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Le Néolibéralisme – l’idéologie à la source de tous nos maux (The Guardian)

"Pas d’alternative"... Ronald Reagan et Margaret Thatcher à la Maison Blanche. Photo : Rex Features

Le néolibéralisme a joué un rôle dans la crise financière, la catastrophe écologique et même la montée de Donald Trump. Pourquoi la gauche n’a-t-elle pas réussi à trouver une solution de rechange ?

Imaginez si le peuple de l’Union soviétique n’avait jamais entendu parler du communisme. L’idéologie qui domine notre vie n’aurait, pour la plupart d’entre nous, aucun nom. Mentionnez-la dans une conversation et vous obtiendrez en retour un haussement d’épaules. Même si vos auditeurs ont déjà entendu le terme, ils auront du mal à le définir. Le néolibéralisme : savez-vous ce que c’est ?

Son anonymat est à la fois un symptôme et la source de son pouvoir. Il a joué un rôle majeur dans un nombre remarquable de crises : la crise financière de 2007-2008, la délocalisation des richesses et du pouvoir, dont les Panama Papers nous offrent un simple aperçu, le lent effondrement de la santé publique et de l’éducation, La pauvreté, l’épidémie de solitude, l’effondrement des écosystèmes, la montée de Donald Trump. Mais nous répondons à ces crises comme si elles émergeaient dans un isolement, apparemment ignorants qu’elles ont toutes été catalysées ou exacerbées par une même philosophie cohérente ; Une philosophie qui a - ou avait - un nom. Quel plus grand pouvoir peut-il y avoir que celui d’agir en tout anonymat ?

Le néolibéralisme est tellement omniprésent que nous le reconnaissons rarement comme une idéologie. Nous semblons accepter la proposition que cette foi utopique, millénarienne, désigne une force neutre ; Une sorte de loi biologique, comme la théorie de l’évolution de Darwin. Mais cette philosophie se présente comme une tentative consciente de remodeler la vie humaine et de déplacer le centre du pouvoir.

Le néolibéralisme considère la concurrence comme la caractéristique déterminante des relations humaines. Il redéfinit les citoyens comme des consommateurs, dont les choix démocratiques sont le mieux exercés par des actes d’achat et de vente, processus qui récompense le mérite et punit l’inefficacité. Il soutient que « le marché » offre des avantages qui ne pourraient jamais être obtenus par la planification.

Les tentatives de limiter la concurrence sont considérées comme étant contraires à la liberté. La fiscalité et la réglementation doivent être réduites au maximum, les services publics doivent être privatisés. L’organisation du travail et la négociation collective avec les syndicats sont présentées comme des distorsions du marché qui entravent la formation d’une hiérarchie naturelle entre gagnants et perdants. L’inégalité est présentée comme une vertu : une récompense à l’utilité et un générateur de richesse dont les retombées profitent à tous. Les efforts pour créer une société plus égalitaire sont à la fois contre-productifs et moralement corrosifs. Le marché garantit que tout le monde obtient ce qu’il mérite.

Nous adoptons et reproduisons ses croyances. Les riches se persuadent qu’ils ont acquis leur richesse par le mérite, en ignorant les avantages - tels que l’éducation, l’héritage et la classe - qui ont pu aider à l’obtenir. Les pauvres commencent à se rejeter la faute pour leurs échecs, même quand ils ne peuvent pas faire grand chose pour changer leur situation.

Peu importe le chômage structurel : si vous n’avez pas d’emploi c’est parce que vous n’êtes pas assez entreprenant. Peu importe les coûts prohibitifs du logement : si votre carte de crédit a dépassé le plafond, c’est que vous êtes désinvolte et imprévoyant. Peu importe que vos enfants n’aient plus de terrain de jeu : s’ils deviennent gros, c’est de votre faute. Dans un monde régi par la concurrence, ceux qui sont à la traîne sont qualifiés et se perçoivent comme des perdants.

Comme Paul Verhaeghe le démontre dans son livre What About Me ?, on compte parmi ses effets des épidémies d’automutilation, des troubles de l’alimentation, la dépression, la solitude, l’anxiété devant la performance et la phobie sociale. Il n’est peut-être pas étonnant que la Grande-Bretagne, où l’idéologie néolibérale a été appliquée avec le plus de rigueur, soit devenue la capitale européenne de la solitude. Nous sommes tous devenus des néolibéraux.

