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La CIA au Vénézuéla, par Heinz Dieterich Steffan.


Sur la doctrine du « démenti plausible »


2 novembre 2003


Rebelion


Les dénonciation des activités de la Central Intelligence Agency (CIA) au Venezuela ne seraient que « pure invention » selon l’ambassadeur des États-Unis à Caracas, Charles Shapiro, qui les attribue à l’« imagination hyperactive » de personnalités politiques vénézuéliennes tel que le député national Nicolas Maduro.

Il est difficile de savoir quand la CIA réalise ses opérations de déstabilisation contre des gouvernements latino-américains et cela de par la nature même de ces opérations secrètes qui s’organisent sous la doctrine du « démenti plausible » (plausible denial). Cette doctrine impose aux agents de la CIA de réaliser toutes leurs opérations d’une telle façon que le gouvernement de Washington puisse toujours démentir de manière « plausible » sa participation directe.

Il est rare que l’on puisse lever un coin du voile sur les activités subversives de cette organisation, comme ce fut le cas le mardi 28 octobre quand la CIA a admis que ses deux agents clandestins William Carson et Christopher Glenn ont été victimes d’une embuscade et tués par des guérilleros en Afghanistan. Ces deux agents étaient des ex-membres des forces spéciales des États-Unis et avaient été engagés par le Directoire des Opérations (Directorate of Operations) de la CIA afin d’intégrer son Groupe spécial d’opérations (Special Operations Group) destiné à mener des activités de commandos et de guerre sale dans le monde entier.

Mais, bien que la nature clandestine des activités séditieuses de la CIA, la doctrine du « démenti plausible » et la politique délibérée de désinformation médiatique, rendent difficile la détection et la démonstration de ses politiques subversives, il n’est tout de même pas impossible de le faire. La méthode scientifique est la plus adéquate parce qu’elle permet d’établir les liens nécessaires entre les causes connues jusqu’aux effets inconnus et vice-versa, de partir d’effets observés jusqu’à des variables indépendantes inconnues.

En appliquant ce raisonnement objectivisant aux affirmations de Shapiro et afin de nous donner une idée sur le degré de véracité des accusations de guerre de basse intensité de la CIA contre le gouvernement du président Hugo Chavez, nous pouvons utiliser comme point de départ un récent article de l’importante revue états-unienne US News and World Report, publié le 6 octobre dernier, ainsi qu’un document des services secrets vénézuéliens daté du mois de juillet 2003.

Analysant les futurs projet de la subversion nationale et internationale contre le processus bolivarien, ce dernier document affirme qu’ « une campagne internationale contre gouvernement Chávez a été planifiée. Cette campagne consiste à démontrer comment le président donne sa protection à des terroristes arabes, colombiens et espagnols. Elle débutera avec l’arrestation pour terrorisme de 8 citoyens d’origine arabe avec des antécédents faux et inventés. Au moment de leur arrestation, on trouvera sur eux des passeports et des cartes d’identités vénézuéliennes et des documents authentiques de la DISIP (la police politique, D.H) de Caracas.

Ces citoyens seront arrêtés au Panama, en Colombie, à Aruba et en Espagne. Les présumés terroristes sont en fait des agents secrets états-uniens d’origine arabe et espagnole. L’objectif de cette opération est de créer une campagne publicitaire internationale de grande échelle contre le gouvernement du Venezuela afin de discréditer ce dernier au niveau international et de préparer le terrain pour future intervention directe des Etats-Unis au Venezuela avec l’appui de groupes économiques, religieux, politiques et militaires vénézuéliens. »

