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Giuliana Sgrena vient d’ être enlevée à Bagdad. - il manifesto.


Giuliana Sgrena a été enlevée en Irak.
Selon son interprète, elle venait de sortir de la mosquée Al Mustapha, où elle voulait parler avec des familles de réfugiés de Falludja. La voiture a été arrêtée par des hommes armés, qui ont fait descendre l’interprète et le chauffeur. Pendant qu’ils l’emmenaient, Giuliana a appelé au téléphone la journaliste Barbara Schiavulli, avec qui elle travaillait souvent, et celle ci a entendu des bruits de fond, une rafale de coups et des pas sur la chaussée mouillée. C’est comme ça que nous avons appris la nouvelle.


Giuliana Sgrena est avec nous à il manifesto depuis 1988.

Elle est née à Masera, dans la province de Verbiana, le 20 décembre 1948, et a fait ses études à Milan. Au début des années 80, elle est à Pace e Guerra (Paix et Guerre), la revue dirigée par Michelangelo Notarianni.

A il manifesto, Giuliana a toujours travaillé dans la rédaction « étranger » : passionnée par le monde arabe, elle connaît bien la Corne de l’Afrique, le Moyen-Orient et le Maghreb. Dans nos pages elle a raconté la guerre d’Afghanistan, puis les étapes du conflit en Irak : elle était à Bagdad pendant les bombardements (et pour cela fait partie des journalistes nommées « Cavaliere del lavoro », -Chevalier du travail) et y est retournée plusieurs fois après, essayant avant tout de raconter la vie quotidienne des irakiens, et informant avec professionnalisme sur les violences causées par l’occupation de ce pays.

Mais Giuliana continue aussi son engagement politique à côté du journalisme. Elle est parmi les fondatrices du mouvement pour la paix, dans les années 80 : elle était sur le podium de la première manifestation du mouvement pacifiste. Elle est partie pour Bagdad le 23 janvier dernier.
il manifesto, 4 février 2005.



Interview

Moi, une femme torturée à Abou Ghraib


Rencontre avec Mithal, traînée avec son fils au coeur de la nuit par les soldats américains, après l’irruption dans sa maison qui sera mise à sac. Une dénonciation venue d’une vengeance la condamne, sans procès, à quatre vingt jours d’horreur parmi d’autres prisonnières, victimes comme elle de tortures et sévices. Elle a revu ses bourreaux sur des images d’Internet.

Par Giuliana Sgrena, 1er juillet 2004

Envoyée à Bagdad


Le premier rendez-vous avec Mithal était à l’hôtel : « je préfère parler dans un endroit neutre. Chez moi, avec mes enfants, je me sens embarrassée ». Mais la rencontre n’a pas eu lieu : entrée à la dérobée au Palestine, face à l’omertà des employés et à la présence des soldats américains - elle qui est encore sans papiers- elle avait été prise de panique et était repartie en hâte comme elle était venue. Nous lui avons cherchée pendant une demi-journée pour avoir un nouveau rendez-vous, chez elle. Un appartement confortable (surtout quand l’électricité revient), dans un quartier résidentiel, avec la télévision, des cd, un ordinateur. C’est sa plus jeune fille, de quatorze ans, qui nous accueille, puis réapparaît pour nous apporter des boissons, des chocolats et du raisin. Mithal est complètement enveloppée dans sa baya, qui n’est pas cependant cette cape noire informe portée par les femmes chiites dans les quartiers populaires, mais un habit noir tout brodé, voile compris. L’ombre noire de kajal fait ressortir la couleur grise verte de ses grands yeux. Mithal est divorcée depuis huit ans -son mari remarié est parti en Libye ; depuis elle a du entretenir seule ses sept enfants, en travaillant dans une boulangerie puis comme taxi : « Saddam Hussein ne nous a appris qu’à travailler dur » dit-elle. Sa force et son orgueil émergent aussi quand nous en venons aux faits douloureux qui l’ont tourmentée ces derniers mois, à la prison d’Abou Ghraib. L’histoire est longue, les détails douloureux, quatre vingt jours d’enfer.