Le terme néolibéralisme a été inventé lors d’une réunion à Paris en 1938. Parmi les délégués se trouvaient deux hommes qui étaient venus pour définir cette idéologie, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek. Tous deux exilés d’Autriche, ils voyaient la social-démocratie, exemplifiée par le New Deal de Franklin Roosevelt et le développement progressif de l’État-providence britannique, comme autant de manifestations d’un collectivisme qui s’apparentait au nazisme et au communisme.

Dans The Road to Serfdom (Le Chemin de la servitude), publié en 1944, Hayek soutenait que la planification par le gouvernement, en écrasant l’individualisme, conduisait inexorablement au totalitarisme. Tout comme le livre de Mises Bureaucracy, The Road to Serfdom connut un large succès. Il fut remarqué par certaines personnes très riches, qui ont vu dans cette philosophie une occasion pour s’affranchir des réglementations et des taxes. Lorsque, en 1947, Hayek fonda la première organisation qui allait répandre la doctrine du néolibéralisme - le Mont Pelerin Society -, il fut soutenu financièrement par des millionnaires et leurs Fondations respectives.

Avec leur aide, il a commencé à créer ce que Daniel Stedman Jones décrit dans Masters of the Universe comme « une sorte d’international néolibéral » : un réseau transatlantique d’universitaires, d’hommes d’affaires, de journalistes et d’activistes. Les riches bailleurs de fonds du mouvement financèrent une série dethink tanks qui allaient affiner et promouvoir cette idéologie. Parmi eux figuraient l’American Enterprise Institute, la Heritage Foundation, le Cato Institute, le Institute of Economic Affairs, le Centre for Policy Studies et le Adam Smith Institute. Ils ont également financé des postes et départements universitaires, en particulier dans les universités de Chicago et de Virginie.

À mesure qu’il évoluait, le néolibéralisme devenait plus radical. L’opinion de Hayek selon laquelle les gouvernements devaient réglementer la concurrence pour empêcher la formation de monopoles céda la place - parmi les apôtres américains comme Milton Friedman - à la conviction que l’exercice d’un monopole pouvait être perçu comme une récompense à l’efficacité.

Quelque chose d’autre est arrivé pendant cette transition : le mouvement a perdu son nom. En 1951, Friedman n’hésitait pas à se définir comme un néolibéral. Mais peu de temps après, le terme a commencé à disparaître. Plus étrange encore, alors que l’idéologie devenait plus nette et le mouvement plus cohérent, le nom disparut sans être remplacé.

Au début, malgré son financement somptueux, le néolibéralisme demeurait marginal. Le consensus de l’après-guerre était presque universel : les prescriptions économiques de John Maynard Keynes étaient largement appliquées, le plein emploi et l’allégement de la pauvreté étaient des objectifs communs aux États-Unis et une grande partie de l’Europe occidentale, les taux d’imposition étaient élevés et les gouvernements n’avaient pas honte d’avoir des objectifs sociaux, en développant de nouveaux services publics et en mettant en place des filets de sécurité.

Mais dans les années 1970, lorsque les politiques keynésiennes ont commencé à s’effondrer et les crises économiques à apparaître sur les deux rives de l’Atlantique, les idées néolibérales ont commencé à se répandre. Comme Friedman l’a remarqué, « quand le moment est venu de changer ... il y avait une alternative prête à l’emploi ». Avec l’aide de journalistes sympathisants et de conseillers politiques, les éléments du néolibéralisme, en particulier ses prescriptions en matière de politique monétaire, furent adoptés par l’administration de Jimmy Carter aux États-Unis et le gouvernement de Jim Callaghan en Grande-Bretagne.

Après l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, le reste des mesures ont rapidement été appliquées : réductions massives d’impôt pour les riches, écrasement des syndicats, déréglementations, privatisations, externalisations et concurrence dans les services publics. Par le biais du FMI, de la Banque Mondiale, du traité de Maastricht et de l’Organisation Mondiale du Commerce, des politiques néolibérales furent imposées - souvent sans consentement démocratique - à une grande partie du monde. Le plus remarquable fut l’adoption de cette idéologie par les partis qui appartenaient autrefois à la gauche : les Travaillistes et les Démocrates, par exemple. Comme le note Stedman Jones, « il est difficile de trouver une autre utopie appliquée avec autant de vigueur ».

Il peut sembler étrange qu’une doctrine qui promet le choix et la liberté ait été promue avec le slogan « il n’y a pas d’alternative ». Mais, comme a dit Hayek lors d’une visite au Chili de Pinochet, l’une des premières nations où le programme fut appliqué de manière exhaustive, « ma préférence personnelle va plutôt vers une dictature libérale que vers un démocratie sans libéralisme ». La liberté qu’offre le néolibéralisme, qui paraît si séduisante lorsqu’elle est exprimée en termes généraux, se traduit par une liberté pour les puissants au détriment des faibles.

