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Pathétique et inquiétante prestation que la leçon de choses à vocation « pédagogique » du président Macron dimanche 15 octobre.

Macron premier de cordée

Cette longue interview, très conventionnelle pour le marcheur que vous êtes, a offert aux commentateurs une de ces formules conçue pour faire leurs choux gras. Ils ne s’en sont pas privés.

Mais hélas, c’est une métaphore bien malheureuse et bien pauvre, que cette histoire de cordée que vous inventâtes dimanche soir. Figure de style qui a certes pour vous le mérite de ressusciter la mystique du Guide. Mais comment diable avez-vous pu vous fourvoyer dans cette impasse ? Votre si beau cerveau l’a-t-il improvisée derechef en plateau, ou aucun de vos conseillers n’a-t-il jamais grimpé en cordée ? Voilà des errements que votre concurrent malheureux [1] vous aurait aisément évités, lui qui tutoie les cimes quand les affaires lui en laissent le temps.

Car enfin, ni vous ni vos communicants n’ont donc réalisé à quel point il est difficile, hasardeux et à double tranchant de lancer des cailloux sur le premier de cordée ? Les lois de la gravitation sont plus tenaces que celles de l’économie...

Laissons cela, car le plus dommageable est ailleurs, qui ôte toute envie de grimper avec vous.

Quelle est exactement l’idée d’une cordée ? Certes le plus habile ou le plus téméraire monte en tête et ouvre la voie, et certes ses suivants l’y aident et participent à l’exploit. Mais surtout, Monsieur le président métaphorophile, surtout l’homme de tête a pour rôle de conduire les autres au sommet et de les ramener indemnes. Ou bien de renoncer à la cime convoitée. Il n’est pas dans son éthique de les abandonner pour mieux l’atteindre seul.

Or dans vos efforts désespérés pour justifier vos choix politiques, vous semblez oublier que les « ordonnances » dont vous êtes si fier visent précisément à permettre aux premiers de cordée, au motif de la souplesse et de l’efficacité, de pouvoir aisément se défaire de leurs suivants dès lors qu’ils décident que ceux-ci pèsent trop lourd. Belle métaphore, donc, qui révèle à votre insu [2] la conception que vous avez du collectif, des rapports entre hommes, et de la solidarité. Je n’ose imaginer, filant plus loin encore votre malheureux trope, la place qu’y occupe le « plafonnement des indemnités prud’homales [3]... Les arguments « pragmatiques » que vous avancez sans cesse vaudraient aussi, bien sûr, pour une cordée de montagnards, mais grâce à Dieu, les guides, s’ils ont le pas sûr, ne sont pas encore « en marche » et respectent d’autres valeurs.

Votre pragmatisme, d’ailleurs, revendiqué haut et fort puisque c’est un mot à la mode, n’est en fait qu’un empirisme au mauvais sens du terme. Vous êtes comme les mécaniciens qui, devant une mécanique hors d’âge ont toujours un bout de fil de fer pour faire durer. Ce n’est pas de vous que l’on doit attendre une réflexion sur le monde de demain, la nature et le sens du travail à l’aune des nouvelles technologies, l’emprise de la finance et des multinationales, la marchandisation galopante et la préservation de biens publics. Ce n’est pas le sens de votre démarche. Pas un traître mot non plus qui soit consacré aux enjeux écologiques, c’est dire à quel point ils vous tiennent à cœur.

Non, pour les grands défis, il faudra trouver plus intelligent encore, plus courageux, plus visionnaire, mieux élu et mieux reconnu. Pourtant les véritables grands défis sont aujourd’hui très largement perçus dans les opinions mondiales, décrits et documentés par des économistes, des sociologues, des philosophes un tant soit peu distanciés des pouvoirs. La répartition aberrante des richesses y tient une place évidemment importante, ainsi que la préservation des conditions de vie uniques que la Terre a offertes. Deux sujets que vous avez soigneusement évités durant le bel entretien que vous nous avez complaisamment offert.

Pour masquer cette carence, il est d’usage, dans les sphères « responsables » et non pas « populistes », d’attirer solennellement l’attention sur des questions dont la gravité engage l’avenir, celle de la dette publique étant le « marronnier » du genre [4]. Mais la mise en scène de cette gravité responsable, de cette solennité, ne sauraient aller jusqu’au questionnement de la croissance, ressort central de nos économies, symbole obligé de tous nos espoirs, but suprême des décisions politiques. Pourtant aucun des premiers rôles de la scène politique ne peut ignorer ce que tout le monde a déjà pressenti : la croissance est par définition une exponentielle et ne peut être poursuivie indéfiniment [5]. Il conviendrait donc, afin d’être cohérent, d’attirer aussi l’attention sur ce sujet qui lui aussi engage sacrément l’avenir. Mais que nenni. On doit donc en déduire que la gravité et le sérieux affichés par les « responsables » ne sont qu’apparents, et que le choix des sujets « graves », loin d’être « pragmatique », contient une forte part de manipulations et de projets politiques.

