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Irak : Détails d’un nettoyage ethnique soutenu par les USA, par Patrick Martin.


Un câble du Département d’Etat donne les détails d’un nettoyage ethnique opéré par des forces soutenues par les américains en Irak.


wsws.org, article original paru le 16 juin 2005.


Des unités des forces de police et de sécurité kurdes soutenues par les Etats Unis ont kidnappé des centaines de personnes appartenant aux minorités arabe et turkmène dans la ville de Kirkouk (nord de l’Iraq) d’après un câble confidentiel émis par le Département d’Etat et parvenu, grâce à des fuites, dans les bureaux du Washington Post.

Citant le câble, le Washington Post de mercredi dernier fait savoir que ces kidnappings, associés parfois à des tortures et à des demandes de rançon, faisaient partie d’une "initiative à grande échelle" menée par les deux principaux partis kurdes "afin d’exercer leur autorité sur la région de Kirkouk de manière de plus en plus provocatrice."

Le câble, rédigé par le coordinateur régional de l’Ambassade américaine et daté du 5 juin, était destiné à la Maison Blanche, au Pentagone et à l’Ambassade Américaine à Bagdad. Il mettait en garde contre le fait que les enlèvements ­ par lesquels plusieurs centaines de personnes ont été enlevés de Kirkouk et jetés dans des prisons des villes kurdes de Soulaimaniya et de Irbil - "aggravaient fortement les tensions basées sur des critères purement ethniques" et discréditaient le gouvernement américain. Le câble attestait que « des turkmènes de Kirkouk leur avaient dit qu’il leur semblait que les américains toléraient ces pratiques tandis que les arabes de Kirkouk tenaient les représentants de la coalition pour directement responsables de ces exactions".

Le câble avertissait que ces enlèvements "porteraient gravement atteinte aux efforts de la coalition dans la région si des procédures n’étaient mises en place pour renforcer la législation irakienne sur le transfert de prisonniers".

Kirkouk est au coeur de tensions politiques et ethniques de plus en plus importantes. La ville est située à la limite des champs pétrolifères qui sont parmi les plus riches du monde et qui, comme l’espèrent les dirigeants kurdes, serviront de base pour un futur état kurde indépendant. Cependant, les kurdes ne constituent qu’une majorité relative dans la région et sont un peu moins nombreux que les arabes et les turkmènes réunis.

Les révélations du Washington Post ont été confirmées par des reportages de l’ agence Reuters, citant des dirigeants arabes de Kirkouk. Ahmed al-Obeidi, chef d’un petit parti politique arabe a déclaré que les arrestations avaient commencé après l’occupation américaine et qu’elles s’étaient amplifiées après l’élection du 30 janvier, à la suite de laquelle les partis nationalistes kurdes soutenus par les Etats Unis (le PDK ­ Parti Démocratique du Kurdistan et le UPK ­ Union Patriotique du Kurdistan) gagnèrent le contrôle du conseil provincial de Kirkouk.

Le PDK et l’UPK maintiennent d’importantes milices fortement armées qui exercent un contrôle de fait sur la région à population kurde. Jalal Talabani, dirigeant de l’UPK, est à présent président d’Irak tandis que Massoud Barzani, dirigeant du PDK est à la tête du gouvernement régional qui unit les trois provinces à majorité kurde au nord de Kirkouk.

Obeidi estima que le nombre total de prisonniers s’élevait à 250 personnes, dont 40 auraient déjà été libérées. Le Washington Post cita d’autres estimations évaluant à 600 ou plus le nombre de personnes kidnappées. Des représentants de l’armée américaine dirent avoir enregistré 180 cas.

D’après le reportage du Washington Post qui cite des représentants américains et irakiens ainsi que le câble du Département d’état, la campagne contre les Arabes et contre les Turkmènes est « orchestrée et menée par une agence de renseignements kurde, connue sous le nom d’Asayesh et par l’Unité des services d’urgence d’obédience kurde, escadron anti-terroriste comptant 500 membres et faisant partie intégrante des forces de police de Kirkouk. Tous deux entretiennent des liens très étroits avec l’armée américaine ».

Dans certains cas, les services de sécurité kurdes ont fait croire que ces enlèvements étaient des arrestations liées aux enquêtes sur les crimes commis par le régime de Saddam Hussein, comme par exemple l’attaque aux armes chimiques perpétrée en 1988 sur la ville kurde de Halbaja, ainsi que les représailles contre les Kurdes, en 1991, immédiatement après la Guerre du Golfe.

Des responsables militaires américains à Kirkouk ont reconnu que de nombreux prisonniers avaient été détenus à Kirkouk avant leur transfert vers Soulaimaniya et vers Irbil. Ils ont prétendu que ces transferts s’imposaient parce que les prisons de Kirkouk étaient surpeuplées. Ils ont cependant reconnu qu’aucune autorisation judiciaire n’avait été donnée pour ces transferts.

Le Commandant Darren Blagburn, officier de renseignements pour la 116ème brigade Combat Team à Kirkouk, a déclaré au Washington Post qu’il était au courant de ces transferts depuis un mois et était "quasiment sûr" que ces transferts ne se pratiquaient plus. Mais, d’après d’autres sources militaires et irakiennes, plus d’une douzaine d’arrestations se sont produites à Kirkouk, la semaine dernière uniquement.

