Comment a-t-on pu passer de F. Mitterrand (on en avait pris pendant 14 ans après Pompidou puis Giscard !) à J. Chirac (12 ans), puis au surréaliste involontaire N. Sarkosy (5 ans seulement) et maintenant à F. Hollande - aujourd’hui avec sa boîte à outils (Qui c’est ? C’est l’plombier !)) et son choc de simplifications ?
Miroir, mon beau miroir...
Pour le comprendre il suffisait d’interroger ce "on" comme l’a fait le CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) en 2008.
Deux personnes sur trois (soit environ 66%) ont alors estimé appartenir aux classes moyennes.
Quand une large majorité de la population se situe ainsi elle n’a aucune raison d’aller chercher midi à quatorze heures, l’essentiel individualiste étant de préserver ce que l’on tient, tout en conjurant l’idée de la descente, et de croire en l’ascenseur social.
Maintenant que voici provisoirement éclaircie la raison de la belle continuité politique qui posait question, il est intéressant de continuer à noter que seuls 5% des interrogés se sentaient "aisés", "privilégiés".
Que penser des 29% restant...
... cette partie de la population qui n’inspirait rien au CREDOC dans son enquête d’opinion ?
Thomas Piketty est directeur d’étude à l’EHESS, professeur à l’Ecole d’économie de Paris/Paris school of economics, et ne publie habituellement qu’en anglais.
En 2010, dans "La répartition des revenus en France en 2010" il fournissait cette solution qui paraît acceptable, et qui était même prophétique au regard des développements actuels :
« Tout d’abord il faut noter que l’alternance au pouvoir depuis 1981 de la droite et de la gauche semble assez inutile (comme il a été remarqué plus haut, tout dépend du point de vue : il vaut mieux garder ce que l’on a que tenter le diable) quand on s’aperçoit que des problèmes majeurs, comme le chômage, restent toujours irrésolus.
L’abstentionnisme électoral est plus fréquent dans un contexte socioprofessionnel précaire.
De plus, les exclus du champ socioéconomique semblent s’exclure eux-mêmes du champ politique : les chômeurs, par exemple, sont moins souvent inscrits sur les listes électorales, ou sont davantage abstentionnistes que le sont les salariés.
Au niveau de la société globale, le constat est évident : les catégories sociales les mieux intégrées sont aussi celles qui votent le plus ; à l’inverse, les abstentionnistes font partie de catégories plus humbles, en général subordonnées aux précédentes. »
Ce qui peut expliquer que plus haut, le CREDOC s’abstienne comme les électeurs sur les 29% restant.
Pour aborder une réalité autre...
...et non plus se contenter de l’opinion que l’on a de soi-même, le CREDOC (toujours en 2008) donnait ces chiffres :
10% de la population constituent les « catégories pauvres » (avec moins de 780 € par mois),
20% sont identifiés sous le terme de « catégories modestes » (entre 780 et 1 120 € par mois),
30% de la population constituent les « classes moyennes inférieures » (avec des revenus avant impôt compris entre 1 120 € et 1 750 € par mois pour une personne),
20% représentent les « classes moyennes supérieures » (entre 1 750 € et 2 600 €),
Les 10% juste en dessous sont nommés « catégories aisées » (entre 2 600 et 3 010 €),
Enfin, les 10% de la population les plus riches sont appelés « hauts revenus » (pour donner une idée, cela correspond à un revenu avant impôt de plus de 3 010 € par mois pour une personne seule).
Force est de constater la cohérence entre ces données et les opinions, en effet :
- 10+20= 30% de pauvres ou très pauvres.
- 30 + 20 +10 = 60% de moyens moins, à aisés (ceux qui ne s’avouent pas volontiers riches), au lieu de 66% dans les opinions.
- 10% de privilégiés.
Remarque : Il y aurait donc quand même un certain nombre de pauvres qui se sentent appartenir à la classe moyenne, la question s’éclaircira plus bas.
Pour revenir à T. Piketty, il distingue de façon pertinente parmi les 50 millions d’adultes français selon leur revenu mensuel moyen et donne le pourcentage de ce qui leur revient du revenu global :
- Les 50% les plus pauvres (Classes populaires : 25 millions d’adultes)),
- 1600 € de revenu mensuel moyen, ce qui leur attribue 27% du revenu global.
- Les 40% du milieu (Classes moyennes), 3000 €, 42%.
- Les 10% les plus riches (Classes aisées), 8600 €, 31%.
Remarque : Selon cette étude la part du revenu des 10% les plus riches est supérieure de 4 points à celle des 50% les plus pauvres.
Suit chez T. Piketty une très intéressante différenciation au sein des plus riches, mais ce n’est pas ici l’objet, non plus que le tableau fascinant qu’il donne ensuite de la répartition du patrimoine cette fois ; selon le même découpage 50%/40%/10%. Disons simplement que les 5O% "les plus pauvres" détiennent... 4% du patrimoine ! Ce qui justifie amplement la classification qu’il a adoptée.
Ces données du CREDOC et de T. Piketty peuvent-elles s’accorder ?
Abstraction faite de leurs dates différentes (2008-2010) et de leurs différences dans leurs moyens d’évaluation, pour n’en retenir que les catégorisations ?
Il suffit d’enlever 20% à la catégorie moyenne dans le classement du CREDOC pour les verser dans celle des pauvres et l’on obtient alors exactement la même répartition que chez T. Piketty.
Mieux, si l’on prélève 26% (soit 12 à 13 millions d’adultes) chez les 50% plus pauvres dans le classemnt T. Piketty pour les intégrer aux classes moyennes du même classement, on tombe exactement sur les 66% qui se pensent comme appartenant aux classes moyennes dans le sondage CREDOC.
C’est-à -dire que la moitié des gens pauvres (ceux qui le sont le moins sans doute) se sentiraient appartenir aux classes moyennes !
Conclusion
Ainsi s’expliquerait, au moins pour partie, le sentiment de disparité entre le mode
de vie et le vote des intéressés que l’observateur naïf de la vie politique pouvait éprouver :
Comment se fait-il que des gens pauvres votent comme s’ils étaient de catégorie moyenne ?
Sources :
http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C249.pdf
http://piketty.pse.ens.fr/fr/fichiers/enseig/ecoineg/EcoIneg_fichiers/...