Il y a toujours quelque part une goutte qui fait déborder le verre. Cette goutte sera pour plusieurs cette série de scandales à caractère sexuel commis tout autant par des prêtres et des religieux que par ceux qui les ont couverts de leur autorité. Il s’agit évidemment de quelque chose de très sérieux qui ne peut, sous aucun prétexte, faire l’objet d’un traitement de faveur. Cette goutte n’est toutefois pas la seule et n’est peut-être pas la plus importante. Je veux parler de celle du double langage qui génère par sa nature même la suspicion et la méfiance. Je vais illustrer mon propos par quelques exemples.
Le premier exemple est celui de deux prêtres, Yorio et Jalics, oeuvrant en Argentine dans les années 1970. Lorsque les militaires, en 1976, s’emparent, par la force des armes, du Gouvernement, ils ont été vite repérés rapidement et identifiés comme des personnes nuisibles. Leur supérieur d’alors, le père Bergoglio, jésuite, aurait invité ces deux prêtres à « faire très attention » en raison de leur réputation de subvertir l’ordre social. Une manière, selon toute vraisemblance, de les protéger contre les militaires. Les deux prêtres en question passèrent outre à cet avertissement et retournèrent là où les appelait l’Évangile, c’est à dire dans les bidonvilles. Ils furent vite arrêtés et mis en prison. Ils y restèrent plusieurs mois.
Yorio, après sa libération, se rendit à Rome où le jésuite colombien Candido Gavina, très bien informé, lui apprit, de source autorisée (l’ambassadeur argentin près le Saint-Siège) que les forces armées avaient arrêté ces deux religieux suite à la plainte de leur supérieur religieux qui les présentait comme des guérilleros. L’Ambassadeur argentin confirma même cette information par écrit.
Quant à Jalics, il se réfugia par la suite aux Etats Unis. Bergoglio, son supérieur, s’opposa à son retour en Argentine ! Ce dernier le fit savoir aux évêques argentins susceptibles d’accueillir le religieux dans leur diocèse. Qui plus est, il alla même jusqu’à conseiller à Anselmo Orcoyen, le directeur national du culte catholique, de refuser la demande de passeport avancée par Jalics ! Un document existe à cet égard.
Ce père Bergoglio est devenu par la suite évêque puis cardinal. Lors du dernier conclave on parlait de lui comme d’un futur pape. Il se défend, toutefois, en disant que ces méchantes affirmations visent à le discréditer comme papabile. En fait, quelle que soit l’intention ce sont les faits qui parlent. Et très clairement. Dans une biographie très documenté du cardinal, avec des preuves à l’appui, Horacio Verbitsky en a établi la véracité.
Nous savons que les militaires qui dirigèrent l’Argentine durant toutes ces années sont actuellement en prison dont certains font toujours l’objet d’accusations graves. Par contre de nombreux collaborateurs sont toujours libres comme l’air.
« L’ancien dictateur, qui instaura en 1976 un régime tenu pour responsable de la mort ou la disparition de 30.000 personnes par les organisations des droits de l’Homme, doit aussi être jugé à partir du 20 septembre à Buenos Aires pour 33 vols présumés de bébés d’opposants. Actuellement en détention, il est aussi poursuivi pour sa participation au Plan Condor, opération mise sur pied par les dictatures d’Argentine, du Chili, du Paraguay, du Brésil, de Bolivie et d’Uruguay pour éliminer leurs opposants dans les années 1970. »
Ce visage d’une Église, alliée discrète, mais efficace, des régimes répressifs et oligarchiques de l’Amérique latine des 70 dernières années a trouvé, avec l’élection de Jean-Paul II, en 1978, un allié de premier ordre. Ce dernier n’a pas tardé à condamner la théologie de libération et à mettre au pas les prêtres et les chrétiens qui s’en inspiraient. Reagan n’a pas eu à lui tordre les bras pour s’en faire un allié indéfectible dans sa lutte contre le Gouvernement sandiniste auquel participaient trois prêtres. D’ailleurs le financement des Contras, cette force de mercenaires au service de l’administration Reagan, demeure toujours un mystère à moitié déchiffré. Plusieurs se souviendront également de sa visite au Chili où il eut l’occasion d’exprimer certains égards à l’endroit du dictateur Augusto Pinochet et de se garder de condamner la répression sanglante ayant causé la mort, la torture et l’emprisonnement de milliers de personnes. Lors de sa visite au Salvador, il est allé se recueillir sur la tombe de Mgr Romero, cette évêque assassiné au moment où il célébrait l’eucharistie. Il n’a pas été ému outre mesure et ses commentaires ont été plein de retenu. Il ne fallait surtout pas le donner en exemple. Si cet assassinat eut été réalisé en Pologne, il aurait vite été dénoncé et l’évêque martyr aurait été consacré par les honneurs de la canonisation. Même, après 30 ans, ces honneurs ne semblent pas être pour bientôt. Son exemple n’est toujours pas de nature à aider la « cause ».