Loin de pendre à bras le corps ces vastes et indispensables réflexions, les solutions que vous assénez avec l’assurance des forts en thème, minimisant l’importance de la répartition des richesses et magnifiant le rôle des « riches » accentuent encore une polarisation qui nous ramène aux époques féodales de l’appropriation des terres. Lors vos ancêtres répétaient aux manants : « Nous sommes désolés, il n’y a plus de terres disponibles pour vous. Si vous voulez bien être nos serviteurs (Au lieu de f... le b...), nous assurerons votre survie pour quelques temps encore. ». Comme aujourd’hui vos actes laissent accréditer l’idée que : « C’est regrettable, il n’y a plus de travail pour tous et l’argent se fait rare... ».... tout en feignant d’improviser des remèdes systématiquement inopérants.

Parmi les credo répétés à l’envi par vous et vos ministres en marche, il y a bien sûr celui de l’entreprise, magnifiée, créatrice de richesses et d’emplois, galvanisée par la « libération des énergies »...

Or nous ne sommes pas dupes : l’entreprise n’a pas pour BUT de créer des emplois, c’est à dire de nous laisser une place au soleil. L’entreprise, on le sait, a pour contrainte première et souvent pour but de produire des profits. C’est un impératif du capitalisme. Dans tout contexte, elle fera donc tout ce que lui permettront les cadres politiques et les évolutions technologiques pour créer le moins possible d’emplois. Il est évident qu’elle utilisera les différentiels du coût du travail et de l’imposition pour les créer ailleurs. Il est évident qu’elle utilisera les avancées de la robotique et de l’Intelligence Artificielle [6] pour faire disparaître, après les emplois médians, des postes de plus en plus qualifiés. Il est évident qu’elle fera son possible pour détruire les emplois publics et capter les financements ainsi libérés.

La grande question sociétale que vous ne soulèverez pas, n’est donc pas : « Comment faciliter l’entreprise conçue comme l’alpha et l’oméga et le but suprême, que l’on soit dirigeant, employé de base ou auto-entrepreneur ». Car l’entreprise, on le voit de manière éclatante avec les « nouvelles technologies » dont vous attendez tant –jusqu’à la lutte contre les « déserts médicaux » – est en nécessité de marchandises une part sans cesse croissante du monde, en position de choisir ce que sera le monde de demain. Elle qui est précisément le lieu sans démocratie. Non, la vraie question est plutôt : « quelle doit-être la place de l’entreprise dans un monde équilibré, et comment la contrôler, comment la mettre au service du monde et des êtres humains ? »

Dans ce contexte, la rhétorique de la « richesse humaine » est un miroir aux alouettes pour enfants en bas âge. Certes une entreprise est « riche de ses hommes » nous répète-t-on, mais l’actualité financière nous prouve tous les jours qu’elle est encore plus riche après qu’elle en a licencié la moitié !

Reprenons la litanie de vos assertions au mépris si bien calculé.

Non, Monsieur Macron, vous ne proposez aucune solution. Vous poursuivez votre ligne de conduite périmée, en tentant de trouver ça et là des contre-feux lorsque vos intentions sont trop lisibles. Mais ce sont alors des faux fuyants et contradictions [7]...

Non, M. Macron vous n’êtes pas un visionnaire volontaire, vous êtes juste l’arrière-garde d’une pensée qui a conduit le monde où il est et qui tente encore d’appliquer de vieilles recettes. Loin de vous saisir des véritables défis de l’époque, vous tentez juste de remettre du bois dans la locomotive surannée du libéralisme emballé.

Si, Monsieur Macron vous êtes arrogant ; de l’arrogance de ceux qui pensent disposer des « outils » conceptuels pour comprendre le monde, comme s’il n’y en avait qu’une compréhension. Ce sont sans doute les gens comme vous qui font qu’aucun monde meilleur ne peut advenir puisqu’ils sont toujours là pour s’acharner à faire survivre l’ancien.

Non Monsieur Macron, vous ne pouvez pas comprendre ce que signifient 5 € de plus ou de moins pour de petits salaires. Vous ne le pouvez pas davantage que je peux comprendre ce qui fait le quotidien de quelqu’un dont le revenu a un chiffre de plus que le mien, deux chiffres de plus que celui de certains agriculteurs. Ou de votre ministre empochant en un jour ce qu’un travailleur normal, un de ceux qui ne foutent pas le bordel, ne gagne pas en une vie entière.

Non Monsieur Macron ceux qui s’opposent à vous ne sont pas « envieux » ; mais où donc preniez vous le modèle de ce type d’humain ? Dans votre entourage ? Au reste, n’avez-vous pas vous même tenté de susciter cette envie en appelant de vos vœux la multiplication des petits millionnaires ?

