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La Biélorussie assiégée

Les 29 et 30 juin derniers, la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton se rendait à Vilnius, en Lituanie, pour participer à une réunion de la "Communauté des Démocraties" et visiter l’un des camps de formation informatique (« tech camps ») financés par les USA. Ces "camps" accueillent des militants dits de la "société civile" - c’est-à -dire, de l’opposition - en provenance de pays dont les gouvernements ne sont pas appréciés des USA. Ils y sont formés à l’organisation de l’action politique via internet et les réseaux sociaux. Le but affiché en est la "transition démocratique", ou plus exactement, les révolutions de couleur et le changement de régime.

Selon Associated Press, "le premier jour de la réunion sur la démocratie a surtout été consacré aux nouvelles formes de protestation, comme les réseaux sociaux". A cette occasion, Mme Clinton a déclaré : "les Etats-Unis ont investi $50 millions pour soutenir la liberté sur internet et nous avons formé plus que 5000 militants à travers le monde". A ces montants s’ajoutent, bien évidemment, les centaines de millions de dollars dépensés par les USA et ses alliés pour les autres méthodes de déstabilisation de ses ennemis afin de susciter ces "transitions démocratiques".

Le choix de Vilnius n’était pas le fruit du hasard : la ville se trouve à 30 kilomètres de la frontière biélorusse. Ce camp de formation informatique accueille 85 activistes de la région, "surtout de Biélorussie". La Biélorussie est actuellement la cible d’un effort concerté pour aboutir à une révolution de couleur, financée et téléguidée par l’Occident. En même temps, le pays subit une pression relativement nouvelle en provenance de l’Est. Certains éléments russes ont apparemment décidé que la Biélorussie et ses entreprises publiques très rentables devraient leur appartenir. Ils contribuent, à leur manière, à la déstabilisation du gouvernement.

Je reviens d’un deuxième voyage en Biélorussie. Les médias occidentaux, fidèles à leurs maîtres, ne montrent que le portrait monstrueux de la Biélorussie que nos gouvernements veulent bien relayer. J’aimerais donc décrire la situation de ce pays mal-connu, et encourager d’autres à s’y rendre afin qu’ils découvrent par eux-mêmes la culture, l’économie, le caractère et l’accueil chaleureux des Biélorusses. J’ai, entre autres, participé à une conférence internationale sur la résistance au nazisme, à Brest le 22 juin, à l’occasion le 70e anniversaire de l’invasion de l’Union soviétique. Dans un pays qui a perdu entre un quart et un tiers de sa population pendant la guerre, le souvenir des ravages fascistes et de l’héroïsme de ceux qui y ont résisté reste toujours fort et vivant. Située dangereusement entre l’Europe et la Russie, entièrement plate et dotée de peu de ressources naturelles, la Biélorussie a lutté efficacement pour construire un Etat indépendant réussi. Elle ne semble pas prête, à présent, à renoncer à sa souveraineté.

Les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux attaquent le gouvernement du Président Alexandre Loukachenko depuis que celui-ci a refusé de suivre le chemin désastreux de la libéralisation que les autres pays ex-soviétiques ont entrepris dans les années 1990, lesquels ont vendu les entreprises publiques aux oligarques, détruit le système de protection sociale, et permis au capitalisme des mafieux et kleptocrates de prendre le contrôle de l’économie. Sous Loukachenko, la Biélorussie a développé une économie sociale de marché avec le taux de croissance le plus élevé des pays de la CEI, et ce même au cours de la période difficile récente (selon le Comité inter-étatique des statistiques de la CEI, entre janvier et avril 2011, l’industrie Biélorusse a augmenté de 12,9% en glissement annuel), tout en conservant son accès gratuit aux soins médicaux, la protection des salariés, les services sociaux, les retraites, avec un chômage très bas, des subventions pour le logement et le chauffage, et un bon niveau d’éducation. Ceci constitue l’une des raisons pour lesquelles le pays est naturellement dans la ligne de mire de l’Occident, dont les gouvernements en faillite ne cessent de nous dire qu’ "il n’y a pas d’alternative" : il faut casser les retraites et autres programmes sociaux, diminuer les effectifs publics, flexibiliser la main d’oeuvre, privatiser l’éducation, la santé, les infrastructures et tout ce qu’il est possible de vendre, etc. Située à côté de l’Europe en crise, la Biélorussie est plus pour elle qu’une épine dans le pied. Elle est la preuve que la propagande néo-libérale européenne et américaine n’est que mensonges.

