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Gaza : pourquoi l’impunité d’Israël, comment juger les initiatives récentes (réponse à Jean Bricmont)

En réponse à Trois Idées Simples, de Jean Bricmont.
http://www.legrandsoir.info/spip.php?article7793

1. Sur l’impunité d’Israël

Dans un texte du 10 janvier, Jean Bricmont déclare que la seule explication de cette impunité à ce jour est la culpabilité occidentale à la suite de l’extermination des juifs par les nazis et la peur d’être accusé d’antisémitisme. Il s’agit là d’un aspect effectivement important et les conclusions qu’en tire Jean sont justifiées. Je réfère aussi dans ce domaine à la contribution très intéressante d’Ilan Pappe à la conférence de l’ADIF de septembre 2008, dans laquelle il explique comment Israël a su mettre en oeuvre son « immunité ».

Mais pourquoi affirmer qu’aucun aspect d’ordre politique et stratégique n’intervient dans le soutien apporté par l’Occident à Israël ? Jean cite à juste titre le fait qu’en 1991 (guerre du Golfe contre l’Irak), les US avaient préféré ne pas faire intervenir Israël et inclure dans leur coalition certains gouvernements arabes. De ce point de vue, il est vrai aussi que le soutien à Israël présente l’inconvénient d’entrainer des protestations dans les pays arabes pouvant embarrasser les gouvernements arabes pro-occidentaux. Mais il semble pourtant qu’Israël présente l’avantage d’être un avant poste économique et militaire au Proche-Orient pouvant aussi être utile à l’occasion (par exemple contre l’Iran, comme dans le passé, à d’autres moments, contre l’Irak).

Je n’ai pas d’avis définitif mais il me semble que la thèse de Jean tend à négliger la complexité des problèmes.

2. Sur différentes initiatives récentes

Dans ce même texte, Jean explique que, à part le boycott, les autres initiatives proposées seraient sans intérêt. Là aussi, la situation me semble plus complexe. Pour ma part, j’approuve toute initiative, à la fois le boycott ET toutes les autres initiatives, en particulier celles dont j’ai eu connaissance. Je discute chacune d’elles ci-dessous en essayant d’apporter un petit plus sous l’angle juridique pour les non spécialistes. A mon sens, toutes sont bienvenues et méritent d’être essayées…même si les chances de succès sont bien faibles, mais c’est le cas aussi pour le boycott : le principal intérêt réside dans la possibilité de contribuer à sensibiliser l’opinion publique.

2.1 Boycott : la référence de Jean au cas de l’Afrique du Sud est un peu délicate. Pour l’Afrique du Sud, le boycott est venu des Etats eux-mêmes, et pas seulement de certains secteurs de l’opinion, d’où une plus grande efficacité. Bien entendu, si une participation des Etats même très limitée peut être obtenue (par exemple nouvel examen des accords spéciaux UE-Israël), tant mieux, mais je ne suis pas sur que ce soit très réaliste.

Dans ce cadre, des initiatives ont été proposées en particulier à propos de L’Oréal qui serait responsable d’activités douteuses en Palestine occupée. Si tel est le cas, les scientifiques (dont Jean) pourraient s’y intéresser dans la mesure où il existe un prix scientifique de valeur intitulé « Prix UNESCO - L’Oréal pour les femmes et la science », en intervenant éventuellement auprès de l’UNESCO.

2.2 plaintes auprès de la Cour pénale internationale

Aucune n’a abouti dans le passé à propos des crimes commis par les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne en Irak ou en Afghanistan, ou par Israël déjà en Palestine ou (en 2006) au Liban, et il est très probable, pour les mêmes raisons, que celle-ci n’aboutira pas non plus.

Pour mémoire, je rappelle que la Cour peut a priori intervenir si au moins un des Etats concernés a ratifié son Statut ou déclaré accepter sa compétence, ou alternativement sur demande du Conseil de sécurité (cas du Darfour). Dans le cas présent, Israël ne remplit pas les conditions, Gaza n’est pas un Etat pouvant intervenir, et une demande du Conseil est improbable (veto des US). L’argument basé sur une double nationalité de certains responsables israéliens est intéressant et mérite approfondissement, mais n’est pas nouveau non plus et a peu de chances d’aboutir. Il aboutirait dans le meilleur des cas à la mise en cause de certains subalternes.

Il est intéressant de noter que, dans les cas passés, le Procureur aurait pu agir de sa propre initiative par exemple pour les crimes commis par la Grande-Bretagne en Irak ou par les Etats-Unis en Afghanistan tels qu’attaques et bombardements ayant causé de graves pertes civiles (la Grande-Bretagne et l’Afghanistan ont ratifié le Statut). Il a refusé. Il n’a pas répondu à ce jour sur l’Afghanistan (il étudierait le dossier…) mais l’a fait en 2006 dans le cas de l’Irak. Ses arguments sont intéressants :

i) les crimes de la Grande-Bretagne n’étaient pas suffisamment graves (comparés par exemple, dit-il, aux problèmes en Afrique),

ii) à part des cas très particuliers, les attaques et bombardements n’étaient pas menés « intentionnellement » contre des civils « en tant que tels » (crimes de guerre selon le Statut de la CPI). Pour être des crimes de guerre, les autres attaques et bombardements doivent, selon le Statut de la CPI, causer des pertes civiles « manifestement » excessives par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire attendu (mots en italique ajoutés dans le Statut de la CPI au Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève). Selon le Procureur, les pertes civiles causées par la Grande-Bretagne étaient peut-être excessives mais pas manifestement excessives…

iii) la Grande-Bretagne a poursuivi deux caporaux pour assassinat délibéré de civils en tant que tels. Donc « tout va bien »… ?