Dans la nuit, la porte défoncée

«  C’était 2 heures et demi du matin le 28 février, quand les soldats américains ont défoncé la porte. A l’époque de Sadam aussi, de temps en temps, le mukhtar (formellement « représentant du peuple ») venait avec ses hommes pour contrôler ce qu’on faisait, mais au moins eux ils sonnaient à la porte. Les soldats sont entrés dans la maison et ont commencé à tout jeter par terre et m’ont pris, en plus des clés et de tous les papiers, 7 millions de dinars (environ 4000 dollars), que j’avais eus de la vente de deux voitures, qui devaient me servir à payer des dettes (les faits ont été rapportés dans le journal Zaman, dont elle nous montre une coupure). Ils m’ont demandé si je connaissais Hassib ; en fait un de nos voisins s’appelle Hassib même si tout le monde l’appelle Abou Aya, et les soldats américains cherchaient un certain Hassib, commerçant en armes, mais je devais découvrir par la suite qu’il s’agissait d’un officier syrien et pas de mon voisin ».

Ce qui avait amené les américains chez Mithal, c’est une vengeance, à savoir les « informations » fournies par certains occupants de ce qui autrefois avaient été les locaux du ministère de l’information : ils avaient volé des générateurs et les habitants du quartier les avaient dénoncé. Mithal avait participé à la dénonciation. C’est ainsi qu’elle et son fils aîné, de 38 ans, ont été arrêtés. « On m’a traînée dans les escaliers (cinq étages), en chemise de nuit, je suis juste arrivée à attraper ma baya avant de sortir ». Elle continue : « On m’a emmenée au Sujud palace, du nom de la femme de Sadam, Sajida. A un moment donné, ils m’ont montré un homme en jellaba avec un sac sur la tête, attaché à un arbre. C’était mon fils, je l’avais reconnu à ses pantalons. Ils l’ont traîné à côté de moi, lui ont enlevé le sac de la tête, il était horriblement torturé, avec des blessures profondes à la tête, et ils lui ont dit : dis adieu à ta mère, avant de lui remettre le sac et de l’attacher de nouveau au poteau. Ensuite un soldat a commencé à me traîner à toute allure : j’avais la tête recouverte, les mains attachées dans le dos, la baya déboutonnée me tombait sur les pieds et me faisait trébucher. Je n’arrivais pas à courir, il faisait froid, je tremblais, alors il m’a jetée par terre, j’ai essayé de me réchauffer les pieds, nus, en les mettant dans le sable. A la fin, ils m’ont amenée dans une pièce et ils m’ont entièrement enveloppée dans une couverture, je manquais d’air, je tapais les pieds par terre pour me faire entendre. Alors ils sont arrivés avec les photos de mes enfants. En les voyant j’ai commencé à pleurer, pendant qu’eux me hurlaient : où as-tu mis la force que Sadam t’a donnée ? Et ensuite, en jettant les photos par terre : « salue tes enfants, tu ne les reverras plus pendant trente ans ». Je n’y croyais pas : j’ai lu de la psychologie et je sais qu’on utilise ces méthodes pour épouvanter les gens. Ils m’ont ramenée à mon fils, ils nous ont laissés seuls. Mon fils m’a demandé si j’étais vraiment un agent de Sadam. Comment mon fils pouvait-il me demander ça avec tous les sacrifices que j’avais fait pour les élever ? Je suis une pauvre femme de Nadjaf, chiite, et Sadam n’aimait pas les chiites, comment aurais-je pu être un de ses agents ? Ils avaient aussi dit à mon fils d’avouer qu’il connaissait Hassib et qu’ils l’auraient libéré. Puis ils l’ont emmené. Je n’ai plus rien su de lui, jusqu "à ce que je rentre à la maison : il avait été relâché le jour suivant ».

