Après une semaine de procès - totalement interdit au public, une majeure partie interdite à la presse, et une bonne partie basée sur des témoins que les procureurs n’ont pas autorisés à être interrogés ni même présentés à la cour - cinq colonels et un capitaine de la marine ont jugé Ahmed Hamdan coupable d’avoir été le chauffeur de Ben Laden. Ils l’ont condamné à une peine de 66 mois de prison, soit cinq mois de plus que la peine annoncée par le juge d’instruction et qui correspondait au temps qu’il avait déjà passé en prison.
Salim Ahmed Hamdan est en prison depuis qu’il a été arrêté en Afghanistan au mois de novembre 2001, il y a 80 mois. 15 mois n’ont donc pas été comptés comme « temps passé en prison ». Ce temps a certainement compté pour Hamdan et sa famille.
Pendant les procès à Guantanamo, les accusés n’ont pas le droit d’être confrontés aux accusateurs ni aux témoins. Les ouï dires peuvent être présentés comme pièces à conviction. Des indices obtenus par des méthodes de coercition son acceptés. Les juges peuvent exclure des éléments obtenus par des méthodes qu’ils réprouvent - ce qui semble avoir été le cas ici - mais ils ne sont pas obligés. Absolument rien de tout ce qui précède ne serait toléré dans aucun tribunal des Etats-Unis, mais la méthode serait adorée par tous les dirigeants des pires systèmes totalitaires. Ce système est destiné à produire des condamnations, pas à rendre la justice. C’est le système choisi et mis en place par George W. Bush, Dick Cheney, John Woo et leurs complices, qui n’ont eu aucun mal à le faire accepter par un Congrès complaisant.
Le gouvernement des Etats-Unis porta plusieurs accusations contre Hamdan. Le jury militaire l’a acquitté des accusations les plus graves - qu’il faisait partie de la conspiration des dirigeants d’Al Qaeda et avait donc sa part de responsabilité dans les attaques terroristes de 2001, et qu’il avait aussi conspiré en 2001 pour tuer des états-uniens en Afghanistan avec un lance-missile.
Au final, il fut condamné pour avoir été le chauffeur de Ben Laden, d’avoir été un membre d’Al Qeda et de « connaître les objectifs de l’organisation ». Ceci est la première fois dans l’histoire des Etats-Unis qu’un chauffeur sans aucune responsabilité avérée - sinon celle d’avoir à transporter son patron en temps et en heure à l’endroit prévu - est poursuivi et jugé coupable par un tribunal militaire pour une raison quelconque. Plusieurs commentateurs ont souligné que le chauffeur et garde du corps de Hitler - le major SS-Sturmbannführer Erich Kempka - fut détenu un temps comme témoin pendant les procès d’autres nazis, mais n’avait pas été lui-même accusé à Nuremberg ni ailleurs.
Le verdict et la courte peine prononcée constituent un revers pour les procureurs, qui avaient demandé que l’accusation de « chauffeur de Ben Laden » soit puni de 30 ans de prison, et un revers aussi, par extension, pour l’administration Bush qui avait misé une bonne partie de sa crédibilité sur ce procès. Après coup, les procureurs ont tenté de sauver les meubles en déclarant qu’il s’agissait d’une illustration parfaite du bon fonctionnement de ce nouveau système judiciaire. Il n’y a rien eu de tel. Ce fut une abomination, une parodie de justice, une farce juridique où certaines personne ont tenté d’agir avec dignité malgré un contexte qui rendait la chose pratiquement impossible.
Apparemment, il n’y avait aucune preuve que Hamdan ait eu un lien quelconque avec les attaques du 11 septembre ni même qu’il savait quelque chose avant que les attaques ne se produisent. Les procureurs du gouvernement étaient probablement conscients de la légèreté de leurs accusations et c’est pour cela qu’ils ont ajouté l’accusation de « chauffeur de Ben Laden » deux ans après que les premières accusations ait été prononcées. Malgré cela, pourquoi ont-ils dépensé autant de temps et d’argent à persister dans des accusations dont ils connaissaient la légèreté ? Peut-être parce qu’ils présumaient que les six militaires membres du jury seraient plus tentés de protéger leurs carrières que de sauver leur honneur ou de servir la justice. Ces jurés étaient sûrement au courant des avocats militaires qui avaient défendu les droits constitutionnels des prisonniers et qui ont vu leurs carrières brisées. Si tel était leur calcul, les procureurs ont commis une monumentale bourde.
