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Le syndicalisme traverse-t-il une crise de défiance ?

Produire des solidarités concrètes

C’est souvent en termes de « confiance » que la relation des salariés au syndicalisme est posée alors même que cette notion est difficile à saisir, qu’elle renvoie à des éléments relativement vagues. Comment mesure-t-on la confiance ? Comment rendre compte du processus qui associe un sentiment de confiance à une dynamique d’engagement dans une action collective ou dans une organisation ? Bien sûr, un sentiment de défiance peut contribuer à ce que des salariés écartent d’emblée toute référence au syndicalisme, qu’ils n’y « croient » plus, en quelque sorte. Et on peut penser, dans cette perspective, que le contexte politique général – avec le démantèlement continu d’un droit du travail protecteur, l’absence depuis des décennies de tout progrès social et l’augmentation des inégalités – y contribue. Le poids de ce contexte sur les représentations est évidemment à prendre en compte. Mais il nous semble que c’est en d’autres termes qu’il convient d’interroger les problématiques que rencontre aujourd’hui le syndicalisme. Car cette question de la confiance/défiance est d’abord liée à sa capacité à être en prise avec le salariat contemporain, à être en capacité de produire des solidarités en son sein. Le problème n’est pas tant que des salariés aient une confiance ou défiance vague en direction du syndicalisme, mais surtout qu’ils en aient une représentation concrète.

Dans bien des secteurs d’activité, en raison de la taille des entreprises, des phénomènes de sous-traitance et d’externalisation, ce sont les conditions d’une rencontre objective entre les travailleurs et des militants syndicaux qui n’existent pas. Produire des solidarités sur le plan intercatégoriel ou interprofessionnel, faire en sorte que les acquis conquis par certaines professions se diffusent à d’autres secteurs du salariat, sont des défis que le mouvement syndical a rencontrés depuis sa naissance. Il se pose aujourd’hui à partir d’enjeux renouvelés. On sait combien l’entreprise est fuyante sur le plan organisationnel et juridique : sur un même site d’activité, alors que la réalité concrète du travail renvoie à une communauté effective, celle-ci est éclatée via des statuts d’emplois différents. L’une des tâches les plus compliquées pour le mouvement syndical est dès lors de ne pas se retrouver enfermé, et peu à peu affaibli, dans les grandes entreprises donneuses d’ordres, mais d’être également présent dans les différentes entreprises sous-traitantes ou dans le cas de la fonction publique, auprès des travailleurs de droit privé, en statut précaire.

Produire de nouvelles solidarités consiste à faire exister de façon autonome la communauté de travail, par-delà ces multiples segmentations, via des initiatives collectives transversales, via la conquête aussi de nouveaux outils juridiques et conventionnels. Ces solidarités ont souvent à voir avec la division sociale, sexuelle et générationnelle du travail, car il s’agit à la fois de s’appuyer sur la réalité des coopérations, mais aussi de comprendre les dynamiques de division et de mise en concurrence utilisées par les entreprises. L’enjeu pour le mouvement syndical est considérable : donner confiance à des travailleurs précaires dans le syndicalisme, c’est d’abord être à leur côté et à l’écoute de ce qu’ils vivent au travail, des façons dont ils pensent leur activité. Dans bien des secteurs, des équipes syndicales se sont saisies de ces enjeux, en privilégiant notamment une entrée par la santé au travail. De même, au niveau des structures interprofessionnelles, et malgré l’absence de droits syndicaux spécifiques, des initiatives sont prises pour des implantations à l’échelle d’un site. Mais de telles actions sont à développer à une tout autre ampleur pour redynamiser le syndicalisme. Car c’est là une façon de créer de nouveaux points d’appui pour la confiance, non pas sur la base d’une relation distante de « remise de soi » à des organisations à l’occasion d’un vote, mais bien en termes d’appropriation par les travailleurs de l’outil syndical. 

