RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Les derniers mails de la société de renseignement Stratfor (fin 2011) offrent un éclairage nouveau et sans concession sur les enjeux actuels en Syrie

Si la situation et les rapports de force ont changé depuis, on ne peut les mesurer qu’en analysant les enjeux depuis le départ du conflit et à ce titre ces mails éclairent sur :
- Ce que des agents affiliés au Renseignement pens(ai)ent des enjeux de la crise syrienne.
- La manière dont les choses fonctionnent et comment le traitement de l’information est opéré par ces agents.
- Des éléments diplomatiques qui n’ont pas fuité avant cela et qui éclairent d’un jour nouveau les éléments actuels.

Cadrage

Les éléments développés ici proviennent des mails de Stratfor, une société privée américaine opérant dans le domaine du renseignement connue pour son expertise en la matière, publiés par Wikileaks. Les mails dévoilés par Wikileaks en la matière s’étendent jusqu’à février 2012. Ce qui est dévoilé ici ne constitue que le contenu de 2 mails pris totalement au hasard (les 2 plus récents avec une entrée de recherche "al-Assad"). Les développements syriens actuels peuvent être apprécié de manière très différente selon qu’on s’en tient aux déclarations officielles ou selon qu’on adopte une lecture incluant les éléments du renseignement ci-dessous rapportés.

Contenu des mails

I- Dans un mail intitulé "Stratfor questionne les récits sur la Syrie" en réaction à un éditorial du Huffington Post qui évoquait une des notes stratégiques publiques de Stratfor qu’on peut lire ici (Résumé : "Les groupes d’opposition syriens montent une campagne de propagande pour créer l’impression que la communauté alaouite est éclatée et que le regime syrien est fissuré de l’intérieur. Alors que l’opposition a fait un meilleur travail en s’organisant ces derniers mois, l’effort de propagande a été entravé par des faux-pas récents et souffre d’un manque de crédibilité et de coordination". L’auteur du mail déclare ceci : " Il semble que les gens sont tout juste sur le point de saisir le fait que de nombreuses parties de l’opposition syrienne mentent et exagèrent, comme si leur vie en dépendait... et c’est ce qui est . Nous le disons depuis le début, mais c’est bons que d’autres commencent à s’en rendre compte. "

II- Néanmoins d’autres objectifs plus globaux sont pris en compte comme on peut le lire dans des notes plus générales et plus troublantes : ici un mail intitulé : "Problems with Iran’s post-Assad planning" : C’est la réponse à un mail du 18 décembre 2011 d’une journaliste et experte du Moyen-Orient qui est aussi une "informatrice" et un membre de la société (ce mail est reproduit). De manière très frappante ce mail brosse un panorama qui part des enjeux de l’Iran et des initiatives de celui-ci et du rapport que les USA, la Turquie et l’Arabie Saoudite ont vis à vis de ces enjeux et de ces initiatives. Le mail constitue une biographie d’un acteur de la crise en complément d’information au mail du 18 décembre : " La crise actuelle en Syrie pose un dilemme pour le régime iranien. D’une part, l’Iran a une importante opportunité historique pour exploiter le vide laissé par les Etats-Unis en Irak et étendre son influence dans la région arabe. D’autre part, l’incertitude sur la survie du régime syrien - et l’ objectif de pays comme les USA, la Turquie et l’Arabie Saoudite à utiliser le soulèvement syrien pour mettre des bâtons à l’agenda expansionniste de l’Iran et prendre du terrain à l’Iran dans le Levant - obstrue la voie géopolitique de l’Iran. "

S’en suivent les 2 possibilités pour l’Iran : 1° Espérer que le régime syrien tiendra avec son soutien en sachant que les États-Unis, la Turquie et l’Arabie Saoudite "vont continuer à soutenir un projet de long terme visant à développer l’Armée Syrienne Libre et la Coalition Nationale Syrienne dans l’espoir qu’une menace politique légitime contre al-Assad puisse se développer et éroder le régime avec le temps. " // 2° Que l’Iran devance ces acteurs en offrant une porte de sortie à Assad et en soutenant un responsable plus modéré qui lui soit tout de même favorable et en espérant obtenir l’aval des USA et de l’Arabie Saoudite (lien avec le début du mail car l’homme en question (Wahid Saqr) avait de "bons" rapports avec les 2 parties).