Ceci constitue l’une des raisons qui ont conduit à ce que les attaques contre le modèle économique biélorusse et son gouvernement se soient récemment intensifiées. Son économie est un îlot de production et d’exportation dans la mer des économies de consommation. La Biélorussie était la région la plus industrialisée de l’Union soviétique, recevant son énergie et ses matières premières de l’Est, et produisant les machines et les produits chimiques et pétroliers pour la sphère soviétique. 75% de son économie est actuellement destinée à l’exportation, 80% appartient au secteur public, avec de forts partenariats public-privé.

Le pays accueille de plus en plus d’investissements directs étrangers, notamment en provenance de Chine, qui a investi dans des projets d’infrastructures et avec qui la Biélorussie dispose d’un programme unique d’échanges de crédits commerciaux. La croissance s’est élevée à 7,6% en 2010. Des signes en sont visibles partout, beaucoup plus que lors de ma première visite il y a deux ans, et sur l’horizon de Minsk on aperçoit beaucoup de grues.

La première impression qu’offre la Biélorussie est sa propreté : il n’y a, par exemple, presque pas de mégots sur les trottoirs. La deuxième est l’immense quantité d’arbres et de parcs qu’on rencontre dans les villes. (La troisième pourrait être, si l’on a comme préjugé que la Biélorussie n’est qu’une province soviétique reculée et arriérée, la présence de voitures modernes, téléphones portables et autres traits de vie cosmopolite de la part de ses citoyens). Les produits agricoles sont pour la grande plupart d’origine locale, et les fruits et légumes comptent fort peu de traitements chimiques. Le système de distribution des produits alimentaires n’est pas parasité par de grands distributeurs, comme en France. Les tomates sont vraiment rouges à l’intérieur et ont le goût de tomate, contrairement à leurs cousines occidentales. Le coefficient Gini, qui mesure l’égalité de revenus, est excellent (29,7, beaucoup mieux que la France ou les USA, ou ses voisins la Russie ou la Pologne). Le pays attire des immigrés des autres pays de la CEI, qui fuient la corruption, la criminalité et les drogues de leurs pays en faveur de la relative sécurité, de la faiblesse de la corruption et du chômage, mais aussi de la qualité des services sociaux, de la propreté des rues et de la verdeur des villes de Biélorussie.

Ce sont là quelques unes parmi les raisons de la popularité du gouvernement du Président Loukachenko auprès de la majorité des Biélorusses, qui, naturellement, comparent le développement de leur pays sur 20 ans à celui de leurs voisins. Et c’est cette popularité qui dresse un obstacle à l’Occident dans sa volonté de changer le régime "démocratiquement".

Les gouvernements occidentaux ont avancé que l’élection présidentielle du 19 décembre dernier avait été entachée de fraudes, pour justifier leurs dernières attaques. Je me suis entretenue avec plusieurs observateurs indépendants de cette élection. Ils affirment qu’ils n’ont pas observé de fraudes, ni d’irrégularités. Les sondages à la sortie des urnes ont, du reste, confirmé que la majorité des Biélorusses ont bien voté pour la réélection de Loukachenko. Les observateurs de la CEI ont déclaré, pour leur part, avoir été témoins d’une élection libre et régulière, tandis que l’OSCE, sans surprise, car elle est au service des gouvernements occidentaux, a prétendu le contraire. La couverture sélective de cette élection dans les médias occidentaux est étonnante, et pour la comprendre je recommande ce court documentaire : "Ploshcha : Beating Glass with Iron" (http://www.youtube.com/watch?v=JFKHrZPfCqg).