Le cas tout récent, au Honduras, du cardinal Rodriguez Maradiaga qui s’est allié aux putschistes pour déloger, le 28 juin dernier, le président légitimement élu, Manuel Zelaya, et l’expédier, manu militari, hors du pays ne fait que prolonger cette longue tradition d’une autorité ecclésiale qui parle des pauvres sans en être et qui s’allie aux oligarchies avec lesquelles elle s’accommode bien. Ce cardinal, un autre que les observateurs considéraient comme successeur potentiel de J.P.II, s’est bien gardé de dénoncer la tricherie d’une fausse lettre de démission tout comme de condamner avec vigueur la violence, la répression et les assassinats des opposants à ce coup d’État militaire. Dites-moi : quelle crédibilité peut avoir cet homme pour parler de démocratie, de liberté, de justice, de vérité et de respect de la personne humaine ? Comment peut-il parler de Jésus de Nazareth et des Évangiles sans trahir l’un et l’autre ? Ce n’est certainement pas son titre qui fait la différence.
Je termine en me référant au cardinal Marc Ouellet, de Québec, que je viens d’écouter à l’émission de « Mongrain en parle » sur LCN. Il était interrogé en relation au contenu d’une conférence donnée récemment à des médecins catholiques. Il avait été question, entre autres, d’avortement et d’euthanasie. Il a évidemment rappelé que la doctrine de l’Église est une doctrine de vie et qu’elle est sacrée, personne n’ayant le droit d’y porter atteinte. Il a donc été question de femmes enceintes qui décident de se faire avorter et de personnes mourantes voulant écourter leurs souffrances. Dans ses commentaires et réflexions, deux points ont particulièrement retenus mon attention : d’abord un langage « de bonne conscience » qui ne vise pas directement la mort, mais qui en accepte le fait, et en second lieu un silence complet sur les guerres et les famines qui tuent par millions des personnes humaines sans qu’il y ait des campagnes, lancées par l’Église, pour en dénoncer les calamités ainsi que ceux qui les rendent possibles. Il est vrai que l’animateur ne l’a pas interpellé sur ces réalités. A ce que je sache, l’Église canadienne, dont il est le primat, soutient la guerre en Afghanistan et consent par le fait même à ce qu’il y ait des vies humaines qui soient supprimées par les armes de nos soldats. Ces vies sont toutes aussi sacrées que celles de l’embryon dans le sein de la mère ou du mourant qui veut accélérer sa fin.
Dans le cas de l’euthanasie, il a soutenu le fait que s’il n’est pas possible moralement de donner la mort à un patient, il est toutefois possible d’en soulager la souffrance, même si la médication a pour effet d’en écourter la vie. Ce genre de langage peut devenir une passerelle permettant de couvrir à peu près n’importe quoi. Il y a là comme une hypocrisie. C’est comme jouer avec les mots pour donner bonne conscience.
Je pense que le discours de l’Eglise doit porter sur le développement des meilleures conditions favorisant l’épanouissement de la vie. En ce sens elle ne peut, d’une main, bénir les armées dont la mission est de tuer et, de l’autre, condamner les femmes qui se font avorter. Elle ne peut se complaire avec les puissances qui dépouillent les deux tiers de l’humanité par des politiques et des systèmes économiques injustes et en même temps prêcher la solidarité avec ces déshérités de la terre. Dans les deux cas, elle doit avoir un discours qui se tienne et un engagement cohérent avec ce dernier.
Oscar Fortin
Québec, le 6 mai 2010