Est souligné ensuite le fait que Stratfor avait des éléments tendant à accréditer la seconde solution mais cela est nuancé par le fait que : " Cela aurait peu de sens pour les États-Unis ou l’Arabie Saoudite d’accepter une telle proposition iranienne à un stade où le but ultime du maintien de la crise syrienne vive est d’affaiblir l’Iran en premier lieu, selon nos sources l’Iran a été très frustré du manque de réponse américaine à sa proposition, avec l’adhésion des États-Unis et de l’Arabie Saoudite, les iraniens ont une meilleure chance de convaincre Assad de démissionner. Sans cela, le plan devient beaucoup plus compliqué étant donné que Bachar, comme Khadafi, aurait tout à perdre s’il quitte le pouvoir sans immunité "

Le mail se poursuit ainsi : " Pourtant si l’Iran suggérait à nouveau quelque chose de similaire cela soulèverait les problèmes suivants :

a) Reproduire un scénario de révolution de palais type Moubarak n’est pas aussi facile qu’il y paraît. En Egypte, l’armée était autonome du régime et était capable de pousser dehors Moubarak et son fils relativement facilement. En Syrie, le clan al-Assad est ancré dans l’appareil militaire / la sécurité / le renseignement, Maher al Assad et Assef Shawkat sont au sommet de cette liste (Omar sera ravi de fournir (pls provide) d’autres suggestions sur les éléments clés de la famille que nous aurions besoin de regarder pour ce genre de scénario.) Dans une illustration de ce dilemme, Stratfor a ramassé une rumeur récemment que Maher al Assad a tenté d’empêcher la visite de Farouq al Chareh en Russie, comme il a insisté sur le fait que les Assad pourrait surfer sur la crise et ​​n’avait pas besoin de chercher une stratégie de sortie.

b) On ne sait pas sur qui l’Iran serait en mesure de s’appuyer pour maintenir le régime globalement et défendre les intérêts de l’Iran. Il a fallu beaucoup de coups et contre-coups habiles pour qu’un homme fort comme Hafiz al Assad puisse accéder au pouvoir et consolider l’influence des Alaouites. Ce n’est pas un hasard arrivé du jour au lendemain. Une source affirme qu’un nom est en ballotage comme une potentielle alternative à Assad, c’est Wahid Saqr, un membre alaouite éminent de l’opposition qui a récemment déménagé au Caire pour rester près des officiels de la Ligue Arabe – quelqu’un qui serait potentiellement considéré comme acceptable pour l’opposition, mais qui est aussi perçu favorablement par l’Iran comme quelqu’un avec qui ils peuvent travailler avec. (Ashley et Omar donneront un peu plus de contenu sur ce "type" (guy dans le mail.)"

c) Essayer d’ arracher un changement de régime superficiel en Syrie risque d’ouvrir une blessure sectaire qui provoquerait l’effondrement du régime dans son ensemble. Pourquoi la majorité sunnite serait contente avec une minorité alaouite de remplacement ? Si le clan Assad a disparu, est qu’un homme fort d’un régime sunnite, comme ceux de la vieille garde qui suivent Mustafa Tlass n’emboîterait pas le pas et n’essayerait pas de prendre le pouvoir pour les sunnites ? La menace d’un effondrement du régime monte considérablement si vous essayez de retirer la couche des Assad. Par contre, c’est peut-être quelque chose que la Turquie, Arabie saoudite et Etats-Unis pourraient être intéressés par voir arriver..." .