Etre libéré des syndicats et des négociations collectives signifie avoir la liberté de compresser les salaires. L’absence de réglementation signifie avoir la liberté d’empoisonner les cours d’eau, de mettre en danger les travailleurs, de facturer des taux d’intérêt iniques et de concevoir des instruments financiers exotiques. Se libérer des impôts signifie se débarrasser de la redistribution des richesses.

Comme l’écrit Naomi Klein dans The Shock Doctrine, les théoriciens néolibéraux préconisaient de profiter des crises pour imposer des politiques impopulaires pendant que les gens avaient l’esprit occupé ailleurs : par exemple, à la suite du coup d’Etat de Pinochet, de la guerre en Irak ou de l’ouragan Katrina, que Friedmann décrivit comme « une occasion pour réformer radicalement le système éducatif » de la Nouvelle-Orléans.

Lorsque les politiques néolibérales ne peuvent pas être imposées au niveau national, elles sont imposées au niveau international, par le biais de traités commerciaux qui intègrent le « règlement des différends entre investisseurs et États » : des tribunaux offshore dans lesquels les entreprises peuvent exercer des pressions pour éliminer les protections sociales et environnementales. Lorsque des parlements ont voté des restrictions sur les ventes de cigarettes, pour protéger les réserves d’eau polluées par des sociétés minières, pour geler les factures d’énergie ou empêcher les entreprises pharmaceutiques de piller les caisses de l’État, les entreprises privées ont intenté des procès, souvent avec succès. La démocratie fut réduite à une pièce de théâtre.

Un autre paradoxe du néolibéralisme est que la concurrence universelle repose sur une quantification et une comparaison universelles. Il en résulte que les travailleurs, les demandeurs d’emploi et les services publics de toute nature sont soumis à un régime d’évaluation et de surveillance étouffant, conçu pour désigner les gagnants et punir les perdants. La doctrine proposée par Von Mises - qui était censée nous libérer du cauchemar bureaucratique d’une planification centralisée - l’a au contraire crée.

Le néolibéralisme n’avait pas été conçu à l’origine comme un racket égoïste, mais il l’est rapidement devenu. La croissance économique fut nettement plus lente pendant la période néolibérale (à partir de 1980 en Grande-Bretagne et aux États-Unis) qu’au cours des décennies précédentes ; mais pas pour les très riches. L’inégalité dans la répartition des revenus et des richesses, après 60 ans de déclin, a rapidement augmenté au cours de cette période, en raison de la destruction des syndicats, des réductions d’impôt, des hausses de loyers, des privatisations et des déréglementations.

La privatisation ou la commercialisation des services publics tels que l’énergie, l’eau, les chemins de fer, la santé, l’éducation, les routes et les prisons a permis aux entreprises de facturer des services essentiels aux citoyens ou aux gouvernements. Un loyer n’est qu’un autre terme pour désigner un revenu immérité, obtenu sans travailler. Lorsque vous payez un prix gonflé pour un billet de train, seule une partie du prix représente le coût du carburant, des salaires, du matériel roulant et autres. Le reste représente l’absence de choix qui vous est imposé.

Ceux qui possèdent et dirigent les services privatisés ou semi-privatisés du Royaume-Uni amassent des fortunes prodigieuses en investissant peu et en facturant beaucoup. En Russie et en Inde, les oligarques se sont emparés des actifs de l’Etat par le biais d’opérations de liquidations. Au Mexique, Carlos Slim a obtenu le contrôle de presque tous les services de téléphonie fixe et mobile et est rapidement devenu l’homme le plus riche du monde.

La financiarisation, comme Andrew Sayer le note dans Why We Can’t Afford the Rich (Pourquoi les riches nous coûtent trop cher), a eu un impact similaire. « Comme le loyer », dit-il, « l’intérêt est ... un revenu immérité qui s’accumule sans effort ». Tandis que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches, les riches obtiennent un contrôle croissant sur un autre atout essentiel : l’argent. Les paiements d’intérêts, en grande majorité, constituent un transfert d’argent des pauvres vers les riches. Alors que la flambée des loyers et la réduction des dépenses de l’Etat font peser le fardeau de la dette sur les individus (rappelez-vous lorsque les bourses accordées aux étudiants ont été remplacées par des prêts bancaires), les banques et leurs dirigeants ramassent la mise.

