Etats-Unis ?

12/09/2013 05:29 par Pana!

Un peu d’histoire avant de répondre...

Il faut quand même réaliser que Torrijos a été soutenu par les USA, et ce à partir du moment ou il a accepté de créer son parti, le PRD Partido Revolucionario Democratico. Ce parti devait être un gage démocratique devant permettre aux USA de rétrocéder sereinement le Canal à une nation libre de toute dictature et amie. Carter avait compris qu’une mainmise sur le Canal ne pouvait tenir longtemps et il a fait le pari avec Omar Torrijos de laisser les clées aux Panaméens, sous condition qu’une démarche vers la démocratie s’engage. Le PRD a dû rassembler une majorité des forces démocratiques de l’époque, en plus des suiveurs de Torrijos. Aujourd’hui ce parti représente l’aile gauche de la vie politique de Panama.

Le grain de sable a été la disparition prématurée de Torrijos, garant de cette transition démocratique aux yeux des américains. Cela a favorisé la montée de Noriega (avec l’appui initial des Etats-Unis il faut le dire), mais qui mis en définitive le pays sous tutelle totale des militaires.

La sécurité du Canal était en jeu, car Noriega échappait à toute logique, provoquait les Etats-Unis avec des discours belliqueux, et faisait de Panama la base arrière des narco trafiquants - ce que les américains ne pouvaient tolérer. Bref Noriega est sorti du cadre de rétrocession du Canal envisagé par les USA en sortant du chemin vers la démocratie.

En conclusion : les américains avaient perdu confiance en Noriega qui devenait une menace pour le Canal (armée de plus en plus forte + propagande belliqueuse + trafic de drogue + exactions envers les opposants + négation des valeurs démocratiques nécessaires à la stratégie de rétrocession du Canal). Voilà les raisons de l’intervention.

Les démocrates Panaméens de tout bord se réjouissent aujourd’hui de vivre dans un pays bien plus démocratique et ouvert, ou la liberté d’expression est de mise. Depuis l’an 2000, le Canal est pleinement Panaméen, comme l’avaient souhaités Torrijos et Carter. L’ accord Carter-Torrijos a été mené à son terme et a été respecté par les deux pays.

Merci pour avoir publié mon post !

12/09/2013 12:39 par legrandsoir

En conclusion : les américains avaient perdu confiance en Noriega qui devenait une menace pour le Canal (armée de plus en plus forte + propagande belliqueuse + trafic de drogue + exactions envers les opposants + négation des valeurs démocratiques nécessaires à la stratégie de rétrocession du Canal). Voilà les raisons de l’intervention.

armée de plus en plus forte ? L’armée panaméenne ?
propagande belliqueuse ? qui dit ça, déjà ? Les US ?
trafic de drogue ? la Colombie, quelqu’un ? Iran/Contra ?
négation des valeurs démocratiques, exactions envers les opposants ? Hé, nous sommes en Amérique latine, dans les années 80. C’est une blague ?

C’est-à-dire pas une seule raison crédible (encore mois légale) - c’est bien ce qu’il me semblait.

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