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Le canibalicapitalisme

Photo : Céline Villeneuve

Nous roulions vers Saint-Jean-Port-Joli quand le nuage d’oies blanches est passé. J’habite le coin depuis près de 50 ans. Je n’ai jamais vu un spectacle aussi étrange : les oies blanches dans le ciel gris, et des feuilles, rien que des feuilles jonchant le sol, pendant que la pluie cinglait le pare-brise. Et les feuilles volaient bas, plus bas que les oies, mais comme emmêlées…

A quoi donc sert de raconter ce «  paysage » mouvant ? A quoi donc sert la littérature ? A échanger des émotions, à tenter de les décrire, à essayer avec une route de mots de passer à quelqu’un son «  feu » de la vie… C’est donc un acte social qui, mêlé à de petites philosophies, sert à changer un peu ce monde, ou, du moins, à le replacer, là où il devrait être. Le «  décrochir »…

Il n’y a pas de littérature à Wall-Street. A part l’anglicisme des écrits sur l’économie et autres sujets, lorsqu’on parle de «  littérature ».

Dans un arbre, chaque feuille à son sens de vivre et participe à la vie de l’arbre qui participe à et à … dans un cursus qui se répète.

Une chaîne vivante dont nous ne percevons que le spectre de couleurs et la beauté. Le ressenti ne peut se définir clairement : on ne sait si ce sont les couleurs, le bruit du vent qui gifle les arbres qui les déshabille. Tout ça fait partie de notre vision des paysages.

Et nous avons nos visions du monde…

Le petit automne d’une vie…

Avec ce paysage dans lequel la nature semble vouloir nous quitter un peu, pas étonnant qu’il nous rappelle les Baudelaire, Rimbaud, Poe, et Kerouac , et l’appréhension de la mort.

Sur la route, le film…

Après l’avoir visionné, je ne sais trop si on devrait toujours transformer en cinématographie les oeuvres des écrivains. Le film, un tableau bouillant de personnages «  en feu », est là , mais sans le talent de Kérouac pour les décrire et les rendre vivants, voire nous «  toucher » ou nous secouer.

Voici un petit extrait d’article que vous ne retrouvez pas sur Wikipedia concernant les racines de Kérouac :

SAINT-PACôME " Écrivain américain, Jack Kerouac est l’un des chefs de file de la «  Beat generation. » Né à Lowell, petite ville industrielle et centre de filature dans le nord-est du Massachusetts, il a ses racines dans la région de Kamouraska. Sa mère, Gabrielle-Ange Lévesque, est née à Saint-Pacôme. Ses grands-parents paternels, eux, sont originaires de Saint-Jean-Port-Joli et de Saint-Pascal.

Les origines kamouraskoises de l’écrivain sont connues. Lui-même en a parlé dans les entrevues qu’il a accordées en français à des journalistes québécois tels que Fernand Séguin et Pierre Nadeau. Dans une récente entrevue à l’émission «  Tout le monde en parle », Nadeau disait de Jack Kerouac qu’il se définissait comme «  un fils de Saint-Pacôme. » Kerouac

Un train de vie…

Décrire sa vie, celle des autres, et «  créer » des histoires, fait partie de la recherche de ce que nous sommes. Nous sommes que trop craintifs face à la mort, la nôtre, mais nous en sommes du moins conscient.

Sur le plan social, c’est différent…

 L’Occident a découpé la religion et la spiritualité. Les hypocrites n’en on gardé que le cérémonial et se lavent les mains dans les bénitiers. La tendance actuelle vers le découpage des humains en feuilles détachées des arbres, individualisme cultivé, les penseurs, les artistes, ne sont plus que reliés au monde de l’errance de cerveaux échevelés et prisonnier, comme un oiseau dans son oeuf, affolé de la crainte de ne pourvoir voler un jour.

La prison ovale… Comme les oiseaux de la Maison Blanche…

Nous avons oublié les grands mouvements des Sartre et Camus, d’un certain Zola, du temps où la littérature avait quelque influence sur la conduite humaine. Qui donc a besoin des intellectuels ? Même si nous sommes menés par des gavés d’argent, soûlés au pouvoir… Pas toujours, me direz-vous. Non, ceux qui sont honnêtes, sont parfois si liés et rivés aux luttes intestines, que leur vision en couloir, leurs longs couloirs de quatre ans, a mis à mort les décennies à venir. Ce n’est pas si simple…

Le temps qu’il reste…

C’est la petite image de ceux qui essaient de nous faire comprendre la perception de la relativité du temps : lorsque vous courez le long d’un train, le train va moins vite que le paysage.