La soldatesse gentille

Mithal se masse les mains en se souvenant qu’elles étaient devenues toutes noires à cause du lien trop serré, elle n’arrivait plus à les bouger quand une soldatese les lui avait déliées pour lui permettre d’aller aux toilettes. « La première personne gentille que j’ai rencontrée, elle m’a même aidée à m’attacher les cheveux et ensuite elle m’a attachée à nouveau mais de manière plus souple, alors je lui ai donné mes boucles d’oreille. On m’a chargée sur un fourgon, étendue par terre pour que personne ne me voie, on m’a emmenée à l’aéroport. Dans une grande pièce il y avait un médecin, qui voulait que je me déshabille. J’ai refusé en disant que j’étais musulmane et que je ne pouvais pas le faire, lui me menaçait de couper mes habits sur moi. A la fin je lui ai demandé de pouvoir au moins garder mes sous-vêtements et il a accepté. Mais il ne m’a contrôlé que le pouls. Ensuite ils m’ont transférée dans une autre pièce, immense, pour l’interrogatoire. C’était une femme en civil qui le faisait, pendant que deux hommes étaient assis dans un coin. Ils avaient emporté de chez moi tous mes papiers et la première chose qu’ils m’ont contestée était le nombre de documents : en plus de la carte d’identité, la carte pour le rationnement de nourriture et le certificat de résidence délivré par la police et signé par un lieutenant. La femme soutenait que ce lieutenant c’était moi. J’ai répondu que si je travaillais pour la police j’aurais été au moins colonel, étant donné mon âge,. Puis la mention « mutallaka » (divorcée) sur ma carte. Selon l’interprète, d’origine irakienne mais qui avait vécu 45 ans à l’étranger, il s’agissait au contraire de « mutlak » qui signifie absolu, donc il s’agissait à coup sûr d’un permis ou reconnaissance de Sadam. Ils hurlaient. A la fin, ils m’ont emmenée dans une cellule : un mètre sur un et une demi bouteille d’eau et ils m’ont laissée là pendant six nuits. Un jour ils m’ont faite appuyer contre le mur avec les mains en l’air, mais je n’arrivais pas à tenir comme ça ; alors est arrivée la soldate noire qui me hurlait dessus sans arrêt, mais quand elle a vu qu’elle ne me faisait pas peur, à la fin elle s’est excusée : elle m’a dit « tu es courageuse ».

Ceci n’était que le début du calvaire de Mithal : « Quelques fois ils augmentaient au maximum le chauffage et pour arriver à dormir je jetais sur moi le peu d’eau qu’ils me donnaient. Certaines fois ils ne me donnaient ni eau ni nourriture. Et puis, des autres cellules, arrivaient les hurlements des hommes torturés, des cris et des pleurs, qui étaient enregistrés et retransmis toute le nuit très fort, avec d’autres bruits de pas sur le gravier, qui s’approchaient, mais là bas il n’y avait que du sable. Il n’y avait pas moyen de dormir. J’avais horreur de leur nourriture. Je n’en pouvais plus, à la fin j’ai demandé de pouvoir écrire quelque chose à mes enfants parce que je voulais me suicider ».

Les tortures psychologiques continuaient. A ce moment-là ils lui ont dit qu’elle était sur la liste des prisonniers qui devaient être libérés, ils lui ont fait ramasser ses affaires mais sans la libérer.

«  Ils m’ont emmenée dans une grande salle gelée, je claquais des dents, tous les instruments de torture bien en vue ; après ils m’ont mis un ruban adhésif sur les yeux et, avec treize autres hommes, ils m’ont faite monter sur un hélicoptère. Le vol a été court, moins d’une heure ». La destination était Abou Ghraib. « Arrivés là , d’abord ils nous ont examinés : le corps, les cheveux, les dents, en enregistrant tout sur un ordinateur. Moi j’étais mal, j’avais une allergie, je n’arrivais plus à manger, alors Um Irak, une des interprètes, une irakienne venue de l’étranger, m’a donné une banane. J’avais besoin de médicaments mais ils disaient qu’ils n’en avaient pas ».

Mais vous étiez toujours seule ? « Non, à ce moment là ils m’ont mise dans une cellule avec d’autres femmes, nous étions deux par cellule. Il y avait treize femmes, c’était surtout des épouses d’hommes de l’ancien régime, et sept enfants. Il y avait même la femme de Sabah Merza, un garde de Sadam dans les années 70, qui gardait les mains dans la glace pour alléger les souffrances des tortures ; une autre avait le corps esquinté parce qu’elle avait été jetée contre un mur, une autre avait été enfermée pendant six jours dans une petite cage, elle ne pouvait même plus bouger. Une des prisonnières, obligée à marcher à quatre pattes, avait les coudes et les genoux complètement abîmés. A une autre on lui avait fait séparer la merde des urines, à la main. On était souvent obligées de boire l’eau du cabinet. Une femme de soixante ans, qui avait dit qu’elle était vierge, était sans cesse menacée de viol ».