Blagburn a confirmé que les détenus qui avaient été transférés à Soulaimaniya et à Irbil n’étaient pas enfermés dans des prisons publiques ordinaires mais dans des établissements gérés par les services de renseignements des deux partis politiques kurdes dont les quartiers généraux se trouvent dans ces deux villes, (le PUK à Soulaimaniya et le KDP à Irbil). Plusieurs prisonniers libérés de ces centres ont évoqué des conditions de surpopulation ­ jusque 50 personnes dans une cellule de 6 mètres sur 3- de violence, de mauvais traitements physiques et de tortures avérées.

Le Washington Post a cité le cas de Abu Abdullah Jabbouri, qui a été kidnappé et relâché la semaine dernière de la prison d’ Irbil. Ce dernier a décrit un de ses co détenus qui avait été fouetté à l’aide de fils de fer, occasionnant d’importantes cicatrices. A plusieurs occasions, les fils avaient été chauffés sur un feu.

Lors d’une interview, d’autres résidents de Kirkouk ont déclaré que presque toute leur famille avait été arrêtée et emmenée. D’après le Washington Post bon nombre de ces arrestations se sont faites avec la participation des soldats américains.

Osama Danouk déclara : " Quand nous allons trouver les américains, ils nous envoient à la police. Quand nous allons trouver la police, ils nous renvoient aux américains. C’est un va et vient continuel...."

Le Commandant Blagburn a présenté une unité kurde participant à ces enlèvements comme des militaires "très coopératifs, très bien disposés envers les forces de la coalition". Il a également dit que cette unité était un soutien très précieux pour les américains dans leur lutte contre la résistance irakienne. Il dit au Washington Post que "C’est en fait l’unité à laquelle nous pouvons le plus faire confiance".

Le Lieutenant Colonel Anthony Wickham, qui est à la tête d’une équipe de conseillers militaires américains auprès du gouvernement de la province, contredit les propos de Blagburn qui minimisaient l’importance des arrestations dénuées de tout cadre juridique. Il dit qu’à la mi ­avril, le nombre de plaintes pour enlèvements et pour disparitions était « devenu un véritable ras de marée ».

Les révélations de ce qui se passe à Kirkouk démentent de façon encore plus flagrante la théorie selon laquelle l’ invasion et l’occupation de l’ Irak par les Etats Unis avaient pour but essentiel de renverser la tyrannie et l’ oppression de Saddam Hussein pour installer un régime démocratique à la place de celui-ci. Le pouvoir américain d’occupation utilise les mêmes méthodes de répression de masse et du "diviser pour mieux régner" que celles pratiquées par l’ancien dictateur irakien.

Sous le régime de Hussein, le gouvernement central irakien encourageait délibérément la migration vers Kirkouk des arabes des régions plus au sud, tout en expulsant des milliers de kurdes de chez eux, dans le but d’asseoir le contrôle de Bagdad sur les champs pétrolifères. A présent les partis kurdes adoptent les mêmes pratiques d’intimidation et de répression dans le but de chasser les arabes et les turkmènes et de finalement asseoir une majorité kurde à Kirkouk.

Les partis kurdes jouent un rôle tout à fait semblable à celui de l’Armée de Libération du Kosovo (ALK) lors de l’attaque des Etats Unis et de l’ OTAN contre la Serbie en 1999. L’Administration Clinton intervint dans l’ex ­ Yougoslavie en utilisant comme prétexte les exactions du gouvernement serbe de Milosevic.

Le gouvernement américain prétendit que les forces serbes étaient engagées dans un processus de nettoyage ethnique au Kosovo contre la population albanaise, majoritaire dans cette province. Après l’occupation du Kosovo par les forces de l’OTAN, l’ALK se déchaîna contre les Serbes et contre les Tsiganes chassant de cette province le plus gros de cette population. Les forces kurdes à Kirkouk semblent sont décidées à mener une campagne semblable de nettoyage ethnique.

Pour le moment, les médias américains ont préféré passer sous silence les rumeurs de nettoyage ethnique (soutenu par les troupes américaines en Irak) à l’encontre des populations arabe et turkmène de Kirkouk. Bien que l’article du Washington Post ait fait la "une" de ce quotidien, et qu’il ait à l’évidence provoqué des discussions au sein des cercles politiques et des cercles journalistiques, les chaînes d’information câblées en ont très peu parlé mercredi, tandis que les journaux du soir à la radio n’y ont pas fait la moindre allusion.

La désinvolture de la presse sur la question de l’enlèvement systématique de centaines de personnes à Kirkouk contraste nettement avec le traitement des enlèvements d’occidentaux à Bagdad, que ces enlèvements soient le fait d’islamistes ou de gangs criminels cherchant à obtenir une rançon. Selon des chiffres publiés mardi dernier, quelques 200 étrangers ont été enlevés en Irak depuis l’invasion du pays par les USA en mars 2003 ­ un chiffre bien inférieur au nombre de personnes kidnappées au cours de ces derniers mois dans la seule ville de Kirkouk.

Patrick Martin


 Source : www.wsws.org


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La Chine sans œillères
Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, (…)
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