Non, Monsieur Macron, il n’y a pas « d’envie » chez vos contemporains de peu de chose qui contestent et déplorent la concentration des richesses entre quelques mains. Il n’y a pas d’« envie », car il ne s’agit pas là, comme vous tentez d’en accréditer l’idée, de guigner la place des spoliateurs. Mais il y a le refus de se résigner à cette condescendance qui répète : « il faut protéger les plus démunis ! ». Les peuples producteurs des richesses que vous gaspillez à l’envi et ostensiblement ne veulent pas de votre pitié ni de votre aumône, ils exigent que leur rôle soit reconnu et que l’accaparement ne les rejette pas hors du monde. Il n’y a pas d’« envie » car il est clair que la gabegie de richesses que vos projets facilitent sont un des facteurs clés de la dégradation du monde, tant au plan écologique qu’au plan social. Non, Monsieur Macron, nous ne sommes pas « envieux », c’est simplement pour un monde fait pour tous pour et la dignité d’hommes que nous luttons contre vos projets.

Devant vos actes et les mots qui les déguisent, comme toujours, vos adversaires de classe demeurent perplexes : s’agit-il de cynisme pur, de mépris à l’état brut, ou bien d’ignorance, d’aveuglement, ou de bêtise pure ?

Or ici, accordant foi à tous ceux qui vous attribuent un « pack de dons » hors du commun, nous sommes bien obligés de conclure au cynisme et au calcul...

Alors non, Monsieur Macron, vous ne pouvez pas construire une société apaisée et qui fonctionne, tout en affichant l’invraisemblable mépris et l’invraisemblable inconscience qui caractérise votre classe, et qui rappelle comme beaucoup l’ont noté, l’inconscience de Marie-Antoinette. Comment le pourriez vous en affirmant, ou en laissant votre premier ministre le faire à votre place, qu’on ne peut taxer « les riches » car ils iraient se mettre à l’abri ailleurs ? Êtes vous donc incapable de vous rendre compte de ce que cette formule, si rationnellement argumentée, a de révoltant, d’asocial, d’intolérable ? Elle ne fait que démontrer qui décide des lois en pour quels intérêts.

Car imaginons une seconde l’argument opposé : « Nous ne pouvons pas licencier des salariés, car que se passerait-il ? Les travailleurs bloqueraient alors l’économie, Et tout le monde y perdrait. »

Qu’est-ce donc qui invalide cet argument ? Eh bien c’est le rapport de forces et non pas la raison : car dès lors que risquerait de s’inverser ce rapport de forces, vous pensez pouvoir trouver les outils pour y parer : outils juridiques ou outils policiers. Ce que vous n’envisagez pas une seconde s’agissant des possédants fraudeurs, mauvais citoyens, accapareurs et égoïstes.

Monsieur Macron vous êtes non seulement le président des riches, mais demain vous serez celui de la désagrégation sociale ; et vous joueriez avec le feu en vous réjouissant de la faiblesse des oppositions : l’impuissance politique est mauvaise conseillère.

Gérard COLLET

[1Dont le malheur, par parenthèse, vous a valu ce succès dont vous êtes si enflé.

[2Qui sait ?

[3Si le guide était amené, pour raison de flexibilité, à couper la corde, devrait-il pouvoir le faire sans trop avoir à s’inquiéter des poursuites éventuelles ?

[4Ce fut le cas par exemple lors du bel exercice du premier ministre face à Thierry Breton le 28 septembre dernier.

Il est d’ailleurs d’usage, dans cet exercice, d’ « oublier » les dettes privées, et plus largement d’« oublier » le rôle clé qu’occupent les dettes dans l ’économie de casino mise en place par le libéralisme effréné.

[5Sauf à suivre en confiance les élucubration d’Elon Musk et de ses disciples, et à se préparer à une émigration vers d’autres galaxies, après avoir été dotés grâce aux progrès de la biotechnologie, de poumons adaptés à la respiration du méthane, et de fourrures défiant le zéro absolu.

[6Portées au pinacle depuis quelques années, et désignées comme le nouvel espoir de croissance, comme le sésame de la concurrence.

Tel magnat ami de Donald Trump n’a pas mâché ses mots, et admettant que les robots « ne font pas grève et ne tombent pas malades ».

[7C’est par exemple le cas des annonces retentissantes sur le modèle agricole : « Le discours présidentiel du 11 octobre est en contradiction totale avec les récents actes posés par le gouvernement : suppression des aides au maintien de l’agriculture biologique, recul sur l’interdiction du glyphosate, accord de libre-échange qui menace les filières locales… Voir à ce sujet : L’alimentation selon Macron : une dose de communication, un soupçon d’ambition et des incohérences en quantité. (Bastamag, 13 octobre 2017)


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