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« On se focalise sur les pillages pour ne pas voir la réalité coloniale de Saint-Martin »

L’Etat a-t-il été à la hauteur dans la gestion du cyclone Irma qui a ravagé Saint-Martin ? Pour Elie Domota, les autorités métropolitaines se contentent d’une gestion humanitaire de la crise. Pourtant, selon le syndicaliste guadeloupéen, des mesures auraient pu être anticipées dans cette région du globe régulièrement touchée par ce type de cataclysme.

Elie Domota, pourquoi dénoncez-vous une gestion coloniale de la catastrophe à Saint-Martin ?

Ce cataclysme fait en effet ressortir les disparités sociales graves qui existent à Saint-Martin. La population de cette île franco-hollandaise voisine de la Guadeloupe est très diverse. Mais si on veut résumer, sur le plan social, vous avez une grande partie de la communauté noire qui vit dans la pauvreté, dans l’exclusion, et une communauté blanche, principalement composée d’Européens et de Français, qui eux vivent plutôt bien. La situation qu’on retrouve à Saint-Martin est une situation coloniale du même type que celle qu’on retrouve en Guyane, par exemple. Sauf qu’à Saint-Martin, ces inégalités sociales sont démultipliées : le chômage des jeunes est plus fort, la misère plus répandue. Voilà la réalité de Saint-Martin.

Que reprochez-vous à L’Etat français concrètement ?

Prenez l’exemple de la partie hollandaise de Saint-Martin. Les Hollandais avaient déjà un bateau qui mouillait dans la zone caraïbe avant le passage d’Irma. Ils ont deux hélicoptères qui ont pu décoller pour faire de premières évaluations. Dans la partie française de Saint-Martin et à Saint-Barthélémy, il a fallu attendre l’arrivée d’un Falcon 50 en provenance de Paris pour effectuer les premiers survols. On aurait aussi pu prépositionner des groupes électrogènes et du ravitaillement alimentaire dans des îles proches comme la Guadeloupe. Mais rien n’a été anticipé. J’ai vu M. Collomb [le ministre de l’Intérieur ndlr] dire qu’ils allaient envoyer des rations militaires et de l’eau. Les groupes électrogènes ne sont arrivés qu’hier à la Guadeloupe, ils n’ont pas encore été acheminés à Saint-Martin. Il a aussi annoncé l’installation d’un hôpital de campagne dimanche dernier. Un hôpital de campagne, ça relève de l’urgence. Les malades et blessés ont déjà été évacués vers la Guadeloupe et c’est maintenant qu’on ouvre un hôpital de campagne ?

Il y’a eu des dysfonctionnements dans les interventions de L’Etat sur place ?

J’ai entendu la ministre des Outre-Mer, qui est en ce moment à Pointe-à-Pitre, s’exprimer ce matin sur France Inter. Elle répondait aux critiques. On aurait bien aimé qu’elle nous dise ce que ce gouvernement a fait, comment ils ont fait et pourquoi ils ont fait comme ça. Cela aurait peut-être permis de comprendre certaines bizarreries concernant les premières évacuations de population. Bien évidemment, au début, la priorité a été donnée aux personnes malades et handicapées. Mais ensuite, ce sont les femmes de gendarmes et de militaires qui ont été évacuées. Il y a aussi eu ce bateau qui est arrivé à Saint-François [ville de Guadeloupe ndlr] avec à son bord des touristes américains. L’Etat français, le préfet, les gendarmes, personne ne peut expliquer qui a donné l’ordre d’évacuer ces touristes prioritairement. Ce bateau, l’Archipel 1, est parti de Guadeloupe pour accoster à Saint-Martin, il a embarqué des touristes étasuniens puis est reparti pour la Guadeloupe. Et personne n’est au courant ?

Depuis plusieurs jours, les pouvoirs publics insistent sur le déploiement de forces de l’ordre supplémentaires. Qu’en pensez-vous ?

J’ai écouté la Vice-présidente du conseil territorial de Saint-Martin. Elle ne comprenait pas pourquoi les gendarmes étaient positionnés sur la surveillance de villas, alors que d’après elle ils auraient été plus utiles dans les rues pour apporter un peu d’apaisement. Il a fallu attendre dimanche pour que les autorités se rendent à Sandy Ground, qui est l’un des quartiers les plus pauvres de Saint-Martin. Ça montre bien l’importance des inégalités sociales qui structurent l’île. Et pour cacher cela, M. Collomb nous parle de pillages.

Vous pensez que l’accent mis sur les pillages est une façon me masquer la réalité sociale de l’île ?

Oui, cela sert à cacher les défaillances de l’Etat français dans la gestion de la catastrophe et le soutien qu’il aurait dû apporter à l’ensemble des populations martinoises. A Saint-Martin, il y a une préfète : on ne l’a jamais entendue. A Sandy Ground, il n’y avait que des cases en bois et en tôle. Après le passage d’Irma, il n’y a plus une seule maison debout. Tout a été ravagé. Les morts recensés, c’est sans doute là qu’ils sont.

Vous pensez que les médias en font trop sur les pillages ?