L’humanité commence à souffrir de myopie et de surdité. Pas par vieillesse… Sans doute parce que comme Kerouac, les être «  en feu » et «  à la mode », n’ont pas d’être mais bien de l’avoir. C’est leur religion véritable et ils sont en train de flamber une planète pays par pays, région par région, humain par humain, en les robotisant comme les moutons électriques de Philip K. Dick.

La froideur de l’acier trempé nous fait oublier les défaites de Napoléon et de Hitler dont les armées ont été pétrifiées par le froid.

N’avons-nous pas cette nouvelle «  culture » du froid social, embourbés dans des calculs pseudo savants ?  Le «  chacun pour soi » ?

Le charme discret des systèmes d’éducation, tous du même modèle dans les pays occidentaux, et tous reléguant une culture conique pour que la pâte décore le gâteau, camouflant la nourriture en une masse de sucres multicolores…

L’Homme roussi

Si Kerouac aimait les gens en «  feu », les défoncés, les givrés, et qu’il s’adonnait à une sorte d’autodestruction en enfilant un flacon d’alcool par jour, Sur la route  demeurera une tentative têtue d’aller nulle part, sauf vers soi. Les universitaires qualifient cela de «  démarche » artistique…

Or, l’art de s’adonne pas à l’art pour «  rien ». C’est une démarche très approchante de la quête spirituelle puisqu’elle passe par une négation du connu et du «  figé » pour aller vers une aventure dont on ne connaît pas ni la fin, ni les découvertes en cours, ni les perceptions des «  autres » qui sont aléatoires, mais enrichissantes par l’unicité de la vision.

Kerouac aurait écrit son oeuvre sur un rouleau de papier. Comme si, inconsciemment, il avait soudainement pris conscience que tout est lié et que tout n’est pas «  calculs », mais rythme. Aller-retour, aller-retour, aller-retour…

Saisons des âmes…

Mais vint l’ère de l’Homme «  saccadé ».

Maintenant, on calcule les feuilles pour créer un arbre. Maintenant, on prend les enfants en bas âge pour les former, de crainte que l’amour des parents ne soit pas suffisant : il faut des connaissances… Mais celles du diktat des sociétés «  allongées », grasses, disposant d’un arsenal fabuleux, miroitant, techno, pour investir les âmes et nourrir la partie terrestre. Pilules, psychologues, gavage de savoirs, diplômes à rabais, et infos truquées.

L’art ne sert à rien, sauf à se redresser un à un, puisque nous sommes devenus des rampants et des adulateurs de veaux d’or. Nous sommes une feuille comptée et non plus vivace. Notre seule vie risque de devenir la vie d’un autre. Le grand drame de ne pas être soi et la douleur de s’enfanter après la naissance. Le risque de mourir étouffé dans une coque ovale, comme un oiseau prisonnier.

L’avalée des avalés

Les meilleurs livres sont ceux de 400 pages résumés en quelques phrases à leur entrée :

"Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S’il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon coeur se serre, la peur me saisit."3   L’avalée des avalés, Réjean Ducharme

L’art annonce la souffrance et la «  déroute » de la vie. Que l’écrivain ait l’air d’une âme perdue, questionnant, ne fait que nous approcher d’une certaine réalité. Car notre réalité intérieure est la même que celle du monde, que celle de «  l’homme ordinaire » ou du prétendu génie.

L’art dévoile et les calculs voilent.

Mais mieux encore, ou pire, trop de calculs finissent par voler. L’art est sans doute le meilleur moyen pour nous rappeler que nous sommes des êtres toujours en quête d’un sens - que sans doute nous fabriquons dans cette frange d’éternité - à la vie : à savoir que nous mourrons bien souvent au cours d’une vie, mais que nous nous relevons.

Au point de se demander si ceux qui apparaissent si «  pratico-pratique » ne sont pas eux-mêmes leurrés par leur absence totale d’art et d’âme.

Ce qui ne semble servir à rien est peut-être, au fond, ce qui sert vraiment.

Et la déchéance actuelle n’est pas étrangère à la faim dans le monde et à la faim occidentale de «  l’Homme perdu » enterré sous ses objets, qui en rachète pour s’enterrer dans l’illusion de vivre vraiment.

Oui… Il y avait le nègre et le missionnaire… Une vieille image…

Mais voilà , qu’à force de manquer de bon sens, nous assistons à un cannibalisme planétaire ou quelques uns ont cette faim étrange qui n’est pas liée à la vie, sans respect, sans coeur, sans art - pas même celui des grottes de Lascaux…

Des desseins d’enfants…

Gaëtan Pelletier

28 octobre 2012

La Vidure

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