RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Georges Corm : "C’est une bataille titanesque qui se joue aujourd’hui, principalement en Syrie"

Deux jeunes femmes, afghane et irakienne, pendant la mobilisation hostile à une intervention en Syrie devant le Capitole, à Washington le 7 septembre 2013.

Historien et économiste, spécialiste du monde arabe, Georges Corm [1] décrypte les risques d’une intervention armée en Syrie pour la région, le rôle des différentes puissances, comme l’Arabie saoudite, Israël, l’Iran, et le jeu des alliances.

Quel impact peut avoir une intervention en Syrie même présentée comme rapide et courte ?

Georges Corm : On ne peut vraiment pas savoir car cela dépendra de l’ampleur de cette attaque. Si elle est courte, en principe elle peut passer sans qu’il y ait de riposte pouvant dégénérer en affrontements plus larges. En revanche, si elle est ravageuse en termes de vies humaines, comme cela est très possible à constater la concentration de forces militaires à haut pouvoir de destruction, on ne sait pas ce qui peut se passer. D’ailleurs, le régime pourrait en sortir renforcé, contrairement à l’objectif recherché.

Dix ans après l’Irak, et devant un tel échec, pourquoi les puissances du Nord (France, États-Unis, Grande-Bretagne, Canada...) sont-elles prêtes à prendre à nouveau le risque d’une nouvelle guerre dans la région ?

Georges Corm. L’Occident politique sous la conduite des États-Unis est pris d’une fièvre guerrière étonnante depuis la chute de l’URSS, qui le fait bombarder ou envahir ou dépecer des pays souverains avec un appétit insatiable et la farce d’arguments moraux ou de défense tellement sélective des droits de l’homme. C’est un phénomène très peu analysé.

Le côté va-t-en-guerre des dirigeants américains, français et britanniques peut-il s’expliquer par leur alliance avec les Émirats ?

Georges Corm : Non, le côté va-t-en-guerre n’est pas dû à une nouvelle alliance avec les monarchies et principautés de la péninsule arabique, exportatrices de pétrole. Celle-ci existe depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Mais le flux de pétrodollars influe depuis longtemps sur l’opinion et une partie des élites politiques européennes, ainsi que sur les médias. L’Arabie saoudite et Israël sont les deux États clients principaux des États-Unis. Ils sont eux-mêmes à la source des déstabilisations de la région : Israël du fait de la colonisation continue de ce qui reste de territoires palestiniens ; l’Arabie saoudite par la formation d’imams wahhabites qui exportent cette forme extrême de rigorisme islamique

« L’Europe est totalement “atlantisée” sur le plan de sa politique extérieure
dans le monde musulman. Les deux grands alliés des États-Unis fournissent ainsi le prétexte des interventions. On peut aussi y ajouter le Pakistan dont l’armée et les services secrets sont proches des talibans.

Le risque régional est-il encore plus grand pour des pays comme l’Irak et le Liban avec la reprise des attentats à Tripoli et à Beyrouth ?

Georges Corm : Pour l’Irak, les attentats meurtriers qui visent presque tous des quartiers urbains chiites ne font qu’augmenter sans que le gouvernement ait les moyens d’y mettre fin. Au Liban, le phénomène du « takfirisme » [2] est relativement récent et a pris beaucoup d’ampleur depuis la crise syrienne à laquelle il est lié. Dans les deux cas, l’impression donnée est celle d’une guerre entre sunnites et chiites qui cache, en réalité, la lutte entre deux axes géopolitiques : celui qui défend la prépondérance américano-israélienne,

saoudienne et turque au Moyen-Orient, d’un côté, et celui qui conteste cette prépondérance et qui, aujourd’hui, regroupe l’Iran, la Russie, la Chine, le régime syrien et le Hezbollah libanais et ses alliés locaux qui se recrutent dans toutes les communautés libanaises, de l’autre côté. C’est une bataille titanesque qui se joue aujourd’hui principalement en Syrie, plus accessoirement en Irak et au Liban.

L’utilisation systématique de la guerre pousse-t-elle à de nouvelles guerres froides et à une stratégie de bloc contre bloc comme au temps de l’URSS ?

Georges Corm : Bien sûr, nous sommes revenus à l’équivalent d’une guerre froide avec de nombreux points ou abcès de fixation de plus en plus chauds et la question iranienne peut déraper à n’importe quel moment comme celle de la Syrie. À l’autre bout du monde, en Extrême-Orient, l’affirmation de la puissance chinoise raidit les positions japonaises. Mais en fait, c’est l’ardeur guerrière occidentale qu’il faut analyser et calmer. Que l’on se rappelle des millions d’Européens qui ont manifesté contre l’invasion de l’Irak sans que cela n’influe sur la décision américaine. L’Europe est donc totalement « atlantisée » ou « otanisée » sur le plan de sa politique extérieure, depuis la dernière opposition franco-allemande et belge à la décision américaine d’envahir l’Irak. Cela a été un bien éphémère sursaut d’indépendance vis-à-vis des États-Unis. »

Entretien réalisé par Vadim Kamenka, Dimanche 8 septembre 2013

»» humanite.fr

[1Auteur de Pour une lecture profane des conflits, en 2012, aux éditions La Découverte.

[2Le takfirisme désigne des groupes salafistes armés particulièrement violents et cruels. La plupart sont armés et financés par l’Arabie saoudite, et les émirats du Golfe.


URL de cet article 22353
  

Même Thème
Interventions (1000 articles).
Noam CHOMSKY
à l’occasion de la sortie de "Interventions", Sonali Kolhatkar interview Noam Chomsky. Depuis 2002 le New York Times Syndicate distribue des articles du fameux universitaire Noam Chomsky, spécialiste des affaires étrangères. Le New York Times Syndicate fait partie de la même entreprise que le New York Times. Bien que beaucoup de lecteurs partout dans le monde peuvent lire des articles de Chomsky, le New York Times n’en a jamais publié un seul. Quelques journaux régionaux aux Etats-Unis (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le déficit de l’Etat était l’objet même de spéculations. A la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or chaque emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’Etat, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans des conditions toujours plus défavorables.

Karl Marx
La lutte des classes en France. 1850

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.