Sophie Béroud
Maître de conférences 
en science politique, université Lyon-2 - Triangle


Remettre au cœur des luttes la question de classe

De quelle crise parlons-nous ? Car, historiquement, le syndicalisme a connu bien des vicissitudes en luttant contre les forces du capital pour défendre les intérêts de classe des travailleurs et a été traversé par de nombreux conflits internes à propos de la stratégie à adopter pour mener à bien ce combat.

Bien avant le conflit entre les tenants de la ligne anarcho-syndicaliste et ceux de la ligne marxiste, les dissensions portaient sur l’acceptation ou le refus de pratiquer un syndicalisme de collaboration de classe et plus tard un syndicalisme de type réformiste. Ces dissensions ont traversé toute l’histoire du mouvement syndical et des partis ouvriers – ceux qui sont parvenus au pouvoir, avec ou sans l’aide de la révolution armée, et ceux qui ont tenté d’y parvenir. Elles ont aussi été forgées par l’histoire du développement des forces productives, les guerres mondiales et coloniales, l’évolution des mœurs et les conditions de vie et de travail, cet ensemble étant lui-même nourri par la révolution industrielle, technologique et informationnelle, la mise en œuvre des révolutions marxistes avec leurs cortèges de réussites, d’échecs cinglants et de drames humains.

Voilà un Tout sans lequel toutes recherches objectives sur la crise du syndicalisme semblent vaines bien que ce Tout ne puisse prétendre à l’exhaustivité. Il faudrait y ajouter les dissensions au niveau des organisations internationales des syndicats et celles concernant la lutte pour l’indépendance syndicale, la gestion des conflits, la nature des revendications, la précarisation du travail, la chronicité du chômage, la signature des contrats avec le patronat ou l’État, le problème de l’unité syndicale, la diminution du nombre des syndiqués, etc. Mais si nous voulions mettre l’accent sur l’évolution principale et la dérive de cette crise, nous pourrions dire sans conteste : l’abandon progressif du concept de lutte des classes par ceux-là mêmes qui s’en réclamaient.

Dans ce contexte, la cléricature médiatique tente de détourner le mouvement syndical des vraies questions qui se posent à lui et voudrait réduire le débat entre les tenants d’une ligne « orthodoxe » et les tenants d’une ligne « moderniste » qui ne sont en fait que les deux faces d’une même médaille à l’effigie d’un certain opportunisme et pragmatisme syndical.

Alors, quelle perspective entendons-nous proposer au syndicalisme de classe pour dépasser sa propre crise et aller de l’avant ? Nous pourrions la décliner en une suite de propositions : œuvrer pour une véritable indépendance syndicale par rapport aux partis politiques, qui est loin d’être acquise, surtout par les syndicats collaborationnistes inféodés depuis toujours à la social-démocratie ; ne pas faire de l’indépendance syndicale la succursale du réformisme et montrer que lutte des classes et maîtrise par les travailleurs de leurs propres revendications vont de pair ; chercher à contrecarrer la crise du système capitalisme à partir d’orientations syndicales qui n’accompagnent pas la dimension ravageuse de l’économie de marché ; faire du syndicalisme moderne le creuset de la solidarité de classe : actifs, chômeurs, retraités, dans et hors l’entreprise, tant au niveau national qu’international.
Mais au-delà de ces propositions lapidaires, un autre aspect doit être souligné. La nouvelle forme d’organisation du travail par le capital tend à une double aliénation du travailleur. Une fois en tant que créateur de valeur et une autre fois en cherchant à le rendre esclave du fétichisme de la marchandise qui pousse au consumérisme de masse sans répondre à ses besoins fondamentaux. Ainsi, sous l’apparence de libertarité et de frivolité, la marchandisation généralisée du capital organise sa nouvelle condition d’aliéné.

Voilà pourquoi il serait vain d’imaginer reprendre la main sur le capital sans s’attaquer à sa stratégie consumériste. Non seulement d’un point de vue environnemental ou moral, mais du point de vue de l’efficacité syndicale. Sachant qu’il n’y a rien à attendre pour les travailleurs que d’accepter une production cumulative qui nourrit la crise du capitalisme sans répondre aux vrais besoins d’emplois utiles, de santé, d’éducation, de logement, de culture, de fraternité et de partage. Aller dans ce sens, c’est mettre au cœur des revendications la question de l’utilité sociale du travail et la nécessité de revenir sur la maîtrise des grands moyens de production et d’échanges par les travailleurs eux-mêmes. C’est remettre au cœur des luttes la question de classe. 