Dans l’article de US News and World Report  ; « La Terreur près de chez nous » (Terror Close to Home), écrit par la chef de section sur l’Amérique latine, Linda Robinson, l’auteure soutient que « Chávez est en train de s’acoquiner avec le terrorisme » ; que des « cellules d’appui » à des groupes terroristes du Moyen-Orient opèrent dans le pays et que « des milliers de documents d’identité vénézuéliens sont distribués à des étrangers provenant du Moyen-Orient » qui, grâce à cela, peuvent éviter les contrôles de l’immigration de Washington et obtenir des visas états-uniens ; que le Venezuela appuie des groupes armés colombiens qui se trouvent sur la liste officielle des organisations terroristes dressée par Washington et qui sont liés au narcotrafic ; que le président Hugo Chávez est en train « de modeler son gouvernement sur le modèle de la Cuba castriste »  ; que Cuba contrôle les services secrets vénézuéliens ; que la multiplication des « liens suspects entre le Venezuela et le radicalisme islamique » ont amené les autorités états-uniennes à enquêter pour savoir s’il existait une connexion entre le Venezuela et Al Quaeda.


En résumé, dit Robinson, le Venezuela, riche en pétrole mais « politiquement instable », est en train d’émerger comme un « potentiel centre du terrorisme dans l’hémisphère occidental », qui offre assistance aux « radicaux islamistes du Moyen-Orient » et dont le président Chávez s’est lié d’amitié avec quelques-uns des ennemis les plus notoires de Washington, entre autres Saddam Hussein en Irak, Kadhafi en Lybie et, évidemment, Fidel Castro à Cuba.

A l’appui d’accusations aussi graves, l’article n’offre que de curieuses déficiences professionnelles. A part deux citations de généraux états-uniens, l’auteure fait reposer son argumentation sur des sources anonymes, dont la validité pour n’importe quel type de journalisme sérieux et éthique serait, bien entendu, complètement nulle.

Un tel manque de professionnalisme a de quoi surprendre lorsque l’on sait que Linda Robinson n’est pas une quelconque journaliste novice mais bien la responsable de la section Amérique latine de la troisième principale revue des Etats-Unis. Elle est également membre du puissant Conseil des Relation extérieures, du grand capital libéral des Etats-Unis, et de l’Institut international des Etudes stratégiques) ; elle fut éditrice de la revue Foreign Affairs, elle a reçu en 1999 le Prix de Journalisme de l’Université de Colombia New-York, ensemble avec le correspondant pour l’Amérique latine du Miami Herald et le « dissident » cubain Raul Rivero, leader de l’agence de presse « indépendante » Cuba Press ; enfin, selon son curriculum vitae, elle a visité vingt fois Cuba et interviewé deux fois Fidel Castro.

Malgré ses énormes déficiences, l’articles de Robinson a été amplement reproduit à travers le monde, et la raison en est évidente. Le gouvernement Bush a perdu la bataille des idées au niveau mondial et latino-américain, parce que personne ne croit plus en ses mensonges constants. Il a également perdu la bataille économique, parce que l’Amérique latine est submergée par la plus pire crise économique et sociale de son histoire. Et il est enfin en train de perdre la bataille politique du fait des héroïques luttes populaires et parce que l’Organisation des États américains (OEA) n’est plus l’instrument aveugle qui permet d’imposer les intérêts de Washington, et cela grâce à l’action d’affirmation de leur souveraineté nationale des gouvernements vénézuélien, argentin et brésilien.

Ainsi, il ne reste plus à l’impérialisme états-uniens d’autres moyens pour imposer ses intérêts que celui d’imposer la militarisation de la Patria Grande. Le conté de fée du terrorisme arabe sur notre continent américain est le ballon d’essai préventif destiné à justifier le terrorisme d’Etat et la répression généralisée que Washington prétend imposer dans nos pays.

Dans ce sens, l’article de Robinson a été le coup d’envoi de la campagne de propagande sur « la Terreur près de chez nous » qui a connu par la suite un coup d’accélérateur. Fort opportunément en effet, deux semaines plus tard s’est tenue à Mexico la Conférence sur la Sécurité Hémisphérique, pratiquement entièrement consacrée au terrorisme. Quelques jours plus tard, dans le cadre du IVe Séminaire des services de renseignement ibéro-américains à Carthagène, en Colombie, le « spécialiste » irlandais Gordon Thomas a apporté sa contribution au conte en affirmant que les FARC et Al Quaeda avaient établis des liens.

