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Ils se préoccupent plus de leur pèlerinage chez Disney que des carnages sanglants de leurs drones

Monde, sois sur tes gardes ! Même les nantis amérikains perdent du terrain

Les conséquences de la dissonance cognitive qui règne dans la sous-élite américaine ? Encore plus de guerre, encore plus de morts pour tous les autres.

Parfois la partie émergée de l’iceberg apparaît telle qu’elle est, et les faits signalés corroborent l’expérience de la majorité. Le récent rapport publié par le Pew Research Center, qui circule désormais largement, montre que pas moins de 93% des ménages américains ont perdu du terrain lors de la fameuse reprise de 2009-2011. [ ] Ce rapport ne fait que valider ce que nous connaissons dans notre vie quotidienne, malgré l’écran de fumée des moyennes et les jeux de miroirs. Il n’y a pas de « reprise ». Les tranches faisant partie des 20% les plus favorisés parviennent tout juste à tenir bon.

C’est là la représentation la plus dure, la moins chargée de fioritures, que j’aie pu observer. Je répétais jusqu’à maintenant à ceux qui voulaient bien l’entendre que même s’il semblait y avoir une reprise pour ceux qui sont dans le créneau des 250.000 $ et plus, ce n’était clairement pas le cas pour les 80% restants [c’est-à-dire 100.000 $ de revenus combinés en 2010]. Pour la classe moyenne, le fait que la réalité soit si différente de ce qu’elle croit vivre (à savoir, qu’elle fait partie des 8-10% supérieurs) doit déjà constituer un choc à même de l’ébranler... Mais les données sont encore bien pires. Même les familles qui vont jusqu’à 500.000 $ (!) perdent du terrain.

Tout cela indique le désespoir des perspectives politiques de ceux que Zinn appelait les Gardes, et Chomsky le Clergé : ceux qui se portent tout à fait bien dans le système actuel, mais pensent qu’il nécessite quelques ajustements. Alors que ce groupe se clairsème, ses contradictions internes seront de plus en plus apparentes, et la réponse de l’État se fera plus dure, moins « élastique ». Et les ménages avec « deux bons boulots », disons plus de 100.000 $ chacun, pourraient-ils alors entrevoir un espoir, selon la fameuse mantra des « signes de croissance » qui était largement tombée dans l’oreille d’un sourd il y a quelques années ? Allons les gars ! Ça peut fonctionner ! We can !Il nous faut juste être un peu plus patients ! Etc.

Les ramifications politiques sont clairement inquiétantes. Ce secteur est crucial pour la viabilité et la légitimité perçue du système, et toute panique de sa part aurait des conséquences d’une portée considérable. Ces individus pourraient bien commencer à réaliser qu’eux aussi finiront pas être laissés pour compte dans le glissement des richesses, et qu’en fait, ils n’ont jamais vraiment été importants. Lentement mais sûrement, et à des degrés divers, ils se remémorent la soudaine révélation de Judas [la version d’Andrew Lloyd Weber, tout du moins] : « Mon Dieu, je suis malade. J’ai été utilisé, et tu l’as toujours su ! ». Ils commencent tout juste à réaliser qu’ils sont confrontés à une bataille inégale, dans un jeu truqué contre la banque, qui se joue avec des dés pipés… Ajoutez toutes les images éculées que vous voudrez : ils n’ont pas de porte de sortie.

De façon paradoxale, dans la première vague de réaction à cette trahison fraîchement révélée de leurs patrons de la classe dirigeante, ils ne se retournent pas contre leurs maîtres. Non, ils expriment leur colère vis-à-vis de ceux qui sont plus bas, dans ce vieux jeu qui consiste à tuer le messager porteur de mauvaises nouvelles. En conséquence, ils deviennent de meilleurs « chuteurs », le terme que Jerry Seinfeld avait créé pour les spectateurs qui chut ! font régner l’ordre dans les cinémas... Chiens de garde, gardiens du temple... Ils ont toujours été là, mais dans leur conscience faisaient plus partie de la « gauche » professionnelle, véritable icône de la classe politique.