Durant les semaines précédant les élections, les candidats de l’opposition avaient consacré plus de temps à appeler leurs partisans à venir protester le soir des élections dans une place centrale à Minsk, qu’à faire campagne normalement, autrement dit en développant leurs programmes et en appelant les citoyens à voter pour eux. Ce soir du 19, vers 19h, avant que les bureaux de vote ne soient encore fermés et bien avant l’annonce des résultats, les groupes d’opposition ont rallié la place Octobre, place traditionnelle des manifestations, brandissant le drapeau bleu de l’Union européenne et l’ancien drapeau biélorusse blanc et rouge, symbole de l’opposition. Les candidats ont ensuite appelé les manifestants à marcher sur la place de l’Indépendance devant le siège du gouvernement, pour leur "demander de vider les lieux ". Environ 7 000 personnes ont participé à la manifestation, ce qui, au passage, sur les 1,3 millions de votants de Minsk, ne représente pas une grande part de la population.

Sur cette place, certains candidats de l’opposition annoncèrent qu’ils contestaient les résultats de l’élection et qu’ils formaient aussitôt un nouveau gouvernement, lisant une déclaration imprimée, clairement préparée avant même l’annonce des résultats. Ensuite un groupe d’individus bien préparés a essayé de pénétrer dans le bâtiment gouvernemental par la force, utilisant des barres de fer et des pioches. La police est intervenue pour empêcher ce qui constituait clairement une tentative de coup d’Etat, suivant la formule déjà utilisée lors de la "révolution des tulipes" au Kirghizstan, en 2005. Après les heurts, les représentants de l’opposition ont avancé l’idée qu’il ne s’agissait là que de provocateurs. Pourtant nombre des personnes arrêtées ou filmées ont été clairement identifiées comme des proches des groupes d’opposition.

L’objectif était apparemment double : ou bien prendre le pouvoir en occupant les bâtiments gouvernementaux, ou bien, dans le cas contraire, obtenir à minima des images filmées du combat entre la police et les manifestants, avec, de préférence, du sang versé. En dépit de l’absence de blessés majeurs, le deuxième objectif fut en partie atteint car, désormais, les gouvernements et médias occidentaux qualifient ces événements de "répression violente" d’une manifestation de l’opposition, et accusent le gouvernement de violation des droits de l’homme.

L’hypocrisie de l’Occident, qui (tout comme la Russie) avait payé les campagnes de plusieurs des candidats de l’opposition, et qui essaye de susciter une "transition démocratique" en renversant par la violence une procédure électoral démocratique, est sans bornes. Comme beaucoup le savent, les USA n’ont pas de leçons à donner en matière de droits de l’homme. J’ai personnellement assisté à la manière dont la police américaine protège les droits humains des manifestants non-violents, comme, par exemple, le 16 avril 2000 devant le Trésor à Washington, lorsque les forces de l’ordre ont violemment dispersé un groupe de militants non-violents qui faisaient un sit-in dans la rue afin de protester contre les politiques de la Banque mondiale et du FMI. La matraque d’un représentant des forces de l’ordre a brisé trois côtes d’un jeune homme assis près de moi et qui n’avait pu s’échapper à temps. Il semble que la police biélorusse, compte tenu de l’ampleur de la destruction de propriété publique et de la tentative de prendre le bâtiment par la force, soit restée très modérée. Les personnes qui demeurent emprisonnées après ces événements, y compris trois anciens candidats, ont été condamnés pour participation ou instigation de l’émeute. Il faut imaginer ce qu’il en serait si un événement semblable s’était déroulé dans une capitale occidentale.

Beaucoup des anciens candidats (dix au total) entretiennent des relations bien établies avec l’Occident, ce qui n’est pas surprenant vu les millions dépensés par les USA et l’Europe pour changer le régime dans le pays. Ils appellent généralement à la privatisation des entreprises publiques, la libéralisation de l’économie et à l’adhésion à l’EU et l’OTAN. Certains d’entre eux ont effectué des séjours, pour apprendre les méthodes de changement de régime, au Centre Européen George C. Marshall pour les Etudes Sécuritaires, en Allemagne, un partenariat entre l’armée américaine et le gouvernement allemand, qui, selon l’ambassade américaine à Minsk, accueille 25 Biélorusses par an. Depuis 2001, les USA ont promulgué une série de " Lois pour la démocratie en Biélorussie", appliquant des sanctions économiques, constituant des listes noires et décidant de gels d’avoirs pour des personnes ou des entreprises proches du gouvernement, dépensant de la sorte des dizaines de millions de dollars par an pour la promotion de la "démocratie".

