RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
12 

"Reculade organisée"

Non, ça ne colle vraiment pas. Discuter cinq mois du mariage pour tous, peut-être. Mais passer en trois semaines, avec procédure d’urgence et vote bloqué, une loi essentielle très contestée sur le droit du travail, ça ne se justifie pas. Même pour ceux qui la défendent, ce n’est pas glorieux : silence médiatique général, aucun débat contradictoire, obscurité organisée sur les 27 articles disparates de l’ANI péniblement transformés en loi, votes forcés, expéditifs, et à reculons, sous pression, des députés.

On en arrive à une des lois les plus mal votées de l’histoire de la Ve République. Elle ne créera aucun emploi, ne supprimera aucun précaire. Pourtant le Code du travail est le droit le plus intime, le plus décisif pour 18 millions de salariés du privé. Même pour ceux qui ne le connaissent pas, leur vie en dépend. Un bon Code du travail, ça produit de bons salaires. Un bon Code du travail, ça protège l’emploi. Un bon Code du travail, c’est la civilisation. Un mauvais Code du travail, c’est la précarité, la flexibilité, le mal contre ceux qui bossent.

Le droit du travail est fait de sueur et de sang, de luttes et de larmes. Il a fallu 170 ans pour le bâtir. Il a fallu 80 ans pour passer de la journée de 17 heures à celle de 10 heures. Et encore 70 ans pour passer de la semaine de 40 heures à celle de 35 heures. Le Code du travail c’est l’histoire du progrès, du respect, de l’humanité. C’est le droit le moins enseigné, le plus dénigré, le plus fraudé. C’est le droit qui établit, ou non, la dignité des salariés. Sans État de droit dans l’entreprise, la subordination liée au contrat de travail devient une soumission sans contrepartie.

La gauche a toujours fait progresser le droit du travail dans l’unité. Il y a eu des «  ANI  » célèbres, en juin 1936 à Matignon (40 heures et congés payés). Autre ANI célèbre en juin 1968 à Grenelle où le SMIG a augmenté de 33 % et le SMAG de 55 % pour constituer le SMIC ! Jospin avait eu le courage de convoquer un «  sommet social  » le 10 octobre 1997 pour imposer les 35 heures. La droite a passé à l’acide le Code du travail pendant dix ans. Elle a «  recodifié  » dans un silence général entre 2004 et 2008. On s’attendait à ce que la gauche reconstruise. C’était dans le programme de Hollande. Si c’était la droite qui avait fait ce forcing ANI-MEDEF on aurait tous été dans la rue, le 5 mars, le 9 avril et le 1er mai.

C’est la première fois dans l’histoire que la gauche décide de faire reculer, gravement, le Code du travail pour tenter d’amadouer le MEDEF, rassurer les marchés et leurs agences de notation. Michel Sapin a même évoqué «  les lois Hartz 1, 2, 3 et 4  » votées de 2002 à 2004 par le SPD et la CDU, Schröder et Merkel. Le paradoxe, c’est que le SPD aujourd’hui s’en mord les doigts et les remet en cause pour affronter Merkel aux élections de 2013 (et Hartz, comme Cahuzac, a été inculpé et condamné pour corruption). Ainsi, au moment où ces lois Hartz qui ont fait tant de mal aux salariés allemands sont enfin dénoncées par les socialistes à Berlin, de façon incroyable, à contretemps, ce sont les socialistes français qui les font passer à Paris.

Gérard FILOCHE

"Reculade organisée", la chronique de Gérard Filoche dans l’Humanité Dimanche

http://www.humanite.fr/social-eco/la-reculade-organisee-la-chronique-de-filoche-dans-529336

URL de cet article 20393
   
Même Auteur
DETTE INDIGNE ! QUI SONT LES COUPABLES ? QUELLES SONT LES SOLUTIONS ?
Jean-Jacques CHAVIGNE, Gérard FILOCHE
« Euro-obligations », « règle d’or », « gouvernance européenne », « fédéralisme budgétaire »… la crise de la dette qui ébranle la France et l’Europe donne lieu à une inflation sans précédent de termes économico-financiers dans les médias et dans les discours des dirigeants politiques. Pour les citoyens, ce vocabulaire, souvent obscur, dissimule une seule et même réalité : un gigantesque mouvement de transfert des dettes privées (en particulier celles des banques) vers les dettes publiques (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde “tomate de merde”, ils l’ont appelée “tomate”, tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue “tomate bio”. À partir de là, c’était foutu. »

Inconnu

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.