RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

En Allemagne, critiquer la guerre et le capitalisme est dangereux (mais nécessaire)

Au pays de Karl Marx, il devient de plus en plus compliqué de défendre… le marxisme. La première force économique européenne veut faire taire les voix qui mettent en cause le capitalisme. Attaqué, le quotidien Junge Welt a décidé de réagir. Il mérite notre soutien.

« Depuis 2022 avec la guerre en Ukraine et 2023 avec la guerre à Gaza, nous subissons des attaques féroces contre la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté de réunion en Allemagne. En ce qui concerne la guerre en Ukraine et la guerre israélienne contre Gaza, nous adoptons une position totalement opposée à celle du gouvernement allemand et de la majorité des médias. Cela s’applique également à de nombreuses autres questions. Le gouvernement allemand et ses services secrets veulent nous clouer au pilori pour cela. » Nick Brauns, responsable du quotidien allemand de gauche Junge Welt (JW) (Jeune Monde), explique à Solidaire la criminalisation dont est victime son journal depuis des années : placé dans la case « extrémisme de gauche » pour sa ligne éditoriale anti-capitaliste, le média est attaqué par le pouvoir et surveillé par les services secrets. Mais Junge Welt réplique en portant plainte. Le procès sʼest tenu ce 18 juillet. Si le juge a donné tort à JW (en reprochant au journal de ne pas « seulement gagner des lecteurs mais de vouloir surmonter le capitalisme » par la lutte des classes, ce qui fait dire à Nick Brauns que « même dans la presse bourgeoise libérale et conservatrice, les commentateurs qui nous sont politiquement hostiles ont été horrifiés et considèrent qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté de la presse »), ce dernier n’abandonne pas et a promis de continuer, « en épuisant toutes les possibilités juridiques ». Une nécessité pour le journal car les pressions sʼaccentuent.

Cʼest peu médiatisé ici mais le climat autour de la liberté dʼexpression, tant vantée par les libéraux dʼhabitude, est inquiétant dans le moteur économique de lʼEurope. Par exemple, le mouvement écologiste Ende Gelände, connu pour ses actions symboliques, sʼest récemment aussi retrouvé sous la surveillance des services secrets. Son crime ? Lier écologie et critique du capitalisme. En Allemagne, critiquer la guerre, la colonisation, la pollution de masse en faisant le lien avec leur cause profonde – le système capitaliste – est jugé dangereux par lʼÉtat et vaut une mise sous surveillance de la part des services secrets.
Explications.

Attaque contre la liberté de la presse

« Junge Welt est un quotidien d’orientation clairement communiste. Ses convictions marxistes fondamentales ont pour objectif essentiel de remplacer la démocratie libérale par un système socialiste/communiste. » Ceci est la réponse que le gouvernement allemand donne au Parlement, suite à une question du parti de gauche Die Linke, pour expliquer la criminalisation du journal indépendant. Un média sous surveillance de la part des services secrets allemands depuis la fin des années 1990, qui sʼest systématisée à partir de 2004 et encore renforcée dernièrement.

Le Bureau pour la protection de la Constitution (« Verfassungsschutz ») – le renseignement intérieur allemand – place Junge Welt dans la case « extrémisme de gauche ». Ce qui a de grosses répercussions, comme nous lʼexplique Nick Brauns : « Par exemple, nous ne sommes plus autorisés à diffuser des publicités payantes dans les gares et les transports publics. Les publicités sur les radios publiques ont été supprimées. Diverses institutions ne répondent plus à nos demandes de renseignements. Des interlocuteurs potentiels refusent de nous parler... »

Sans oublier que la surveillance des communications des journalistes de Junge Welt met en péril la protection des sources, pourtant à la base de la liberté de la presse et présente dans la loi du pays.

Le marxisme, « contraire à la dignité humaine » ?

En mai 2021, au Parlement, le parti Die Linke a interpellé le gouvernement fédéral sur cette criminalisation. Les explications sont pour le moins interpellantes. Par exemple, on peut lire ceci : « Le capitalisme et l’ordre politique et social de la République fédérale – qui en découle selon la lecture marxiste – sont fondamentalement rejetés. Les auteurs des articles correspondants voient des solutions aux crises politiques et économiques existantes dans l’abolition d’un ‘ capitalisme ’, identifié comme en étant la cause. » Ceci veut dire quʼaucune voix remettant en cause le capitalisme ne peut se faire entendre dans le pays moteur économique de lʼUnion européenne.