Le problème de fond est le suivant. Comme les USA l’ont fait au Vietnam lors du massacre trop flagrant de MyLai (un subalterne poursuivi, condamné…et rapidement libéré), ou en Irak (poursuite de quelques soldats US ayant assassiné des civils), Israël poursuivra des subalternes si, dans tel ou tel cas trop flagrant, il pourra être démontré qu’il y a eu assassinat délibéré de civils. Mais Israël affirmera toujours que sa politique est de ne bombarder que s’il y a des informations fiables sur une présence ennemie... Et le Statut de la CPI ne permet alors guère de poursuivre les vrais responsables, les dirigeants, pour l’ensemble des bombardements causant de graves pertes civiles, ceci contrairement au Protocole de 1977. La CPI n’est donc malheureusement pas adaptée à la mise en cause des dirigeants pour les attaques et bombardements causant de graves pertes civiles : les pays occidentaux européens n’ont ratifié le Protocole qu’avec beaucoup de réserves le vidant largement de sa substance. Ils ont terminé le travail lors de la rédaction du Statut de la CPI.

2.3 plaintes selon le principe de compétence universelle du Protocole de 1977 (non ratifié par les US ou Israël) : les Etats qui l’ont ratifié devraient poursuivre les dirigeants d’Israël devant leurs juridictions nationales…Mais peu d’Etats ont inclus la compétence universelle dans leurs lois, les pays européens occidentaux ont ratifié le Protocole avec des réserves qui le vident déjà largement de son contenu dans ce domaine…Les plaintes déposées contre le général US Franks, ou pour torture contre Donald Rumsfeld et autres responsables US, en Belgique, France ou Allemagne ont été rejetées. En Belgique, la loi a été modifiée sous la pression US.

Il s’agit cependant d’une approche très intéressante. Déjà , pour des crimes passés, certains responsables israéliens hésitent par « principe de précaution » à se rendre dans certains pays, y compris pays européens occidentaux, même s’ils ne risquent pas grand-chose…

2.4 plaintes auprès de l’Assemblée générale (AG) des Nations Unies sur la base de sa résolution 337 de novembre 1950

Je rappelle que, selon la Charte de l’ONU, l’AG peut seulement faire des recommandations, soit au Conseil de sécurité soit aux Etats membres de l’ONU. C’est le Conseil, et lui seul, qui a le pouvoir de prendre toutes mesures, y compris militaires, en cas de menace contre la paix et la sécurité internationales ou acte d’agression.

La résolution 337 de l’AG, dont il est question dans l’une des initiatives, n’a jamais été appliquée à ma connaissance (merci de confirmer ou d’infirmer) : elle mentionne effectivement la possibilité que l’AG puisse, en cas d’empêchement du Conseil, recommander des actions y compris militaires aux Etats membres. Il est donc vrai qu’il y a là une voie d’approche…mais à ce jour il n’y a pas d’empêchement évident du Conseil (même si beaucoup d’entre nous, dont je fais partie, désapprouvent ses actions) et il faudrait un sursaut extraordinaire de l’AG pour obtenir un résultat.

La tentative reste néanmoins intéressante.

2.5 Tribunal international d’opinion analogue au tribunal sur l’Irak de 2005 : approche intéressante si elle permet de sensibiliser l’opinion.

2.6 pour mémoire, on peut également mentionner d’autres initiatives :

- intervention auprès de l’UE…qui contribue largement à la guerre en Afghanistan ou en Irak pour certains de ses membres…

- intervention auprès du gouvernement français pour qu’il modifie la loi autorisant certains citoyens français à servir dans l’armée israélienne, situation d’autant plus scandaleuse qu’en même temps d’autres citoyens français sont poursuivis en France pour avoir lutté en Irak aux côtés de la résistance (où ils n’ont agi que contre des cibles militaires US)

Conclusion

Dans tous les cas, peu de chances de succès MAIS initiatives utiles et bienvenues pouvant aider à sensibiliser l’opinion.

L’ADIF, pour sa part, essaie d’apporter un petit plus en se battant pour le respect du droit international humanitaire, en particulier du Protocole de 1977, en dénonçant le caractère néfaste de la CPI à propos des crimes des Etats puissants… (CPI qui représente par ailleurs une avancée importante dans d’autres domaines). Pour les actions de l’ADIF, dont le projet de conférence 2009, je vous réfère à son site : www.adifinfo.com

Daniel Iagolnitzer
co-président de l’Adif (Association pour la défense du droit international humanitaire, France),

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Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales.

P.Barnevick, ancien président de la multinationale ABB.

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