En février, le Département d’Etat américain a annoncé, prétextant la violation des droits de l’homme lors des élections de décembre, une augmentation de son "assistance pour la démocratie" en faveur de la société civile biélorusse de 30%, soit $15 millions pour l’année 2011. En 2009, la National Endowment for Democracy a attribué $2,7 million pour financer des médias "indépendants", la société civile (soutien aux "idées et valeurs démocratiques... et à l’économie de marché"), des ONGs et des groupes politiques en Biélorussie. Un câble Wikileaks (VILNIUS 000732, daté 12 juin 2005) confirme le fait que l’argent américain est bien passé clandestinement en Biélorussie par l’intermédiaire de l’USAID. En février, l’Union européenne, plusieurs pays européens, le Canada et les USA ont créé un "trésor de guerre" de 87 millions d’euros pour le changement de régime à Minsk. Avec autant d’argent offert à quiconque veut un travail comme activiste d’opposition, il n’est pas difficile de susciter des vocations.

Car l’Occident n’est pas la seule source du financement de l’opposition, ni la seule à exercer pressions et ingérences. L’un des candidats les plus importants était financé par des Russes. Alors que la pression occidentale est bien connue en Biélorussie, les menées russes de déstabilisation du pays sont relativement récentes. Certains oligarques russes lorgnent sur les entreprises publiques fort rentables, et comme le gouvernement a régulièrement refusé de les vendre, la kleptocratie russe a commencé à chercher à renverser Loukachenko.

Les médias russes ont entamé une campagne concertée contre le gouvernement biélorusse, programmant des documentaires favorables à l’opposition et se livrant à la désinformation et à la diffamation. Des agents russes font des incursions dans le pays. Sur l’autoroute reliant Minsk à Moscou, mon ami biélorusse me montre ainsi les voitures russes fort chères, à vitres teintées, et voyageant en direction Minsk. Le prix du pétrole russe a augmenté de 30 % en janvier, et le prix du gaz a quadruplé en quatre ans. Bien que l’économie ait été diversifiée depuis l’indépendance, elle est toujours dépendante des importations pour l’énergie et les matières premières. La hausse de ces prix a eu un impact sévère sur le pays, où le prix de l’énergie représente désormais 78% du coût de production. Les prix élevés de l’énergie et des matières premières importées expliquent ainsi le déficit commercial, et ce en dépit de la forte croissance des exportations.

En janvier de cette année, au moment où les Russes ont brutalement augmenté le prix du pétrole, la Biélorussie a également subi une attaque spéculative contre sa devise. Les Russes contrôlent 37% du secteur bancaire, et selon des analystes à Minsk, les banques russes ont déclenché la vente de leurs roubles biélorusses. En janvier, on a ainsi acheté 50 fois plus de devises internationales avec des roubles biélorusses qu’en décembre, et ce rythme s’est poursuivi en février et en mars. Ceci a eu immédiatement l’effet escompté : une inflation de 33% au cours des cinq premiers mois de l’année, une panique bancaire et une ruée vers la conversation des roubles biélorusses en dollars ou en or. La banque centrale a été obligée de dévaluer le rouble biélorusse de 36%. Le gouvernement n’a pas fait, pour autant, tourné la planche à billets, contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse occidentale. Ces attaques spéculatives n’ont pas été rapportées par les médias. Ria Novosti, par exemple, typiquement, a déclaré que "le rouble biélorusse s’est effondré au cours des cinq premiers mois de l’année à cause du grand déficit commercial, des augmentations de salaires et de prêts généreux accordés par le gouvernement avant les élections présidentielles de décembre 2010, ce qui a incité à une demande de devises étrangères" . Mais le déficit commercial n’est pas nouveau et ne pouvait à lui-seul déclencher l’étincelle d’un effondrement de la devise. Quant aux augmentations de salaires ou des prêts, ils ne provoqueraient pas automatiquement une demande de devises étrangères.

