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Les enseignements d’une émission détestable.


[Mais avec la concentration de la presse, le
poids des grands annonceurs, le phénomène a pris une ampleur inouîe, celui
d’une propagande totalitaire. Et de surcroît, il est toujours intéressant
d’analyser comment et pourquoi une masse de gens est contrainte à soutenir
des intérêts qui ne sont pas les siens. Pour être clair, comment et
pourquoi la grande masse des journalistes, qui ne peut pas accéder à un
loyer de 2500 euros par mois, se met-elle à la remorque de réseaux
corrompus des directions de rédaction eux-mêmes complétement intégrés ?
Certes parce que comme les autres salariés l’emploi en dépend, mais
incontestablement la soumission idéologique, corporatiste, va bien
au-delà .]


Lundi 20 juin 2005


Partons du petit bout de la lorgnette : hier dimanche soir, l’émission "On
ne peut pas plaire à tout le monde"
a une fois de plus démontré jusqu’à 
quel degré d’arrogance et de sadisme pouvait aller la télévision.
D’arrogance dans la manière dont a été traité, mais aussi s’est laissé
traiter J.L.Melenchon. Il ne s’agissait pas de la personne, mais bien de
quelqu’un qui avait osé défendre le NON. C’était le degré à peine supérieur
dans la goujaterie, l’interdiction de parler, de ce qu’avait subi en cours
de campagne Emmanuelli par Christine Ockrent. Caricature, interdiction de
s’exprimer : "Répondez !" répétait sans arrêt l’animateur procureur.
Question : pourquoi des hommes et des femmes politiques acceptent-ils de se
rendre dans de telles émissions ?
De sadisme dans le traitement réservé à Doc gyneco. Je n’ai pas une
sympathie particulière pour le personnage, mais la manière dont cette tête
à claque de Fogiel voulait lui faire avouer qu’il était un has been, qu’il
avait grossi (signe suprême de la déchéance) était intolérable. Mais le
téléspectateur ne vient-il pas jouer les voyeurs de telles "mises à 
mort" ? Disqualification de celui qui ne se soumet pas à "la ligne
médiatique" et achévement en public des bêtes blessées en sont les deux
principes clés.

Il ne s’agit que de la pointe extrême d’un système médiatique qu’il faut
tenter de comprendre en profondeur si l’on veut avancer.


L’évolution sociologique :

L’émission de Fogiel présentait un autre intérêt que l’amer plaisir de
vitupérer l’époque, avec la venue de Jeanne Moreau sur le plateau pour
protester contre la vente à la découpe des appartements du centre de Paris
(comme d’ailleurs de Lyon et Marseille), nous étions confrontés à un fait
de société. Ce n’étaient plus seulement les pauvres, les chômeurs, les
basanés que l’on chassait du centre ville, mais les "bobos" imprévoyants,
ceux qui pouvaient encore payer plus de 2500 euros de loyer mais qui
n’avaient pas le capital pour acheter "au prix du marché", les "cigales" si
occupées à tenir leur rang qu’elles avaient vécu à crédit. Ceux qui
n’avaient pas l’héritage de parents bourgeois ayant épargné pour fournir à 
temps à leurs enfants la somme nécessaire pour devenir propriétaire.
Entendre les "bobos" à 2500 euros de loyer mensuel crier "à la déportation"
en banlieue est riche d’enseignement sur l’évolution de la société
française.

Il y a eu en gros trois étapes. la première correspond au niveau
international comme au niveau national à la période allant de la fin de la
deuxième guerre mondiale jusqu’au début des années 80. Il y a eu une sorte
de moyennisation de la société, on parlait même d’"embourgeoisement" de la
classe ouvrière, le rapport capital/ travail restait relativement stable
mais témoignait d’une évolution lente favorable au travail. On assisté
durant cette période à une mobilité ascendante des catégories sociales, les
enfants se retrouvant en général à un niveau supérieur de celui des
parents. Le système scolaire a été le grand vecteur de cette mobilité. Au
plan international, on a assisté à une évolution comparable et Emmanuel
Todd a très justement noté que cette période est celle de
l’alphabétisation, de "la transition démographique" dans de nombreux pays
du tiers-monde. Il a également noté ce qu’une telle évolution devait aux
pays socialistes et plus généralement à des choix nationaux de
développement.

Le début des années 80 coïncide avec une série d’événéments sur un fond
structurel de remontée du profit et de pression sur le travail. Nous
assistons à la contre-offensive du Capital sous sa forme néo-libérale,
c’est-à -dire le tout marché financiarisé des multi-nationales faisant
sauter tous les instruments de régulation. Il y a la chute de l’URSS et du
socialisme européen mais aussi une atonie générale des luttes
revendicatives. Le rapport capital/travail se renverse et le capital ne
cesse de faire pression sur le travail, emploi, salaires mais aussi
services publics. Dans un premier temps, le phénomène ne semble toucher que
les damnés de la terre. Dans les pays occidentaux on parle d’exclusion, et
une bonne part du tiers monde s’enfonce dans le sous développement. Mais on
reste dans l’idée dans les pays occidentaux de "la moyennisation" de la
société et sur le fait qu’une partie importante de la société des pays
occidentaux demeure protégée. Cependant la mobilité ascendante est freinée
et les inégalités se creusent.

