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Le capitalisme : de la naissance à la mort.

"Chaque matin je me réveille du mauvais côté du capitalisme"

La présence de Karl Marx par trois ouvrages, les Manuscrits de 1844, l’Idéologie allemande et le livre I du Capital, à l’agrégation de philosophie de 2015 en France interpelle la conscience intellectuelle et idéologique de plus d’un. On peut le comprendre à la manière d’Yvon Quiniou comme une fin de la censure idéologique à l’université, mais aussi et surtout comme une nécessité de lire Karl Marx, le théoricien du capitalisme. Ce phénomène exprime l’urgence de cerner la crise actuelle du capitalisme par la pensée critique marxienne. On assiste à un retour forcé de Karl Marx dans le monde médiatique et universitaire. Ce qui explique le record de vente du livre le Capital à partir de 2008 : 28000 exemplaires des rééditions du Capital édités en poche, ont été vendus depuis 2008, selon les chiffres relevés en janvier 2012 par le service Édistat. Tout cela, c’est juste pour expliquer un système qui domine le monde malgré ses contradictions objectives apparentes. Qu’en-est-il de cette forme d’organisation économique et sociale qu’est le capitalisme ?

Dans cet article, on croise deux récents livres, La naissance du capitalisme au Moyen Age et Adieux au capitalisme, pour caractériser le capitalisme contemporain. Leur point commun est qu’ils postulent que le capitalisme est un produit de l’histoire, donc il n’est pas hors du temps. Jacques Heers dit bonjour au capitalisme tandis que Jérôme Baschet lui dit au revoir.

Que le capitalisme ait une histoire est incontestable. Reste que définir son origine est tout sauf anodin. Pour certains, comme Karl Marx et Werner Sombart, cette origine renverrait à l’époque moderne. D’autres la situent bien avant, comme Jacques Heers, comme en atteste La naissance du capitalisme au Moyen Age, qui vient d’être réédité en poche. Dans cette étude qui se limite au royaume de France et aux villes marchandes d’Italie, l’historien, disparu l’an dernier, tente de décrypter les transactions des usuriers. Il y insiste sur le rôle de ces changeurs de métaux précieux et de monnaies, qui constitueraient l’origine des banquiers moderne, étant donné que la période médiévale n’a pas connu de véritable système bancaire. En se fondant sur ces trafics d’argent et leur logique de profit, Jacques Heers affirme, en dépit de la dimension fermée et de subsistance de son économie, qu’il y aurait un « capitalisme populaire » dès le Moyen Age. Anachronique ou déplacée, cette hypothèse peut être rattachée à sa définition du capitalisme, qui néglige d’intégrer les questions de propriété privée, de mode de production et d’exploitation.

Avec Adieux au capitalisme, Jérome Baschet invite au dépassement d’un système qui ne cesse de se reproduire et de s’adapter aux critiques et contestations qui le mettent en cause. L’historien part de l’idée selon laquelle le capitalisme est dans une période depuis les grands mouvements contestataires des années 1990, tels que le soulèvement zapatiste en 1994, les grèves de décembre en 1995 en France et les mobilisations de Seattle en 1999, qui ont contribué à étendre les critiques du néolibéralisme. L’auteur analyse notamment le role des réseaux altermondialistes, en pointant du droit ce qui constituerait leurs limites : ces mouvements anticapitalistes concourraient à des aménagements au sein même du système capitaliste. Ce qu’il appelle ¨capitulisme¨, afin de montrer la nécessité d’une nouvelle approche critique vis-à-vis du capitalisme. Son livre prône ainsi un anticapitalisme plus radical, susceptibles de créer les conditions de la véritable mort de ce système humanicide.

L’un des plus grands efforts conceptuels autour de la thématique du capitalisme est le ¨capitulisme¨. Cette catégorie de Jérôme Baschet exprime l’état manifestement débile des critiques contre le capitalisme. On peut dire que le ¨capitulisme¨ est un anticapitalisme inconséquent. Selon Jérôme, il y aurait des critiques anticapitalistes qui aideraient le mode de production capitaliste à se reproduire. Des critiques qui dénoncent les crimes de ce système et qui ¨s’inclinent devant son apparente invincibilité¨ s’inscrivent dans ce ¨capitulisme¨. De même que celles qui affirment que les conditions ne seraient pas réunies pour faire disparaître le capitalisme. Ces deux groupes anticapitalistes dominants baignent dans l’idéologie du capitalisme et assurent la légitimité de ce système, tant qu’ils n’orientent pas leur critique vers une démarche dialectique marxiste. On s’inscrit en faut contre toute dialectique négative qui s’arrête à la critique sans évoquer des alternatives. La démarche capituliste trouve sa source dans la dialectique de Théodor W. Adorno (Ecole de Francfort). Ainsi, Jérôme propose dans son ouvrage de combattre ce ¨capitulisme¨ si on veut vraiment sortir du capitalisme. Pour le faire, il faut ¨intensifier la réflexion sur les alternatives au capitalisme et les potentialités que son dépassement ouvrirait¨.

En ce qui a trait aux alternatives, il n’y en a pas une qui soit meilleure. Il s’agit plutôt de penser aux alternatives pour ne pas tomber dans la critique-critique, une espèce de l’art pour l’art. Il faut dénoncer le capitalisme tout en convoquant d’autres mondes possibles non capitalistes. Car, contrairement à ce qu’avait dit Leibnitz, tout n’est pas pour le mieux dans ce monde. Donc, ce n’est pas le meilleur des mondes possibles.

Jean-Jacques Cadet
Doctorant en philosophie

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COMMENTAIRES  

09/06/2014 18:20 par babelouest

Pour critiquer le capitalisme, je pense qu’il faut oser faire table rase des "évidences" précédentes, telles que la monnaie, et pire, la propriété privée. Propriété dans le sens total, c’est-à-dire à la fois la jouissance d’un bien, la capacité de le réparer, de le prêter ou le donner, mais aussi de le VENDRE, ou de le détruire à sa guise. La vente n’est pas un troc : il s’agit de recevoir en échange du bien une garantie "monétaire" permettant ultérieurement de faire autre chose : acheter un autre bien, ou acheter le travail de quelqu’un d’autre, ou simplement stocker ces garanties : ce qu’on peut déjà appeler de la spéculation. C’est ce que fait le capitalisme : acheter des humains, stocker des monnaies d’échange (qui à la limite peuvent justement être des humains), en un mot profiter. Le profit étant à bannir, pour n’importe qui, cela limite les possibilités de possession. En gros un humain peut avoir la jouissance d’un bien, s’il lui est nécessaire. Ou si ce bien (outil, instrument de musique, moyen de transport collectif) a une utilité générale. Je ne connais guère Marx, mais ces quelques notions me paraissent une bonne base de début.

12/06/2014 11:04 par Dwaabala

Le capital est un pôle, et le travail l’autre pôle de la contradiction.
Le capital jette, ou attire, dans la production des masses de population de plus en plus importantes sous des formes de plus en plus socialisées et organisées : quand quelques firmes contrôlent et planifient l’extraction puis la transformation des richesses naturelles, le régime d’exploitation du travail confine au socialisme.
Aucun stade économique n’a été dominant sans avoir d’abord existé en germe dans le stade antérieur, ni sans avoir porté en lui les germes du stade ultérieur.
Ce sont les masses politiquement organisées qui sont le germe de l’avenir socialiste, dans lequel on peut imaginer que le capital se survivra un temps, comme forme conservée et dominée du passé.

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