Dans la période que nous traversons, leur colère est plus désespérée et plus diffuse à la fois : ils ont toujours été plus enclins par exemple à faire confiance à la police, à croire la version officielle des évènements, à éviter les sources d’information considérées par leur classe, position et expérience, comme « dépassant les bornes ». Ils n’ont que rarement, voire jamais, été du mauvais côté de la ligne officielle, été contraints de payer la caution d’un parent en prison ou été confrontés à des expériences raciales/racistes ; ils sont ainsi prêts et entraînés pour être les troupes d’élite intellectuelle du Discours Acceptable. Même face à la perfidie grandissante de leurs supérieurs de classe, ils ne peuvent pas (encore) se résoudre à mordre ce qu’ils considèrent toujours comme la main qui les nourrit. En conséquence, c’est à ceux qui sont de façon incongrue nommés « parasites » qu’ils s’en prennent, ceux qui leur semblent gâcher leur festin, alors même que la cacophonie de la dissonance cognitive se fait de plus en plus forte dans leur tête.

Les retombées brutales de ce jeu sont apparentes, tout autour de nous ; le nombre de victimes ne cesse d’augmenter, et le terrorisme d’État déterminé plonge de plus en plus dans l’horreur, dans sa tentative de maintenir ces styles de vie boursouflés par une hégémonie sur les ressources mondiales. Cette transaction échappe totalement aux « chuteurs », ou plutôt, ils en deviennent les sinistres supporters, qu’ils en soient conscients ou non. Ils sont capables, d’une façon ou d’une autre, de rationaliser la destruction totale de pays après pays, alors même qu’on leur montre que c’est par le mensonge qu’on les y pousse. Pour eux, le fait que leur gouvernement finance, arme et entraîne en Syrie et en Libye les mêmes terroristes islamistes qu’ils sont prêts à redouter ailleurs est sans importance. La simple règle mathématique de l’équilibre exige qu’ils reconnaissent et rejettent le rapport de 1000 pour 1 de la violence qui ravage le monde en leur nom, avec leur argent, avec leur silence (au mieux) et leur soutien enthousiaste (au pire). Ils s’en foutent, c’est tout ; et le privilège macabre qu’ils accordent aux victimes relativement peu nombreuses parmi les leurs (malgré tout l’horreur de leur propre calvaire) s’évapore lorsque l’on quitte leur bulle, pour aller là où le reste du monde pleure ses morts.

Les conséquences économiques de cette perte de leur statut leur fiche une trouille monstre ; mais bien que la logique et une moralité de base dussent exiger qu’ils se réveillent chacun matin avec à l’esprit le carnage sanglant de leur armée de drones, ce qui les préoccupe plutôt, c’est qu’ils ne soient plus en mesure de faire leur pèlerinage annuel chez Disney, ou que l’amélioration prévue de la cuisine, de la salle de bain, de la voiture ou du bateau doive être reportée. S’ils apparaissent pour cela comme des monstres, tant mieux, c’est le cas. Il y a quelque chose de fascinant dans cette horreur, celle qui consiste à la fois à n’avoir aucun pouvoir sur un système politique qui provoque de telles destructions et à le défendre, à le présenter comme étant acceptable et bénin, sans même avoir tenté de jouer le rôle du canari des anciennes mines, celui qui prévenait des coups de grisou, le minuscule animal qui crie « Nous sommes là ! » depuis la tour la plus haute qu’il puisse trouver.

C’est plus qu’une imposture, plus qu’une honte. C’est un crime moral, une violation d’un devoir éthique qui produira des conséquences inimaginables lorsque l’équilibre finira par être rétabli. Et à mes lecteurs internationaux : oui, je suis conscient de l’égocentrisme de cette façon de se concentrer sur l’expérience « amérikaine » interne, et j’entends vos cris de « On s’en fout ! » qui résonnent dans ma tête. Si vous m’avez lu jusqu’ici, vous avez droit à tout mon respect. Parfois, il me semble qu’il est tout simplement nécessaire que je parle à et de mes compatriotes amérikains, du point de vue de quelqu’un qui partage leur expérience, même si c’est parfois de façon tangentielle.

Je pense que nous vivons une époque où « ça va barder ». Il faudra peut-être un an, peut-être deux, peut-être dix ; mais dans une perspective historique, nous vivons à cet instant, ce jour où, lorsque l’on se retournera sur le passé, il deviendra clair que tout a changé. C’est l’instant-pivot, celui qui est si brillamment illustré par le montage à la fin des Misérables, quand tous les acteurs sociaux, quel que soit leur rôle ou leur position, sentent que quelque chose de capital est à l’horizon : « Demain nous saurons ce que notre Dieu dans les cieux nous prépare. Encore une aube. Encore un jour. Demain ! »

Daniel Patrick Welch.

(4/13) © 2013 Reproduction et diffusion encouragées.

Traduit par Olivier Parrot

»» http://danielpwelch.com/French/1304wowe-f.htm
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