Selon des résidents de Minsk, le plus grand problème ce printemps n’a pas été le manque de produits sur les rayons, comme on peut le lire aussi dans la presse occidentale, mais l’inflation, le manque de devises internationales et le stockage individuel qui a perturbé les chaînes de distribution. Quand j’étais dans le pays en juin, les rayons étaient pleins, les acheteurs remplissaient les magasins et les marchés, et il n’y avait pas de queues aux stations d’essence, contrairement à ce que disent les médias en Occident. Des protestations sur les frontières occidentales par des gens qui font l’aller-retour plusieurs fois par jour pour vendre des marchandises, ont été largement couvertes par les médias occidentaux qui cherchent des signes d’insatisfaction, mais qui montrent rarement que ce trafic de produits et d’essence biélorusses sont destinés à obtenir des profits en Pologne, pratique qui est nuisible à l’économie biélorusse, surtout dans le contexte difficile actuel. C’est pour cela que le gouvernement a récemment limité le nombre de telles allées et venues à la frontière ainsi que la liste des produits qui peuvent être exportés par des particuliers. La rareté des devises étrangères explique à son tour les retards dans les paiements des factures d’électricité au fournisseur d’énergie russe (qui demande que les factures soient réglées en dollars), ce qui a provoqué des coupures d’électricité à plusieurs reprises récemment. Ce traitement, qui a été abondamment relayé par la presse internationale, n’est pas aussi grave qu’il n’y paraît car la Russie ne fournit, en réalité, que 12% de l’électricité de la Biélorussie et il n’y a pas eu de pannes de courant.

En raison de la chute libre du rouble biélorusse, le gouvernement a été obligé d’avoir recours à l’emprunt international. Il a demandé au FMI un prêt de 8 milliards de dollars, mais le FMI a répondu le 13 juin qu’un prêt ne serait octroyé qu’aux conditions habituelles : programme d’ajustement structurel (d’austérité), privatisations, gel de salaires, flottement du rouble biélorusse, etc. Le FMI admoneste la Biélorussie pour ne pas pour avoir exécuté ces mêmes conditions lors du précédent prêt, en 2009, pendant la crise financière internationale. C’est ainsi qu’une agence destinée à superviser les privatisations avait bien été créée mais qu’aucune privatisation n’ait été réalisée. D’un autre côté, on a rarement lu que le FMI ait salué les mesures prises par le gouvernement biélorusse pour mettre fin à la crise actuelle, par exemple en augmentant le taux d’intérêt et en soutenant les chômeurs.

Que le pays reçoive un prêt du FMI ou non, le refus traditionnel de privatiser arrive désormais à son terme, car le pays s’est vu accordé un prêt d’urgence de 3 milliard de dollars par le Communauté économique eurasiatique, contrôlée par la Russie, laquelle a exigé également la privatisation d’entreprises publiques d’une valeur de $7,5 milliards sur 3 ans. Ceci répond en partie au désir des oligarques russes. Minsk a reçu la première tranche de ce prêt le 21 juin, mettant fin aux difficultés financières immédiates. Les ventes et entrées en bourse des entreprises publiques sont à présent en négociation, et pour la privatisation prévue de 244 entreprises publiques, les investisseurs russes auront un droit de préemption. Le Président Loukachenko a pourtant clairement fait savoir que la loi biélorusse prévoit des conditions strictes dans les privatisations des entreprises publiques. Le 17 juin, il a déclaré : "les conditions ont été données : l’entreprise doit se développer, elle ne peut pas être fermée, les salaires doivent augmenter chaque année, les salariés doivent avoir des protections sociales, et, le plus important, elle doit être modernisée. Autrement dit, si vous venez acheter, vous devez investir dans le développement" .

Le 30 juin, le Venezuela, avec qui la Biélorussie entretient de forts liens économiques et diplomatiques (entre autres accords, le Venezuela a fourni du pétrole à la Biélorussie), a annoncé son intérêt pour acquérir des actions dans des entreprises publiques biélorusses. Des analystes à Minsk disent que le pays se réoriente à présent de la Russie vers la Chine. Début août, le gouvernement d’Azerbaijan a accordé à Minsk un prêt de 300 millions de dollars, avec pour garantie des actifs de la grande entreprise de potasse et d’engrais, Belaruskali. La banque russe Sberbank et Deutsche Bank ont ensemble accordé un crédit de 2 milliards de dollars dans un accord semblable, et cet argent sera employé à renforcer les réserves de change du pays. Une entrée en bourse pour une part minoritaire de Belaruskali est envisagée, et le gazoduc national sera probablement vendu à Gazprom. D’autres entreprises publiques vendront des actions cet automne. L’avenir est donc incertain, mais Loukachenko a déclaré récemment : "je voudrais vous donner des assurances fermes que nous n’accepterons pas d’expérimentations risquées ou une baisse inacceptable du niveau de vie. Nous continuerons de pratiquer un modèle économique biélorusse, modèle qui a prouvé sa stabilité sous des conditions différentes et complexes pendant plus de 15 ans".

