RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
47 

Le retour de la satire comme antidote à la censure

J’ai appris au lycée que la satire est un genre littéraire utilisé par les opposants du pouvoir en place pour dénoncer ses abus, à des périodes où la censure interdit toute critique directe. Selon Le Robert, la satire est un : « Écrit, discours qui s’attaque à quelque chose, à quelqu’un, en s’en moquant ». À l’école, on faisait l’éloge de Rabelais, La Bruyère, La Fontaine, Molière, Voltaire, qui luttaient de cette manière contre le pouvoir absolu des souverains de l’ancien régime.

Un état de plus en plus autoritaire

Eh bien, il me semble que la satire est en train de refleurir en ces temps où l’autoritarisme de l’Etat se renforce. Pour faire taire les opposants, le pouvoir en place n’hésite plus à employer la violence (les Gilets jaunes) ni à instrumentaliser la loi, allant jusqu’à instituer le délit d’opinion (loi Gayssot, circulaires Alliot-Marie contre le BDS palestinien, loi Avia). La surveillance des populations se développe à grande vitesse (radars, portables, reconnaissance faciale, Stop-covid). A quoi s’ajoute l’énorme pression du politiquement correct. En ce moment, par exemple on ne peut plus émettre le moindre doute sur la réalité de la « pandémie », ni sur l’efficacité des masques, sans être traité de révisionniste. D’une façon générale, on se surprend à baisser la voix pour émettre des opinions non conformes à la doxa ou évoquer des pestiférés du système, quand on ne s’interdit pas carrément de le faire.

La liberté d’expression a vécu dans nos sociétés néolibérales en pleine décadence. Il est devenu dangereux de penser par soi-même. Le gant de velours a fait place au gant de fer pour maintenir les profits du Capital et les privilèges de la caste dirigeante. La contestation n’est plus tolérée. On me répondra qu’en Chine c’est pire. Comme je n’y suis jamais allée et que je ne crois pas ce que nos médias de propagande nous en disent, je ne peux pas le savoir, et, d‘ailleurs, ce n’est pas mon problème, c’est celui des Chinois. Par contre, je sais ce qui se passe ici et ça, c’est mon problème.

Enfin, non, je ne sais pas vraiment ce qui se passe. Car, sauf lorsqu’une personne célèbre est visée, la plupart des actes de censures restent invisibles. On ne brûle plus les livres en place publique. Tout se fait en catimini. C’est par hasard que j’ai découvert que Google avait restreint l’accès à plusieurs petits blogs communistes, Réveil communiste, Ça n’empêche pas Nicolas et Commun Commune. Mais ce n’est pas nouveau, en 2017, Google avait censuré de la même manière 13 importants sites web socialistes, progressistes et antiguerre. Cette fois-là, la cible principale était le World Socialist Web Site, un site trotskiste extrêmement percutant et efficace. Le trafic provenant des recherches Google avait diminué de deux tiers.

Censure et autocensure

Bref, la censure bat son plein de mille manières directes et indirectes, visibles et invisibles, et quand ça ne suffit pas à étouffer la critique, l’oligarchie n’hésite pas à instrumentaliser la justice et les médias aux ordres.

Bien que les médias dominants (ou plutôt dominés !) n’aient pas cru bon de nous en informer, on a appris que le CSA organise la censure des réseaux sociaux et des sites alternatifs avec des sociétés privées et étrangères, sous couvert de combattre les fausses informations. Quand on sait que pour le pouvoir en place, les fake news recouvrent tout ce que s’écarte un tant soit peu de la version officielle qui est le plus souvent un tissu de mensonges, il y a de quoi frémir.

Mais tout cela n’est rien au regard de l’autocensure. Aucun journaliste, par exemple, ne peut travailler dans un média mainstream, s’il n’est pas un ardent supporter de l’idéologie régnante, prêt à s’immoler sur l’autel de la ploutocratie (de droite et/ou de gauche).

La preuve, dernièrement une journaliste a claqué la porte du New York Times. « Traitée de « nazie », lasse d’être intimidée par certains de ses collègues progressistes, Bari Weiss a démissionné du New York Times, où le débat d’idée n’est selon elle plus possible : « La vérité est une orthodoxie déjà connue de quelques éclairés ».

C’est le site Russia Today qui nous en informe. Lui-même ne doit son salut qu’aux menaces du gouvernement russe d’interdire à son tour les médias français et étasuniens qui diffusent leur propagande sur son territoire, si RT France venait à être interdit. Le site a tout de même écopé de la mention : « RT est financée entièrement ou partiellement par le gouvernement russe », sur You tube, tandis que sous les vidéos des chaînes d’état françaises, il est écrit : « France info est une chaîne du service public ». Xenia Fedorova, la présidente de RT France a eu beau protester : « Nous sommes plus préoccupés par le deux poids, deux mesures qu’induit cette procédure. Nous avons constaté une inéquité dans l’application de ces bandeaux. Certains médias étant ainsi labellisés, tandis que d’autres, avec le même mode de financement, ne le sont pas. De plus, même parmi ceux qui sont labellisés, une hiérarchie persiste », cela n’a rien changé.