Sayer affirme que les quatre dernières décennies ont été caractérisées par un transfert de richesse non seulement des pauvres vers les riches, mais aussi des riches vers les encore plus riches : de ceux qui gagnent leur argent en produisant des biens ou des services vers ceux qui le gagnent en contrôlant les actifs existants, en récoltant des loyers, des intérêts ou des revenus de capital. Le revenu mérité, obtenu par le travail, a été supplanté par le revenu immérité.

Les politiques néolibérales sont partout assaillies par des défaillances du marché. Non seulement les banques sont trop grandes pour échouer, mais les sociétés privées sont désormais chargées de fournir des services publics. Comme Tony Judt l’a souligné dans Ill Fares the Land, Hayek a oublié que les services nationaux vitaux ne peuvent pas être laissés à l’abandon, ce qui signifie que la concurrence ne peut pas s’y appliquer. Les entreprises ramassent les profits, l’État conserve les risques.

Plus l’échec est grand, plus l’idéologie devient extrême. Les gouvernements utilisent les crises néolibérales comme une excuse et une occasion pour réduire les impôts, privatiser les services publics qui restent, percer le filet de la sécurité sociale, déréglementer les entreprises et réglementer les citoyens. L’État qui se méprise enfonce ses crocs dans tous les organes du secteur public.

L’impact le plus dangereux du néolibéralisme n’est peut-être pas la crise économique qu’il a provoquée, mais la crise politique. Au fur et à mesure que le rôle de l’État se réduit, notre capacité à changer le cours de nos vies par le vote se réduit également. A la place, affirme la théorie néolibérale, les gens peuvent exercer leur choix à travers la consommation. Mais certains ont plus de pouvoir d’achat que d’autres, et dans la grande démocratie de la consommation ou de l’actionnariat, toutes les voix ne se valent pas. Le résultat est une désaffectation des pauvres et des classes moyennes. Tandis que les partis de droite et d’ex-gauche adoptent des politiques néo-libérales similaires, l’impuissance se transforme en une privation de droits. Un grand nombre de personnes ont été chassées de la sphère politique.

Chris Hedges souligne que « les mouvements fascistes construisent leur base non pas parmi les gens politiquement actifs, mais parmi les politiquement inactifs, les « perdants » qui sentent, souvent à raison, qu’ils n’ont ni voix au chapitre ni rôle à jouer dans l’establishment politique ». Lorsque le débat politique ne leur parle plus, les gens deviennent plutôt réceptifs aux slogans, aux symboles et aux sensations. Pour les admirateurs de Trump, par exemple, les faits et les arguments semblent sans importance.

Judt a expliqué que lorsque le maillage serré des interactions entre les individus et l’État se réduit à rien d’autre que l’exercice de l’autorité et l’obéissance, la seule force qui nous relie est le pouvoir de l’État. Le totalitarisme craint par Hayek est plus susceptible d’émerger lorsque les gouvernements, ayant perdu l’autorité morale qui découle de la prestation des services publics, sont réduits à « cajoler, menacer et finalement contraindre les gens à obéir ».

A l’instar du communisme [grommellement discret du Traducteur], le néolibéralisme est le Dieu qui a échoué. Mais la doctrine zombie poursuit son chemin en titubant. Et une des raisons qui lui permettent de le faire est son anonymat. Ou plutôt, un ensemble d’anonymats.

La doctrine invisible de la main invisible promue par des partisans invisibles. Lentement, très lentement, nous avons commencé à découvrir les noms de quelques-uns d’entre eux. Nous constatons que l’Institute of Economic Affairs, qui a défendu énergiquement les médias contre la nouvelle réglementation de l’industrie du tabac, a été secrètement financé par British American Tobacco depuis 1963. Nous découvrons que Charles et David Koch, deux des hommes les plus riches du monde, ont fondé l’institut qui a monté le mouvement Tea Party [mouvement très conservateur aux Etats-Unis - NdT]. Nous constatons que Charles Koch, en créant un de ses think tanks, a noté que « pour éviter des critiques indésirables, il faut être discret sur comment l’organisation est contrôlée et dirigée ».

Les mots utilisés par le néolibéralisme cachent souvent plus qu’ils ne révèlent. ’Le marché’ ressemble à un système naturel qui s’imposerait à tous de manière identique, comme la gravité ou la pression atmosphérique. Mais le marché est traversé par des relations de pouvoir. « Ce que le marché veut » tend à désigner ce que veulent les entreprises et leurs patrons. « L’investissement », comme le dit Sayer, signifie deux choses très différentes. L’une est le financement d’activités productives et socialement utiles, l’autre est l’achat d’actifs existants pour en extraire des loyers, des intérêts, des dividendes et des revenus de capital. Utiliser le même mot pour désigner des activités distinctes « occulte les sources de richesse », ce qui nous conduit à confondre l’extraction de richesse avec la création de richesse.