L’économie semble montrer des signes de stabilisation. Le gouvernement a annoncé un excédent commercial de $116 million pour le mois de mai dernier. Le ministère des finances a ramené ses prévisions de croissance pour 2011 à 4,5%, et la Banque mondiale l’a baissée à 2,5%. Même à 2,5%, l’économie manifeste clairement des signes de résistance. La Banque mondiale a ajouté que le modèle économique biélorusse était "à bout de souffle". Elle ferait mieux de s’inquiéter du modèle américain de consommation à crédit et de dette étrangère qui montent en flèche.

En juin, coïncidant avec ces problèmes financiers, les gouvernements occidentaux sont revenus à l’attaque, profitant de la conjoncture pour déstabiliser davantage encore le gouvernement biélorusse. Le 14 juin, le Président Obama a renouvelé et renforcé les sanctions contre le pays, déclarant l’"état d’urgence national" (pour les USA, pas pour la Biélorussie !), et de pointer, de manière incroyable, "la menace exceptionnelle et extraordinaire à la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis" que constitue la petite Biélorussie. La seule manière de rendre rationnelle une telle déclaration est d’imaginer combien la réussite du modèle économique biélorusse peut constituer une menace pour le dogme néolibéral. Le 17 juin, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a voté la condamnation des "violations des droits de l’homme" lors des élections récentes en Biélorussie. Le 20 juin, l’Union européenne, à son tour, a renforcé ses sanctions contre la Biélorussie, ajoutant des noms d’entreprises et de personnes à sa liste noire (le gouvernement biélorusse a déclaré son intention de poursuivre en justice ceux qui ont initié les sanctions), tandis que la Banque européenne de reconstruction et de développement a recentré ses activités sur la "société civile".

Quant à la "société civile", elle n’a pas manqué l’opportunité offerte par les camps de formation informatique et les difficultés financières récentes. Entre début juin et fin juillet, une nouvelle tactique a été utilisée parmi les groupes d’opposition, qui a pris le nom de "révolution par les réseaux sociaux". Ils ont organisé sur Internet des manifestations hebdomadaires dans les rues centrales de Minsk, au cours desquelles les manifestants se contentent d’applaudir, sans banderoles, ni slogans. Depuis les violences du 19 décembre dernier, les manifestations sont interdites dans le centre de Minsk, mais sont autorisées ailleurs dans la ville. Quoi que l’on pense de cette interdiction, il est clair que ces protestations étaient le fait des mêmes éléments pro-Occidentaux, bien financés, avec un nouveau profil high-tech.

Selon les médias occidentaux, les manifestations ont été réprimées violemment et les manifestants arrêtés arbitrairement. Selon les autorités biélorusses, des participants ont été arrêtés pour des infractions comme le fait de hurler des insultes à la police et de bousculer physiquement des policiers. Je n’ai malheureusement pas assisté à une telle manifestation lors de mon séjour en Biélorussie en juin, et ne peux en donner plus de détails. Nombre de vidéos sont disponibles sur internet, et je n’y ai pas vu de traces de répression violente, de matraques levées, ni de sang. On peut voir des arrestations mais non ce qui les précède immédiatement. S’il y avait eu des violences policières majeures, on peut être certains qu’elles auraient été divulguées partout sur le Web.