Des viols je ne veux pas parler

Vous avez entendu parler aussi de cas de viols ? « Oui mais nous ne parlerons pas de ça, dans notre société, on ne peut pas le faire ». Quel était l’âge des prisonnières ? « De 40 à 60 ans ». Et les enfants comment étaient-ils traités ? « On les entendait hurler, eux aussi étaient torturés, surtout on les faisait assaillir par les chiens ». Quand avez-vous été relâchée ? « A la fin, je pense à cause aussi de la pression de la résistance, j’ai été relâchée et ils m’ont même rendu mes boucles d’oreilles. Ils voulaient me ramener à la maison, j’ai refusé, après tout ce que j’avais passé je ne voulais pas qu’on me prenne pour une collabo. Et comme j’ai refusé, au lieu de sortir le 21 mai, ils m’ont gardée jusqu "au 23, deux jours dans une tente dégoûtante, où j’ai perdu connaissance. ». Vous avez vu les images des tortures, vous avez reconnu quelqu’un ? « Oui, je les ai vues sur Internet. J’ai reconnu certains détenus, comme Abdul Mudud qui était le beau-frère de Al Duri, à qui on avait cassé les mâchoires et enlevé un oeil. J’ai reconnu aussi certains soldats. Quelques fois ils faisaient mettre une centaine de prisonniers par terre et on passait sur eux ». Que pensez-vous de la résistance ? « Les Etats-Unis ont occupés notre pays, nous avons le droit de nous défendre. La résistance est de l’autodéfense. Mais tuer les irakiens n’est pas de la résistance ». Vous n’avez pas peur de parler de ce que vous avez vu ? « Moi je n’ai rien fait de mal, pourquoi devrais-je avoir peur ? »

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


Hana : aux urnes, pour le retrait des USA


Seule femme tête de liste. Les gens veulent la sécurité et la fin de l’occupation. Mais certains m’ont même dit qu’ils étaient prêts à voter pour moi contre de l’essence.

Par Giuliana Sgrena

Envoyée à Bagdad


L’allure fantomatique de Bagdad rappelle plus la veille de la guerre que les élections que d’aucuns considèrent comme le premier pas vers un changement positif en Irak. Et ceci rend encore plus incompréhensible l’optimisme de Hana Edwar, seule femme tête de liste aux élections d’aujourd’hui. Même si toutes les listes doivent présenter 33% de femmes et que le quota prévu à l’assemblée qui sera élue est de 25 %. Ce quota pourra-t-il être maintenu ? « Il sera dépassé », dit Hana Edwar, qui conduit la liste Watani (ma patrie), née de l’initiative de l’ONG Amal (espérance), engagée dans des projet pour la promotion des femmes et de l’éducation des jeunes. Hana, originaire de Bassora, a milité dans les rangs du Parti communiste, d’abord dans le mouvement étudiant, ensuite, depuis trente ans, dans des organisations de femmes ; elle fait partie maintenant de l’Iraqi women network. Petite mais déterminée, elle est sortie ces derniers jours dans les rues de Bagdad, sans aucune protection, pour parler avec les gens de sa liste et de ses objectifs. Qui sont : unité nationale ; retrait des forces d’occupation ; opposition à toute punition collective, à la corruption et au terrorisme ; dialogue entre les irakiens pour la reconstruction ; citoyenneté comme base pour la reconnaissance de la justice et de l’égalité sans distinction de sexe, religion, ethnie, etc. « Et pour les femmes, en plus de la parité, nous demandons la protection contre toute violence et discrimination », assure-t-elle.

Une exception dans ces élections blindées, sans campagne électorale, dans lesquelles les listes ont avancé des slogans semblables et où la place politique se repère plus par la symbolique que par les programmes, absents ou inconnus. Que demandent les gens ? « La sécurité, la fin de l’occupation et quelqu’un m’a même dit qu’il était prêt à me donner sa voix contre de l’essence ». La liste Watani se présente aussi aux élections locales de Babylone et Kerbala, mais ce ne sera pas facile pour une liste laïque de faire campagne dans les zones contrôlées par les forces religieuses, demandons-nous. « Les candidates de Kerbala, quand elles vont dans les zones religieuses mettent l’"abaya" (le voile noir), précise Hana qui ne porte pas de voiles. « Mais nos candidats commencent à récupérer les gens qui en ont marre des promesses des religieux, qui déclarent vouloir aider la population et ensuite ne favorisent que les membres de leur parti. Ils utilisent la religion pour inciter les gens à voter : si on vote pour la liste 169 (Alliance irakienne unie, NDR) on va au paradis, autrement en fer, c’est ce qu’ils disent en profitant de l’ignorance. Mais les religieux ne sont pas les seul à tromper les électeurs, même Allawi cherche à obtenir des voix avec la corruption : il a constitué un fond spécial pour donner 140 000 dinars (environ 100 dollars, NDR) aux employés du secteur public et 70 000 aux retraités, en plus des distributions de machines agricoles aux paysans ».