Il y a un siècle, les nouveaux riches étaient dénigrés par ceux qui avaient hérité de leur argent. Les entrepreneurs cherchaient alors à se faire accepter en se faisant passer pour des rentiers. Aujourd’hui, la relation est inversée : les rentiers et les héritiers se font passer pour des entrepreneurs. Ils prétendent avoir mérité leur revenu par leur travail.

Ces anonymats et confusions se combinent avec l’anonymat et la dimension immatérielle du capitalisme moderne : un modèle qui fait en sorte que les travailleurs ne savent pas pour qui ils travaillent ; des sociétés enregistrées par des réseaux offshore si complexes que même la police ne parvient pas à découvrir les noms des véritables propriétaires ; des arrangements fiscaux qui spolient les Etats ; des produits financiers que personne ne comprend.

L’anonymat du néolibéralisme est soigneusement protégé. Ceux qui sont influencés par Hayek, Mises et Friedman ont tendance à rejeter le terme, en affirmant – et ce n’est que justice – que le terme est devenu péjoratif. Mais ils ne proposent aucun substitut. Certains se décrivent comme des libéraux classiques ou des libertariens, mais ces descriptions sont à la fois trompeuses et curieusement évasives, car elles suggèrent qu’il n’y a rien de nouveau depuis The Road to Serfdom, Bureaucracy ou l’oeuvre classique de Friedman, Capitalism and Freedom.

Pour autant, il y a quelque chose d’admirable dans le projet néolibéral, du moins à ses débuts. C’était une philosophie originale et innovante promue par un réseau cohérent de penseurs et d’activistes avec un plan d’action clair. Elle était patiente et persistante. Mais The Road to Serfdom (Le chemin du servage) se transforma en chemin vers le pouvoir.

Le triomphe du néolibéralisme souligne aussi l’échec de la gauche. Lorsque l’économie du laissez-faire mena à la catastrophe de 1929, Keynes conçut une théorie économique globale pour la remplacer. Lorsque la gestion de la demande keynésienne fut stoppée dans les années 70, il y avait une alternative déjà prête. Mais lorsque le néolibéralisme lui-même s’effondra en 2008, il n’y avait... rien. C’est pourquoi le zombie continue de marcher. La gauche et le centre n’ont produit aucune nouvelle pensée économique générale depuis 80 ans.

Chaque invocation de Lord Keynes est un aveu d’échec. Proposer des solutions keynésiennes aux crises du 21ème siècle, c’est ignorer trois problèmes évidents. Il est difficile de mobiliser les gens autour d’idées anciennes ; Les défauts exposés dans les années 70 n’ont pas disparu ; Et, surtout, ils n’ont rien à dire sur notre situation la plus grave : la crise environnementale. Le keynésianisme fonctionne en stimulant la demande des consommateurs pour entraîner la croissance économique. La demande des consommateurs et la croissance économique sont les moteurs de la destruction de l’environnement.

Ce que l’histoire du keynésianisme et du néolibéralisme montre, c’est qu’il ne suffit pas de s’opposer à un système brisé. Une alternative cohérente doit être proposée. Pour le Parti travailliste, les Démocrates et la gauche en général, la tâche centrale devrait être le développement d’un nouveau programme économique d’envergure et innovant, adapté aux exigences du 21ème siècle.

George Monbiot

Traduction "un parti de gauche qui adopte une politique de droite devient de facto un parti de droite, non ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

 https://www.theguardian.com/books/2016/apr/15/neoliberalism-ideology-problem-george-monbiot

COMMENTAIRES  

14/01/2017 21:40 par Roger

Une très intéressante synthèse historique qui à surtout le mérite de montrer que l’oligarchie capitaliste est éminemment stratège et s’est dotée des moyens de réagir tactiquement aux opportunités et aux difficultés à tous les niveaux et rapidement. Si bien que certes le néolibéralisme

soutient que « le marché » offre des avantages qui ne pourraient jamais être obtenus par la planification.