Observations

- Un journaliste étasunien risque actuellement 105 ans de prison pour avoir simplement partagé un lien relatif à des mails de Wikileaks, je cite le blog Bigbrowser du Monde : "Pourtant, si Barrett Brown risque cent cinq ans de prison à l’issue du procès qu’il attend depuis un an, ce n’est pas à cause de ses écrits ou de ses accointances… mais à cause d’un simple lien. Comme le rapporte le New York Times, l’infraction qui lui vaut 17 chefs d’accusation est d’avoir posté sur une salle de chat de son site Project PM un lien pointant vers l’adresse Web des Stratfor files, un lot de cinq millions de courriels du sous-traitant du renseignement Stratfor Global Intelligence, piratés par les Anonymous et publiés sur WikiLeaks."

- L’authenticité de ces mails est incontestable (ce qui est prouvé par les actions en cours et par le fait qu’il est impossible de falsifier 5 000 000 de mails).

- Il n’y a qu’à se rendre sur le site internet de cette société pour voir qu’elle même se qualifie d’experte, les médias lui attribuent également cette qualité, et il n’y a qu’à lire 1-2 mails pour s’en persuader (je me rappelle d’un ou un employé demande : "Est ce qu’on a le ministère des affaires étrangères saoudiens dans nos clients inscrits ?").
- S’il y a des certes des débats et des hypothèses, ce ne sont pas des opinions militantes ou des opinions non sourcées (les mails font constamment références à des sources diplomatiques, à des contacts etc...).

- N’en déplaise à ceux qui croient que les enjeux géostratégiques des grandes puissances ne jouent qu’un rôle subsidiaire dans les conflits au Moyen-Orient voici ce qu’un journaliste peut tirer de ces 3 seuls mails (un des mails en contient 2) :

1° Il y a des sources au sein d’un leader du renseignement qui affirment que l’Iran a voulu offrir une porte de sortie à Assad en 2011 qui a été refusée par les USA pour des raisons stratégiques.

2° La "chute" de Moubarak est traitée par des acteurs de cette société spécialisée dans le renseignement comme un type de "révolution de palais" totalement déconnecté des discours officiels sur la pression de la rue etc...

3° L’arrivée au pouvoir d’Hafez al-Assad est traitée d’une manière qui donne clairement du crédit à des jeux de puissance et qui impose de revoir les présentations qui en sont fait, pour cet évènement précis et pour ceux en cours.

4° Le prolongement et l’auto-entretien du conflit syrien comme potentialité stratégique, basée sur un soutien de certains acteurs (Turquie, Arabie Saoudite et États-Unis) à d’autres (Armée Syrienne Libre, Coalition Nationale Syrienne...) est clairement affirmée comme hautement probable.

5° Les méthodes de communication utilisées par ces acteurs sont ostensiblement mises en lumière...

6° Ce ne sont que 2 mails et vu leur importance et étant donné qu’ils ne sont pas trouvables sur un moteur de recherche (c’est étrange car d’habitude les mails wikileaks sont référencés ou ont déjà été traité par des anglophones normalement ils sont référencés), j’en déduis qu’il y a encore beaucoup de travail à faire.

Publié initialement sur points-de-vue-alternatifs

URL de cet article 22336
  

Même Thème
L’horreur impériale. Les États-Unis et l’hégémonie mondiale
Michael PARENTI
Enfin traduit en français. Notes de lecture, par Patrick Gillard. La critique de l’impérialisme made in USA La critique de l’impérialisme américain a le vent en poupe, notamment en Europe. Pour preuve, il suffit d’ouvrir Le Monde diplomatique de novembre 2004. Sans même évoquer les résultats des élections américaines, dont les analyses paraîtront en décembre, le mensuel de référence francophone en matière d’actualité internationale ne consacre pas moins de deux articles à cette question. Signé Claude (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

La contribution la plus importante d’Obama a été d’embellir, de vendre à l’opinion publique et de prolonger les guerres, et non de les terminer. Ils l’ont bien vu pour ce que sont réellement les présidents américains : des instruments permettant de créer une marque et une image du rôle des États-Unis dans le monde qui puissent être efficacement colportées à la fois auprès de la population américaine et sur la scène internationale, et plus précisément de prétendre que les guerres barbares sans fin des États-Unis sont en réalité des projets humanitaires conçus avec bienveillance pour aider les gens - le prétexte utilisé pour justifier chaque guerre par chaque pays de l’histoire.

Glenn Greenwald

Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.