Et ces méthodes vont-elles fonctionner ?

Oui, parce que les irakiens étaient habitués à accepter ce qu’on leur donnait pendant le régime de Saddam Hussein.

Pour quoi une ONG a-t-elle accepté de sponsoriser une liste électorale ?

«  Après 35 années d’oppression de la part d’un parti unique, les irakiens ne croient plus aux partis ; notre objectif est d’encourager les gens, la majorité silencieuse, à participer à la reconstruction du pays sur la base de principes démocratiques et patriotiques ».

Mais dans une telle situation, il ne semble pas qu’il y ait les conditions pour encourager la population à voter, avec l’occupation et les menaces de Zarqawi.

Nous avions organisé une conférence - Iraqi peace and solidarity- pour le dialogue entre différentes forces politiques qui a rédigé cette plate-forme : personne ne sera exclus de l’action politique dans le pays, condamnation du terrorisme, reconstruction du pays sur la base de l’unité nationale, recherche d’un compromis pour renvoyer les élections de plusieurs mois afin que le gouvernement s’engage à satisfaire les besoins de la population.

Mais le renvoi n’a pas eu lieu.

Si la majorité veut voter... Du reste un gouvernement corrompu ne changera pas s’il n’y a pas d’initiative populaire. Nous savons que les forces d’occupation ne se retireront pas facilement, et nous devons pour cela rétablir l’unité du pays et demander une date pour le retrait. Les élections ne sont que le premier pas, qui certes n’est pas idéal, mais peuvent servir à montrer la détermination des irakiens. Après avoir montré au monde qu’il n’y aura pas de guerre civile, malgré les tentatives d’enflammer l’affrontement religieux et ethnique.


Edition de dimanche 30 janvier 2005 de il manifesto

www.ilmanifesto.it

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


Mithal : je ne vote pas pour ces gens corrompus


Torturée en prison : les candidats sont ceux qui n’ont rien fait pour le peuple. Et ils sont responsables des sévices de Abu Ghraib comme les américains.

Par Giuliana Sgrena

Envoyée à Bagdad


La maison de Mithal est barricadée, les grilles fermées avec une chaîne en fer. Elle a du déménager chez son fils, dans un immeuble voisin, parce qu’elle n’avait plus d’argent pour payer son loyer. Sa mésaventure a commencé le 28 février de l’année dernière, quand les américains l’ont traînée dehors en pleine nuit, avec son fils Jasem, et lui ont soutiré 7 millions de dinars (plus de quatre mille dollars) qu’elle avait obtenus de la vente de deux voitures, et qui devaient servir à payer des dettes accumulées avec son commerce. Son fils ayant trouvé du travail dans un restaurant, elle avait loué son magasin mais ensuite le locataire avait été arrêté et depuis le petit local était fermé. Mieux. Un voisin qui travaille pour les américains et, assure-t-elle, pour le Mossad aussi, a essayé de le lui prendre mais sans y arriver. Et comment aurait-il pu le faire ? « Ici, il n’existe plus de loi ; souvent les américains arrivent, s’installent dans un appartement, pour des motifs de sécurité, disent-ils, et ensuite quand ils partent, au lieu de le restituer aux propriétaires légitimes ils le cèdent à d’autres, qui seraient désignés par le ministère de l’intérieur ». En tout cas, elle, pour survivre et entretenir ses trois filles dans leurs études (deux à l’université et une au lycée), son ex-mari étant parti en Libye après le divorce en les abandonnant ; elle a été obligée de vendre l’or de sa dot et d’autres valeurs. Mais elle ne se laisse pas accabler. Elle a réagi avec beaucoup de fierté même aux tortures subies à Abu Ghraib : quand elle est sortie, après quatre vingt jours d’horreurs, elle a dénoncé les sévices qu’elle avait subis, sans céder aux chantages d’une société qui impose aux femmes victimes de violences de se cacher.