mais ses acteurs sont dans les faits de très fins "planificateurs" au service d’un puissant projet dont l’imaginaire moteur (l’accumulation sans fin, le pouvoir illimité de l’argent, la domination sans partage des hommes et de la "nature") s’enracine dans les pulsions infantiles de la toute puissance. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sortent leurs "revolvers" culturels quand ils entendent parler de planification. Sur ce point, l’avenir en commun de la France Insoumise, ne s’est pas laissé intimider par les robots de la critique éditocratique sur la question de la Planification écologique. Les capitalistes sont bien placés pour savoir qu’en fait le marché ne fonctionne bien à leur avantage que lorsqu’ils arrivent insidieusement (parfois au grand jour) à museler et à fausser la concurrence, avec l’aide d’un intense lobbying auprès de politiques ou cyniques ou naïfs sinon corrompus, et sans doute même d’une médiocrité qui confine à la stupidité ( pour se faire si souvent rouler dans la farine ou faire preuve d’une mémoire de poisson rouge).

14/01/2017 23:46 par Dominique

Lorsque la gestion de la demande keynésienne fut stoppée dans les années 70, il y avait une alternative déjà prête. Mais lorsque le néolibéralisme lui-même s’effondra en 2008, il n’y avait... rien. C’est pourquoi le zombie continue de marcher. La gauche et le centre n’ont produit aucune nouvelle pensée économique générale depuis 80 ans.

C’est même pire que cela, quand il y a une théorie originale comme par exemple l’altermondialisme ou la décroissance, l’ensemble de la classe politique la combat.

Comme Paul Verhaeghe le démontre dans son livre What About Me ?, on compte parmi ses effets des épidémies d’automutilation, des troubles de l’alimentation, la dépression, la solitude, l’anxiété devant la performance et la phobie sociale. Il n’est peut-être pas étonnant que la Grande-Bretagne, où l’idéologie néolibérale a été appliquée avec le plus de rigueur, soit devenue la capitale européenne de la solitude. Nous sommes tous devenus des néolibéraux.

Je ne le pense pas car si autant de gens étaient réellement néolibéraux, ils ne souffriraient pas autant de différentes sortes d’aliénations mentales et "ils ne s’apercevraient qu’ils sont les plus riches du cimetière que le jour de leur enterrement" (Coluche dans Sois fainéant, chanson pour un nouveau-né).

Etre libéré des syndicats et des négociations collectives signifie avoir la liberté de compresser les salaires. L’absence de réglementation signifie avoir la liberté d’empoisonner les cours d’eau, de mettre en danger les travailleurs, de facturer des taux d’intérêt iniques et de concevoir des instruments financiers exotiques. Se libérer des impôts signifie se débarrasser de la redistribution des richesses.

Je ne parlerai que de "liberté d’empoisonner les cours d’eau" car si la fin de la civilisation industrielle par épuisement des ressources non renouvelables ne fera que quelques milliards de morts, la fin du vivant par la pollution globalisée provoquera l’extinction de l’espèce humaine. Les écologistes ont aussi leur part de responsabilité, eux dont toute la communication consiste à repeindre notre mode de vie en vert et à promouvoir de nouvelles technologies et donc de nouvelles sources d’exploitation des ressources et de pollution. Ils sont donc tout autant aliénés que le reste de la classe politique, car comme écologistes ils devraient être les premiers à savoir, qu’avec ou sans néolibéralisme, notre mode de vie basé dés l’invention de la civilisation sur l’exploitation globalisée du vivant et du non-vivant est destructeur de l’environnement (la Mésopotamie est aujourd’hui un désert, la Grèce a perdu la majorité de ses forêts lors de l’Antiquité, etc, etc.) et ne pourra jamais être durable, et ceci encore moins alors que cette exploitation généralisée du vivant et du non-vivant est devenue industrielle et n’est jamais remise en question. Notre mode de vie n’est pas négociable !

L’impact le plus dangereux du néolibéralisme n’est peut-être pas la crise économique qu’il a provoquée, mais la crise politique.

C’est oublier l’aliénation mentale qu’elle provoque chez la majorité des gens. Cette aliénation de date pas d’hier, déjà Marx l’a dénoncée, et un psychiatre marxiste comme Wilhelm Reich a été le premier à l’a décrire sous un angle clinique. Comme HK et les Saltimbanks le dit dans "Passer ma vie" :

Ils ont bâti un monde de blasés
Qui pensent que tout est cuit, qui pensent que plus rien ne peut changer
Nos rêves, nos vies, nos espoirs écrasés
Enchaînés à leur chienne de pensée, esclave de leur réalité
...
Un étranger, c’est tout je suis
Sur terre je n’ai pas de chez moi, chez vous c’est bien trop petit
Trop à l’étroit dans votre paradis
Mon cœur et mon âme s’évadent, s’envolent, rêvent d’une autre vie
...
Passer ma vie, à regarder passer
Ce monde fier, futile, furieux, folle caravane de l’insensé
Passer ma vie, penser, dépenser
Cette vie dont j’aimerais être heureux le jour où elle sera dépassée

notre époque a tué l’espoir. Et c’est pourquoi elle est fantastique car quand il n’y a plus d’espoir, sois tu te suicides, sois tu fais la révolution.