Au pays de Marx, le marxisme nʼest que difficilement toléré : « La division d’une société selon le principe de la classe sociale est contraire à la dignité humaine », selon le gouvernement. La division de la société par classes est lʼoeuvre de Marx lui-même. Cette analyse théorisée au XIXe siècle reste dʼune actualité brûlante alors que les inégalités sociales explosent. Cʼest sans doute pour cela quʼelle doit être tue.

Suivre une ligne éditoriale de gauche est un délit

Le gouvernement reproche aussi à Junge Welt dʼavoir des principes et de sʼy tenir : « JW offre régulièrement à des représentants d’organisations d’extrême gauche en Allemagne et à l’étranger l’occasion de présenter leurs positions politiques dans des articles et/ou des interviews. JW offre ainsi un forum pour la publication d’idées révolutionnaires. (...) La sélection des articles et des opinions permet de reconnaître une certaine ligne éditoriale. »

Les idées défendues par Junge Welt sont en expansion et cʼest bien cela qui dérange le pouvoir, comme lʼexplique Nick Brauns : « La pression exercée par les services secrets s’est accrue avec l’augmentation du tirage (aujourd’hui, environ 21 000 exemplaires sont vendus par jour) et la sensibilisation croissante de la société à Junge Welt au cours des dernières années. L’un des reproches que nous adresse le gouvernement allemand est que nous avons de l’audience et que nous touchons donc de plus en plus de monde. Tant que nous ne touchions qu’une scène de gauche plus étroite, nous n’étions pas si durement combattus. » Le gouvernement ne sʼen cache dʼailleurs pas puisque cela fait partie de sa réponse à Die Linke de mai 2021 : « Junge Welt agit comme un multiplicateur des positions de l’extrême gauche. (...) Le journal atteint un grand cercle de personnes dans lequel elle peut diffuser ses positions anticonstitutionnelles. »

Soutenir les médias de gauche, nécessaire et utile

En Allemagne, Junge Welt peut compter sur de nombreux soutiens. Même du côté de certains médias traditionnels : Mandy Tröger, chroniqueuse au Berliner Zeitung, a défendu le média de gauche il y a quelques jours « car, lorsque la critique légitime devient un ennemi supposé de la constitution, c’est un pan de la liberté de la presse qui meurt en silence ». Lʼorganisation écologiste Friends of Nature Germany sʼest aussi positionnée : « Une restriction de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion est un signe alarmant. Friends of Nature ne veut et ne peut pas adhérer au conformisme grandissant dans le pays, spécialement en ce qui concerne la guerre. » LʼAssociation des journalistes allemands (DJV) a exprimé son inquiétude et sa volonté de voir la justice protéger les médias contre ces attaques et pas quʼelle « s’introduise dans les réunions de rédaction pour savoir qui échange sur Marx ou Engels ». Le syndicat suit de près le procès.

Ce qui se joue à Berlin en dit beaucoup sur notre système et devrait inquiéter à Bruxelles, Paris et partout ailleurs. Soutenir les voix de la gauche authentique comme Junge Welt est nécessaire, et utile. Car, comme le résume Nick Brauns, « lorsque les médias belges rendent compte de notre procès, cela met également la pression sur le gouvernement allemand, qui essaie de se présenter comme un phare de la démocratie et de la liberté de la presse dans le monde entier ».

»» https://www.solidaire.org/articles/...
URL de cet article 39754
   
Le choix de la défaite - Les élites françaises dans les années 1930
Annie LACROIX-RIZ
Comment, pour préserver leur domination sociale, les élites économiques et politiques françaises firent le choix de la défaite. Un grand livre d’histoire se définit premièrement par la découverte et l’exploitation méthodique de documents assez nombreux pour permettre des recoupements, deuxièmement, par un point de vue qui structure l’enquête sur le passé (Annie Lacroix-Riz répond à Marc Bloch qui, avant d’être fusillé en 1944, s’interrogeait sur les intrigues menées entre 1933 et 1939 qui (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu’une douzaine de programmes » - Karl Marx dans Critique du programme de Gotha (1875)

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.