Nous sommes entrés dans une troisième période où non seulement la situation
devient de plus en plus intolérable pour "les exclus", les "chômeurs", les
paysans du tiers monde, mais où les salariés sont attaqués sévérement.
D’abord les bas salaires, mais pas seulement. Si la possession du diplôme
demeure une garantie, celle-ci ne suffit plus et aujourd’hui en terme de
pression sur le pouvoir d’achat, sur le niveau de vie, des couches assurées
jusqu’ici d’une certaine stabilité entrent en crise et leurs enfants ne
sont plus assurés de poursuivre cette mobilité ascendante. On assiste à la
mise en concurrence mondialisée non seulement des forces de travail les
moins qualifiées mais des diplômés (c’est là le choc de la circulaire
Bolkenstein, les services sont atteints comme d’ailleurs il est question de
faire venir massivement les diplômés du tiers-monde). Cette nouvelle
pression non seulement accroit le sous-développement en privant les pays de
gens formés avec de grandes difficultés mais elle touche une grande partie
des diplômés (en particulier ceux du service public) des pays occidentaux.
Comme le prouvent les enquêtes sur le pouvoir d’achat, s’en sortent les
professions libérales et les commerçants alors que les autres s’enfoncent.
Paris intra-muros paraît épargné mais le reste du pays qui n’est pas rural
(les salariés doivent aller chercher de plus en plus loin leur logement)
est profondément atteint. Le Non à la Constitution néo-libérale reflète
cela.

Mais ce dont témoignait Jeanne Moreau est particulièrement intéressant. La
loi du marché est en train de s’attaquer aux bobos eux-mêmes, ceux qui
jusqu’ici avaient pu tenir un certain standing, avait tenu leur rang à 
crédit mais sans accumulation de capital. C’est le logement mais ce sont
les modes de vie de la couche non capitaliste mais jusqu’ici totalement
privilégiée qui est en question.Face à cette situation, le monde paillettes
et strass ne voit d’issue que dans le maintien de ses privilèges et donc
dans l’accentuation du mépris des pauvres, qu’il s’agisse de ceux des pays
occidentaux, que de ceux du Tiers-Monde. Ils vivent dans le danger
permanent des hordes barbares.


Tentative de compréhension du système :

Si l’on ne mesure pas cette évolution sociétale, on ne perçoit pas en quoi
ce personnel médiatique, ce petit monde de la presse est contraint à être
ce qu’il est. Au niveau le plus général, celui de la piétaille
journalistique, les conditions sont comparables à celles des salariés
diplômés et qualifiés avec l’extension du chômage et de la précarité. Mais
si l’on veut atteindre la direction du Système, participer aux allées du
pouvoir, il faut payer son écho de corruption. C’est un monde soumis à 
une terrible concurrence pour ne pas tomber de "la charrette".

La formation des journalistes mérite d’être étudiée, un récent article de
"manière de voir", consacré à la presse par le Monde Diplomatique, montrait
à quel point cette "formation" produisait une absence de curiosité
intellectuelle, un conformisme. Si à partir de cette formation, on resitue
la carrière du journaliste dans le contexte précédemment évoqué celui
d’"élites" profondément corrompues gouvernant les "contenu", on comprend
mieux le produit final et les "bides" auxquels ils aboutissent comme
récemment l’annonce de l’absentéisme électoral en Iran. Sans parler de la
pression médiatique en faveur du OUI, un fiasco intégral qui semble
pourtant ne pas avoir semé le moindre doute dans ce petit monde
auto-proclamé, auto-entretenu dans une rupture totale avec le reste de la
population.

Il s’agit non pas des journalistes mais de "leur production" puisque chacun
sait désormais que si 90% des produits médiatiques (émissions, articles)
prenaient partie pour le OUI, la situation était différente dans les salles
de rédaction. Il y a donc un système qui bien sûr revient à l’évidence déjà 
énoncée par Marx en son temps : dans une société les idées dominantes sont
celles de la classe dominante. Mais avec la concentration de la presse, le
poids des grands annonceurs, le phénomène a pris une ampleur inouîe, celui
d’une propagande totalitaire. Et de surcroît, il est toujours intéressant
d’analyser comment et pourquoi une masse de gens est contrainte à soutenir
des intérêts qui ne sont pas les siens. Pour être clair, comment et
pourquoi la grande masse des journalistes, qui ne peut pas accéder à un
loyer de 2500 euros par mois, se met-elle à la remorque de réseaux
corrompus des directions de rédaction eux-mêmes complétement intégrés ?
Certes parce que comme les autres salariés l’emploi en dépend, mais
incontestablement la soumission idéologique, corporatiste, va bien
au-delà ...