La classe dirigeante n’a jamais respecté les règles qu’elle impose aux autres, mais, ce qui est nouveau, c’est qu’elle ne se cache même plus. Les optimistes y voient sans doute le signe de son désarroi devant la révolte qui se lève, mais pour moi c’est plutôt celui d’une foi totale en sa propre impunité qui s’explique par la collusion sans précédent des différents pouvoirs.

Lorsque, par hasard, un dissident parvient à faire parler de lui, le couperet tombe avec encore beaucoup plus de violence. Lanceurs d’alerte, journalistes indépendants, intellectuels contestataires, scientifiques non alignés, sont vilipendés, calomniés, diffamés, ostracisés par le pouvoir et ses médias et mis à l’index de la société. Certains perdent leur travail comme Norman G. Finkelstein. D’autres, pour échapper aux persécutions et/ou ne pas être emprisonnés arbitrairement comme Assange, se résolvent à fuir à l’étranger comme Snowden. Même des hommes politiques d’opposition sont cloués au pilori voire persécutés.

Humour et satire, les armes des désarmés

Et puis il y a ceux qui se réfugient dans l’humour, l’ironie, le sarcasme, la satire...

Ce n’est pas qu’ils soient moins écœurés par les turpitudes des puissants qui nous oppriment et nous dépouillent avec un sadisme évident. Je n’y vois pas non plus une forme de lâcheté. Je crois, au contraire, qu’il est parfois nécessaire, pour préserver sa santé mentale, de prendre ses distances par rapport à la réalité et à soi-même. Le spectacle que nous offre la nouvelle aristocratie est si lamentable, si révoltant qu’il y a de quoi devenir fou, ou du moins aigri, amer, désespéré, surtout quand on mesure l’impuissance à laquelle nous sommes réduits, puisqu’elle a forgé, au fil des siècles, des institutions que leur donnent tous les pouvoirs, avec les privilèges afférents, et tout cela à nos dépens et à nos frais.

Comme Judith Kaufman l’écrit dans L’humour (juif), l’arme des désarmés : « L’humour ... est joueur et libre, irrespectueux et frondeur », mais ce qui le caractérise, c’est « la nuance de compassion » qu’il véhicule. Il se situe « entre coups de griffes et caresses. »

La satire aussi est une arme, comme le dit Condorcet, une « arme dont il semble qu’il ne doit être permis de se servir que contre ceux qui par leur rang ou leur pouvoir sont à l’abri de tout autre châtiment ». Comme l’humour, deux de ses ingrédients sont l’éthique et le comique. Mais le troisième n’est pas la compassion, c’est au contraire « l’agressivité critique ». La satire, selon Northrop Frye, est une « ironie militante ».

Je n’ai pas assez de connaissances historiques pour établir une comparaison approfondie entre l’Ancien Régime et celui d’Emmanuel Macron. Mais ils ont au moins deux points communs qui n’échappent à personne :

Les Français étaient et sont toujours écrasés d’impôts et réduits à la pauvreté pour satisfaire les caprices du monarque : « L’accroissement des besoins de l’Etat, la guerre, surtout, qui fait bondir le budget royal, amènent une augmentation de la pression fiscale qui se traduit, sous Richelieu, puis sous Mazarin, par de nombreuses révoltes », lit-on dans un article du Figaro intitulé Quand l’impôt pousse à la révolte.

À l’époque comme aujourd’hui, la seule réponse du pouvoir à la détresse populaire était la répression : « A partir du règne personnel de Louis XIV, toutefois, les séditions de ce type, telle la révolte des Lustucrus dans le Boulonnais (1662) ou celle du Papier timbré en Bretagne, dite des Bonnets rouges (1675), sont réprimées sans pitié. »

L’oppression et la répression étant donc, comme autrefois, les deux mamelles du pouvoir, il n’est pas étonnant que la satire revienne à la mode.

Heudebert McCaron, Gouda Ier, Laurin Jofrerien et le petit maire de Bau

Et ce n’est pas non plus par hasard, si, le 27 juillet dernier, Patrick Mandon épouse le style du XVIIe pour écrire à sa jolie cousine une missive libertine et truculente : Gouda Ier, Laurin Jofrerien : le couple de l’été ! dans laquelle il dresse un triste portrait de la France en tournant en dérision les puissants de tous bords, pour mieux mettre en lumière leur médiocrité, leur aveuglement, leurs trahisons.