J’ai pu discuter avec des gens, y compris de jeunes gens, à propos des manifestations. L’un de ces jeunes hommes, apprenant que je venais des USA, m’a dit, "Flashmob ! Fun !", en me montrant son pouce en guise de satisfaction. Pour lui, il s’agissait, apparemment, davantage d’un rassemblement public de divertissement avec tambours et des battements de mains, que d’une déclaration politique. Un autre jeune homme m’a dit, "quand je lis les médias occidentaux, je me demande, est-ce là mon pays ? Est-ce que je suis dans une zone de guerre ?" Ce qui transparaît clairement, en revanche, dans les vidéos c’est que les manifestants ne se recrutent pas parmi les plus pauvres. Les participants du camp technique de Vilnius l’ont eux-mêmes reconnu. Selon Associated Press, ils "décrivaient l’opposition active comme largement limitée aux étudiants et aux citoyens éduqués. Le mouvement a besoin du soutien de la classe ouvrière, ont dit les activistes". La classe ouvrière biélorusse a, en effet, bien des raisons de ne pas soutenir ce genre de mouvements. Elle est généralement satisfaite de la politique menée par Loukachenko. Si donc les mouvements se limitent à l’élite pro-occidentale, aux personnes financées par l’Occident ou par la Russie, et aux jeunes qui entendent seulement faire un peu la fête dans la rue, alors ils n’ont pas d’avenir, et ce quelque soit la masse d’argent que l’Occident entend y dépenser.

Et effectivement, début août, ces protestations sont à bout de souffle, n’attirant plus de participants. Le 29 juillet, l’un des organisateurs a reconnu leur échec. Il semble que le but des manifestations ait été surtout de créer une situation de « crise » qui pouvait être relayée par les médias occidentaux, dans laquelle les arrestations donneraient aux gouvernements occidentaux de nouvelles justifications à leurs sanctions. On peut parier que ces organisateurs formés et financés par l’Occident planifient maintenant leur stratégie de la rentrée.

Le 6 juillet, la chambre des représentants américaine a renouvelé le Belarus Democracy Act. Durant le débat, le député Ron Paul l’a dénoncé. Il a déclaré : « je m’élève contre la reconduction du Belarus Democracy Act. Le titre de ce projet de loi aurait amusé George Orwell, s’agissant en réalité d’un projet de loi pour le changement d’un régime. D’ou vient l’autorité morale ou légale du Congrès américain pour déterminer quels partis ou organisations politiques en Biélorussie - ou ailleurs - doivent être financés par les USA et ceux qui doivent être déstabilisés ? Comment peut-on avancer l’idée que le soutien américain au changement de régime en Biélorussie va, d’une façon ou d’une autre, promouvoir la démocratie ? Nous choisissons les partis qui seront appuyés et financés, et cela est censé refléter la volonté du peuple biélorusse ? Qu’éprouveraient les Américains dans le cas inverse, si un puissant pays étranger exigeait que seul le parti qu’il avait choisi et financé pouvait refléter légitimement la volonté du peuple américain ? J’aimerais savoir combien de millions de dollars du contribuable ont été gaspillés par les organismes financés par le gouvernement américain comme le National Endowment for Democracy, l’International Republican Institute, Freedom House, et d’autres ingérences dignes de l’Union Soviétique, pour intervenir dans la politique intérieure d’un pays qui n’a ni menacé, ni attaqué les USA. C’est l’arrogance de notre politique extérieure qui nous amène à cette sorte de loi schizophrénique, où nous exigeons que le reste du monde se plie à la volonté de la politique extérieure américaine, et nous appelons cela démocratie. Et nous nous demandons encore pourquoi on ne nous aime pas et ne nous admire plus à l’étranger. Finalement, je soulève de fortes objections contre les sanctions que ce projet de loi impose à la Biélorussie. Nous devons garder à l’esprit le fait que les sanctions et les blocus à l’encontre des pays étrangers sont considérés comme des actes de guerre. A-t-on besoin de poursuivre des actions guerrières contre un nouveau pays étranger ? A-t-on de l’argent à consacrer à cela ? [...] Nous n’avons aucune autorité constitutionnelle pour intervenir dans les affaires intérieures de la Biélorussie ou de n’importe quelle autre nation souveraine ».

Je suis entièrement d’accord avec lui, et souhaite que le gouvernement et le peuple Biélorusse aient du courage dans leur résistance aux attaques actuelles, et réussissent dans la lutte pour la protection de leur indépendance. Lors du congrès international à Brest sur la résistance au Nazisme, les participants ont décrit le courage et la force du peuple biélorusse au cours des années de guerre sous l’invasion en provenance de l’Occident. Les Biélorusses auront besoin de continuer de puiser dans ces forces et ce caractère pour encore quelque temps car les attaques ne sont pas encore terminées. Ils ont déjà montré leur aptitude à la lutte.

MB
est journaliste et chercheur indépendant à Paris, originaire des Etats-Unis.

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