Elle passe ici, comme ailleurs, par la mise en coupe réglée des formes de
solidarité collectives.
Au syndicalisme professionnel qui devait affronter les patrons de presse
et les dirigeants de chaîne, tend à se substituer un "corporatisme"
idéologique soumis aux mêmes. Un personnage comme Robert Ménard est tout à 
fait illustratif de cette évolution. Il est systématiquement "du côté du
manche", largement financé par les annonceurs comme Publicis, mais aussi
les patrons de presse, qu’il ne remet jamais en cause, pas plus d’ailleurs
que les maîtres nord-américains avec qui ses liens sont manifestes. Cela
relève plus de la mafia que du syndicalisme... Comment un personnage aussi
totalement controversé que Robert Ménard peut-il être ainsi promu ? Si tous
sont complices de cette promotion, peu sont totalement dupes, à titre
d’anecdote quand il téléphone dans les journaux, tout le monde en riant dit
MCM, "merde c’est ménard"... Sa défense des "journalistes" relève du Show
Bizz et transforme tout en "sensationnel", tout en évacuant les questions
qui fâchent et qui relèvent de la mise en cause du capital. Il faut
également noter que ce type d’individu fonctionne dans des "réseaux", des
"personnalités" qui en général sont les mêmes que ceux qui ont droit au
pages de "libre-opinion" dans la presse nationale. Le cas type étant
Bernard Henry Levy, mais il y en d’autres. Il se constitue un conglomérat
de pseudo-experts, d’intellectuels dont on transforme les écrits en
best-sellers.

Appartenir à cette élite médiatique est la seule garantie non seulement de
jouir de publicité mais de bénéficier grâce à elle de tirages confortables
et de revenus. C’est la garantie que l’on peut se maintenir dans des modes
de vie de l’élite : appartements dans le centre de Paris, sorties
rétribuées par Publicis, voir des moeurs encore plus coûteuses comme
l’addiction à la cocaïne. C’est le dessus du panier et la grande masse des
journalistes vit une toute autre existence tout en partageant des
conditions de concurrence et de précarité qui les soumettent aux patrons de
presse mais aussi aux directions de rédaction qui participent de ce show
Bizz.

Car aux phénomènes précédemment évoqués, il faut ajouter les exigences de
rentabilité et les consignes d’éviter les sujets qui fâchent (par exemple
les annonceurs) qui sont l’aspect structurel du système. Les exigences de
rentabilité produisent non seulement le goût du sensationnel et les
attitudes type Fogiel, Ardisson et autres mais une véritable ignorance des
faits. Ainsi on ne peut qu’être effrayé par l’incompétence sur les sujets
internationaux, la décontextualisation systématique, les contre-vérité sur
les civilisations et les peuples et l’on se demande comment, même avec les
consignes politiques, on peut aboutir à un tel résultat de décervelage. Il
y a, on l’a vu, la formation à la superficialité, mais il y a aussi le fait
qu’avec les réductions de personnel, la suppression du dit personnel sur le
terrain, reporters ou agences, la plupart des informations émanent soit de
journaux étrangers que l’on recopie, soit de dépêches d’agence que l’on
reproduit sans savoir trés bien de quoi il est question.

Le tout donne une tonalité générale aux salles de rédaction faite de
cynisme et de mépris pour le lectorat ou pour l’auditeur. Dans ce système
précarisé et concurrentiel, on joue les pseudo-solidarités corporatistes,
non pour défendre réellement un collègue menacé, ou une information digne
de ce nom, mais "une profession" largement fantasmée.


Que faire ?

Nul ne peut se réjouir d’une telle situation. Il en est des journalistes
comme du monde politique qui est d’ailleurs largement soumis aux mêmes
errances, on peut les mépriser et ils font tout pour ça, mais ce n’est pas
la solution ni pour les uns, ni pour les autres. Car si l’on ne se donne
pas les moyens d’aider à l’apparition d’une autre presse comme d’un autre
personnel politique on aboutit au pire à une sorte de poujadisme
anti-élite, un mépris total des journalistes qui n’aide pas ceux qui ont
une autre conception du métier. Pire encore, l’audimat le prouve, on
entretient ce qu’il y a de pire dans le système, une véritable éducation à 
la vulgarité, au sensationnel et à l’absence de réflexion.

Il faut au contraire se donner les moyens d’une réflexion en profondeur sur
les moyens que nous avons encore à notre disposition de favoriser une autre
conception de l’information, d’une culture qui ne soit pas une "exception",
mais aboutisse à une démocratisation. Une telle réflexion est entamée en
divers lieu, mais il faudrait envisager des États-généraux du droit à 
l’information, avec une remontée des discussions et échange entre
journalistes et utilisateurs de la base au sommet. Il est temps de se
parler.

Danielle Bleitrach, sociologue.


- De Danielle Bleitrach :

Le NON n’ est pas un vote de gauche, c’ est un vote de classe ...

Référendum : Les leçons d’un srutin.

Negroponte : un des plus grand terroriste nommé à la lutte contre le terrorisme...

Censure et Empire, Dieudonné et l’usage de l’"antisémitisme", par Diana Johnstone et réponse de Danielle Bleitrach.



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