Pratiquement tous les éléments à charge contre Hamdan ont été apparemment tirés à partir de ses propres déclarations extorquées au cours de 40 interrogatoires, dont certains ont duré des journées entières. J’écris « apparemment » parce que ce que Hamdan a dit fait partie des choses gardées secrètes et cachées au nom de la « sécurité nationale ».
Ce qui amène deux questions : cachées à qui ? Et pourquoi ?
A part ce qui lui sont arrivé depuis sa capture et son transfert par les étasuniens au goulag offshore à Cuba, Hamdan ne sait rien de plus que ses employeurs ne savaient à la date de son arrestation, il y a sept ans. En fait, une des raisons pour lesquelles les accusations les plus graves contre lui ont finalement été abandonnées était que les procureurs savaient qu’ils n’arriveraient pas un convaincre un jury.
Il a été maintenu en isolement, persécuté et, très vraisemblablement, torturé pendant des années par ses geôliers US. Ses anciens employeurs doivent présumer qu’à ce jour il a déjà raconté tout ce qu’il savait et qu’il a du même inventer des choses pour faire cesser les tortures.
Salim Ahmed Hamdan n’a pas de secrets à révéler sur Ben Laden et ses complices. La seule chose que Salim Ahmed Hamdan sait et que Ben Laden ignore, c’est la même chose que vous et moi ignorons : c’est ce que les interrogateurs de Bush lui ont fait subir dans leur prison sur cette île. Les secrets de Salim Ahmed Hamdan ne sont pas des secrets sur Al Qaeda, ce sont des secrets sur les agissements du gouvernement des Etats-Unis.
Si vous êtes assez âgé, cela pourrait vous rappeler quelques souvenirs. Pendant l’offensive du Têt au Vietnam en 1968, et encore pendant quelque temps après, le Département de la Défense des Etats-Unis dressait le bilan des victimes parmi les Etats-uniens et leurs alliés, mais refusait de divulguer le bilan des victimes de l’Armée de Libération Nationale. Les chiffres étaient sans ambiguïté : il suffisait de compter les cadavres sur le terrain. Mais le Département de la Défense disait que cette information était classifiée et devait rester cachée. Alors, hier comme aujourd’hui, la question est posée : cachée à qui ? Et pourquoi ? Les Vietnamiens savaient combien de personnes ils envoyaient au combat et combien en revenaient, et ils savaient faire des soustractions, alors ils connaissaient parfaitement le nombre de victimes dans leurs propres rangs. Les seuls qui ne savaient pas étaient les Etats-uniens et leurs alliés. Le Département de la Défense ne cachait donc pas les chiffres à nos ennemis, mais à nous.
Ce qui est arrivé à Salim Ahmed Hamdan n’est pas la seule chose que la Maison Blanche s’évertue à nous cacher. Elle a fait bannir les photographes dont les journaux publiaient les images des GI’s morts. Elle a banni toute couverture par la presse et toute photographie des retours de cercueils. Elle a banni toute couverture de funérailles militaires même lorsque les familles des GI’s tués souhaitent la présence de la presse. Nous ne connaissons toujours pas les noms des dirigeants de l’industrie pétrolière que le Vice Président Cheney a rencontré durant la première année de son mandant, juste avant que l’administration ne formule sa politique pétrolière. Cette administration est remplie de secrets, de choses qu’elle ne veut pas laisser savoir, voir ou entendre.
Le seul instant de dignité de cette farce que fut ce procès du Goulag à Guantanamo fût peut être tout à la fin, après que la sentence ait été prononcée et juste avant que Hamdan n’ait été emmené là où ils vont le planquer en attendant de décider de son sort. Il n’a plus que quelques mois à accomplir mais l’administration Bush a toujours insisté qu’il était un combattant ennemi dangereux, qu’il faisait partie d’une catégorie de personnes pour qui, insiste l’administration, n’existe aucun droit et qui peut être maintenu indéfiniment en prison tant que les Etats-Unis seraient engagés quelque part dans le monde dans ce qu’ils considèreraient comme une guerre contre le terrorisme. En décembre, lorsqu’il aura accompli sa peine, retournera-t-il à la maison ou sera-t-il maintenu dans une glacière jusqu’à ce que les Etats-Unis élisent un président qui croit à l’état de droit et qui agit en conséquence ?
« M. Hamdan » a dit le juge, « J’espère qu’un jour viendra où vous retrouverez votre femme, vos filles et votre pays. »
« Inch Allah » a répondu Hamdan. Un interprète a traduit de l’arabe : « Si Dieu le veut ».
« Inch Allah » a répondu le juge.
Traduction VD pour le Grand Soir