Etes-vous arrivée à obtenir quelque dédommagement ?

J’ai d’abord présenté ma requête au ministère de la justice qui l’a passée à celui de l’intérieur, puis à celui des affaires étrangères, à l’ambassade américaine et finalement elle devrait être arrivée à l’ONU, mais moi je n’ai eu aucune réponse.

Et les américains ne sont plus revenus ?

Chez moi, non, mais j’ai toujours peur parce qu’ils continuent à arrêter des voisins, des femmes même. Il y a deux semaines ils ont emmené la femme d’un ex-officier et on ne sait pas où elle est. On a arrêtés plusieurs étudiants et même un vieux qui n’y voit plus et n’entend plus, qui avait été un collaborateur du président Ahmed Hassan al Baker. Moi, en tout cas, je garde toujours mes vêtements prêts sur une chaise à côté du lit, dans le cas où ils arriveraient en pleine nuit comme l’autre fois.

Que pense des élections une femme qui d’abord a subi la répression de Saddam Hussein puis les tortures des américains ?

Je ne crois pas dans ces élections, mais s’il y a des chantages, j’irai voter et je mettrai un bulletin blanc dans l’urne. Des rumeurs circulent disant qu’on te donne un Id (certificat de reconnaissance) qui peut servir quand tu t’adresses à une institution publique. Mais s’il n’y a pas de menaces je n’irai pas voter.

La défiance est-elle dans la façon dont se présentent ces élections ou dans les candidats ?

Les gouvernants qui veulent être élus sont les mêmes que ceux qui n’ont rien fait jusqu’à présent : il manque l’électricité (pendant notre entretien aussi, NDR), l’eau, l’essence et même la nourriture. Ils ont gouverné pendant deux ans avec les américains qui m’ont torturée, comment pourrais-je voter pour eux ?

Il y a des candidats qui promettent de demander le départ des troupes étrangères...

Personne ne demandera aux américains de partir, ce ne sont que des slogans.

Vous, qui êtes chiite, vous n"avez même pas confiance dans l’ayatollah al Sistani ?

Sistani quand il était malade est allé à Londres sous la protection des américains, et puis ça n’est pas Sistani mais al Hakim, le candidat.

Alors, dans cette situation, pour chasser les américains il faut soutenir la résistance.

La résistance n’est pas une solution parce qu’elle tue des innocents. Moi je me sens otage du gouvernement et des américains d’un côté et de la résistance de l’autre.

Vous ne faites pas de différence, vous, entre résistance et terrorisme ?

Moi je suis contre tous ceux qui tirent, et puis ils sont tous soutenus par les pays voisins.

La solution ?

L’Irak a besoin d’un leader démocratique qui n’ait pas les mains salies de sang, qui n’ait pas la tentation de l’argent. Ici, tout le monde est corrompu ou corruptible : pour passer des informations aux américains, on te donne 200 dollars et beaucoup le font en dénonçant souvent des choses fausses comme on l’a fait pour moi.

Edition de dimanche 30 janvier 2005 de il manifesto

www.ilmanifesto.it

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


"va et ramène-la nous"