15/01/2017 01:24 par manu

Un grand merci pour la traduction ; f### les coquilles et VIVE LE GRAND SOIR

15/01/2017 13:26 par Feufollet

La sagesse n’attend pas la modernité néo-libérale
Parole hors évangile d’un curé hors du temps
H.-D. Lacordaire (1802-1861)
Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur,
c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit.

15/01/2017 14:42 par Palamède Singouin

Le keynésianisme fonctionne en stimulant la demande des consommateurs pour entraîner la croissance économique. La demande des consommateurs et la croissance économique sont les moteurs de la destruction de l’environnement.

La théorie keynésienne a été élaborée dans le contexte de la situation de l’économie britannique des années 30. Une de ses principales faiblesses est qu’elle s’inscrit uniquement dans le court terme. La question environnementale n’y est donc absolument pas prise en compte.
Le but visé est d’assurer le plein emploi en stimulant la demande de consommation qui elle même induira une augmentation de l’investissement. Afin « d’amorcer la pompe » Keynes préconise, entre autres mesures, une politique de dépenses publiques qui pourrait aller jusqu’à occuper les chômeurs a des travaux parfaitement inutiles (creuser des trous pour les reboucher !). Elle s’illustrera plus concrètement dans le « new deal »de Roosvelt ou les grands travaux mis en œuvre par Schacht dans l’Allemagne hitlérienne.

Plus actuellement on peut constater que le programme de « La France Insoumise » présente une forte coloration keynésienne dans sa volonté de créer des centaines de milliers d’emplois dans le cadre de la sauvegarde de l’environnement. Or si l’on considère que le surplus de revenus induit par la réduction du chômage sera entièrement affecté à des consommations « destructrices de l’environnement » on est dans un cercle vicieux qui ressemble fort au « creuser des trous pour les reboucher » de Keynes.

La question préalable qui se pose est alors de savoir si une modification rapide de nos habitudes qui nous orienterait vers des consommations moins destructrices (santé, loisirs, culture, éducation...) est envisageable.

Ceci dit si tous les électeurs lisent attentivement cet article, le trio Fion-Macron-Valls ne devrait pas dépasser les 5% à la présidentielle.

16/01/2017 08:53 par J.J.

Ceci dit si tous les électeurs lisent attentivement cet article, le trio Fion-Macron-Valls ne devrait pas dépasser les 5% à la présidentielle.

C’est beau de rêver, Palamède ! On pourrait aussi ajouter, et si tous les électeurs lisaient LGS.

16/01/2017 19:53 par Autrement

@Palamède Singouin
Non, le programme l’Avenir en commun n’est pas plombé par le keynésianisme, puisqu’il s’oppose justement au productivisme forcené, aux grands projets inutiles et nuisibles façon NDDL, et à la croissance indéfinie. Ainsi d’ailleurs qu’à la domination du Marché comme régulation de l’économie ; domination qui, comme l’explique très bien l’auteur de l’article est, sous couvert de l’anonymat, celle des grands groupes industriels et financiers et de leurs actionnaires, sous la haute protection du FMI et de l’OMC. On n’a pas fini de démonter, dans les esprits qui en sont imprégnés, cette idéologie néolibérale...Je m’en tiens donc au joyeux pourcentage de J.J.!

17/01/2017 14:51 par Palamède Singouin

@ autrement
C’est plus la méthode que la nature des grands travaux qui fondent le keynésianisme. Qui, rappelons le, n’est qu’un modèle à court terme qui ne prétend pas changer la société. L’intervention de l’État visant à assurer le plein-emploi en est la pierre angulaire et c’est en cela que le programme de l’Avenir en commun est typiquement keynésien et aux antipodes de l’idéologie néo-libérale de la régulation de l’économie par les seules forces du marché.

Souvenirs : à l’époque lointaine où j’étudiais la théorie keynésienne, Keynes faisait figure de sauveteur du capitalisme. De nos jours il est quasiment considéré par les reagano-thatchériens ( Fillon, Macron, Valls....) comme un bolchevik.
Paradoxe de l’histoire, lui (Keynes) qui considérait Marx comme un charlatan !!!