« Le mensonge, la calomnie, l’ignorance : c’est avec ces mots de la décomposition nationale que des tribuns de populace prétendent dresser le portrait de la France. Et voyez-vous, cousine, je n’ai pas l’impression que cela chagrine vraiment Heudebert McCaron. Je vous l’ai déjà confié : je crois que cet adolescent de quarante ans veut liquider le royaume, afin de passer à un autre divertissement. Ses partisans, qu’on croirait issus d’une neuve-classe amnésique jusque dans leur vocabulaire d’une pédanterie dissimulée, espèrent l’avènement de ce jour avec la même gourmandise. »

... « Peut-on imaginer le couple Gouda-Jofrerien dans sa conquête du pouvoir ? Il faut, dans la chose politique, un charme, un pouvoir de persuasion, un prestige enfin ! Mais Gouda ! Mais Jofrerien ! Leur duo haranguant une salle persillée de chaises vides, où se mêlent des féministes acariâtres et des chlorophylliens hurleurs, des égarés rigolards et d’anciennes éminences de la Montagne, bourgeois fatigués et boudeurs ! Allons, la farce, d’abord, puis le vaudeville, vous dis-je !

Ou alors... Faut-il redouter le pire, cousine ? Quoi ! Un accident, un malentendu, une fourberie de l’Histoire, aidés de l’impéritie, de la ruse courte, du cynisme infantile ramèneront-t-ils Gouda sur le trône ? Et Jofrerien ? Quoi ! Ministre d’État, avec un équipage, des gens de maison, des gardes, tout le train qui accompagne un gentilhomme de la Suffisance ? »

Pendant que Patrick Mandon se penche sur les dernières foucades et impérities des grands de notre pauvre France, Nabum s’intéresse aux petits. Le 2 août, dans le style des contes de fée, il raconte comment, Bruno Cœur, le maire de Bau, élu par surprise vice-président de la Métropole, a été aussitôt contraint de démissionner sous la pression conjointe du nouveau président de la métropole, le socialiste Christophe Chaillou, et du maire LR d’Orléans, Serge Grouard, en faveur de Florent Montillot. Puis il est revenu sur sa démission. Le texte s’intitule : L’ogre insatiable veut dévorer le petit Poucet - David contre Goliath à la Métropole

« Monsieur le petit Maire s’est dressé contre le rouleau compresseur de l’alliance tacite de la carpe et de la tortue. Il s’est présenté sans crier gare alors que tout avait soigneusement été organisé en sous-main, dans les alcôves d’un arrangement entre coquins. Pire même, comme le vote est secret, chacun y alla de sa mauvaise humeur en sanctionnant le vilain petit canard, l’impayable Flageolet qui passa à la trappe et se vit priver des subsides de la charge qu’on lui avait promise.

Le coup mit hors de lui l’instigateur d’un complot ourdi avec brio et gros sabots pour enfoncer plus encore les amis d’hier. La riposte ne tarda pas. L’ogre voulut dévorer tout cru le Petit Poucet, celui dont personne n’avait envisagé la présence. Au bout du Bou, il aurait dû rester quantité négligeable, figurant silencieux d’une comédie ben réglée, cocu consentant dans ce vaudeville politique. »

Patrick Mandon compte se consoler avec sa belle cousine du spectacle de la France moribonde : « Vous devrez être singulièrement tendre dans vos consolations amoureuses pour éloigner de moi cette vision de cauchemar. »

Mais Nabum se fait plus menaçant : « Prenez donc bien garde à ne pas pousser le bouchon trop loin, il finira par sauter tant la colère est grande, messieurs les profiteurs et les magouilleurs ! »

Quoiqu’il arrive, ils ne pourront pas dire qu’ils n’ont pas été prévenus !

»» https://www.salaireavie.fr/post/le-...
URL de cet article 36347
   
CHE, PLUS QUE JAMAIS (ouvrage collectif)
Jean ORTIZ
Recueil d’interventions d’une vingtaine d’auteurs latino-américains et européens réunis à Pau en avril 2007 pour un colloque portant sur l’éthique dans la pratique et la pensée d’Ernesto Che Guevara, une pensée communiste en évolution, en recherche, qui se transforme en transformant, selon les intervenants. Quatrième de couverture On serait tenté d’écrire : enfin un livre sur le Che, sur la pensée et la pratique d’Ernesto Guevara, loin du Che désincarné, vidé d’idéologie, doux rêveur, (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

"On pourrait penser qu’un pays qui peut équiper chaque flic comme un soldat pourrait équiper chaque médecin comme un médecin"

Jeff Bercovici

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.