La réalité coloniale de Saint-Martin se prolonge dans la façon dont les médias nationaux traitent cette information. Les télés nous montrent une communauté blanche apaisée, raisonnable, et de l’autre des Noirs qui dévalisent les magasins. Des pillages, il y en a. Ce sont des choses qui arrivent dans ces circonstances où les gens n’ont plus rien et sont abandonnés à leur sort depuis une semaine. Mais ça n’arrive pas qu’à Saint-Martin. A la Nouvelle-Orléans, les supermarchés ont été pillés, pareil à Houston au Texas il y a peu. Dans la partie néerlandaise de Saint-Martin, il y en a eu aussi. Le phénomène est sans doute amplifié par le fait que les secours ont mis du temps à arriver. Si on avait prépositionné des vivres et de l’eau en Guadeloupe, je pense que les gens auraient pu être ravitaillés plus rapidement et seraient sans doute moins exaspérés.

Sur quoi faut-il mettre l’accent alors ?

Il faudrait se concentrer sur d’autres priorités sur le long terme. Par exemple, quelle collaboration mettre en œuvre avec les autres pays de la Caraïbe ? Il n’y a aucune coopération, notamment avec les Pays-Bas, alors que nous avons une frontière commune. Et encore, quand je parle de frontière, il n’y a que le modeste monument frontalier qui vous permet de savoir que vous êtes passé de l’autre côté de l’île. Il faudrait pouvoir organiser et coordonner les interventions au plan local pour venir solidairement en aide aux territoires qui sont touchés par ce type de cataclysme, fréquents dans cette partie du globe. Pour ne pas attendre que, à 8000 kilomètres de là, Macron se réveille un matin en disant « on va faire quelque chose ».

Le gouvernement compte aussi sur les assurances pour remettre les choses en ordre.

On a entendu M. Edouard Philippe dire qu’il a signé le décret déclarant la situation de catastrophe naturelle, ce qui est indispensable pour être indemnisé par les assurances. Mais même ces mesures qui sont prises en urgence ne vont pas dans le sens de régler les disparités sociales. Sincèrement, vous croyez que quelqu’un avait une maison assurée à Sandy Ground ? C’est pourquoi on ne montre pas ce qui se passe dans ce quartier, ça la foutrait trop mal pour un département d’un pays qui est la cinquième puissance mondiale et dont la devise est liberté, égalité et fraternité. Il ne faut pas oublier que les dégâts, leur ampleur, sont consécutifs à ces disparités sociales. Il suffit de comparer avec les images de Saint-Barthélémy [autre île française proche de Saint-Martin]. Là-bas, il y a des maisons, des structures qui sont endommagées, mais le président de la communauté a pu déclarer que, cet hiver, tout serait en place pour le démarrage de la saison touristique. A Saint-Barthélémy, le niveau de vie est plus élevé, les infrastructures de meilleure qualité, les maisons plus solides. Il y a donc eu des dégâts moindres.

Jusqu’à quel point aurait-on pu anticiper ?

Quand je parle d’anticipation, je ne parle pas d’anticipation au coup par coup, mais d’une véritable réflexion sur les moyens pour faire face à ce type d’événements exceptionnel de façon à en amoindrir les conséquences. Je discutais hier avec un spécialiste des questions sismiques. En Guadeloupe, il y a 70 à 80% des bâtiments publics qui ne sont pas aux normes parasismiques, à commencer par le CHU (hôpital universitaire) de Pointe-à-Pitre. Nous sommes pourtant dans une zone de forte sismicité. Un de ces jours, on aura un séisme majeur en Guadeloupe avec des conséquences catastrophiques. Les autorités françaises nous diront après coup qu’on ne peut pas tout prévoir, mais qu’on va tout mettre en œuvre rapidement pour éviter les maladies, le choléra, et passer ensuite à la reconstruction. On est toujours dans la réaction, pas dans l’anticipation et la prévention.

Vous voulez dire qu’on aurait dû intervenir il y a bien longtemps ?

Deux jours avant, il y a des choses qu’on peut encore faire, pour d’autres il est trop tard. Mais quand on sait qu’on va avoir un cataclysme de ce type-là, il faut qu’il y ait en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Martin, des endroits bunkerisés pour stocker des vivres et de l’eau, afin que les populations aient de quoi survivre dans ces circonstances terribles. La ministre des outremers a déclaré que deux jours avant, on ne savait pas si l’ouragan passerait sur Saint-Martin. Mais comme on dit chez nous, « ce n’est pas quand vous avez faim que vous allez mettre à cuire le repas ». Je crois qu’il faut avoir du recul sur tout ça. Quand ils ont connu la trajectoire, ils auraient pu anticiper davantage. Même 24 heures ou 48 heures avant. Quand on sait qu’on est dans une zone où ces phénomènes climatiques extrêmes sont fréquents, il y a un certain nombre de mesures à prendre pour assurer la protection des personnes et des biens. La Floride ou d’autres îles de la Caraïbe l’ont fait. Cuba a pris un certain nombre de dispositions pour évacuer les gens et prépositionner un certain nombre de matériels pour aider sa population. Alors comment se fait-il que la France n’arrive pas à le faire ?

Propos recueillis par Véronique Valentino

Elie Domota est un syndicaliste guadeloupéen, porte-parole du « Lyannaj kont pwofitasyon » (LKP) et membre de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), syndicat majoritaire et acteur majeur des luttes sociales en Guadeloupe.

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Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, qui nous parlent (...)
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