19/01/2017 16:54 par Christophe

La gauche et le centre n’ont produit aucune nouvelle pensée économique générale depuis 80 ans.

Personne n’avait correctement lu Marx, à part sans doute Lukacs, Debord, et quelques autres. Marx avait un concept de ‘Borne interne’ prévoyant une limite ultime au capitalisme. Cette limite a été atteinte dans les années 70, le néolibéralisme et la financiarisation ont été les seules solutions trouvées pour ‘sauver’ l’économie (le capitalisme).
Le néolibéralisme et la financiarisation ont donc sauvé notre mode de consommation, notre façon de travailler (pour valoriser le capital), notre ‘fétichisme de la marchandise’ (autre concept de Marx oublié par la gauche).
Le keynésianisme ne peut être qu’un investissement pour le capitalisme, mais comme le capitalisme n’a plus de possibilité d’évolution le keynésianisme est devenu obsolète.
Le capitalisme est mort et nous sommes enfermé dans son tombeau.
Pour paraphraser Marx et Debord (qui paraphrasait Marx) : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de zombisme. ».
Et il ne s’agit pas de penser différemment l’économie puisque l’économie est le problème. L’économie est un synonyme de capitalisme.
Redécouvrir ce qu’est réellement le capitalisme nous ouvrirait de nouveaux horizons. Pour cela il faut, dans sa tête, être libre et sans attache.

23/01/2017 03:33 par alain harrison

Bonjour.

« « Les tentatives de limiter la concurrence sont considérées comme étant contraires à la liberté. La fiscalité et la réglementation doivent être réduites au maximum, les services publics doivent être privatisés. L’organisation du travail et la négociation collective avec les syndicats sont présentées comme des distorsions du marché qui entravent la formation d’une hiérarchie naturelle entre gagnants et perdants. L’inégalité est présentée comme une vertu : une récompense à l’utilité et un générateur de richesse dont les retombées profitent à tous. Les efforts pour créer une société plus égalitaire sont à la fois contre-productifs et moralement corrosifs. Le marché garantit que tout le monde obtient ce qu’il mérite. » »
Voilà bien la "philosophie" qu’une majorité de gens ont accepté et sans doute entré dans les moeurs, qu’il faut remplir les conditions.
Il y a une similarité avec les propositions des valeurs religieuses, pour entrer au Paradis, il faut remplir les conditions.
Bien sûr, il faut reconnaître que la religion a été un facteur civilisateur, il n’a pas éradiquer nos" mauvais penchants", mais a été le cadre pour les organisés et de les contrôler dans la structure hiérarchique que nous connaissons encore, qui c’est sophistiquée. Ce qui n’est pas négligeable, la rationalité a pu se développer en fonction des connaissances à travers les époques jusqu’à maintenant.

Mais aujourd’hui, la connaissance est devenu de plus en plus concrète, la théorie n’a plus le même sens selon les domaines. Dans la physique pur, la théorie est plus fondamentale que dans tout autre domaine, elle touche l’invisible de la matière et ses propritétés dont les mathématiques sont le langage incontournable. En économie, cette attitude est questionnable.
Mais à l’heure actuelle, d’innombrables faits autant quotidien monté descente de la bourse jumelés à tout événement, principalement politique, que les détournements, les crises économiques nous donne un autre son de cloche.
Imaginons un fermier qui cultive, est-ce que la guerre, une crise économique ou la monté boursière va influer sur son travail, non, bien sûr, à mois qu’une bombe tombe sur sa ferme, qu’il soit inscrit à la bourse, que la banque vienne le saisir s’il a des emprunts inappropriés. Dans la mesure qu’il est indépendant son travail ne sera pas affecté, sauf par la nature, le climat qui agissent directement et concrètement. Alors que la structure économique financière est dans la sphère virtuelle, une simple rumeur l’affecte ?
Étrange le monde virtuel. Pourtant la crise de 29, a réagit comme si elle était virtuelle ! Et cette crise est parti des US, ou je me trompe. Quel contexte a initié la crise de 29 ?
Peut-être que le contexte UE nous donne l’éclairage juste.
Qui sauve qui ? ACDTM.

29/01/2017 02:34 par alain harrison

Bonjour.
Un excellent article qui montre bien que le néo-libéralisme utilise toujours les mêmes schémas, remâchés.
Mais l’usure et l’incapacité de changer.
Merci beaucoup.
Un article à faire suivre et à rappeler à point nommé.

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