Ce fut bien vite au tour de « l’envoyé spécial » de la Maison Blanche pour l’Amérique latine, Otto Reich, ex-fonctionnaire de la sale guerre de Reagan, de déclarer que le gouvernement vénézuélien a des positions « franchement anti-nord-américaines » au sein des forums internationaux et qu’il existait de nombreux rapports qui soulignent que le territoire vénézuélien « est en train d’être utilisé pour des activités qui ne contribuent pas à la paix et à la sécurité de la région ».

Parallèlement, la chaîne de télévision CNN a réanimé le fantasme du terrorisme arabe en Amérique latine au travers d’un long « reportage » depuis la « Triple frontière » entre le Brésil, l’Argentine et le Paraguay décrivant le terrible danger de voir les terroriste d’Oussama Ben Laden s’infiltrer dans le paradis états-unien à partir des Chutes de Foz de Iguazú, via le Paraguay, les jungles amazoniques du Brésil, du Surinam, du Venezuela, de la Colombie et de l’Amérique centrale.

Pour étayer l’élaboration de cette petite histoire d’horreur, on a utilisé des sources aussi irréprochables que le responsable de la lutte anti-terroriste aux Etats-Unis, Cofer Bank, une chaloupe de contrebande de Ciudad del Este et un obscur agent au chômage des « services de renseignements argentins » avec de notables difficultés d’expression.

Sur les avantages qui permettraient d’expliquer pourquoi un terroriste du désert d’Arabie pourrait courir le risque de mourir de la dengue, de la malaria, d’un serpent ou de terminer dans l’estomac d’un jaguar avant d’arriver par cette route à la terre promise, le silence fut total.

A la même période que fut diffusé ce reportage, le Secrétaire d’État aux Relations extérieures, Colin Powell, donnait un entretien à CNN dans lequel il qualifiait les accusation vénézuéliennes [« d’absurdes », en affirmant que « nous ne sommes pas au XIXe siècle » et que Washington ne ferait jamais de mal à celui que « le peuple vénézuélien avait élu comme président ».

Des déclarations sans doute très louables, mais qui relèvent surtout de la science-fiction. Powell n’a en effet pas besoin de remonter un siècle en arrière pour se retrouver nez à nez avec les méthodes de sale guerre de Washington. Il y a seulement 20 ans par exemple que Ronald Reagan mit à bas un président élu au Nicaragua après un long conflit. Et l’un des principaux exécutants de cette subversion armée était justement un certain Colin Powell, le comique de la bande à Bush Junior et qui parle aujourd’hui comme Mère Térésa de Calcutta.

Nous pouvons donc admettre que Powell, Reich et Robinson appliquent parfaitement la doctrine du « démenti plausible » et à partir de là découvrir la vérité de ce qui se passe en Amérique latine en interprétant de manière inverse leurs déclarations. Autrement dit, nous nous trouvons face à une opération de répression d’envergure continentale avec une composante propagandiste au niveau mondial.


Face à cette offensive, rien n’indique que la Révolution bolivarienne est en train d’agir de manière adéquate sur le terrain médiatique. Il semble qu’il n’existe pas de noyau stratégique qui centralise l’information et décide de son emploi en lieu, en temps et en forme adéquate face à l’agression de Washington, à l’image, par exemple, de ce qui existe à Cuba.

Affronter d’une manière aussi dispersée et artisanale un ennemi propagandiste aussi terrible peut avoir de sérieuses conséquences. Il reste seulement à espérer que le Commandant Hugo Chávez applique dès que possible sur cet autre champ de bataille les règles de la guerre telles qu’elles furent clairement exprimées par le Général Karl Von Clausewitz.

Heinz Dieterich Steffan


Traduction de l’espagnol : Ataulfo Riera, pour RISAL


Article original en espagnol : « La CIA contra Venezuela », Rebelión, 01-11-03.

Source : RISAL



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