Giuliana

Chère Giuliana, excuse nous de t’écrire une lettre que tu ne pourras pas lire tout de suite mais seulement dans quelques temps, quand - comme tous les matins- tu nous téléphoneras pour nous dire quel morceau d’Irak raconter à nos lecteurs, comme tu allais le faire hier. Excuse-nous si nous te mettons en première page, mais aujourd’hui l’information c’est toi et notre métier -dans son meilleur aspect- c’est vraiment ça : parler de ce qui arrive, en racontant les zones d’ombre, ce qui peut-être n’apparaît pas, ce qui n’est pas « officiel », ce qui arrive aux gens en chair et en os. Ca devrait être un métier de limite et à cause de ça, justement, « un des rares qu’il vaille la peine de faire », disait un écrivain mexicain ; quelques fois il est réduit à pas grand-chose, mais il dépend de nous de le rendre vrai. C’est pour cela qu’à présent tu es là -bas, en Irak, où tu as déjà été tant de fois, un pays que tu aimes -pas au sens abstrait- parce que tu aimes ses gens martyrisés par trop d’années de guerre, de dictature, d’embargos, de terrorisme. C’est pour ça que tu as voulu courir le risque qu’il y a toujours à ne pas rester à l’hôtel, en se contentant de relancer les dépêches officielles ; en descendant au contraire dans la rue pour chercher la vérité, et ses difficiles ambiguïtés. Nous sommes « dans notre tort », c’est vrai et c’est un bien. Chère Giuliana, à chaque veille d’un de tes voyages -comme la veille des voyages que chacun de nous allait faire dans des « zones difficiles » -nous nous rencontrions non seulement pour mettre par écrit le programme de travail, mais aussi pour nous interroger sur le sens de cette « mission », pour nous dire si ça en valait la peine. Mais la réponse a toujours été -et sera toujours- la même : « ça vaut la peine, ça nous sert pour comprendre et faire comprendre, ça sert à notre bord, aux gens qui pour ne pas être prisonniers de ce monde doivent être dans ce monde ». Et puis c’est beau aussi, bon sang comme c’est beau, de pouvoir regarder et décrire la vie en liberté, qui est l’histoire de ce journal, payée par une existence un peu précaire voire, pire, en risquant de mauvaises rencontres. C’est un privilège que nous nous gardons bien fort, parce que renoncer serait peut-être commode mais terriblement triste, une violence contre nous même.

Chère Giuliana, maintenant tu es parmi des gens inconnus et qui se pensent hostiles. Ca ne vaut même pas la peine de te dire que c’est comme si nous étions là avec toi et, en même temps que nous, tant d’autres personnes qui te connaissent ou te lisent, et qui ont appelé hier ou sont venus nous voir. C’est presque inutile de te le rappeler, tu le sais déjà . Comme tu sauras aussi dire à tes ravisseurs l’absurdité de ce geste, de la même manière que tu as su nous expliquer à nous et à tout le monde la folie de la guerre, d’une « démocratie » imposée par les armes, par le terrorisme. Exactement avec les mêmes mots que tu as utilisés pendant ces années sur le journal. En ce moment, même si nous sommes préoccupés -avec les tiens et avec tes amis- nous ne lançons pas d’appel, nous ne faisons pas d’abjuration, nous ne mendions rien à personne. Nous voudrions seul ement que la grande solidarité qui a été prononcée à ton égard se traduise en quelque chose de concret. Ceux qui ont déchaîné la folie qui est retombée sur toi ont le devoir de bouger pour te faire revenir, libre, au plus tôt. Ceux qui t’ont séquestrée doivent t’écouter et comprendre que tu n’es l’ennemie de personne.

Chère Giuliana, d’aucuns sont déjà en train de dire que ton enlèvement est une némésis, que ceux qui ont été visés c’est nous -pacifistes, journalistes de gauche- et ils attendent de nous un repentir. Nous sommes sûrs que tu n’es pas en train de te repentir d’une seule virgule de ce que tu as écrit et ce ne sera certes pas nous qui te trahirons. Nous préférons partager avec toi -pour autant que nous le pouvons d’ici- la peur de ce moment et le faire ensemble. C’est la seule « arme » que nous ayons et que nous voudrions qu’il existe au monde. C’est ta façon d’être et la notre.

Chère Giuliana, aujourd’hui nous nous retrouverons sur une place de Rome pour vaincre ensemble la peur, de la même façon que nous sommes descendus dans la rue en essayant d’arrêter la guerre, ou pour dire que les barbaries qui l’ont accompagnée et suivie ne nous appartiennent pas. Ce sera comme si tu étais avec nous, exactement -même si physiquement ça n’est pas vraiment comme ça- comme nous sommes là bas avec toi. Nous attendons de tes nouvelles. Pour le moment, nous t’embrassons tous très fort et à bientôt.
il manifesto


il manifesto occupe une place à part dans la presse italienne. Très radical, totalement indépendant financièrement (et toujours en quête d’abonnés pour soutenir cette position) le quotidien a été fondé en 1971 par d’ex-membres du Pci (dont Luigi Pintor, décédé en mai 2003, Rossana Rossanda, Lucia Castellina...) exclus du Parti notamment à cause de leur critique de l’entrée des chars soviétiques en Tchécoslovaquie et du rapprochement du Pci avec la Démocratie Chrétienne.



- Traduction et lien avec il manifesto : Marie-Ange Patrizio


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Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
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Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
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