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Le bel avenir de Thucydide

Cousines et pourtant souvent considérées comme étant en concurrence frontale, l’actualité et l’histoire ont tout à gagner de s’enrichir mutuellement. C’est en tous cas la conviction de nombre de professionnels, qu’ils soient spécialistes, enseignants ou encore journalistes qui patiemment développent des passerelles entre ces deux domaines.

Grande passion de l’historienne et académicienne Jacqueline de Romilly, Thucydide a sans doute été tout à la fois le premier journaliste et le premier historien de notre civilisation.

Dans une première vie, descendant d’une famille noble d’Athènes, il est d’abord militaire. Sèchement battu à la tête de ses troupes, il est contraint à l’exil et occupe le reste de ses jours à analyser – on pourrait même écrire à « décortiquer », tant le souci du détail est omniprésent, presque obsessionnel – les causes, le déroulement et les conséquences du conflit qui opposa Athènes et Sparte entre 431 et 404 avant Jésus-Christ. Reclus pendant des années à Thrace, Thucydide inventa finalement ces deux métiers qui font encore rêver nombre d’enfants à l’aube du 21ème siècle : celui de journaliste et celui d’historien. Dans son œuvre, magistrale et unique, Histoire de la guerre du Péloponèse, il commence par décrire avec minutie les faits et les déroulements. Un reportage sur le vif, où l’humain est présent à chaque page. Dans un second temps, il se livre à l’analyse, s’interroge sur les causes et trace des perspectives, faisant œuvre au long cours.

Par un retournement de situation assez inattendu, jamais la posture de Thucydide n’aura été aussi actuelle et pertinente. Submergées par la vague Internet, les sciences humaines comme bon nombre d’autres disciplines doivent désormais refonder cet équilibre entre immédiateté et réflexion. L’actualité donne le sentiment de s’accélérer dans notre village planétaire. Nécessité se fait de trouver de la distance, des outils pour comprendre et à tous le moins donner du sens.

Porté par cette intuition, Patrick Sawicki, entouré d’un groupe de jeunes historiens, fonde dès 1997 l’association « Thucydide-conception » dont la profession de foi est : l’Histoire pour éclairer, comprendre, décrypter l’actualité. Epaulé par des grands noms des sciences humaines, comme le sociologue Alain Touraine ou les historiens Annette Wievorka ou Benjamin Stora, soutenu et conseillé par des professionnels des médias, comme Yvan Levaï ou Michel Taubmann, il lance aussitôt les « cafés-histoire », organisant au cœur du Faubourg Saint-Antoine à Paris des rencontres, forums et débats pour donner du sens à l’actualité, en clarifier les enjeux ; bref, transformer les mille et un faits du quotidien, anecdotiques ou graves, en matériau historique.

Ce souci de rendre compatible l’immédiat et les évènements de fond, cette volonté de clarification pour comprendre ce qui fera date et ce qui sera oublié agite aussi depuis une dizaine d’années les grands médias français qui tous ont leur « historien consultant attitré », en charge de décrypter et de proposer des grilles de compréhension au plus grand nombre, face à la multiplicité des actualités.

Une démarche que l’on retrouve également au sein de l’Education nationale, très tôt en alerte sur les conséquences de l’arrivée du flot continu d’informations via Internet, dans l’enseignement de l’Histoire. Qu’il s’agisse du CNDP (Centre national de Documentation Pédagogique) ou du portail « eduscol », les enseignants ont compris l’urgence qu’il y avait tout à la fois à tirer parti des nouvelles technologies, formidable et quasi inépuisable « centre de ressources », mais tout en prenant appui sur le patrimoine que représente l’écrit. « Contre toute attente, c’est même une demande de mes élèves, observe Marie-Laure qui enseigne l’histoire. Dès le collège, quand ils se passionnent pour un sujet d’histoire contemporaine, leur premier mouvement est de naviguer sur le Net. Puis vient la réflexion, la recherche plus poussée, le besoin de comprendre. Et là, le livre s’impose. En clair, passé le temps du tâtonnement et des premières recherches, mes élèves éteignent l’ordinateur et vont au CDI emprunter des livres . C’est dire s’ils ont alors besoin d’être guidés ».

C’est donc en termes de complémentarité, l’écrit à l’appui et comme enrichissement du net, que les éditeurs travaillent désormais. « Je suis convaincu, observait Arnaud Nourry Président d’Hachette Livre dans une intervention récente, que l’histoire du numérique dans l’édition ne sera pas celle d’une révolution, mais celle d’une transformation et d’une évolution lente et vertueuse dont nos auteurs seront les bénéficiaires. Tout simplement parce que dans un monde d’internautes assaillis de contenus de qualité souvent faible, nos auteurs, nos marques (…) permettent de donner du sens ».

Qu’il s’agisse de trouver des clés de compréhension à une actualité déferlante accessible en temps réel ou de se donner le temps de développer et comprendre le patrimoine historique pour éclairer l’avenir, rien de pire ne saurait arriver que de créer des frontières étanches, infranchissables. Une vision étriquée, frileuse, pensée en termes de chasse gardée et pour tout dire étroitement protectionniste serait sans aucun doute préjudiciable tant aux historiens privés de sources vives qu’aux publics avides d’informations en continue. Aux Thucydide du 21ème siècle de (re)nouer ce lien, désormais.

Albin Ciriez

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