André Prone
Essayiste
Auteur de Pour une critique de la marchandisation, 
Société, Santé, Environnement, chez l’Harmattan, 
137 pages, 14,50 euros.


Le syndicalisme a des atouts

Plutôt que de montée de défiance à l’égard des syndicats, je parlerais de perte de confiance. Pour une part, elle intervient chaque fois que la gauche, ou une partie d’entre elle, est au gouvernement. Le rôle de contre-pouvoir attribué au syndicalisme semble moins important que face à la droite. De plus, les politiques menées par la gauche créent des divergences parmi les forces qui l’ont portée au pouvoir, et démobilisent une partie d’entre elles. Ce constat, sans exception au moins depuis 1981, se renforce cette fois-ci de l’état de « sidération » d’une partie des progressistes face à la politique néolibérale menée par François Hollande et Manuel Valls, plus favorable au Medef qu’aux organisations syndicales. L’extrême droite fait d’autant plus son miel de cette désespérance qu’avec le recul de l’idée de progrès et singulièrement de progrès social, toutes les xénophobies et rejets de l’autre et de sa différence progressent.

Le syndicalisme est aussi confronté à une offensive de « neutralisation » de son rôle : par l’institutionnalisation ou par la marginalisation, par la répression ou par la professionnalisation de la fonction syndicale (et quelquefois les deux), dans tous les cas c’est la dimension revendicative et mobilisatrice de son action qui est visée.

Pour le grand public, l’action syndicale est présentée de façon binaire : les perrons et salons d’un côté, « la rue » de l’autre. Dans le premier cas, le sentiment de parlotes dont le résultat est joué d’avance, dans le deuxième, celui de manifestations sans effet réel sur la situation. Dans les deux cas, un sentiment d’impuissance, atout majeur des politiques antisociales.

Or, l’action syndicale est loin de se résumer à cela. L’essentiel se joue même ailleurs, dans sa défense quotidienne des salariés au plan individuel et collectif, dans sa capacité à construire du commun à partir de réalités éclatées, dans ce travail de fourmi inlassable et invisible sans lequel rien de véritablement transformateur ne peut se produire. Les rapports de forces globaux changeront, dès lors que l’action syndicale sera en mesure d’intéresser et de mobiliser les salariés sur leurs lieux de travail et de vie. C’est là qu’ils et elles peuvent le mieux toucher du doigt leur capacité à inverser le cours des choses dès lors qu’ils et elles s’engagent et agissent. C’est là aussi qu’ils et elles ont le plus de possibilités de créer des formes d’actions qui les rassemblent et leur ressemblent et permettent de donner un contenu neuf à la démocratie syndicale et authentique, à la démocratie tout court. Contrairement à ce qui se dit le plus souvent, le syndicalisme ne manque pas d’atouts : il reste la seule force collective présente sur les lieux de travail, là où se joue le cœur de l’exploitation, la seule force (singulièrement la CGT) où ouvriers et employés, salariés du bas de l’échelle, en précarité ou au chômage s’organisent et prennent des responsabilités. En proportion insuffisante, certes, mais loin d’être anodine.

La crise de légitimité n’épargne aucune organisation constituée, politique, associative, ou syndicale. C’est en fait la forme démocratique elle-même qui est en danger. C’est pourquoi il est plus que jamais impérieux de rechercher l’unité d’action la plus large, seule en mesure de créer une dynamique, de restaurer l’espoir, de donner envie de se mobiliser, pour gagner des acquis sociaux réels. Toute situation est faite de potentialités et de difficultés : c’est en allant au bout des premières que l’on se donnera les moyens d’affronter les secondes. 

Maryse Dumas
Ancienne dirigeante confédérale de la CGT, membre du CESE

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